Nouvelles:

Nouvelle version 2024 du forum installée  !

Menu principal

Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

« précédent - suivant »

bunni


Les oreilles de la mer

Annette ne manquait jamais de s'arrêter devant les vitrines des marchands de corail, où, parmi les nombreux colliers de perles rouges, roses et blanches, parmi les breloques, les médaillons, les épingles et les belles branches de corail déposées dans les coupes de verre comme des fleurs bizarres, se trouvaient toujours, pour compléter le décor, trois ou quatre de ces grands coquillages, conques merveilleuses ressemblant à des oreilles de chair rose. Le papa d'Annette croyait qu'elle admirait quelque beau collier qui la tentait, et, comme il n'était pas riche, il restait à côté d'elle, sans rien dire, car il savait que le collier blanc, monté en or, qu'il eût aimé offrir à son Annette, avait une trop grande valeur pour qu'il y pût songer.
Or, un jour, la fillette le questionna :
« Est-il vrai, papa, que ces belles coquilles sont les oreilles de la mer ? »
Le père réfléchit un moment. Il y a quelquefois des questions auxquelles les papas eux-mêmes ne savent trop que répondre.
« Les flots parlent, reprit Annette. Donc ils ont une bouche. N'as-tu jamais entendu leur ramage ?
- Pour cela, oui ! » répondit le père avec conviction.
Il était marin et connaissait bien des choses. Que de fois, sur sa barque solitaire, errant au hasard entre le ciel et la mer, avait-il écouté l'eau qui jasait autour de lui ? Il avait même causé avec elle, car le balancement de la mer semblait lui apporter les baiser de sa petite fille chérie. Et lui, il confiait de ses nouvelles aux vagues, parce que, avant de se briser, elles s'en allaient jusqu'à Naples, où, quelqu'un des siens, passant là et entendant le flot battre la jetée, reconnaîtrait peut-être le salut de l'absent... Et puis, allez donc dire aux marins que l'eau ne parle pas !
« Donc, continua Annette, poursuivant son idée, s'ils ont une bouche pour parler et pour m'embrasser les pieds quand je marche sur la plage, ils doivent aussi avoir des oreilles pour entendre ? Que t'en semble ?
- Il me semble que oui, dit le père. Et alors ?
- Alors..., rien ! » soupira Annette, qui, pendant la fin de la promenade, ne questionna plus son père.
Celui-ci avait enfin compris que sa fillette ne s'arrêtait pas devant les vitrines des marchands de coraux pour contempler un de ces colliers qu'il désirait tant lui attacher autour du cou ! Un jour, il lui demanda si elle pensait encore aux oreilles de lamer.
« Toujours, répondit Annette, très sérieusement.
- Mais pourquoi ? »
Le père tiraillait ses longues moustaches, cherchant à deviner.
« Parce que, dit Annette, quand tu seras en mer, si j'avais quelque petite chose à te dire, j'approcherais ma bouche de l'oreille de lamer, comme je l'approche de tes oreilles à toi, et je lui dirais cette petite chose. La mer, ensuite, penserait à te la communiquer. »
Le père d'Annette n'était pas marin pour rien. Cette idée fut de son goût ; il la trouva si belle même, qu'il commença à faire des économies.
« Tu ne fumes plus ? demanda un jour, toute surprise, la maman d'Annette.
- J'en ai perdu le goût, répondit-il avec désinvolture. Cela me faisait mal à l'estomac.
- Tu plaisantes ! dit la maman. Tu as toujours eu un estomac d'autruche, capable de digérer des pierres !
- Cela tient peut-être, bredouilla le père, à ce que je prends trop peu d'exercice. Dorénavant, je ne monterai plus en tramway. »
Grâce à ces petites économies habilement masquées, les oreilles de la mer devenaient abordables. Il semblait à ce « papa gâteau », que l'un des coquillages venait à lui par un chemin toujours plus proche en lui disant :
« Viens, approche encore un peu ! Là, me voilà juste à point..., prends moi. »
Bref, il l'acheta. Deux jours après, papa partait sur la Sainte-Anne, la belle goélette de pêche du patron Carmine.
Avant de partir, il avait donné ses instructions à Annette :
« Tous les matins tu me diras bonjour, et tous les soirs, avant de te coucher, tu m'enverras un baiser. »
L'oreille de la mer fut placée sur la commode de la maman, juste devant la statuette de Sainte-Anne, et la chaise d'Annette était toujours posée devant la commode ! Le bonjour du maint et le baiser du soir furent fidèlement donnés, ainsi qu'il en était convenu, et, de plus, il y avait tant de choses à raconter au père en voyage, la journée était si pleine d'évènements !
Cette oreille de mer devint un membre de la famille, disons plus, le membre le plus précieux. Ne représentait-elle pas l'absent ?... Si la chèvre avait abîme le tricot de la grand'mère, en tirant sur son peloton, papa était le premier à en être informé ; si Annette avait eu pour sa calligraphie dix points accompagnés d'éloges, c'était encore au père qu'elle se hâtait de l'apprendre ; s'il y avait eu des fraises au dîner, Annette lui contait leur saveur. Et puis, elle lui apprenait tant d'importantes nouvelles : « Il pleut... Je vais me coucher... Je mets ma robe à carreaux rouges et bleus, etc... »
Quand il était l'heure de la promenade, Annette disait :
« Maintenant, allons chercher les réponses. »
Il y en avait toujours. La mer, bonne ou mauvaise, n'est jamais au repos. Quand elle clapotait silencieusement autour des barques remuant à peine, Annette entendait son papa qui lui disait :
« Sois sage, ne te penche pas par la fenêtre, donne un baiser à ta maman et à ta grand'mère, dis à tous que je vais bien... »
Quand la mer secouait les barques, gaiement, à la belle lumière du soleil, avec une certaine odeur d'algues qui met en belle humeur, Annette entendait son père éclater de rire :
« La chèvre, eh ! Je l'ai su. Cette Nérotte est une brigande ! Le tricot de la grand'mère ! Tu as dû bien te divertir !... »
Et la petite Annette entendait tant d'autres choses !
Dans les journées de tempête, Annette ne pouvait pas entendre se briser contre la jetée la grande rumeur de la marée sans trembler ! Elles restaient à la maison, la grand'mère, la maman et elle, pâles d'effroi, récitant la prière des marins !
Le tendre papa avait un peu oublié la coquille. Il pensait tant à Annette qui devait le plaindre, et il était aussi tellement occupé ! Ce n'est pas une vie de fainéant que l'on mène à bord ! On travaille jour et nuit, sans interruption. Il ne reste, - quand il en reste, - que le temps indispensable pour s'appuyer le soir sur le pont et regarder le sillage du bateau qui navigue vers la douce terre où on a laissé les siens... Un soir même, la mer était si grosse et le ciel si chargé, que le patron Carmine dit :
« Mes enfants, ce n'est pas le moment de plaisanter ; vite aux voiles. Préparons-nous ; c'est vers trois heures que commencera la danse ! »
Il parlait sur un certain ton, avec une certaine ride au milieu du front, qui fit que tous les hommes le comprirent instantanément. Personne ne connaissait les tempêtes mieux que ce vieux loup de mer. Figurons-nous si, à ce moment-là, le père d'Annette eut le temps de penser à autre chose qu'à toutes les espèces de voiles, grandes ou petites, hautes et basses, triangulaires ou quadrangulaires qui sont sur une goélette et qui s'appellent de vingt noms différents. Justement, le papa d'Annette était gabier.
Le patron Carmine n'avait pas pensé que la bourrasque éclaterait aussi imprévue et terrible. La mer se couvrit, en un instant, de crêtes blanches qui augmentaient, augmentaient, s'élevant comme des montagnes. Le ciel, après avoir été obscur, devint jaune, puis vert. Des rafales formidables envahirent la Sainte-Anne en la renversant sur les flots. On entendait les sourds éclatements du bois qui se brisait, et il semblait que les mâts dussent se rompre à chaque coup de mer : les voiles étaient secouées d'une telle violence, que les robustes gabiers ne pouvaient réussir à les replier.
Les ordres, les cris et les avertissements se croisaient dans le vacarme de la mer et du vent. L'obscurité devenait de plus en plus profonde ; la Sainte-Anne plongeait dans les ténèbres. Un grand nuage de sable l'avait régulièrement recouverte. Au milieu du bruit, on entendit une voix crier :
« Un homme à la mer ! »
Et la Sainte-Anne bouleversée, courait, courait, jouet du destin !
L'homme tombé dans la mer était le père d'Annette ; tout d'abord il fut pris dans un tourbillon, et il se crut à sa dernière heure.
Mais – comme il arrive souvent – la nuée de sable continuant sa route laissa l'air éclairci. Le gabier reprit courage, se coucha sur le flot, et jeta un cri qui fut entendu. Un autre cri lui répondit : « Un homme à la mer ! »
Les compagnons savaient donc qu'il vivait, et ils feraient certainement tout pour revenir sur leurs pas et le recueillir. Pendant un moment, le père d'Annette nagea vigoureusement dans la direction de la Sainte-Anne ; puis, ne voyant plus ni mât, ni voile à l'horizon, il chercha à épargner ses forces, et il se laissa porter au gré des flots. Combien d'heures se passèrent-elles ainsi ? Le père d'Annette ne les compta pas ; il sut seulement qu'elles durèrent une éternité. La venue de la nuit l'avait découragé. Ses compagnons ne revenaient pas ; il était certainement survenu quelque malheur : si la Sainte-Anne n'était pas en péril de naufrage, elle devait, pour le moins, se trouver dans l'impossibilité de se diriger ! Il était donc perdu !voilier
Les heures s'écoulèrent noires, lentes, sinistres. La mer, devenue tranquille, berçait le pauvre naufragé. Qu'importe, à présent, que les flots furieux ne ballottent plus, comme une épave, un homme à bout de forces ? Abandonné de tous, il ne peut plus espérer son salut que d'un miracle.
Ainsi pensait le pauvre papa d'Annette. Le froid l'avait vaincu, ses membres se recroquevillaient, ses bras ne pouvaient plus se mouvoir. Par moments, il avait le désir de fermer les yeux et de se laisser couler au fond.
Mais, tout à coup, il pensait aux siens, à Annette, et le désir de revoir sa petite lui donnait encore une lueur de courage ;  il essayait de nager. Il y avait tant d'heures qu'il attendait, et il se sentait si fatigué, si fatigué ! Un instant, il ferma les yeux, il ne vit plus rien, il ne pensa plus à personne.
... Ce soir-là, Annette avait causé plus que de coutume avec son père si lointain. Elle lui avait dit tant de chose dans le creux du coquillage ! Elle lui avait raconté toute sa journée, et, pour finir, elle lui avait envoyé trois baisers, dont un de la part de sa maman ; puis, elle était allée se coucher. Mais le sommeil n'avait pas voulu venir. Elle entendait sa mère travailler à la machine dans la chambre à côté. Elle pensait que ce serait si beau si son papa et sa maman étaient toujours ensemble, oui, oui, toute la vie, avec Annette.
Au lieu de cela, le pauvre papa était sur la mer !... Annette descendit de son petit lit, marcha sur la pointe des pieds déchaussés, jusqu'à la commode, et là, mettant sa bouche tout près de l'oreille de lamer, elle murmura tout bas, tout bas, pour que sa maman n'entendit pas :
« Petit papa, mon petit papa, reviens vite, vite ! oh ! oui, reviens vite, parce que nous sommes trop seules, maman et moi, reviens, reviens, reviens ! » parce que nous sommes trop seules, maman et moi, reviens, reviens, reviens ! »
Contente, elle se faufila dans ses couvertures et dormit jusqu'à l'aube.
Le message d'Annette mit un peu de temps à arriver ! D'abord, parce que le père était très loin, puis parce que l'Océan lui-même ne fait que ce qu'il peut. Les paroles roulèrent, roulèrent sur la crête des vagues et arrivèrent à l'aube portées par le léger mouvement de la marée. La mer triste, muette, entourait un corps d'homme qui s'abandonnait ; elle commença à murmurer, à chuchoter une chose, une chose... Quelle chose, disait-elle ?
« Reviens, reviens, nous sommes seules, reviens, reviens, reviens !...
L'homme entendit ; il rouvrit les yeux. Il fallait encore lutter ! Les oreilles de la mer avaient entendu les douces paroles d'Annette, et la mer priait pour elle, avec la petite voix de l'enfant, avec son gémissement si semblable à celui de la marée. Courage ! le père d'Annette fit un dernier effort, se souleva sur l'eau et regarda au loin : oh ! joie ! la Sainte-Anne était à l'horizon ! Portée par le vent, elle accourait , toutes voiles déployées.
Cette histoire m'a été racontée par le père d'Annette. La petite riait, les yeux un peu humides, et moi, dois-je vous le dire ? moi... je pleurais !

bunni


La renaissance du Soleil

Tous en Cercle, et je vais vous raconter une histoire sur le temps où le Soleil renaît...

C'était le milieu de l'Hiver, et le Soleil était devenu très vieux.
Tout au long de l'année il avait travaillé très dur, se levant et se couchant jour après jour. Tout au long de l'année il avait nourri tout le monde sur terre, brillant et brillant encore, donnant de l'énergie aux arbres, aux fleurs et à l'herbe pour que tout cela puisse pousser et nourrir les animaux, les insectes, les oiseaux, et les gens.
Tout au long de l'année la force de gravitation du Soleil avait retenu la Terre, la Lune et les huit autres planètes de notre système alors qu'elles tournoyaient, tournoyaient si fort que le pauvre Soleil avait le vertige en les regardant.
A présent, le pauvre Soleil si fatigué peinait même à se lever le matin, et très rapidement, eut envie de se rendormir. Alors les jours se raccourcirent, et les nuits s'allongèrent, jusqu'à ce que le jour soir si bref qu'il ne valait presque plus la peine de se lever.
La Nuit ressentit de la compassion pour le Soleil.
« Viens dans mes bras te reposer, mon enfant », dit-elle. « Je suis ta mère après tout. Tu es né de mon obscurité, il y a des milliards d'années, et tu retourneras à moi à la fin de toutes choses. Laisse-moi te bercer maintenant, comme je berce et enlace toute galaxie, et toute étoile dans l'univers. »
Alors la nuit entoura le Soleil de ses longs bras, et la nuit fut en effet très longue.
« Pourquoi il fait noir si longtemps ? » demandèrent les enfants partout sur terre. « Le Soleil ne reviendra plus jamais ? »
« Le Soleil est très fatigué », dirent les adutes. « Mais peut-être que si vous les enfants, vous disiez merci pour tout ce que le Soleil fait pour nous, la lumière pourrait revenir au matin. »
Les enfants chantèrent des chansons pour le Soleil. Ils pensèrent à tout ce qu'Il leur donnait.
« Merci de faire pousser les salades, et le maïs, et le riz et le blé », dirent-ils. « Merci de faire grandir les arbres des forêts et les algues dans les océans et le plancton qui nourrit les baleines. Merci de brasser l'air et d'apporter le vent qui fait pleuvoir. »
Chaque fois qu'un enfant disait merci, le Soleil commençait à se sentir un peu plus chaud, un peu plus brillant. Serré en sécurité dans les bras de la Nuit, il devenait de plus en plus jeune.
Arriva le moment où les enfants durent aller au lit. « On va rester debout et attendre que le Soleil revienne », dirent les adultes.
« On peut rester debout aussi ? » demandèrent les enfants.
« Vus pouvez essayer, mais vous allez vite être trop fatigués », dirent les adultes. « Mais vous pouvez allumer chacun une bougie, parce que toutes les flammes sont des étincelles du Soleil. Posez votre bougie dans un endroit parfaitement sécurisé, et laissez-la monter la garde pour vous pendant que vous dormez et rêvez du lever du Soleil. »
Alors les enfants allumèrent leurs bougies et les posèrent dans des endroits très sûrs, et chaque flamme était une petite étincelle du Soleil. Et le Soleil regarda par les interstices entre les bras de la Nuit, et vit tous les petits feux, il commença à se sentir vraiment plus chaud et plus brillant, et toujours plus jeune.
Tôt le matin, les adultes réveillèrent les enfants. Ensemble ils grimpèrent sur une grande colline et se tournèrent vers l'Est, la direction du lever du Soleil. Ils chantèrent des chants pour Lui et coururent pour se tenir chaud. Ils attendirent et attendirent encore, pour voir ce que l'aube apporterait.
Le noir du ciel commença à se teinter d'indigo et de bleu. Lentement, il devint lumière. Une brillance dorée souligna l'horizon. La Nuit ouvrit ses grands bras, et dans une explosion de brillance, le Soleil apparut, neuf, fort et ardent.
Car durant la longue nuit le Soleil s'était bien reposé et avait rajeuni grâce aux chansons et aux remerciements des enfants, il était neuf comme un nouveau-né issu de la Nuit.
Tout le monde se réjouit, et les enfants sautèrent un peu partout.
« Le Soleil est revenu ! Le Soleil est né à nouveau ! » Crièrent les gens. Et ils dansèrent et chantèrent pour célébrer la naissance du jour nouveau, puis ils rentrèrent chez eux pour prendre le petit-déjeuner.

bunni


Au four et au moulin

Il était une fois, dans le pays des moulins, un maître-meunier qui avait un très très beau moulin à eau. Il était plus grand et moulait quotidiennement plus de grain que les autres moulins à la ronde. Il faisait l'envie de tous les paysans et même des seigneurs des environs.

          Pourtant, Emile le meunier n'était pas heureux. Il se faisait vieux, sa femme était morte sans lui donner de descendance et il ne savait pas auquel de ses deux apprentis céder son moulin.

          Tandis que le pauvre homme se tourmentait ainsi pour sa succession, la morte saison arriva, l'eau gela au pied du moulin et le moment vint de prendre quelque repos.

-Je compte sur vous pour revenir dans trois mois, dit Emile à ses deux apprentis, Albert et Nejus. Qu'allez-vous faire d'ici là ?

-Je vais rendre visite à ma vieille mère, dit Albert. Elle habite à trois jours de marche d'ici et cela fait des mois que je n'ai pas pu aller la voir.

-Je vais prêter assistance à mon père qui est bûcheron, répondit Nejus. Avec Noël qui approche et tous les sapins qu'il va falloir abattre, un peu d'aide ne pourra être que la bienvenue.

-Vous êtes tous deux de braves garçons, dit le meunier et j'ai de la chance d'avoir des apprentis tels que vous. Toi, Nejus, avec ta force et toi, Albert, avec ton habileté à traiter avec les paysans, vous ferez tous deux de bons meuniers. Pourtant, c'est injuste mais c'est ainsi, seul l'un de vous deux pourra me succéder. C'est au printemps que je prendrai ma décision. Les autres meuniers n'ont pas ce problème, ils ont tous un ou des enfants pour les remplacer petit à petit mais, moi, je n'ai pas eu cette chance. C'est pourquoi la femme de celui qui me succédera aura autant d'importance que son époux. Vous êtes de braves et courageux meuniers mais trouverez vous une épouse qui fasse une bonne meunière ? Cherchez vous une fiancée et ramenez la avec vous à la mi-mars. Il me sera moins pénible de trancher entre elles qu'entre vous que je connais depuis des années au point d'en être arrivé à vous considérer comme mes fils.

          Les deux garçons furent très surpris par les propos du meunier mais ils avaient toujours été très respectueux vis à vis de leur vieux maître qui était un homme avisé et les traitait avec bonté.

          Aussi promirent-ils de faire de leur mieux pour le satisfaire. En son for intérieur, Nejus avait déjà envisagé de se chercher une compagne dans les mois à venir. Quant à Albert, chaque fois qu'il voyait sa mère, elle lui disait la hâte qu'elle avait de faire sauter des petits enfants sur ses genoux. Ce qui contrariait davantage les deux apprentis était que cette rivalité forcée risquait de causer la fin de leur belle amitié. Néanmoins, sans s'en ouvrir l'un à l'autre de peur de voir leurs inquiétudes prendre corps, ils se séparèrent chaleureusement comme toujours.

Nejus retrouva toute sa famille qui lui fit fête et, tout à la joie de célébrer Noël, il oublia un peu ce que lui avait dit son maître. Ce n'est que fin janvier que la requête du meunier lui revint à la mémoire. Il s'en ouvrit à ses parents.

-J'ai ouï-dire, déclara alors le bûcheron, que tout au cœur de la forêt dans un sous-bois impénétrable jusqu'auquel nous n'allons jamais, se trouve un château dans lequel une princesse est retenue prisonnière par un mystérieux enchantement. Seul son prince charmant pourra la délivrer.

-Je ne suis pas sûr qu'une princesse puisse faire une bonne meunière, rétorqua son fils, mais il ne sera pas dit que j'aurai laissé une gente demoiselle dans la difficulté. Je vais aller sur place voir ce que je peux faire pour elle.

 

          Nejus prit des provisions pour la route et une solide hache de bûcheron afin d'être à même de se tailler un passage dans les recoins les plus obscurs de la forêt. Au dernier moment, son frère cadet, Berus, qui était bûcheron comme leur père, lui proposa de l'accompagner.

-Peut-être y a t'il plusieurs princesses dans ce château, dit-il. Au reste, je n'ai pas besoin d'une princesse. Une jeune fille simple et charmante, fut-elle une servante, me suffira. S'il y a un château avec une princesse dedans, il y a sans doute d'autres occupants.

-Sans doute, approuva Nejus.

           Les deux frères se mirent donc en route. Ils marchèrent, taillèrent dans les buissons, cueillirent des mûres sauvages, abattirent un ou deux arbustes, se perdirent un peu et enfin parvinrent en vue d'une habitation.

-C'est ça, le château ? demanda Berus, surpris. Cela ne ressemble pas du tout à l'idée que je m'en faisais. Ce n'est pas très grand, ce n'est pas très beau, il n'y a pas de tour, pas de pont-levis...C'est juste une maison avec des murs envahis par le lierre.

-Les commérages ont dû améliorer la réalité pour la transformer en légende comme c'est souvent le cas, observa Nejus.

-Cela n'a pas l'air habité, ajouta son frère, désappointé.

-Tentons d'entrer, dit son aîné.

          Il essaya d'ouvrir la porte mais elle ne céda pas. Alors les deux frères prirent du recul et, d'un seul élan, se jetèrent contre le panneau de bois qui daigna se déclarer vaincu.

A l'intérieur, la poussière et les toiles d'araignée régnaient en maître. Il n'y avait pas âme qui vive au rez-de-chaussée mais, dans l'une des chambres du premier étage, ils découvrirent trois jeunes filles et un chien changés en statues de pierre. L'une d'elles était couchée avec le chien sur l'édredon dans un grand lit à baldaquin tandis que les deux autres étaient figées assisses chacune sur un fauteuil à droite et à gauche du lit.

          Berus, s'approchant du lit, posa sa main sur le chien en disant :

-La pauvre bête ! Qu'a t'il bien pu faire pour mériter un sort pareil ?

          Alors qu'il caressait la pierre, celle ci se réchauffa progressivement et le chien, recouvrant la vie, aboya joyeusement et lécha avec affection son sauveur.

          A l'exemple de son frère, Nejus se mit à tapoter les mains de la jeune fille qui se trouvait sur le lit, à lui frotter les pieds mais cela resta sans effet. C'est alors que le chien sauta sur le lit de sa maîtresse et lui lécha énergiquement la figure.

-Où suis je ? Qui êtes-vous ? s'écria t'elle en voyant les deux jeunes gens.

          Alors qu'ils s'expliquaient, la porte en bas s'ouvrit dans un grand coup de vent et un homme monta. Il était grand, mince et vêtu comme un sorcier.

-Je suis le mage Doremi, dit-il. Qui vous a permis de délivrer mes prisonniers ?

-Pourquoi les avez-vous changé en pierres ? demanda Nejus.

-Demoiselle Alice avait repoussé l'amour sincère que je lui offrais, ses suivantes effrontées m'avaient ri au nez et le chien m'avait aboyé dessus alors je les ai tous transformés en statues de pierre il y a dix-huit mois de cela pour les punir de leur dédain.

-Pardonnez-moi, s'écria Alice à l'adresse du magicien, j'ai été vaniteuse et sotte. Si vous voulez encore de moi, je consens désormais à être votre épouse.

-Voilà qui est mieux, se réjouit le mage. Partons de suite dans mon royaume célébrer nos noces. Jeunes gens, il vous suffira d'embrasser amoureusement les suivantes pour les délivrer du sort. Choississez donc bien celle que vous préférez. Seul l'amour peut ôter un sortilège jeté avec haine.

-Je vous donne mon chien Boti pour vous exprimer ma gratitude, dit Alice. Il semble vous avoir pris en affection et, du reste, il ne s'entendrait probablement pas avec les chats du magicien.

-Oh, mille merci ! s'exclama Berus, ravi.

          Le mystérieux mage et sa fiancée s'évanouirent dans un nuage de fumée ; Nejus choisit la jeune fille de droite et Berus celle de gauche puis, dans un même élan, ils les embrassèrent et elles reprirent vie dans l'instant.

          Les jeunes gens leur racontèrent ce qui venait de se passer. Anita, celle que Nejus avait choisi, et Clara, celle que Berus avait voulu, leur exprimèrent toute leur reconnaissance. Tous quatre quittèrent en hâte l'étrange demeure suivi de Boti qui gambadait comme un fou tout à la joie de sa liberté retrouvée.

          Ils rentrèrent chez eux tout heureux et Nejus se mit à préparer progressivement Anita au métier de meunière.

          Pendant ce temps, Albert était rentré chez sa mère et avait eu la fâcheuse surprise de trouver celle-ci beaucoup plus mal en point qu'il ne s'y attendait. La vieille femme, à laquelle une voisine administrait des soins, mourut deux jours après l'arrivée de son fils comme si elle avait attendu pour rendre son dernier soupir de l'avoir revu une dernière fois.

          La voisine, qui s'appelait Angèle, était jeune et pleine d'énergie. Elle s'offrit pour remettre la maison en ordre et le jeune homme, qui se sentait dépassé par les évènements, accepta.

-A présent que je suis orphelin, songea t'il, il est d'autant plus nécessaire pour moi de me marier.

          Il apprit d'Angèle qu'elle était seule au monde également car ses parents étaient décédés de la petite vérole l'an passé. La jeune fille, avec laquelle il avait joué dans son enfance, lui plaisait de plus en plus et il en vint à trouver des prétextes pour la faire venir chez lui ou pour lui rendre visite. Il se mit à chasser beaucoup afin de solliciter l'aide de la jeune fille pour dépecer les bêtes, il lui offrit des vêtements ayant appartenu à sa mère, lui demanda son avis sur ce qu'il devait vendre et ce qu'il devait garder...Au bout d'un mois, il ne pouvait tout simplement plus se passer d'elle.

          Il lui dit donc qu'il l'aimait et lui demanda de devenir sa femme. Seulement, comme il était pauvre, il n'avait pas les moyens de lui offrir une bague de fiançailles. Il lui demanda donc ce qu'elle désirait comme présent.

-Je veux le four magique qui s'allume tout seul, lui répondit-elle.

-Misère de misère, se dit-il. Il y a des jeunes filles qui ont des prétentions simples et il a fallu que j'en choississe une qui veut que l'on décroche la lune pour elle.

-Où puis-je trouver un tel four ? demanda t'il en soupirant.

-Si je le savais, je serais déjà allée le chercher, répliqua Angèle. Mais je suis sûre que toi, avec ton habileté et ta force, tu le trouveras sans mal.

          Albert vit bien qu'il lui fallait en passer par là où elle le souhaitait. Il mit donc dans un sac quelques vêtements et provisions puis il partit. A tous ceux qu'il croisait, il demandait s'ils avaient entendu parler d'un tel four.

          Tous répondaient négativement.

          Un jour, enfin, un petit rouge-gorge lui dit :

-J'ai volé au dessus d'un tel four, il dégageait une forte chaleur et, pourtant, il n'y avait personne pour l'activer. Il se trouve un peu plus au nord près d'un puits de mine abandonné.

          Encouragé par cette nouvelle, Albert accéléra la cadence de ses pas et il découvrit le fameux four au bout de deux heures de marche.

Il mit ses gants puis tenta de le soulever. Le four se mit à protester bruyamment :

-Hé là ! Hé là ! Où vous croyez-vous ? Depuis quand transporte t'on les gens sans leur demander leur avis ?

-Pardonnez-moi, dit le jeune homme, confus. Je ne savais pas que vous étiez vivant.

-Pendant des années, j'ai servi aux ouvriers de la mine à faire cuire leur nourriture. Lorsque le gisement a été épuisé et le site abandonné, le propriétaire de la mine, le mage Doremi, m'a donné vie pour me récompenser. Mais je m'ennuie ici, c'est terrible à quel point je m'ennuie.

-Ne pouvez-vous changer de place ?

-Je le peux. La nuit, je me promène un peu dans la forêt mais le jour, je n'ose pas. Des personnes malveillantes pourraient me détruire en me traitant d'objet de sorcellerie. Pourquoi es tu venu jusqu'à moi ? Tu as quelque chose à faire cuire ?

-En fait, non, dit Albert. Ma fiancée te veut pour présent de fiançailles car elle pourra, avec ton aide, réaliser toutes les pâtisseries qu'elle voudra. Viens avec moi. Nous ne cheminerons que de nuit pour ne pas nous faire remarquer. Si quelqu'un nous voit, je ferai semblant de te porter. Une fois dans ma maison, tu seras en sécurité.

-Ma foi, répondit le four, tu me sembles un jeune homme sympathique et je veux bien te faire confiance. Faisons donc comme tu le proposes.

          Le soir venu, ils se mirent donc en route le four sautillant aux côtés d'Albert.

          Quand ils arrivèrent au village natal du jeune homme, ils réveillèrent Angèle qui poussa des cris de joie à la vue du four magique. Elle l'essaya dès le lendemain matin et en fut enchantée.

          Cependant Albert était bien ennuyé car il ne lui restait plus que quelques jours avant d'aller retrouver son maître-meunier et il savait qu'Angèle n'accepterait pas à l'accompagner si le four n'était pas du voyage. Mais le four consentirait-il à ce nouveau déplacement ?

          L'apprenti meunier lui fit valoir qu'il serait bénéfique pour lui de se trouver à côté d'un moulin car, avec toute la farine qui s'y créait, c'était un endroit idéal pour cuire du pain et des gâteaux.

          Le four réfléchit et acquiesça :

-Tu as raison. D'ailleurs, je n'ai pas beaucoup voyagé dans ma vie jusqu'ici. Je serai content de voir un peu du pays.

          Tous trois se mirent donc en route. Ils atteignirent le moulin le lendemain de l'arrivée de Nejus et d'Anita. Le maître-meunier mit les jeunes filles à l'épreuve de plusieurs manières. Finalement, il réunit ses deux apprentis et leur dit :

-Une bonne meunière est une meunière prompte à répondre à la demande du client. Vous allez tous deux appeler vos fiancées en même temps. La première des deux qui sera là deviendra la meunière en titre du moulin.

          Anita arriva tout de suite mais Angèle tarda à se montrer. Comme son fiancé lui en faisait réprimande, elle rétorqua :

-J'étais en train d'enfourner un excellent gâteau pour le dîner de ce soir. Je ne peux pas être à la fois au four et au moulin.

-Elle a raison, dit le maître-meunier. Nejus et Anita me succèderont au moulin. Quand à toi, Albert, je te suggère d'ouvrir avec ta fiancée une pâtisserie à côté du moulin.

-C'est une excellente idée, s'écria Nejus. Ainsi, nous pourrons continuer à travailler ensemble comme par le passé. Dis oui, Albert, je t'en prie.

          Le jeune homme regarda Angèle qui le supplia des yeux d'accepter et prit sa résolution.

-Eh bien, soit. Après tout, c'est la meilleure solution.

          Les deux mariages furent célébrés le même jour. Les deux ménages vécurent toujours dans le bonheur et l'harmonie sans jamais souffrir du froid ni de la faim même par le plus rigoureux des hivers ce grâce aux bons offices du four magique.

 
Un conte de Sandrine Liochon

bunni


TIMÉOO

Il y a longtemps, très longtemps, dans un lointain pays magique, vivait un petit garçon qui s'appelait Timéoo... Et comme tous les enfants du pays magique, Timéoo n'allait pas à l'école, car le livre de la connaissance avait disparu du pays magique et depuis plus personne ne savait comment le retrouver...On disait qu'on avait volé le livre de la connaissance... et... comme dans tous les pays magiques il y a un magicien, on disait aussi que le vieux magicien, qui habitait de l'autre côté de la montagne, savait où se trouvait le livre de la connaissance. Mais personne n'osait s'aventurer de l'autre côté de la montagne...Et le vieux chat, Siméon, qui était autrefois le gardien du livre de la connaissance, n'avait plus de travail, aussi il s'ennuyait et il passait ses jours et ses nuits à dormir...C'est vrai qu'il n'y avait pas beaucoup de différence entre les jours et les nuits au pays magique. Comme on avait perdu la connaissance, on ne savait plus comment faire apparaître le soleil, ni comment faire disparaître la lune, ni même compter les étoiles qui avait fini par bouder et refusaient de se montrer... On ne savait même plus comment inventer de nouvelles couleurs pour peindre les fleurs qui étaient toutes fanées... Que le pays magique était triste à cette époque là!
Et puis un jour Timéoo décide de tout changer... et il demande au vieux chat Siméon comment faire pour aller chez le magicien de l'autre côté de la montagne. Car Siméon sait tout de même beaucoup de choses, puisqu'il était le gardien du livre de la connaissance autrefois.
"Tu dois partir à la recherche de Bergolin l'écureuil et lui demander de te conduire de l'autre côté de la montagne, dit Siméon. Il connaît très bien la géographie et il a beaucoup voyagé... Il te guidera".

Ainsi fut fait et Timéoo emporte du chocolat aux noisettes, du jus d'orange enrichi en vitamines et il part pour la grande aventure... Il trouve Bergolin l'écureuil dans la forêt :
"Bonjour Bergolin, dit Timéoo, peux tu me conduire chez le magicien de l'autre côté de la montagne? Je veux retrouver le livre de la connaissance.
- Donne moi ton chocolat aux noisettes et je te conduirai, répond Bergolin, mais auparavant nous allons partir à la recherche de Maître Hibou, car il sait très bien compter et il nous dira combien de kilomètres nous allons parcourir pour aller de l'autre côté de la montagne".
Ainsi fut fait et Bergolin et Timéoo partent à la recherche de Maître Hibou. Mais Maître Hibou est bien fatigué, car il a passé la journée à essayer de battre le record du monde de calcul mental...
"Bonjour Maître Hibou, dit Timéoo, peux tu nous dire combien de Kilomètres nous devrons parcourir pour aller de l'autre côté de la montagne? Je veux retrouver le livre de la connaissance.
  - C'est un bien long voyage Timéoo. A vol de hibou, la maison du magicien se trouve à trois cents cinquante sept milliards six cents cinquante huit mille kilomètres... Mais je vais vous accompagner, car j'ai l'intention de demander au magicien de me prendre comme assistant dans son prochain spectacle de magie. On raconte qu'il est très célèbre et qu'il en a assez de travailler avec des lapins. Mais auparavant nous allons partir à la recherche de Grand Furet. Grand Furet est vraiment malin, car il a lu beaucoup d'histoires de détectives autrefois et il saura comment rattraper le voleur du livre de la connaissance"...
Ainsi fut fait et Timéoo, Bergolin et Maître Hibou partent à la recherche de Grand Furet. Mais Grand Furet est bien ennuyé, car il a une très mauvaise vue et il a perdu ses lunettes depuis la veille. Aussi lorsque Bergolin retrouve ses lunettes dans le garde manger, Grand Furet est si heureux, qu'il décide d'être lui aussi du voyage, pour partir à la recherche du livre de la connaissance.

Le voyage est long et difficile... Mais les quatre nouveaux amis savent, que lorsqu'ils auront retrouvé le livre de la connaissance, ils pourront réaliser leurs rêves...Bergolin est ravi de faire un nouveau voyage et d'avoir du chocolat aux noisettes, Grand Furet se dit que dès qu'ils seront de retour chez eux, il pourra écrire leurs aventures, Maître Hibou pense qu'il va enfin apprendre comment font les magiciens pour calculer aussi vite et pour avoir autant de mémoire....et Timéoo sait, que lorsqu'il aura retrouvé le livre de la connaissance, il va découvrir autant de choses que les enfants des autres pays magiques...Ils marchent pendant des jours et des nuits, sauf Maître Hibou bien sûr, qui est perché sur l'épaule de Timéoo et qui continue à s'entraîner à battre le record de calcul mental...

Ils arrivent enfin devant la maison du magicien et Timéoo est très surpris, car le magicien n'est pas du tout comme il l'imaginait. C'est un gros monsieur qui porte un minuscule petit chapeau et qui a l'air très drôle.
"Bonjour Timéoo, dit le magicien, Je t'attends depuis longtemps tu sais. Soyez les bienvenus tous les quatre. Rentrez et régalez vous. Les quatre amis suivent le magicien à l'intérieur de sa maison et là...Quelle surprise! Ils découvrent une table couverte de bonnes choses. Il y a même des noisettes pour Bergolin... Mais le plus surprenant, ce sont les images qui bougent et qui parlent sur un grand mur blanc... C'est extraordinaire! Le magicien explique que cela s'appelle un film et il parle d'un monsieur qui est aussi magicien et qui s'appelle Monsieur Méliès et qui a inventé le cinéma...Les quatre amis voient beaucoup de films de monsieur Méliès et ils découvrent des machines qui avancent toutes seules et qui vous conduisent très loin... et d'autres machines qui vous conduisent jusqu'aux étoiles... Ensuite le magicien leur montre une petite boîte magique avec laquelle on peut faire des images des choses que l'on aime et les garder pour toujours. Ces images s'appellent des photos...Timéoo prend une photo de ses amis pendant qu'ils dégustent toutes sortes de friandises. Il souhaite de tout son cœur que ce moment ne finisse jamais et il veut découvrir d'autres choses encore...

C'est alors que le magicien regarde Timéoo droit dans les yeux... Il lui reprend la petite boîte magique et lui dit:
"Timéoo, tu as fait un très long voyage pour retrouver le livre de la connaissance et dans un instant tu vas rentrer chez toi...Tu as appris beaucoup de choses et tu en apprendras bien d'autres encore, car tu sais maintenant que le livre de la connaissance est à l'intérieur de toi...Et lorsque tu voudras découvrir le monde, tu ouvriras ce livre et il te parlera. Tu l'écouteras et tu voudras en savoir d'avantage, car c'est un livre magique, qui connaît tous les secrets. Et chaque fois que tu connaîtras un secret tu voudras connaître un autre secret.... Mais chut!... C'est un secret...Soudain Timéoo se réveille dans son lit.... A travers la vitre il peut compter des milliers et des milliers d'étoiles... Il serre la photo de ses amis contre son cœur et il pense que lorsqu'il sera grand il deviendra astronome, pour découvrir tous les secrets de l'univers...

ET QUE SONT DEVENUS BERGOLIN L'ÉCUREUIL, GRAND FURET ET MAÎTRE HIBOU???
Figurez vous que j'ai eu de leurs nouvelles pas plus tard qu'hier. Il paraît que Bergolin est devenu reporter photographe et qu'il fait le tour du monde. Grand Furet a écrit son premier roman policier qui a eu tellement de succès qu'il a été traduit dans plusieurs langues. Quant à Maître Hibou, il est devenu un champion du calcul mental. Il est capable de calculer des additions, des multiplications, des divisions avec des nombres à dix chiffres, sans même l'aide d'une machine à calculer et il travaille dans les plus grands théâtres, auprès des magiciens les plus célèbres.


bunni


Les paillettes magiques

Il y a bien longtemps, à Tchang Ling, petite ville au pied de la Grande Muraille de Chine, vivait un empereur dans un palais merveilleux.
Jamais personne n'avait vu un tel palais. Il était entouré de magnifiques jardins. On y rencontrait des fleurs parfumées, aux couleurs vives et des arbres aux feuilles dorées. Au bout d'une allée parsemée de petits cailloux blancs et nacrés, coulait une fontaine dont le son rappelait la mélodie du rossignol. Au milieu du jardin se trouvait un rocher incrusté d'or et de pierres précieuses. On y accédait par un petit pont en bois qui enjambait une petite rivière.

Lorsque l'empereur se promenait dans ses jardins, le bonheur emplissait son cœur.

Hélas, un jour, une petite fille lui annonça que la princesse qu'il voulait épouser avait été enlevée. La petite servante lui apprit que des samouraïs l'avaient emmenée de force chez leur maître Hizikato, un puissant seigneur japonais.

L'empereur se rappelait très bien de lui car ils s'étaient battus quelques années plus tôt. Hizikato voulait sûrement se venger de sa défaite.

L'empereur, bouleversé, partit tout de suite à la recherche de la princesse.

Lee Ching, la petite servante, le supplia de l'emmener avec lui. En apprenant qu'elle possédait des dons, Liang accepta.

Ils partirent donc tous les deux vers la mer. Leur voyage dura plusieurs jours. Un matin, ils aperçurent enfin à l'horizon le phare du port de Kinko. Quand ils arrivèrent, ils se renseignèrent pour savoir où se trouvait le palais d'Hizikato. Un pêcheur leur apprit qu'il fallait traverser un pont suspendu au-dessus d'un ravin. Il ajouta que ce pont était le pont de l'Enfer car personne n'en était revenu vivant. Liang décida d'y aller quand même.

Ils prirent donc un sentier étroit qui grimpait le long de la montagne. Au loin, ils entendaient le pont grincer. Au moment de franchir le ravin, ils hésitèrent. Encouragé par la petite fille, Liang continua quand même. Après quelques pas, une latte céda sous son poids.

Alerté par ce fracas, un dragon effrayant surgit du fond du ravin. Dérangée dans son sommeil, l'épouvantable créature enflamma les cordes du pont. Liang ne put se retenir et tomba. Lee Ching, restée sur le sentier, s'élança dans le vide, et, dans son plongeon, elle se transforma en aigle. Alors, elle passa sous l'empereur et le rattrapa sur son dos.

Elle souffla des paillettes magiques qui tombèrent sur le dragon. Le monstre se rendormit.

Après s'être remis de leurs émotions, Liang et Le Ching continuèrent leur route et se rendirent au palais d'Hizikato. Soudain, une patrouille de samouraïs, surgissant de derrière les arbres, leur barra le chemin. Les samouraïs emmenèrent Liang et Lee Ching dans la cour du château pour les interroger.

" Que faites-vous ici ? demanda un des samouraïs.

- Nous venons délivrer la princesse.

- Il n'y a pas de princesse ici. La seule prisonnière que nous avons est une vulgaire voleuse de poules.

- Nous... "

Liang ne put finir sa phrase. Les paillettes magiques n'avaient plus d'effet sur le dragon qui poussa un grand cri. Affolés par ce cri, les samouraïs se précipitèrent vers le ravin.

Lee Ching en profita pour sortir un petit miroir magique de sa poche. Ce miroir permettait de trouver des objets utiles en cas de danger. Cette fois-ci, il détecta une couronne qui se trouvait dans une forêt toute proche. Liang et Lee Ching s'y rendirent sur le champ. La couronne était sur le sol, camouflée sous des feuilles. Liang marcha sur un objet brillant, c'était elle. Il s'en empara et la posa sur sa belle chevelure noire. Sur le chemin du retour, il marcha sur une pierre qui fit apparaître un passage secret dans le tronc d'un arbre.

Alors, ils entendirent des cris de femme. Liang reconnut la voix de la princesse.

Sans hésiter une seconde, il dévala les marches d'un petit escalier en colimaçon, suivi de Lee Ching. Au bout de la galerie se trouvait le cachot de la princesse mais il était bien gardé.

Liang posa sa couronne par terre et la brisa d'un coup sec grâce à son sabre. Ainsi, il put absorber les pouvoirs de la couronne qui lui donnèrent la force de vingt hommes. Il se battit contre les samouraïs présents et les tua un par un.

Pendant la bataille, une clé était tombée de la poche d'un samouraï. Lee Ching l'avait prise et avait délivré la princesse.

Depuis son palais, Hizikato avait entendu des bruits d'épée venant des souterrains. Il rassembla ses samouraïs et les sépara en deux groupes, un à la sortie, l'autre à l'entrée du tunnel.

A leur sortie, Hizikato les attendait pour se battre. Il leur sauta dessus, il voulait commencer la bataille. Elle débuta donc. Pendant ce temps-là, Lee Ching, qui contrôlait les objets par ses pensées, fit se soulever une grosse pierre et la dirigea vers Hizikato. Celui-ci la reçut sur le crâne, perdit l'équilibre et tomba dans le souterrain où il mourut dans l'éboulement, ainsi que les samouraïs.

Lee Ching utilisa son avant-dernier pouvoir, se transforma en aigle pour la deuxième fois et fit monter sur son dos Liang et la princesse. En passant au-dessus du ravin, elle souffla des paillettes. Le dragon se rendormit à tout jamais.

Le voyage du retour vers la Chine dura plusieurs jours. A leur arrivée, Liang et la princesse se marièrent et vécurent heureux.

Lorsqu'ils se promenaient dans leurs jardins, le bonheur remplissait leurs cœurs, et, souvent, un aigle tournoyait dans le ciel.

bunni


Pimpernelle et Fantoche

Le roi Marck adorait les roses. Dans un parc immense entourant le palais, des roses en massifs fleurissaient à l'envi, roses de toutes couleurs, roses de tous parfums, toutes les roses que nous connaissons et toutes celles aussi que nous ignorons encore, puisque le roi Marck vivait au temps des fées, dont les fabuleuses merveilles ne nous réapparaissent que peu à peu, parcimonieusement.
Pour cultiver ses roses, le roi Marck avait fait venir un savant horticulteur de Chiraz, la ville des roses, Sim-Slimé ; il l'avait nommé Ministre de l'Agriculture et des Fleurs, puis bien vite Président de son Conseil. A ce conseil, au grand scandale et mépris du Ministre des guerres et de celui des finances, le premier couvert de son armure damasquinée et le second tout habillé de soie, Sim-Slimé venait simplement vêtu de toile bleue, coiffé de son bonnet persan qui lui donnait des airs de bon magicien.
Sorcier ? Au fait, Sim-Slimé ne l'était-il point pour apporter tous les ans, au Conseil, à la lune de juin, une rose nouvelle, et non une petite fleur torturée, et singulière, mais une grosse botte, une lourde gerbe, une odorante brassée.
« Sire, flairez-moi cette arôme ! Sire, admirez cette nuance ! »
Le roi Marck admirait et respirait, humait et s'extasiait. Était-ce beau ! Et il n'écoutait plus que d'une oreille distraite les rapports de ses deux autres Ministres. Ils lui pouvaient annoncer les plus fastidieuses nouvelles, les faits les plus pénibles, le roi Marck hochait la tête : « Charmant... Parfait... » C'était aux fleurs qu'il songeait.
Le roi Marck avait un fils, le prince Karl, beau, robuste, courageux, franc comme l'or, fier comme un lys, grandissant doucement auprès de son père, dans l'étude et la discipline, pour se préparer au rude métier de Souverain ; et Sim-Slimé avait une fille, Pimpernelle, douce, jolie et sage, avec des cheveux de blé, des yeux de pervenche, des lèvres de coquelicot, des joues de rose, le rose de Chiraz, ainsi qu'il seyait à merveille à la fille du Ministre de l'Agriculture et des Fleurs - des Fleurs particulièrement.
Camarades d'enfance, Pimpernelle et Karl s'étaient prêtés poupée et soldats de plomb, avaient échangé des bonbons, puis un jour s'étaient promis quand le temps serait venu, d'être mari et femme.
Le roi Marck et Sim-Slimé s'étaient aussi promis ce mariage qui allait à ravir la plus jolie rose de Chriraz au plus vaillant lys du royaume.
Mais ils avaient compté sans le sort aventureux, les fées malveillantes et les génies malfaisants.
Le roi Marck, à trop s'occuper de ses roses, et son Ministre Sim-Slimé, à le trop suivre dans ce sentier, avaient négligé l'agriculture, les finances et l'armée.
Un été de sécheresse, après un printemps froid, ce fut un désastre pour les récoltes.
Les paysans ne purent récolter les grains, le Ministre des finances ne put ramasser la dîme et le Ministre des guerres n'eut pas de quoi payer la solde des armées. Et les armées abandonnèrent le roi.
Affolés, les deux Ministres prirent le roi, chacun par un bras, qui à droite, qui à gauche, et, loin des fleurs, lui montrèrent brutalement qu'il n'était pas sur un lit de roses.
Le monarque fut atterré : « Que faire ! » s'écria-t-il.
Le Ministre des finances alors répondit :
« Sire, votre voisin, Baudruche, roi du pays des Pantins, ne demande qu'à nous ouvrir ses coffres.
- Eh bien, tout est sauvé.
- Mais, en retour, il demande que le prince Karl épouse sa fille.
- Impossible, impossible, il est le fiancé de Pimpernelle.
- Eh bien, interrompit le Ministre des guerres, que M. Sim-Slimé, le père de cette demoiselle, paye les troupes avec les feuilles de roses, changées en écus sonnants, car voici que j'entends la fanfare qui précède Baudruche, roi du pays des Pantins, venu avec sa fille et son escorte pour conclure cette affaire.
Le roi Baudruche arrivait en effet avec sa fille, la princesse Fantoche, et son armée, musique en tête.
Quand le roi vit la princesse, il fit la grimace. Maigrichonne, petite, prétentieuse, la figure mince, noiraude, nasillant et pédante, maniérée, artificielle, sotte, Fantoche souriait au prince qui la trouvait plus ridicule encore.
« Dites-moi, mon cousin, fit Baudruche sans préambule, gonflé d'orgueil et sûr de son fait, quand ferons-nous la noce ?
- Jamais ! Ne put s'empêcher de crier le roi Marck.
Baudruche fit une fort laide grimace ; froissé, vexé, il lança un ordre aux soldats de sa suite ; le prince Karl se vit entouré, prisonnier, et comme sa garde avait toute déserté, on l'emmena sans défense au palais de Baudruche.
Pimpernelle apprit aussitôt le malheur, les projets de Fantoche, l'enlèvement de son fiancé ; elle se mit à pleurer tant et tant qu'elle mouilla tous ses jolis petits mouchoirs de linon trop fin, trop garnis de dentelle pour un si gros chagrin, si bien que force lui fut pour sécher ses beaux yeux, de prendre en un tiroir de son chiffonnier un grand morceau de toile blanche.
Ce morceau de toile enveloppait par précaution contre la poussière la poupée de Pimpernelle.
En le développant, Pimpernelle retrouva sa petite compagne de jeunesse, encore si proche, et, dans sa peine, ayant besoin de soulager son cœur si gros, elle la prit pour confidente et lui causa comme naguère.
« Ah, Javotte, ma fille, ma pauvre Javotte, que j'ai de la peine ! Tu ne peux me comprendre, me plaindre, ni me consoler ; Javotte, Javotte, j'en vais mourir ! »
Mais, stupéfaite, Pimpernelle vit soudain Javotte se dresser, haute et grande sur ces petites jambes, battre de la prunelle, remuer les lèvres et parler :
« Mais si, justement, Pimpernelle, ma petite maîtresse, je puis t'aider en cette aventure ; ce royaume de Baudruche, cette horrible Fantoche ne sont que de sottes marionnettes sur une terre de convention où je suis dans mon élément. Conduis-moi bien vite à l'appartement du prince Karl. »
Javotte et Pimpernelle, main dessus, main dessous, sont vite arrivées au logis du prince.
« Ouvre ce tiroir, donne-moi cette boite. Bien, merci et patience. »
Javotte à pas menus, mais si rapides, de ses petits petons de bois, plic, ploc, sur la route se hâte ; elle arrive au royaume de Baudruche.
La sentinelle au pont-levis la dévisage, il lui voit une figure de porcelaine tendre, des yeux de verre bleu, des cheveux de soie jaune, des mains de carton rose, il la laisse passer.
Javotte va droit à la salle des fêtes où se donne le grand banquer des fiançailles. Toute la cour est là, foule bigarrée, pantins de toutes sortes, Polichinelles, Pierrots, Arlequins, ainsi qu'il convient chez un roi qui s'appelle Baudruche, et une princesse qui se nomme Fantoche ! Javotte arrive au moment où, sur un plat en fer blanc, on apporte un poulet de carton, peint en brun et verni.
« Bonjour, noble seigneur, salut, gracieuse demoiselle ! »
Javotte s'approche de Fantoche :
« Princesse, je vous présente mes humbles révérences. »
Puis se tournant vers le prince Karl :
« Prince, voici mon cadeau de noce ; pour vos futurs enfants. »
Le prince est si contrit que sentant son chagrin affluer à ses yeux, il se lève d'un bond et se sauve, la boite de Javotte sous le bras, en ses appartements.
Il s'enferme pour pleurer de rage à sa guise.
Machinalement, il regarde le cadeau de la poupée ; il reconnaît cette boite de sapin, mais oui !
Il l'ouvre : sur leurs copeaux, des soldats de plomb en linge sont couchés.
Ce sont ses soldats ! Toute sa douce enfance lui revient en mémoire et ce souvenir le console.
Comme jadis, - c'était hier, - dans le couvercle retourné, un à un, il dresse ses soldats de plomb et, pour épancher sa peine solitaire, il leur cause.
« Ah ! Mes pauvres petits soldats, que j'ai de la peine, vos grands frères qui m'eussent dû défendre m'abandonnent, et vous, hélas ! Vous ne pouvez m'entendre, me comprendre, me défendre, pauvres petits soldats de plomb. »
Stupéfait, le prince Karl voit soudain ses soldats qui s'animent, grandissent et se démènent, l'officier tire son sabre, dresse la tête et ouvre la bouche:
« Garde à vous ! »
Au commandement, tout le bataillon s'est rangé en bataille. L'officier salue d l'épée.
« Prince, en ce royaume de Fantoche, nous sommes en notre élément, dans notre sphère, nous allons te venger... par file à droite, en avant... marche ! »
Une... deux... une... deux..., les talons frappent le sol, la troupe entre dans la salle du festin, les gardes la veulent arrêter, mais leurs hallebardes de carton se brisent sur le plomb des fusils, et bientôt le son coule, lamentable, des poitrines transpercées. Le prince Karl est délivré.
Et les soldats du roi Marck, les vrais soldats, honteux de la leçon que les jouets leur ont donnée, ont réintégré leurs rangs délaissés.
Les paysans, qui voient le prince épouser la fille d'un simple horticulteur, se mettent à l'aimer et payent la dîme sans se plaindre.
L'ordre est rétabli, la prospérité revenue. Le roi Baudruche a été battu par l'armée vengeresse, et la méchante Fantoche, pour le reste de ses jours, a été enfermée dans la sombre et ennuyeuse citadelle de Vieillemalle.

Jérôme DOUCET

bunni

#396

PICCOLO

A la ferme du Chêne-Vert, Jean gardait les chevaux, Pierre gardait les vaches, Louis gardait les moutons, Jacques gardait les dindons, les chiens gardaient les poules contre les renards et rôdeurs, la vieille maman gardait la maison, soignait la laiterie, faisait les repas. Seul, Piccolo ne gardait rien.
Et de cette inutilité, Piccolo souffrait : il eût voulu garder quelque chose. Il était rêveur, il chantait des chansons jolies, il était adroit de ses doigts, seulement, il était si distrait qu'on ne lui voulait confier quoi que ce fût pour y veiller.
Cependant Piccolo dit un jour :
"Je garderai bien quelque chose."
Il coupa une branche à la haie voisine, arracha les feuilles, sauf les deux petites vertes à la pointe, et cette houlette à la main, il s'en alla par le chemin, cherchant moutons, oies, ou que sais-je, mais quelque chose qu'il pût garder.
Sur le vieux mur de terre battue coiffée de chaume, grimpait un escargot. Sa coque couleur de pierre était si grosse, que l'escargot allait tout doux comme un bon vieux, laissant pourtant derrière lui un chemin blanc et plus luisant que l'argent.
Piccolo prit entre ses doigts cet escargot qui se blottit en sa coquille.
Et sur la haie, face au vieux mur, au bord du champ, il aperçut encore un escargot, tout blanc celui-là ; puis plus bas sur l'herbe verte, il vit une troisième bestiole à la coquille jaune.
Il les ramassa tous les deux aussi :
"Ça, se dit-il, avec ces trois animaux-là, je vais me faire un troupeau." Il les plaça tous trois à terre, non dans la poussière du chemin, mais sur l'herbe ras qui encadre le ruban de la route.
Les trois escargots, comme quelqu'un qui s'éveille et s'étire, risquèrent peu à peu leurs corps hors de la coquille, et se remirent à glisser lentement, mais sûrement, marchant à leur manière, marchant fort bien sans pieds ni jambes.
Et Piccolo, sa baguette à la main, se mit à les regarder et à les garder, par malice ou par naïveté, pour garder, lui enfin, quelque chose à son tour.
Du reste il les garda fort mal, non qu'il laissât s'échapper une des trois coquilles, la marche lente des escargots les privant de la fuite, mais parce qu'il savait qu'il pouvait les rattraper d'un pas ou deux facilement ; il s'assit sur un tas de pierres, se mit à siffloter un air, regarda une voiture qui se montrait au loin, si bien qu'un gros corbeau - croa, croa - s'abattit sur le sol, et de trois coups de son gros bec - croa, croa -eut vite gobé les escargots, tout le troupeau de Piccolo.
Mais le corbeau avait fait sottement croa, croa ; Piccolo le regarda, comprit la chose, et saisissant un gros caillou, crac, d'un seul coup, adroit ma foi, frappa l'oiseau qui tomba et trépassa. Piccolo le saisit ; d'un coup net de son couteau, il lui ouvrit le ventre : les trois escargots gobé tout crus et d'un seul coup était encore vivants, blottis au fond de leurs coquilles.
Piccolo les retira, les rinça au ruisseau, et les reposa sur l'herbe, reprenant sa baguette, retrouvant son troupeau qu'il n'avait même pas pu garder une heure.
Les trois escargots à nouveau se détendirent, sortirent doucement de leurs coquilles leurs corps souple ; mais Piccolo se mit à ouvrir grands les yeux quand, sous sa vue, les escargots grossis, enflés, devenus femmes, se dressèrent tout droits avec trois sourires et trois "merci".
Le gros gris était devenu une grande et belle fée, vêtue de gris avec des pavots dans sa chevelure sombre, d'où un léger crêpe de deuil tombait vers le sol ; le blanc était maintenant une adorable fée, blonde et rose et jolie ; et la troisième coquille zébrée était aussi une exquise fée dont la robe d'or et d'argent traînait somptueuse sur le sol, dont les doigts lourds de bagues éblouissaient les yeux de Piccolo, silencieux.
La première dit :
"Bonjour, Piccolo ; je suis la fée Dictame et je suis prête à te servir."
La seconde ajouta :
"Bonjour, Piccolo ; je suis la fée Splendide, ta servante à ton gré."
Et la troisième conclut :
"Bonjour, Piccolo ; je suis la fée Aurale, prête à exaucer tes souhaits."
Elles lui racontèrent que, vaincues par le génie des gouffres, elles avaient vu leurs palais changés en ces coquilles, grise, blanche et striée, tandis qu'elles-mêmes étaient métamorphosées en escargot, et que le génie leur faisait porter sur leur dos leurs demeures d'autrefois.
Aujourd'hui le charme était rompu, Piccolo les avait sauvées toutes trois, les avait arrachées au sorcier à jamais vaincu, et toute leur puissance était reconquise, grâce au bon berger d'un nouveau genre, à ce gardien ne gardant rien.
Piccolo les remercia chaleureusement, il ne se sentait pas de joie d'une aussi douce aubaine, et se promit, dès qu'il pourrait, bon coeur au fond, de faire profiter les siens du pouvoir de ses nouvelles amies.
Alors, les trois fées, Dictame, Splendide et Aurale, prirent leurs trois coquilles, vides maintenant, et les donnèrent à Piccolo pour talisman.
"Quand tu auras besoin de l'une d'entre nous, porte la coquille à ton oreille, parle, et écoute ce que tu entendras : ce sera notre réponse ; compte sur nous. Adieu, l'ami."
Et Piccolo ne vit plus rien que trois petits tourbillons de poussière, qui s'en allaient en tournant et s'éparpillèrent dans l'air.
Il resta là un bon moment, puis, réfléchissant, mit ses coquilles en poche, sa langue aussi, et son mouchoir à grands carreaux par-dessus, et en garçon prudent, se garda bien de raconte son aventure.
Un matin, Piccolo dit aux siens :
"Puisque je n'ai rien à garder ici, que chaque rôle est distribué, je veux aller chercher fortune à la ville prochaine, et j'ai bon espoir de revenir bientôt parmi vous, pour vous donner à tous ce que je désire."
Tous lui répondirent :
"Piccolo, nous te souhaitons bon voyage, bonne santé, bon retour ; à bientôt, n'est-ce-pas ? car en ton absence, nous ne t'oublierons pas et t'aimerons comme autrefois."
Les ayant donc embrassés à tour de rôle, de tout son coeur, Piccolo, ses trois coquilles dans sa poche, s'en alla tout droit, sans regarder en arrière, à la ville, qu'il supposait être au bout du chemin.
Il marcha trois jours, se reposant dans les chaumières hospitalières qu'il rencontra, et arriva enfin devant deux tours gardant l'entrée de la ville forte. On le laissa passer sans le fouiller et sans l'interroger : il avait si bonne mine ; et Piccolo se mit aussitôt à regarder autour de lui, cherchant s'il ne voyait pas quelque marchand ou quelque industriel à qui il pourrait offrir ses services.
Il fut frappé de suite de la grande tristesse qui avait envahi tous les visages. Les gens, sur le pas de leur porte, au seuil des boutiques, avaient des airs lugubres ; les rues étaient silencieuses, les bambins eux-mêmes ne jouaient pas, ne riaient pas, ne couraient pas, ne se battaient pas.
Piccolo sentit son coeur se serrer, mais voulant savoir ce que cette tristesse voulait dire, il s'approcha, son bonnet à la main, d'une brave femme qui tricotait silencieusement, et lui parla :
"Oh là, bonne mère, quel chagrin vous mine et vous absorbe ? Ne pourrais-je pas vous consoler ou vous guérir ? J'ai, Dieu merci, quelque savoir et quelque force, avec aussi quelque pouvoir."
La bonne femme répondit :
"Oh ! mon ami, se pourrait-il, vous ignorez notre misère, vous arrivez de loin, sans doute ?
- Trois jours de route, lui répondit le bon Piccolo.
- Ah ! mon garçon, apprenez donc que la méchante fée Maligne a ravi la santé de notre chère princesse Cyclamen, que la fée Hideuse a volé sa beauté, et que la fée Rapace a dérobé sa dot, la veille même de ses noces ; que le prince, son futur époux, épouvanté, s'est sauvé ; que notre roi se meurt de peur, et que la reine en fait autant, et que la princesse ne survivra jamais à ses parents."
Et la bonne femme pleurait à chaudes larmes, et Piccolo sentit qu'il s'attendrissait à son tour, qu'il allait en faire autant.
Il remercia la bonne femme, remit sa toque, et se fit indiquer le chemin du palais. Il frappa trois coups avec le lourd marteau de fer, toc, toc, toc. Un hallebardier vint lui ouvrir.
"Mène-moi à ton roi," dit Piccolo d'un ton assuré.
Le hallebardier fit bonne mine à Piccolo ; il le mena au sire qui pleurait en un coin. Piccolo mit genou à terre, baisa le manteau du roi et lui dit :
"Sire, je sais votre peine et viens vous consoler : foi de Piccolo, dans trois jours, trois mois ou trois ans, votre fille épousera le prince son fiancé, elle aura retrouvé sa santé, sa beauté, sa fortune."
Le roi du coup s'était dressé.
"Ah ! mon ami, si tu fais cela, ce sera toi qu'elle épousera. Serment de roi."
Et dans sa joie, faite d'espoir, tant Piccolo avait d'assurance, il appela à grands cris : "Cyclamen, Cyclamen, Cyclamen !"
La triste princesse, appuyée sur le bras de sa mère, arriva.
"Cyclamen, ma fille, nous sommes sauvés."
Piccolo à nouveau avait mis un genou en terre, il baisai la main des deux femmes, et sans rien dire, les regardant de son oeil doux, leur fit un signe de patience et d'espérance et s'en alla.
Piccolo appela, suivant ce qui avait été convenu avec les fées : "Dictame, Dictame !" et portant à son oreille la coquille grise de l'escargot , il entendit d'abord comme un bruissement de mer lointaine, puis, parmi ce houhou très doux, la voix caressante de Dictame répondit :
"Piccolo, que faut-il, que veux-tu ? Me voici."
Piccolo répondit :
"Ma bonne fée, venez, venez."
Dictame était déjà devant lui.
En quelques mots, il lui conta la misère de Cyclamen et la pria de l'aider à sauver la princesse.
"La fée Maligne, répondit Dictame, est méchante et habile, il te faut grand courage et grande présence d'esprit pour l'affronter et pour la vaincre. N'oublie pas que si tu es le plus faible, tu souffriras à ton tour, comme Cyclamen, de ses sortilèges et de ses poisons."
Piccolo n'avait pas peur, il le montra en redressant sa tête assurée.
"Eh bien, soit ! reprit la fée, va et tâche de cueillir au jardin de Maligne une pêche rose que tu verras pendue à un arbre rabougrie et desséché, au milieu de son parc, elle a ravi à Cyclamen le duvet rose de ses joues pour en parer ce fruit maudit ; prends cette pêche et rapporte-la à la princesse : avec elle la santé lui sera rendue.
"Mais songe que, partout, derrière les arbres, les buissons, dans tous les coins, Maligne cache des lutins, des poudres mystérieuses, et à chaque objet elle lui donnait un avis, un conseil.
Impatient, Piccolo voulut partir.
Il arriva à la porte de Maligne, que deux cyprès bordaient tristement ; il entra dans le jardin toujours ouvert et aperçut, au milieu de la pelouse, l'arbre sec, et à la branche la pêche convoitée.
Il s'avançait la main tendue, quand un lutin saisit son bras de ses griffes et de ses dents. Piccola faillit crier, mais dans sa poche il prit un talisman de Dictame, frotta doucement le lutin qui s'endormit, et lâcha prise. Il fit un pas, mais un autre à sa jambe s'accrocha bientôt, et fut vaincu de même.
Il fit un pas, et se sentit saisi à la gorge : vite une gorgée du liquide de sa gourde, et la poigne qui l'étouffait lâcha prise. Il fit un pas, une nuée de génies se mirent à le secouer de toutes parts, il grelottait comme une feuille au vent d'automne : il prit ses petits grains de plomb, et les lutins s'enfuirent épouvantés. Il fit un pas, il prit la pêche et la plaça dans sa poitrine.
Il fallait repartir. Il fit un pas, un lutin d'un coup de poignard lui perça la veine du poignet, mais Piccolo étendit sur la plaie un voile rose, et le sang s'arrêta. Il fit un pas et fut dehors.
Il  n'avait pas eu peur, il n'avait pas crié.
Il se rendit au palais, fit prier Cyclamen de bien vouloir le recevoir. Il prit alors la pêche et, avec un couteau d'or, la partagea en trois parts, en donna une à Cyclamen, une à son père, une à sa mère, et conserva précieusement le noyau pour le planter en son jardin. Et cela fait, sans attendre ni merci, ni repos, il repartit en son logis.
Alors il appela, selon la convention :
"Splendide, Splendide !"en portant à son oreille la coquille blanche de l'escargot.
Et il entendit une voix caressante qui répondait :
"Piccolo, que faut-il ? Que veux-tu ? Me voici."
Piccolo répliqua :
"Ma bonne fée, j'ai besoin de vous, venez."
Or, Splendide était là, radieuse, éblouissante.
En quelques mots il lui conta la douloureuse aventure de Cyclamen, la priant de l'aider à rendre à la princesse sa beauté disparue.
"La fée Hideuse, reprit Splendide, est puissante et astucieuse ; ne sens-tu nulle peur ? Ne sens-tu aucune faiblesse ? Songe que si elle était la plus forte, tu serais à ton tour à jamais répugnant et laid."
Piccolo la regarda d'un oeil clair et hardi.
"C'est bon, dit Splendide ; va droit à la demeure de Hideux, entre par la porte ouverte qu'encadrent deux affreux arbres foudroyés, son jardin est accessible à tous ; au milieu de la pelouse, tu verras un rosier, ou plutôt un buisson affreux, où seule un rose exquise fleurit et embaume l'air. Hideuse à volé la beauté de Cyclamen pour en parer cette rose : cueille-la et la princesse est sauvée. Mais songe que de tous les coins, sur la tête, à droite, a gauche, en arrière, des démons au service de Hideuse te guettent et te harcèleront. Pour te défendre, voici quelques talismans."
En les lui confiant, elle lui apprenait le pouvoir de chacun.
Pressé d'accomplir son devoir, Piccola remercia la fée et prit le chemin indiqué. Il franchit le seuil, et aperçut aussitôt la rose resplendissante en cette terre déserte. Il fit un pas, et soudain mille lutins avec leurs lances lui piquèrent les joues. Il s'arrêta, prit dans sa poche un talisman de poudre blanche, et les lutins s'envolèrent aussitôt. Il fit un pas, une vieille horrible se dressa devant lui ; la figure de Piccolo n'eut pas un pli de peur ni de dégoût.
Il fit un pas : un diablotin lui lança dans les yeux une poignée de graviers pour l'aveugler, mais Piccolo ouvrit un talisman en forme de feuille de palmier, qui le garantit des projectiles et aussi de mille flèches que cent démons décochaient sur ses joues.
Il fit un pas vers la rose.
Il n'avait eu ni peur, ni recul, ni dégoût, ni défaillance.
Il sortit du jardin et se rendit au palais. Il pria Cyclamen de bien vouloir le recevoir et remit à la princesse la belle fleur, et aussitôt que Cyclamen eut senti le parfum enivrant, ses yeux s'ouvrirent limpides et bleus, ses cheveux se déroulèrent d'or et de soie ; elle était belle comme autrefois.
Et ses deux vieux parents, le roi et la reine, dont les narines respirèrent un peu du parfum puissant, reprirent un peu de jeunesse et de beauté ; peut-être était-ce aussi de joies, en voyant leur fille sauvée à nouveau.
Piccolo était reparti, discret et prompt.
Il appelait déjà la troisième fée, son amie " "Aurale ! Aurale !" et dans la coquille striée une voix d'or répondit : "Piccolo, me voici !" tandis qu'Aurale apparaissait, resplendissante.
"Il faut, lui dit-elle, quand elle eut écouté sa plainte, aller ravir à la fée Rapace le lingot d'or qu'elle a chaché en son taudis.
"Tu entreras par la porte close, mais que ceci saura faire ouvrir (elle lui remit une clé d'or), tu verras en face de toi, dans une pièce nue et sordide, une caisse en fer ; là est caché le lingot d'or. Pour ouvrir cette caisse, voici un mot, retiens-le bien, et songe que mille démons sont au service de la fée Rapace. Sois le plus fort et le plus fin, sinon tu deviendras à jamais l'être le plus méprisable de ce monde."
Piccolo n'avait pas peur ; il dit merci et s'élança.
Quand il présenta la clé d'or, la porte s'ouvrit toute grande. Rapace obséquieusement le salua. Il fit un pas vers le coffret de fer, et trois lutins, avec des cartes à la main, lui proposèrent de jouer avec lui, pour gagner de l'argent.
Piccolo toucha le talisman que la fée lui avait remis, et les trois gnomes disparurent. Il fit un pas et, à ses côtés il aperçut, presque à ses pieds, une parure précieux, un diamant merveilleux : du pied Piccolo le repoussa avec mépris. Il fit un pas, et trois démons sautèrent à ses poches, cherchant à le dévaliser. Piccolo les laissa faire, faisant toujours un pas, un pas.
Il  n'aimait  ni les bijoux, ni le jeu, ni le gain. Il s'empressa de toucher le coffret de fer, écrivit le mot secret du bout du doigt, sur la porte lourde, et le coffret s'ouvrit. Piccolo prit le lingot d'or.
Il se rendit au palais et remit à Cyclamen sa fortune ravie, si bien que cette fois, comme avant, Cyclamen, était bien portante, belle, riche.
Le roi retint Piccolo ; lui, du reste, ayant accompli sa tâche jusqu'au bout ne songeait plus qu'à s'éloigner.
"Tu as ma parole, dit-il, voici la princesse, ton épouse.
-Princesse, avant tout, répondit Piccolo, en s'inclinant, dites-moi si votre coeur approuve la promesse de votre père, je lui rends sa parole si votre réponse ne m'est pas favorable."
Sans dire un mot, Cyclamen lui tendit la main et le front, et ce furent là leurs fiançailles.
Devenu roi à son tour, Piccolo fit venir ses parents : il donna à Jean qui gardait les chevaux, le commandement des troupes ; à Pierre qui gardait les vaches, la haute main sur l'agriculture ; à Louis qui gardait les moutons, la garde des enfants et la direction des écoles ; à Jacques qui gardait les dindons, il donna la police de la ville, et la vieille maman, avec le vieux roi et la vieille reine, gardèrent tous trois le logis.
Et Piccolo garda le pouvoir ; il devenait du coup gardien de tous les autres, lui qui avait toujours rêvé de garder quelque chose.

Jérôme DOUCET

bunni


N'oun-Doaré

Il y a de cela bien longtemps,
Quand les poules avaient des dents.

Le marquis de Coat-Squiriou, revenant, un jour, de Morlaix, accompagné d'un domestique, aperçut, couché et dormant dans la douve, au bord de la route, un enfant de quatre ou cinq ans. Il descendit de cheval, éveilla l'enfant, qui dormait, et lui demanda :
— Que fais-tu là, mon enfant ?
— Je ne sais pas, répondit-il.
— Qui est ton père ?
— Je ne sais pas.
— Et ta mère ?
— Je ne sais pas.
— D'où es-tu ?
— Je ne sais pas.
— Quel est ton nom ?
— Je ne sais pas, répondit-il toujours.
Le marquis dit à son domestique de le prendre en croupe sur son cheval, et ils continuèrent leur route vers Coat-Squiriou.
L'enfant fut appelé N'oun Doarè, ce qui signifie en breton : Je ne sais pas.
On l'envoya à l'école, à Carhaix, et il apprenait tout ce qu'on lui enseignait.
Quand il eut vingt ans, le marquis lui dit :
—Te voilà assez instruit, à présent, et tu vas venir avec moi à Coat-Squiriou.
Et il l'emmena à Coat-Squiriou.
Le quinze du mois d'octobre, le marquis et N'oun-Doaré allèrent ensemble à la Foire-Haute, à Morlaix, et descendirent dans le meilleur hôtel de la ville.
— Je suis content de toi, et je veux t'acheter une bonne épée, dit le marquis au jeune homme.
Et ils allèrent ensemble chez un armurier. N'oun-Doaré y examina mainte belle et bonne épée ; mais, aucune ne lui plaisait, et ils s'en allèrent sans avoir rien acheté. En passant devant la boutique d'un marchand de vieilles ferrailles, N'oun-Doaré s'y arrêta, et, remarquant une vieille épée toute rouillée, il la saisit et s'écria :
— Voici l'épée qu'il me faut !
— Comment ! Lui dit le marquis, vois donc dans quel état elle est ! Cela n'est bon à rien.
— Achetez-la-moi comme elle est, je vous prie, et vous verrez plus tard qu'elle est bonne à quelque chose.
Le marquis paya la vieille épée rouillée, qui ne lui coûta pas cher, et N'oun-Doaré l'emporta, tout heureux de son acquisition ; puis, ils retournèrent à Coat-Squiriou.
Le lendemain, N'oun-Doaré, en examinant son épée, découvrit sous la rouille des caractères à demi effacés, mais qu'il parvint pourtant à déchiffrer. Ces caractères disaient : « Je suis l'Invincible ! »
A merveille ! Se dit N'oun-Doaré. Quelque temps après, le marquis lui dit :
— Il faut que je t'achète aussi un cheval.
Et ils se rendirent tous les deux à Morlaix, un jour de foire.
Les voilà en champ de foire. Il y avait là, certes, de beaux chevaux, de Léon, de Tréguier et de Cornouaille. Et pourtant, N'oun-Doaré n'en trouvait aucun à lui convenir, si bien que le soir, après le coucher du soleil, ils quittèrent le champ de foire, sans avoir rien acheté.
Comme ils descendaient la côte de Saint-Nicolas, pour rentrer en ville, ils rencontrèrent un Cornouaillais menant par un licol de chanvre une vieille jument fourbue et maigre comme la jument de la Mort. N'oun-Doaré s'arrêta, la regarda et s'écria :
— Voici la jument qu'il me faut !
— Comment ! Cette rosse ? Mais regarde-la donc ! Lui dit le marquis.
— Oui, c'est bien elle que je veux, et pas une autre ; achetez-la-moi, je vous prie.
Et le marquis acheta la vieille jument à N'oun-Doaré, tout en protestant qu'il avait de singuliers goûts.
Le Cornouaillais, en livrant sa bête, dit à l'oreille de N'oun-Doaré :
— Voyez-vous ces noeuds, au licol de la jument ?
— Oui, répondit-il.
— Eh bien, chaque fois que vous en déferez un, la jument vous transportera immédiatement à quinze cents lieues de l'endroit où vous serez.
— Fort bien, répondit-il.
Pais, N'oun-Doaré et le marquis reprirent le chemin de Coat-Squiriou, avec la vieille jument. Chemin faisant, N'oun-Doaré défit un nœud du licol, et aussitôt la jument et lui furent transportés, à travers l'air, à quinze cents lieues de là. Ils descendirent au centre de Paris (1).
Quelques mois après, le marquis de Coat-Squiriou vint aussi à Paris, et rencontra N'oun-Doaré, par hasard.
— Comment ! Lui demanda-t-il, est-ce qu'il y a longtemps que tu es ici ?
— Mais oui, répondit-il.
— Comment donc y es-tu venu ?
Et il lui raconta comment il était venu si vite à Paris.
Ils allèrent ensemble saluer le roi, dans son palais. Le roi connaissait le marquis de Coat-Squiriou, et leur fit bon accueil.
Une nuit, par un beau clair de lune, N'oun-Doaré alla se promener, seul avec sa vieille jument, hors de la ville. Il remarqua, au pied d'une vieille croix de pierre, dans un carrefour, quelque chose de lumineux. Il s'approcha et reconnut une couronne d'or, garnie de diamants.
— Je vais l'emporter, sous mon manteau, se dit-il.
— Gardez-vous-en bien, ou vous vous en repentirez, dit une voix venue il ne savait d'où. Cette voix, qui était celle de sa jument, se fit entendre jusqu'à trois fois. Il hésita quelque temps et finit par emporter la couronne, sous son manteau.
Le roi lui avait confié le soin d'une partie de ses chevaux, et, la nuit, il éclairait son écurie avec la couronne, dont les diamants brillaient dans l'obscurité. Ses chevaux étaient plus gras et plus beaux que tous ceux que soignaient les autres valets, et le roi l'en avait félicité souvent, de sorte qu'ils étaient jaloux de lui. Il y avait défense expresse d'avoir de la lumière dans les écuries, la nuit, et, comme ils en voyaient toujours dans l'écurie de N'oun-Doaré, ils allèrent le dénoncer au roi. Le roi n'en fit d'abord aucun cas, mais, comme ils renouvelèrent plusieurs fois leur dénonciation, il demanda au marquis de Coat-Squiriou ce qu'il y avait de vrai dans tout cela.
— Je ne sais pas, répondit le marquis, mais je m'informerai auprès de mon domestique.
— C'est ma vieille épée rouillée, répondit N'oun-Doaré, qui luit dans l'obscurité, car c'est une épée fée.
Mais, une nuit, ses ennemis, appliquant leurs yeux au trou de la serrure de son écurie, virent que la lumière qu'ils dénonçaient était produite par une belle couronne d'or placée sur le râtelier des chevaux, et qui éclairait sans brûler. Ils coururent en avertir le roi. Celui-ci, la nuit suivante, guetta le moment où la lumière fit son apparition, et, pénétrant subitement dans l'écurie de N'oun-Doaré, dont il avait une clé, comme de toutes les autres, il s'empara de la couronne, la mit sous son manteau et l'emporta dans sa chambre.
Le lendemain, il convoqua les savants et les magiciens de la capitale, pour lui donner la signification de l'inscription gravée sur la couronne ; mais aucun d'eux n'y comprenait rien.
Un enfant de sept ans, qui se trouvait là par hasard, vit aussi la couronne et dit que c'était celle de la princesse du Bélier d'Or.
Aussitôt, le roi fit appeler N'oun-Doaré, et lui parla de la sorte :
— Il faut que tu m'amènes à la cour la princesse du Bélier d'Or, pour être mon épouse, et, si tu ne me l'amènes pas, il n'y a que la mort pour toi.
Voilà le pauvre N'oun-Doaré bien embarrassé. Il va trouver sa vieille jument, les larmes aux yeux.
— Je sais, lui dit la jument, ce qui cause votre embarras et votre tristesse. Vous rappelez-vous que je vous dis de laisser la couronne d'or où vous la trouvâtes, autrement vous vous en repentiriez, un jour ? Voici ce jour venu. Pourtant, ne vous laissez pas aller au désespoir, car, si vous m'obéissez et faites de point en point ce que je vais vous dire, vous pouvez encore vous tirer de ce mauvais pas. Allez d'abord trouver le roi et demandez-lui de l'avoine et de l'argent pour le voyage.
Le roi donna de l'avoine et de l'argent, et N'oun-Doaré se mit en route avec sa vieille jument.
Ils arrivent au bord de la mer, et y voient un petit poisson resté à sec sur le sable et près de mourir.
— Mettez vite ce poisson à l'eau, dit la jument. N'oun-Doaré obéit, et aussitôt le petit poisson, élevant sa tête au-dessus de l'eau, parla de la sorte :
— Tu m'as sauvé la vie, N'oun-Doaré ; je suis le roi des poissons, et si jamais tu as besoin de mon secours, tu n'auras qu'à m'appeler, au bord de la mer, et j'arriverai aussitôt.
Et il plongea dans l'eau et disparut. Un peu plus loin, ils rencontrèrent un petit oiseau, pris dans des lacs.
— Délivrez cet oiseau, dit encore la jument. Et N'oun-Doaré délivra le petit oiseau, qui dit aussi, avant de s'envoler :
— Merci ! N'oun-Doaré, je te revaudrai ce service ; je suis le roi des oiseaux, et si jamais moi ou les miens pouvons t'être utiles, tu n'auras qu'à m'appeler et j'arriverai aussitôt.
Ils continuèrent leur route, et, comme la jument traversait facilement les fleuves, les montagnes, les forêts et les mers, ils arrivèrent bientôt sous les murs du château du Bélier d'Or. Ils entendirent un vacarme épouvantable à l'intérieur du château, de sorte que N'oun-Doaré n'osait pas y entrer. Près de la porte, il vit un homme attaché à un arbre, par une chaîne de fer, et qui avait autant de cornes sur le corps qu'il y a de jours dans l'année.
— Détachez cet homme et rendez-lui la liberté, dit la jument.
— Je n'ose pas en approcher.
— Ne craignez rien ; il ne vous fera pas de mal. N'oun-Doaré détacha l'homme, qui lui dit :
— Merci ! Je vous revaudrai ce service ; si jamais vous avez besoin de secours, appelez Griffescornu, le roi des démons, et j'arriverai aussitôt.
— Entrez à présent dans le château, dit la jument à N'oun-Doaré, et ne craignez rien ; je resterai à paître ici, dans le bois, où vous me retrouverez, au retour. La maîtresse du château, la princesse du Bélier d'Or, vous fera bon accueil et vous montrera nombre de merveilles de toutes sortes. Vous l'inviterez à vous accompagner dans le bois, pour voir votre jument, qui n'a pas sa pareille au monde, et qui connaît toutes les danses de Basse-Bretagne et des autres pays, que vous lui ferez exécuter sous ses yeux.
N'oun-Doaré se dirige vers la porte du château. Il rencontre une servante, qui va puiser de l'eau à la fontaine du bois, et qui lui demande ce qu'il cherche par là.
— Je voudrais, répond-il, parler à la princesse du Bélier d'Or.
La servante va dire à sa maîtresse qu'un étranger vient d'arriver au château, qui demande à lui parler.
La princesse descend aussitôt de sa chambre et invite N'oun-Doaré à visiter avec elle les merveilles de son château.
Quand il eut tout vu, il invita à son tour la princesse à venir voir sa jument, dans le bois. Elle y consentit, sans difficulté. La jument exécuta devant elle les danses les plus variées, ce qui la divertit beaucoup.
— Montez sur son dos, princesse, lui dit N'oun-Doaré, et elle dansera avec vous fort agréablement.
La princesse, après quelque hésitation, monta sur la jument ; N'oun-Doaré sauta aussitôt à côté d'elle, et aussitôt la jument s'éleva en l'air avec eux et les transporta, en un instant, par-delà la mer.
— Vous m'avez trompée ! S'écriait la princesse ; mais vous n'êtes pas encore au bout de vos épreuves, et avant que j'épouse le vieux roi de France, vous aurez pleuré, plus d'une fois.
Ils arrivèrent promptement à Paris. Dès en arrivant, N'oun-Doaré conduisit la princesse au roi et lui dit, en la lui présentant.
— Sire, voici la princesse du Bélier d'Or. Le roi fut ébloui par sa beauté ; il ne se possédait pas de joie et voulait l'épouser, sur-le-champ. Mais, la princesse demanda qu'on lui rapportât d'abord son anneau, qu'elle avait laissé dans sa chambre, au château du Bélier d'Or.
N'oun-Doaré fut encore chargé par le roi d'aller à la recherche de l'anneau de la princesse. Il s'en revint tout triste vers sa jument.
— Ne vous rappelez-vous pas, lui dit celle-ci, avoir sauvé la vie au roi des oiseaux, qui vous promit de reconnaître ce service, à l'occasion ?
— Je me le rappelle, répondit-il.
— Eh bien, appelez-le à votre secours, c'est le moment.
Et N'oun-Doaré s'écria :
— Roi des oiseaux, venez à mon secours, je vous prie !
Aussitôt, le roi des oiseaux arriva et demanda :
— Qu'y a-t-il pour votre service, N'oun-Doaré ?
— Le roi, dit-il, veut que je lui rapporte, sous peine de la mort, l'anneau de la princesse du Bélier d'Or, qui est resté à son château, dans un cabinet dont elle a perdu la clé.
— Rassurez-vous, dit l'oiseau, l'anneau vous sera rapporté.
Et aussitôt il appela tous les oiseaux connus, chacun par son nom. Ils arrivaient tous, à mesure que leurs noms étaient prononcés ; mais, hélas ! Aucun d'eux n'était assez petit pour pouvoir pénétrer dans le cabinet de la princesse, par le trou de la serrure. Le roitelet seul avait quelque chance d'y réussir ; il fut donc envoyé à la recherche de l'anneau.
Avec beaucoup de mal et en y laissant presque toutes ses plumes, il parvint à s'introduire dans le cabinet, prit l'anneau et l'apporta à Paris.
N'oun-Doaré courut aussitôt le présenter à la princesse.
— A présent, princesse, lui dit alors le roi, vous n'avez sans doute plus de raison de retarder davantage mon bonheur ?
— Il ne me manque plus qu'une chose pour vous satisfaire, sire, mais il me la faut, ou rien ne sera fait, répondit-elle.
— Parlez, princesse, ce que vous demanderez sera fait.
— Eh bien, faites-moi apporter mon château ici, vis-à-vis du vôtre.
— Apporter votre château ici !... Comment voulez-vous ?...
— Il me faut mon château, vous dis-je, ou rien ne sera fait.
Et N'oun-Doaré fut encore chargé d'aviser aux moyens de transporter le château de la princesse, et il se mit en route avec sa jument.
Quand ils arrivèrent sous les murs du château, la jument parla de la sorte :
— Appelez à votre secours le roi des démons, que vous avez délivré de ses chaînes, à notre premier voyage.
Il appela le roi des démons, qui vint et demanda :
— Qu'y a-t-il pour votre service, N'oun-Doaré ?
— Transportez-moi le château de la princesse du Bélier d'Or à Paris, devant celui du roi de France, et tout de suite.
— C'est bien, cela va être fait à l'instant.
Et le roi des démons appela ses sujets, dont il vint toute une armée, et ils déracinèrent le château du rocher sur lequel il se trouvait, l'enlevèrent en l'air et le transportèrent à Paris. N'oun-Doaré et sa jument les suivirent et y arrivèrent aussitôt qu'eux.
Le matin, les Parisiens furent tout étonnés de voir l'éclat du soleil levant sur les dômes d'or du château et crurent à un incendie ; aussi, criait-on de toutes parts : « Au feu ! Au feu !... »
Mais la princesse reconnut facilement son château et se hâta de s'y rendre.
— A présent, princesse, lui dit le roi, il ne vous reste plus qu'à fixer le jour des noces.
— Oui, mais il me faut encore une petite chose avant, répondit-elle.
— Quoi donc, princesse ?
— La clé de mon château, qu'on ne m'a pas rapportée, et sans laquelle je ne puis y entrer.
— J'ai ici des serruriers très habiles, qui vous en feront une nouvelle.
— Non, personne au monde ne peut fabriquer une nouvelle clé capable d'ouvrir la porte de mon château ; il me faut l'ancienne, qui est au fond de la mer.
En se rendant à Paris, comme elle passait pardessus la mer, elle l'avait laissée tomber au fond de l'abîme.
N'oun-Doaré est encore chargé de rapporter à la princesse la clé de son château, et il se remet en route avec sa vieille jument. Arrivé au bord de la mer, il appelle à son secours le roi des poissons. Celui-ci arrive aussitôt et demande :
— Qu'y a-t-il pour votre service, N'oun-Doaré ?
— Il me faut la clé du château de la princesse du Bélier d'Or, que la princesse a jetée à la mer.
— Vous l'aurez, répond le roi.
Et il appela aussitôt tous ses poissons, qui se hâtaient d'accourir, à mesure qu'il prononçait leurs noms ; mais, aucun d'eux n'avait vu la clé du château. Seule, la vieille n'avait pas répondu à l'appel de son nom. Elle finit par arriver aussi, portant dans sa bouche la clé, qui était un diamant d'une très grande valeur. Le roi des poissons la prit et la donna à N'oun-Doaré.
N'oun-Doaré et sa jument retournèrent aussitôt à Paris, heureux et sans souci, cette fois, car ils savaient que c'était leur dernière épreuve.
La princesse ne pouvait plus reculer et temporiser, et le jour du mariage fut fixé.
On se rendit à l'église, en grande pompe et cérémonie, et N'oun-Doaré et sa jument suivaient le cortège et entrèrent aussi dans l'église, au grand étonnement et grand scandale de tout le monde. Mais, quand la cérémonie fut terminée, la peau de la jument tomba à terre et laissa voir une princesse, d'une beauté merveilleuse, qui présenta la main à N'oun-Doaré, en disant :
— Je suis la fille du roi de Tartarie ; venez avec moi dans mon pays, N'oun-Doaré, et nous nous y marierons ensemble.
Et N'oun-Doaré et la fille du roi de Tartarie, laissant le roi et la société tout ébahis, partirent ensemble, et, depuis, je n'ai pas eu de leurs nouvelles.

Conté par Vincent Coat, ouvrier de la manufacture des tabacs de Morlaix, avril 1874.

(1) Le sentiment des distances manquait un peu au conteur.

bunni

#398

La Chèvre et le Lion

Il est grand, il est beau, il est fort, sa crinière impressionne, son rugissement est puissant...C'est le lion, celui qu'on appelle le roi des animaux. Et un soir le lion s'interroge : "Est ce bien normal pour un roi de dormir dehors, à la belle étoile, exposé au vent et à la pluie, comme n'importe quel manant ? Un roi ça devrait avoir un palais ! Ou au moins une maison... une cabane... c'est plus facile à construire..."

Le lendemain le lion part dans la forêt chercher la clairière idéale où construire sa cabane Celle ci est trop petite, celle là a un sol trop mou, une est en pente, une autre entourée d'arbres tordus... Il passe toute une journée à chercher. Enfin il trouve une clairière vaste et entourée d'arbres majestueux. "Il y a un seul petit problème, l'herbe est un peu haute... Il va falloir que je fauche tout ça avant d'y construire ma cabane. Mais là il se fait tard et j'ai faim, je vais aller chasser, je reviendrai demain avec une faux."

A peine le lion parti, une chèvre arrive, décidée elle aussi à se construire une maison. Elle ne perd pas son temps elle broute toute l'herbe de la clairière, puis assoiffée elle part boire à la rivière.

Quand le lion revient il n'en croit pas ses yeux. Toute l'herbe est fauchée, même plus un tas de foin... Sa faux lui en tombe des mains. "Il doit y avoir dans cette clairière un bon génie qui m'aide" se dit le lion, avant de crier à la cantonade "Merci... Merci beaucoup bon génie ! Tu as bien aidé le Roi des animaux ! Tu peux compter sur ma gratitude ! Tu m'as fait prendre un jour d'avance dans mes travaux. Ca tombe bien car j'ai faim... je vais aller chasser je reviendrai demain faire les murs."

A peine le lion parti, la chèvre revient avec une scie, une hache et un gros marteau. Elle coupe des arbres, elle taille des planches et des pieux, elle plante les pieux, elle fixe la planche... En une journée elle fait tous les murs de la cabane, et épuisée retourne à la rivière.

De nouveau le lion est sidéré. "Ce n'est pas un bon génie qui m'aide... C'est toute une armée de lutins qui doivent travailler pour moi ! Merci beaucoup les gnomes ! Vous avez bien aidé le roi des animaux ! Il ne manque plus que le toit... Si vous pouviez vous en charger aussi ma reconnaissance sera éternelle. En attendant je retourne à la chasse à la gazelle."

La chèvre revient avec un marteau, des planches et des clous, et commence à faire le toit. Pose des planches, plante des clous, pose des planches, plante des clous, et au moment de planter le dernier clou... "Mêêêê !"... Elle se le plante dans le sabot ! Elle l'arrache avec ses cornes et part à la pharmacie chercher du sparadrap.

Quand le lion revient de nouveau il est ébahi, il n'a plus qu'à visiter en inspecteur des travaux finis "Merci beaucoup les gnomes ! Vous avez bien aidé votre roi ! Ma cabane est terminée, et c'est un vrai petit palais... Tiens là je pourrais mettre mes cornes d'antilopes, sur ce mur des têtes de babouins, là ma collection d'os et de crânes... Merci encore ! Je ne vous oublierai pas ! Je n'ai plus qu'à m'installer moi...". Et le lion part dans la savane déterrer les affaires qu'il a laissées un peu partout.

Quand il revient à l'orée de la clairière, il voit un filet de fumée qui s'échappe de la cheminée de la cabane "Une nouvelle surprise des gnomes !?". Le lion s'approche à pas de loup... et ouvre soudain la porte de la cabane... Il y a bien une surprise des gnomes : une petite chèvre en train de lui faire la cuisine.

-Alors bobonne ? Quoi de bon à manger ?

-Mais mêê mêê bobonne mais mêê qui êtes vous ?

-Comment ça qui je suis... Je suis le lion, le Roi des animaux, et tu es dans ma cabane, construite par mes gnomes !

-Mais mêê mêê vos gnomes !? Ce sont peut-être vos gnomes qui ont fauché l'herbe ?

-Mais oui !

-Mais mêê mêê vos gnomes !? Ce sont eux qui ont fait les murs ?

-Mais oui !

-Mais mêê mêê ce sont peut être eux qui ont fait le toit et se sont blessé au sabot en plantant un clou ?

Le lion regarde sa blessure...

-Bon, écoute petite chèvre, de toutes façons je suis le lion, le Roi des animaux, donc cette forêt est à moi, donc cette clairière est à moi, donc cette cabane est la mienne ! Mais comme je suis un roi magnanime, je t'autoriserai à la partager avec moi, à condition que tu me fasses de bons petits plats. Et tu n'as pas le choix, sinon c'est toi que je mange !

La chèvre a accepté, et c'est comme ça qu'a commencé la cohabitation entre la chèvre et le lion.

Au début, tout s'est très bien passé. La chèvre derrière la cabane cultivait son potager, le lion, lui, passait ses journées à la chasse. Le soir il revenait avec de la viande d'antilope ou de gazelle, et elle lui faisait de bons petits plats.

Cette histoire aurait pu se terminer là, et très bien pour tout le monde, si un jour une gazelle n'avait pas été trop rapide. Ce jour là, le lion se dit "faute de grive mangeons un merle" alors qu'il passe devant un petit chevreau: Il se jette sur le bébé chèvre, referme ses mâchoires, le traîne à travers la forêt et le dépose ce soir là, tout sanglant sur le sol de la cabane

-Bobonne ! J'ai faim ! Viens me faire à manger !

-Mais mêê mêê je ne peux pas manger ça, je ne peux cuisiner ça !

-Oh écoutes tu ne vas pas faire ta difficile, j'ai faim, fait la cuisine.

-Mais mêê mêê, ça pourrait être mon fils ou mon frère, c'est un chevreau, l'enfant d'une chèvre, il est du même sang que moi.

-Dis toi que c'est juste une antilope un peu différente.

-Mais mêê non il n'en est pas question !

Et la chèvre part s'enfermer dans sa chambre, quant au lion il doit manger le chevreau froid.

Mais pour lui ce n'est pas le plus grave. Car la chèvre s'est mise à réfléchir, à réfléchir à sa vengeance. A partir de ce jour là, on ne voit plus la chèvre cultiver son potager, au lieu de ça elle part, toujours plus loin, dans la forêt. Jusqu'au jour où elle trouve ce qu'elle cherchait. Un chasseur qui a l'air assoiffé. "Mêê mêê mêê chasseur tu as soif... Peut être voudrais tu boire de mon lait ? Tu n'auras qu'un tout petit service à me rendre."

Et ce jour là, vous me croirez ou pas, mais c'est la chèvre qui est revenue avec un lionceau mort au bout de ses cornes.

-Chériii, aujourd'hui c'est moi qui suis allé à la chasse, tu veux bien me faire la cuisine s'il te plaît ?

Quand le lion voit le lionceau mort parterre il entre dans une colère noire...

-Je ne peux pas manger ça ! Je ne peux pas cuisiner ça !

-Allons dis toi que ce n'est jamais qu'une antilope un peu différente...

-Je suis le lion, le roi des animaux, de toutes manières je ne ferai pas la cuisine. Et lui aussi, c'est un lion, un être de sang royal comme moi ! Comment as tu osé, et d'abord, comment as tu fait, toi une petite chèvre, pour tuer un lion ?

-C'est simple, je l'ai regardé dans les yeux, j'ai voulu qu'il meure, il est mort, voilà. Ce n'est pas comme ça que tu fais toi ?

La chèvre pourrait tuer d'un seul regard... Le lion est devenu tout pâle. Ce soir là il a fait la cuisine pour la première fois.

L'histoire ne dit pas si ni le lion ni la chèvre en ont mangé. Mais en tout cas, à partir de ce jour là, le lion a commencé à se faire de plus en plus petit, il était aux petits soins pour la chèvre, il lui apportait son petit déjeuner au lit. Puis un jour, où il avait sans faire exprès renversé une tasse, il n'a même pas osé la regarder en face, il est parti en courant, sans se retourner, il est sorti de la clairière, il a quitté la forêt, il a atteint la brousse. Et on dit que depuis ce temps là les lions vivent toujours dans la brousse, tandis que les chèvres vivent auprès des cabanes et donnent leur lait aux hommes.




bunni


Le trésor de la souris

Toc, toc !...
- Qui est là ?...
- C'est moi, grand'mère... »
Une gentille petite figure, un peu pâlotte, coiffée d'un béret rouge, se montra dans l'embrasure de la porte.
Devant elle, sur un léger éventaire, s'empilaient des gaufres... On aurait cru voir le Petit Chaperon rouge.
« Tu n'as rien vendu, ma pauvre mignonne ? Et comme tu dois être fatiguée ! s'écria la grand'mère, en levant les yeux au-dessus de son ouvrage.
- Ce n'est rien, cela ! protesta Charlotte Huchette ; je ne sentirais pas ma fatigue, si j'avais vendu mes gaufres !... Mais je vois bien, fit-elle avec une petite moue affligée, que les enfants des Tuileries et des Champs-Elysées ne les aiment pas ! J'avais pourtant mis tous mes soins à les fabriquer ! Celles des vrais marchands sont plus sucrées et plus moelleuses, c'est sûr. »
Charlotte s'assit, d'un air un peu découragé, après avoir déposé sur une table la marchandise dédaignée.
« Je voudrais tant vous aider ! N'importe, reprit-elle en relevant la tête d'un petit air brave, j'irai demain au Luxembourg. Les enfants y sont peut-être moins difficiles. Est-ce que... vous pleurez, grand'mère ?
- Non, ma fille. Ce sont mes pauvres yeux qui se fatiguent.
La vérité est que Mme Huchette venait de se détourner pour essuyer une grosse larme. Il y avait beaucoup de choses dans cette larme : le chagrin de voir sa chère petite-fille s'efforcer vainement de gagner quelques sous, l'inquiétude de sentir ses yeux s'user si rapidement, son métier de brodeuse devenir bientôt impossible !... Au magasin de lingerie pour lequel elle travaillait, on lui avait adressé des reproches : ses broderies, autrefois merveilleuses de finesse, présentaient de légères imperfections. Elle gagnait déjà beaucoup moins depuis quelques années. Que serait-ce plus tard ?
Comment pourrait-elle achever d'élever Charlotte, l'enfant de sa fille, orpheline dès le berceau ?...
« A table, bonne-maman ! » dit l'enfant en apportant la soupière.
Est-ce l'influence de la lampe allumée ou la soupe chaude, ou simplement la réaction de sa jeunesse, la confiance de sa bonne petite nature, la fillette, tout en mangeant, s'efforce d'égayer sa grand'mère :
« Ne vous tourmentez pas ! Je suis grande : j'ai dix ans ! L'année prochaine, j'aurai mon certificat d'études. J'apprendrai un métier... et je vous remplacerai. Ce sera bien mon tour !
- Pourvu que mes yeux durent jusque-là ! ne put s'empêcher de murmurer Mme Huchette.
- Eh bien ! en attendant, je me figure qu'il nous arrivera quelque chose d'heureux !
- Pauvre mignonne ! »
Tout à coup, les sourcils de la grand'mère se froncèrent, sa douce physionomie devint inquiète et nerveuse.
On entendait un bruit menu, menu : Gnin, gnin, gnin....
« Tu entends, Charlotte ?
- Grand'mère, c'est peut-être... le tic tac de la pendule, » fit l'enfant qui émiettait doucement du pain par terre.
Mme Huchette hoche la tête d'un air mécontent.
Quelques instants s'écoulent pendant lesquels Charlotte s'efforce d'occuper l'attention de son aïeule... Mais voici qu'au bas du mur, on voit se profiler, en ombre chinoise, un petit museau pointu, deux petites oreilles rondes, et deux petites pattes qui on l'air de faire un pied de nez...
« Qu'est-ce que j'aperçois, Charlotte ?...
- Grand'mère... c'est... ce doit être... l'ombre de mon pied.
- Depuis quand ma petite-fille est-elle devenue menteuse ?... »
Charlotte rougit, et avec une moue tremblante :
« Eh bien ! oui... c'est la souris qui vient nous voir tous les soirs, et contre laquelle vous vous fâchez toujours. Quel tort vous fait-elle, grand'mère ? Vous, si bonne, comment pouvez-vous lui en vouloir ?... Laissez-la venir grignoter nos miettes, je vous en prie.
- Tu sais que j'ai horreur de ces vilaines bêtes.
- Oh ! bonne-maman ! Elles sont très gentilles, au contraire !... Elles ont des yeux d'oiseau, des moustaches de chat, de petites mains d'écureuil.
- De mon temps, on prenait des chats pour détruire les souris. Il est vrai que, à cette époque, les petites filles ne faisaient pas la loi à leurs grand'mères...
- Oh !... grand'mère !...
- C'est égal, poursuivit Mme Huchette en tapotant le plancher du pied – ce qui eut pour effet immédiat de faire disparaître l'intruse – je ne me serais pas doutée qu'après avoir entretenu la propreté autour de moi, jusqu'à l'âge de soixante ans, je serais condamnée à vivre dans un logis infesté de souris.
- Oh ! grand'mère ! Infesté ? Il n'y a que celle-ci, qui vient depuis quelques mois. Elle n'a jamais fait aucun dégât et serait presque apprivoisée... si vous vouliez !
- Grand merci !
- Qui sait, reprit Charlotte dont les yeux brillaient, si ce n'est pas une petite fée, qui nous rendra riches et heureuses ?
- Tu es folle à lier, ma pauvre enfant. Les contes bleus que tu lis te tournent la tête. Allons, viens m'embrasser, et va vite te coucher : tu dois en avoir besoin, pauvre petite ! »
Charlotte obéit ; mais, cette nuit-là, ses rêves furent hantés de souris et de farfadets.
Chacun de ces petits êtres apportait, entre ses mains minuscules, une parcelle d'or qu'ils déposaient aux pieds de l'enfant. Miette par miette, cela finissait par former un trésor, et grand'mère n'avait plus besoin d'user ses pauvres yeux à travailler !
Le lendemain, par un bel après-midi de septembre, Charlotte partit bravement, avec son béret rouge et ses gaufres, pour le jardin du Luxembourg.
Mme Huchette resta seule au logis, penchée sur son éternelle broderie. Elle était d'assez mauvaise humeur, la pauvre dame !
« Qui m'aurait dit, murmurait-elle, que j'aurais vu l'enfant de ma chère fille aller vendre des gâteaux pour quelques sous, tandis que j'achève de me perdre la vue ? »
En abaissant les yeux, par hasard, Mme Huchette aperçut, à deux pas d'elle, la souris de la veille, l'odieuse souris qui s'invitait à tous les repas et lui inspirait une répulsion nerveuse. Elle lui apparaissait, pour la première fois en plein jour, grassouillette et ronde, semblant la narguer.
Mme Huchette se leva brusquement. La bestiole se sauva sous une chaise et se réfugia, avec prestesse, dans un petit trou au ras du plancher.
« Attends, vilaine bête !... s'écria la vieille dame qui lui gardait rancune, je vais te déloger ! »
Et elle alla chercher le tisonnier.
Qu'eût dit Charlotte, en voyant sa grand'mère, agenouillée par terre, explorant, sans pitié, la demeure de l'ennemie avec la tige de fer pointue ?
Mais que les amis des souris se rassurent : ces petites personnes délurées ont plus d'un tour dans leur sac. Elles connaissent des passages secrets et l'art de s'escamoter elles-mêmes.
Rageuse, comme on le devient quelquefois quand on a du chagrin, Mme Huchette s'acharnait avec son tisonnier.
Tout à coup, la plinthe déjà vermoulue, céda sous ses efforts... De souris, point. Mais que vit-elle ? Que signifiaient ces rouleaux cachés dans la boiserie ?... Elle y porta la main en tremblant. Il y en avait vingt, qu'elle retira successivement ; de plus en plus tremblante, elle un ouvrit un : des louis d'or brillants ruisselèrent sur la table.
Pour le coup, cela tenait du prodige ! Elle crut rêver.
Mais, à ce moment, la porte s'ouvrit sous la main de Charlotte. Celle-ci jeta un cri de joie, et, sautant au cou de son aïeule :
« Oh ! grand'mère ! Cela vient de la souris, n'est-ce pas ?
- Oui, répond machinalement la pauvre Mme Huchette, éblouie, stupéfaite.
- Je savais bien qu'elle était fée ! Et j'ai rêvé, cette nuit, que tu devenais riche ! Quel bonheur, grand'mère ! C'est tout à fait comme dans un conte ! »
Mme Huchette eut besoin d'un moment de réflexion pour reprendre son sang-froid et pour se rappeler que, malgré toutes les apparences, les souris ne sont pas des fées et que la vie n'est point un conte.
« Ma petite fille, cet or n'est pas à nous... Nous ne pouvons pas le garder !...
- Pas à nous !... Mais puisqu'elle te le donne !... »
Il fallut un certain temps pour persuader à la fillette que les souris n'ont pas le pouvoir de faire des dons. Le devoir de la grand'mère était donc d'aller montrer sa trouvaille au commissaire de police du quartier.
Le petit cœur honnête de Charlotte ne se révolta plus. Ce n'était pas pour elle-même qu'elle avait désiré l'aisance et qu'elle s'était réjouie d'abord, mais pour sa chère bonne-maman. Ce fut encore pour celle-ci qu'un gros soupir s'exhala de son cœur.
... Quelques mois se sont écoulés depuis cette aventure.
Nous retrouvons, dans leur modeste logis, luisant de propreté, la grand'mère et la petite-fille.
La lampe brille, au milieu de la table, sous un coquet abat-jour rose. Charlotte circule légèrement, mettant le couvert, comme autrefois. Mais Mme Huchette ne s'acharne plus à terminer une broderie, meurtrière pour ses yeux. Mme Huchette ne travaille plus à la lumière ! Elle brode seulement quelques heures par jour. Charlotte, qui ne vend plus de gaufres et qui vient d'obtenir avec succès son certificat d'études, continue son instructions avec ardeur, afin d'être à même, dans quelques années, d'occuper un emploi honorable.
Un air de contentement et de tranquillité éclaire maintenant le visage de la vieille dame et de l'enfant. D'où viennent ces heureux changements ? Ecoutons-les causer, nous l'apprendrons.
« Je vous le disais bien, bonne-maman, que nous finirions par avoir de la chance !... Qui avait raison ?...
- Pour moi, reprend Charlotte enhardie, rien ne m'ôtera de l'esprit que Grisette est une petite fée...
- Folle !
- Rien qu'un peu fée, si vous voulez... Mais cette fortune est si étrange !
- Etrange, certes, autant que providentielle ! Cependant tu sais ce qu'à dit le commissaire, lorsque je lui ai porté les vingt rouleaux dont chacun renfermait cinquante louis d'or à l'effigie de Louis XVI. C'est du reste, la version qui a été reproduite par les journaux : on suppose que cette petite fortune avait été cachée dans la boiserie par une famille qui fut obligée d'émigrer en 1793.
- Oui, on suppose ; mais cela n'est ni très sûr ni très clair ! En tout cas, il paraît que, l'ayant trouvé, nous avions droit à la moitié du trésor, et nous voilà riches. »
Et , avec une moue d'enfant gâtée, elle ajouta :
« Moi, j'aime mieux croire que c'est le trésor de la souris !... »
Gnin, gnin, gnin... Un grignotement bien connu se fit entendre sous la table.
A ce moment apparut, sur le mur, l'ombre grandissante d'une petite souris à la taille épaissie par le bien-être, qui se barbifiait avec ses deux petites pattes de devant... et qui laissait dire... en gardant son secret !

Henriette BEZANCON

bunni


Le secret de feuillette

Elliot était un petit garçon de 7 ans, qui vivait dans un village tout en haut d'une colline, un petit village où tout le monde se connaissait bien et où il faisait bon vivre. Souvent, il allait rendre visite à son grand-père qui habitait non loin de là, dans une vieille maison toute en bois. Elliot adorait son grand-père qui racontait toujours des histoires extraordinaires. Il l'écoutait ainsi, pendant des heures, assis près du feu crépitant de la cheminée.
Un jour, alors qu'il était chez son grand-père, Elliot découvrit un drôle d'objet posé sur le rebord de la fenêtre. On aurait dit un petit bonhomme emmitouflé dans une grande feuille d'automne, dont on ne voyait dépasser que la tête. L'enfant, intrigué, prit la statuette dans ses mains, et l'examina en la retournant dans tous les sens.
"Dis Papy, qu'est-ce que c'est ?" demanda Elliot à son grand-père.
"Ah mon petit garçon, surtout ne le casse pas. C'est un porte-bonheur. Il renferme un grand secret. Et si tu veux, je vais te raconter son histoire incroyable. L'histoire de Feuillette...
Quand j'étais petit garçon comme toi, mes parents m'avaient offert ce cadeau. Ils m'avaient dit :"C'est un petit elfe. Pose-le à côté de ton lit, il te portera bonheur !" Je l'avais appelé Feuillette, parce qu'il était tout enveloppé dans une feuille. Et tous les soirs, avant de m'endormir, je regardais Feuillette qui semblait me sourire et me dire "bonne nuit!"
Et puis un jour, une chose incroyable arriva. Un soir de pleine lune, je me réveillai au beau milieu de la nuit, et lorsque j'ouvris les yeux, je découvris que Feuillette avait disparu ! Je me frottai les yeux pour être bien sûr que je ne rêvais pas. Mais non ! La feuille était toujours là, mais elle était vide. Mon petit elfe, lui, n'y était plus. Je n'arrivais pas à le croire ! Comment avait-il pu disparaître ? Ce n'était pas possible !
Je me suis mis à le chercher dans la chambre, sous le lit, dans l'armoire, puis partout dans la maison, mais pas de Feuillette ! Il fallait croire que mon petit elfe m'avait quitté ! Je sentis alors de grosses larmes couler le long de mes joues. Je pris ma tête entre mes mains et restai un long moment sans bouger, accoudé sur le rebord de la fenêtre, les yeux plongés dans le ciel étoilé. Je ne comprenais pas ce qui avait bien pu arriver et je me sentis d'un coup bien seul.
Puis soudain, en baissant les yeux, je découvris par la fenêtre, de minuscules empreintes de pieds sur la terre du jardin, qui semblaient se dessiner jusqu'à la barrière. Ce n'était pas des traces d'animal. Trop petit aussi pour des pieds d'homme, ou même des pieds d'enfant ! Qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Intrigué par ce que je venais de découvrir, je décidai de suivre les traces de pas pour voir où elles me mèneraient. Il faisait nuit, j'avais un peu peur, mais tout cela était vraiment trop étrange. Il fallait que je sache, et puis je voulais retrouver Feuillette. Peut-être que ces traces me mèneraient à elle...
Après avoir enfilé mon manteau et mes chaussures, je me dirigeai vers la barrière. Les traces de pas continuaient bien au-delà du jardin, et la pleine lune m'éclairait suffisamment le chemin pour que je puisse les suivre. Quelle ne fut pas ma stupeur quand je découvris que les traces me dirigeaient vers la forêt. La grande forêt lugubre que personne n'ose approcher dès que le soleil disparaît derrière la colline ! Les gens du village disent qu'elle est hantée, peuplée de créatures effrayantes ! Mais j'étais déjà bien loin de la maison, peut-être même perdu. Alors tant pis, je décidai de rentrer dans la forêt.
Les ombres des arbres formaient sur le sol de grandes formes toutes noires qui ressemblaient à des monstres géants. Le vent faisait craquer les branches au-dessus de ma tête, tandis que perçait de temps à autre le hululement inquiètant d'un hibou. J'entendais des bruits et des cris étranges que je ne connaissais pas. Je me blottis contre le tronc d'un arbre. J'avais peur. J'étais tout seul, et personne ne viendrait me chercher ici ! Je me mis à éclater en sanglots, lorsque je vis brusquement une lumière scintiller au loin. Je pensais alors qu'il y avait peut-être quelqu'un dans la forêt et qu'il pourrait m'aider à retrouver mon chemin. Je m'approcha timidement de la lumière, sans faire de bruit, et ... surprise ! Je n'en croyais pas mes yeux !
Feuillette ! Feuillette était là et tout un tas d'autres petits elfes qui s'agitaient autour d'un feu de camp. Quand elle me vit arriver, elle s'avança vers moi. Je la pris dans mes mains, tout étonné de voir qu'elle était bien vivante ! Elle me fit plein de petits baisers sur les joues qui effacèrent mes larmes et me ramenèrent bien vite le sourire. Elle me raconta que toutes les nuits, tous les efes de la région se retrouvaient dans la forêt pour éloigner les mauvais esprits et veiller sur les gens du village, dès que le soir tombait. Ils étaient bien drôles les petits elfes ! Il y avait "Fleurine" qui portait sur son dos une grosse fleur d'arum toute blanche, "Semelle" qui avait fait sa maison dans une vieille chaussure d'homme. Il y avait aussi "Taxi" qui transportait les elfes sur le dos d'un crapaud pour traverser les rivières, et "Mélodine" qui jouait de la flûte enchantée, assise à califourchon sur le croissant de lune, et la musique, emportée par le vent, éloignait les mauvais esprits de la forêt, loin du village endormi. Les plus intelligents étaient les "conteurs". Ils savaient lire et détenaient dans leurs gros livres anciens les plus belles histoires d'elfes qu'ils s'amusaient à raconter la nuit autour d'un feu de brindilles.
Je passa ainsi la nuit entière dans la forêt avec les petits elfes, à rire, à danser et faire la fête. Et quand les premières lueurs du jour apparurent, tout ce petit monde repartit dans les maisons du village, retrouver leur apparence immobile durant tout le jour, jusqu'à la nuit suivante où ils reprendraient vie de nouveau. Mais là était le secret des elfes, et j'avais bien fait la promesse à Feuillette que ce secret resterait entre nous."
Elliot avait écouté son grand-père raconter son histoire, sans dire un mot, attentif et émerveillé. Puis il repartit chez lui, avec le petit elfe que son grand-père lui avait donné. Il le serrait très fort contre son coeur, sachant désormais que "Feuillette" veillerait sur toutes ses nuits.


bunni

#401

La réunion des arbres

Elles volaient, tourbillonnaient, emportées par le balai qui les poussait en un tas de plus en plus épais. Il faisait déjà froid pour la saison en ces terres de l'hémisphère Nord.

Les mains du balayeur étaient engourdies par le froid et surtout par le vent qui soufflait ce matin par rafales.

Les feuilles étaient toutes si indisciplinées. Il avait beau les récupérer, un souffle, une brassée et tout lui échappait.

Il vit un tourbillon plus important se former dans le sous-bois. Il releva le col de sa grosse canadienne qui lui avait été donnée au foyer du centre de secours. Il grommela entre ses dents sur le mauvais temps. A sa grande surprise, ce qu'il vit devant lui en quelques minutes se former sous ses yeux, de cela il se jura qu'il le raconterait après son travail ce soir au café du village.

Il vit une longue jupe couleur rouille, des bras enveloppés de rainures brunes foncées, jaunes, rejoignaient un cou et un visage entourés d'une longue chevelure auburn.

Il se baissa, ramassa une bouteille de rhum vide à ses pieds.

Il songea que ce ne pouvait pas encore être les vapeurs de la veille qui lui donnaient des hallucinations.

Effectivement la forme quelque peu hésitante se mit en mouvement et s'avança vers lui d'une démarche fluide et aérienne.

-         Bonjour murmura la voix, j'ai dû abandonner mon parapluie dans les fourrés, la grêle était trop forte et il s'est brisé, emportant avec lui mon cœur si fragile. Le coup me fut fatal, la branche s'est cassée, a heurté mon front, me laissant sur le chemin voilà bien longtemps. Personne ne m'a cherché, je n'existe que pour peu de temps.

-         Voilà que j'entends des voix se dit l'homme surpris et embarrassé.

-         Je m'appelle Automne, et pour une fois je viens pour vous aider dans votre entreprise.

-         Cela m'étonnerait lui dit-il d'un ton bougon, nous n'avons même pas été présentés, et même si vous êtes ce que vous prétendez, que me voulez-vous ?

En éclatant de rire, des feuilles se mirent à voleter autour de la forme humaine. L'automne n'en faisait qu'à sa tête. Et ce serait pour le pauvre homme bien du travail supplémentaire. La saison ne voulait rien entendre. Elle dansait autour de l'individu planté le long du trottoir abasourdi que des morceaux de plantes se mettent à lui parler.

Elle reprit de plus belle avec ces mots :

-        Ce matin c'est la fête, tu vas avoir droit à un vœu, c'est l'été qui me l'a autorisé. Quelques rayons de soleil filtraient parmi les branches et les feuillages du grand saule qui se trouvait dans la propriété du coin. Ses longs bras venaient lécher l'eau verdâtre de l'étang, s'y baignant, plongeant également dans les profondeurs obscures de l'endroit.

-         Je ne crois pas aux vœux, ils ne se réalisent pas, ce ne sont que des histoires de bonnes femmes.

-         Tatata Monsieur, vous êtes là chaque année à accomplir les mêmes gestes et me maudissant en votre for intérieur de ces enveloppes qui viennent ainsi vous encombrer les pieds et le balai.  Je sais que vous aimeriez mieux me voir disparaître dans les flammes de l'enfer, ce qu'à bien des endroits sur terre vous réussissez bien, et ceci en signant votre droit à ne plus respirer d'air pur et en nous découpant à tour de bras sur toute la planète.

-         Cela n'est pas mon problème, j'ai besoin de ce travail pour survivre, la saison est dure cette année avec tous ces changements climatiques. Que me voulez-vous finalement ?

-         Chuuuut ! .....fermez les yeux.....attendez un peu.....

Seul le vent sifflait à ses oreilles. Il n'avait pas peur. Dans son existence misérable, il en avait vécu bien d'autres.

-         Ouvrez les yeux maintenant, lui murmura la silhouette frémissante.


Il se retrouva entouré d'autres arbres animés qui s'agitaient dans tous les sens, plongés entre eux dans un bruit épouvantable de feuilles qui bruissaient. Il se rendit compte qu'ils tenaient conseil. Un grand chêne imposant et majestueux semblait être l'orateur principal. Ils avaient dressé une table en tronc d'arbres déracinés par les nombreuses tempêtes. Des fruits de toutes sortes y étaient déposés ainsi qu'une maison légèrement en retrait, de forme circulaire, tout en bois, tournant au gré des rayons solaires l'attendait, prête à s'y installer.

-         Voici ta nouvelle demeure souffla le plus grand dans la verdure.

Le balayeur n'osait y croire, parcourant les pièces une à une, les yeux émerveillés.

-         Pourquoi ? Je ne comprends pas ?

-         Nous nous sommes concerté et nous avons décidé de récompenser ton labeur particulièrement en cette saison. Voilà la raison. Es-tu content ?

-         Oui.......oui......bien entendu.....mais pourquoi moi ?

Il entendait sa voix en écho au-dessus des cimes des ramures, tant le silence s'était fait dense.

Un grand coup de vent, tout disparu. Il se retrouvait seul au milieu d'un parc, le balai à la main. Il s'était endormi sur un banc public. Il se leva, retourna vers son travail abandonné quelques minutes plus tôt. Il souriait. Ce soir au bistro, il aurait de quoi raconter aux copains.

bunni

#402

CONTE DE LUTIN

Un soir un lutin, - très sympathique - le lutin,
en voyant une Sorcière danser sous la lune blanche,
dans une clairière bleue.... eu très envie de danser avec elle .....
Alors il s'approcha d'elle et lui parla......
Du coup la sorcière de danser oublia...

Comme ils avaient à deux le pouvoir d'arrêter le temps,
L'un arrêtant la nature
l'autre arrêtant les étoiles
Ils le firent se suspendre...
Et dans la clairière bleue, se mirent à parler .....
A parler .... parler.....
Ils parlèrent si longtemps,
que le temps,
doucement repris ces droits sur la nature et les étoiles
et qu'aucun des deux ne vit le soleil se lever.......
Lorsque les premiers rayons de soleil atteignirent le lutin
celui ci se rendit compte que les mots qu'ils avaient échangés,
s'étaient transformés en une merveilleuse dentelle d'argent que le
soleil faisait scintiller......
D'un seul coup , il eut peur..... que va-t-elle faire avec cette dentelle ??
Après tout c'est une Sorcière !!! Elle pourrait s'en servir contre moi...
Et me garder enfermer dans ce piège là......
Alors le lutin disparu , pffffft envolé, dans une petite fumée....
Et la Sorcière ébahie, ahurie, de rester là !!
Le soleil lui caressant les cheveux au milieu de cette clairière,
devenue verte sous l'astre du jour....
Mais qu'ai-je dit?? Pourquoi ? ??
J'ai du m'approcher trop de lui, et mes ongles de Sorcière l'auront griffés ..??
Elle tenait serré contre elle la merveilleuse dentelle blanche.
En vérité la Sorcière faisait ce qu'elle pouvait pour ne pas laisser glisser
les choses rondes et mouillées qui sortaient de ses yeux verts
-forcément des yeux de Sorcière -
-forcément une Sorcière ca ne pleure pas...

Mais elle n'y parvint pas....
et un ruisseau doucement de ses yeux coula
sur son visage,
sur sa robe,
et sur la dentelle d'argent...
Puis , il toucha le sol et là, se transforma en un magnifique plan de lilas blanc.......

Un lilas,
qui avait sur ses feuilles la couleur des yeux de la sorcière
qui avait sur ses fleurs la blancheur et la délicatesse de la dentelle lunaire...

Le lutin dans la clairière , revint, bien sur....
Il s'était sermonné, et s'était dis :
" mais non, je suis idiot , pas elle !"
Elle ne me fera jamais rien, car bien qu'elle soit Sorcière ...
je sais qu'aujourd'hui, je suis Son lutin ....

Mais dans la clairière, la Sorcière avait disparue
Il y avait un lilas....
Un magnifique lilas blanc
Le lutin s'approcha, le toucha,
doucement le respira .......
Et reconnu le parfum, enivrant de sa Sorcière...
Il resta là .... à regarder ce lilas, jusqu'à ce que le soleil finisse sa course
et que la nuit viennent l'envelopper de ces voiles ...

Lorsque la Lune voulu bien venir éclairer de bleu la clairière...
Le lutin s'écarta du lilas et vit apparaître,
la Sorcière qui tenait serrée contre elle, la dentelle lunaire...

Et depuis ce temps là...
Au printemps,
toutes les nuits on voit,
un lutin et une sorcière,
heureux,
danser sous la lune bleue.

bunni


Maëlyne la petite fée Tristesse

Au pied d'une immense chaîne de montagnes rocheuses surplombant l'eau cristalline d'une rivière, était assise toute recroquevillée sur elle-même, Maëlyne une petite fée haute comme trois pommes. Elle méditait, d'ailleurs elle passait tout son temps à méditer. Elle vivait dans une petite chaumière au bord de l'eau, le paysage était magnifique mais elle ne le voyait pas car elle ne le regardait pas... elle méditait.
  « Mais à quoi pensait-elle ? » se demandaient tous les animaux de la forêt avoisinante ainsi que les habitants du lac, ses amis de toujours. Personne ne le savait.

Maëlyne était une très jolie jeune fille, sa chevelure bleue mauve retombait en cascade jusqu'à ses pieds. Dans ses grands yeux couleur noisette plongeaient toutes celles de la forêt mais tout son être était rempli de tristesse. Elle semblait ailleurs, la tête dans les nuages, espérant on ne sait quel événement qui se produirait... mais qui ne se produisait jamais. Alors elle traînait comme une âme en peine à longueur de journée en soupirant.

La vie battait pourtant son plein au bord de la rivière. Le cerf, sa compagne la biche et leur petit faon venaient s'y désaltérer, tandis que Royal le grand cygne blanc régnait en maître sur cette eau qui s'écoulait sans fin au fil du temps dans un flux limpide et serein. Chacun essayait pourtant d'arracher un sourire sur les lèvres de Maëlyne mais personne jusqu'à ce jour n'y était parvenu. Seul Polisson, le petit gnome de la forêt ne se décourageait jamais. Il y passait toutes ses journées et réfléchissait la nuit à ce qu'il pourrait inventer pour redonner du baume au cœur de la jeune fille, mais en vain à son grand désespoir.

Maëlyne était toujours aussi triste et elle ne savait pas pourquoi. Polisson lui rendait de nombreux services, lui préparant de délicieuses confitures à base de fleurs, nettoyant et rangeant la chaumière pour lui rendre sa vie plus agréable. Mais surtout il était toujours présent, en attente d'une demande de Maëlyne qu'il aurait satisfait dans l'instant, n'écoutant que l'affection qu'il avait pour la petite fée. mais elle ne demandait jamais rien, ne parlait pas et surtout pleurait, toujours de plus en plus et c'est pourquoi les habitants de la forêt et du lac la surnommaient : la fée tristesse.

Un jour alors que Polisson ramassait des champignons magiques dans la forêt, il entendit une conversation des plus étonnantes:
- Il faut continuer comme ça et d'ici peu de temps la fée sera complètement anéantie, et alors à nous le pouvoir des fées ! plus rien ne pourra jamais nous arrêter !!
Polisson, intrigué, s'approche prudemment afin d'entrevoir qui peut bien parler de la sorte. Un mauvais pressentiment lui dit que la fée dont il est question est Maëlyne.

Il se glisse le long des arbres jusqu'à distinguer une grande silhouette longiligne et grise. En se rapprochant un peu, au risque d'être découvert, il s'aperçoit, à sa grande frayeur qu'il s'agit de Geiséric le plus grand sorcier démoniaque de la forêt. Celui ci est face à une créature que Polisson ne connaît pas et qu'il aurait préféré ne jamais voir, tellement son apparence est effrayante. C'est un être difforme , qui a de longs bras fins et de grandes mains aux doigts effilés et aux ongles noirs et crochus. Il tient une grande coupelle dans laquelle il malaxe un mélange dont Polisson ne peut deviner la texture.
- Ne vous inquiétez pas maître, personne ne se doute de rien et Maëlyne sombrera d'ici peu .
- Je compte sur toi Crapulet, sinon dis toi bien que tu auras affaire à moi et que je te renverrai tout droit de l'endroit d'où tu n'aurais jamais dû sortir, le gouffre des lamentations !
- Oh non maître ! Je ferai tout ce que vous voudrez mais pas le gouffre des lamentations ! Je ne veux plus jamais y retourner !! s'écrit Crapulet complètement désespéré.
Sans écouter la moindre parole, Geiséric le sorcier s'éloigne rapidement et disparaît dans la brume épaisse du matin.

Polisson trouve cela très étrange et se pose bien des questions. Que se passe- t-il donc dans cette forêt ? Quel mal peuvent donc bien vouloir ces méchantes créatures à une si gentille petite fée qu'est Maëlyne ?
Il lui faut absolument découvrir les intentions de Geiséric et les contrer car son instinct lui dit que la petite fée est en danger et il lui semble aussi que la présence de ce sorcier démoniaque est sans doute à l'origine de la grande tristesse de Maëlyne.
Il décide de le suivre discrètement pour en découvrir un peu plus. Pour passer inaperçu, polisson décide de croquer dans un de ses champignons magiques car ceux-ci exaucent les souhaits que l'on pense fortement. Polisson désire devenir invisible, ce qui se produit instantanément. Ce pouvoir ne va durer que quelques minutes et il lui faut vite retrouver Geiséric et du même coup connaître exactement le détail de ses mauvaises intentions. Il avale un nouveau petit morceau de champignon magique en pensant qu'il souhaiterait voler et à peine l'a t-il pensé qu'il flotte au dessus du sol. Le voilà prêt pour ses recherches.
Il survole au passage Crapulet et distingue au fond de sa coupelle une masse volatile et noirâtre légère comme un petit nuage que celui- ci ne se lasse pas de malaxer par des mouvements circulaires, une fois à droite et une fois à gauche.
Polisson continue son survol et distingue au loin la silhouette du sorcier qu'il s'empresse de rejoindre. Il se cache dans le feuillage épais d'un arbre et de sa hauteur voit s'approcher une présence devant laquelle Geiséric se prosterne. Cette personne n'a pas de forme, c'est une masse noirâtre sans contour délimité qui ressemble étrangement à ce que Crapulet remuait dans sa coupelle, mais en beaucoup plus imposant.

Une voix s'élève grave et caverneuse:
- Dans combien de temps le fil d'énergie des fées sera t-il rompu définitivement ? demande la masse funeste au sorcier toujours courbé.
- Nous sommes dans la dernière phase du processus maître, Maëlyne ne va tarder à s'endormir pour l'éternité et alors nous pourrons procéder au transfert des pouvoirs.
« Alors c'est ça !! » pense Polisson toujours installé sur une branche à l'abri des regards. Le petit gnome se rend compte à quel point sa petite fée bien aimée est en danger, non seulement elle, mais toutes les fées de l'univers. Car depuis la nuit des temps les fées protectrices et bienveillantes sont reliées entre elles par un fil d'énergie, c'est ce même fil invisible à l'œil nu qui leur donne leurs pouvoirs magiques. En quelque sorte toutes les fées sont reliées entre elles et leur énergie est commune. Si ce lien est rompu toutes les fées s'éteindront d'un seul coup laissant libre court aux forces du mal qui régneront sur l'ensemble de tous les êtres vivants de l'univers...

Polisson s'en veut de n'avoir pas pensé que Maëlyne était victime d'un maléfice, elle qui était pourtant si joyeuse, rieuse et qui aimait faire de longues promenades dans la forêt, discutant avec tous les animaux, cueillant des gros bouquets de fleurs dont elle faisait de délicieuses confitures. Ils passaient des heures ensemble, à courir, sauter et s'abandonner aux joies de la baignade en compagnie de Royal le cygne, sous l'œil amusé du cerf, de sa compagne et de leur petit, ainsi que des écureuils et des oiseaux qui profitaient des éclaboussures au cours de leurs jeux d'eau pour se rafraîchir au passage.

Le sorcier a dit que Maëlyne n'allait pas tarder a s'endormir pour l'éternité. Polisson se souvient des différentes étapes de ce mauvais sort. Petit à petit Maëlyne a perdu son appétit, puis sa joie de vivre  et enfin, elle, toujours en éveil sur les beautés de la nature, avait cessé de la voir, de la regarder, plongeant progressivement et profondément dans ses pensées, recroquevillée sur elle-même. Elle avait perdu son sourire, ne parlait plus et pleurait sans cesse. Son énergie la quittait progressivement et rien ne pouvait la sortir de sa torpeur. Mais maintenant il savait pourquoi son amie était dans cet état et il lui fallait trouver une solution pour contrer ce mauvais sorcier et détruire ce maléfice qui entraînait Maëlyne et toutes les fées dans le royaume du néant.

Pendant ce temps Geiséric avait des comptes à rendre. Couper un fil d'énergie n'était pas aussi simple que couper un fil à coudre à l'aide d'une paire de ciseaux. C'était un processus très complexe qui consistait à affaiblir et à extraire toute l'énergie de la fée qui en était victime jusqu'à ce que celle-ci s'endorme et ne puisse plus réagir. En attaquant de la sorte une seule fée toutes les autres étaient également touchées. Mais ce n'était pas non plus sans risques, car si le processus se renversait alors il anéantirait à tout jamais les auteurs de ce mauvais sort. Aussi Geiséric avait-il pris toutes les précautions nécessaires pour mener à bien son projet démoniaque. L'enjeu était important. Se débarrasser de toutes les fées existantes lui donnerait un immense pouvoir, il deviendrait le sorcier le plus craint et respecté de tout l'univers, mais il n'était pas le véritable instigateur de ce projet et le Maître des ténèbres était terrifiant lorsqu'il se mettait en colère, il n'avait pas le droit d'échouer, il n'avait pas le choix, sinon le sort que celui-ci lui réservait  était bien pire que d'être exterminé.

Si le sorcier Geiséric s'enorgueillissait à l'avance du pouvoir que lui donneraient les fées bien involontairement, ça n'était rien en comparaison des avantages que le Maître des ténèbres obtiendrait. Car c'est lui qui bénéficierait du transfert des pouvoirs et ça n'était pas une mince affaire car en recevant le pouvoir extraordinaire de toutes les fées, de bienfaisants ceux-ci seraient transformés instantanément en pouvoirs malveillants et ce serait alors la victoire du mal sur le bien. Le Maître des ténèbres transformerait alors le monde à sa convenance et l'avenir qu'il lui réservait était bien sombre.

bunni

Maëlyne la petite fée Tristesse (suite et fin)


Polisson entre-temps et à l'insu de tous ces mauvais êtres, s'était empressé de rejoindre le grand cygne Royal pour lui faire part de ses inquiétudes. Royal était un sage et chacun dans la forêt venait lui demander conseil lorsqu'un problème se présentait.
- Il te faut rencontrer l' esprit des quatre éléments, l'eau, la terre,  l'air et le feu ; Car lui seul pourra t'aider à conjurer le sort du Maître des ténèbres, lui souffle dans l'oreille le grand sage.
- Mais comment dois-je faire ? lui demande Polisson.
- Grimpe sur mon dos je vais t'y mener, lui répond Royal.
Le petit gnome ne se fait pas prier et s'installe sur le dos douillet du cygne. Arrivé à proximité d'un tourbillon dont polisson n'avait jamais remarqué l 'existence  Royal plonge d'un seul coup sous l'eau limpide. Polisson, apeuré, s'aperçoit que malgré le fait qu'il soit sous l'eau, il peut respirer. Le grand sage lui dit:
- Ne t'inquiète pas, nous entrons dans le domaine des quatre éléments réunis. Tu peux donc respirer sous l'eau, l'élément du feu va te réchauffer et de plus, dit-il en le déposant délicatement sur le fond de la rivière, la terre va te porter et tu pourras marcher comme à ciel ouvert.
- Merci, lui répond Polisson assez surpris de pouvoir respirer et parler sous l'eau.
Le cygne s'éloigne alors laissant Polisson seul.
- Mais dis moi où je peux trouver l'esprit des éléments !! hurle-t-il alors que Royal est déjà remonté à la surface.
- Je suis là ! entend-t-il dans en écho qui résonne tout autour de lui.
Le petit gnome intimidé par cette voix hors du commun en perd ses moyens. Il ne sait plus quoi dire. Il tente de déterminer qui lui parle, mais il ne distingue rien. Brutalement il se retrouve à l'intérieur d'une grosse bulle d'air, un souffle léger et chaud le berce, tandis qu'il se rend compte que ses pieds sont posés sur un tapis de mousse et de fleurs. Cette bulle roule doucement sur le fond de la rivière dans un halo de lumière blanche qui l'éclaire.
- Tu es sous ma protection Polisson, je connais le but de ta présence, tu vas devoir suivre à la lettre mes conseils pour empêcher le Maître des ténèbres de prendre le pouvoir et ainsi sauver non seulement Maëlyne  mais toutes les fées afin de préserver le bien du mal.
- Je suis prêt à tout, dites moi ce que je dois faire et je suivrai vos conseils, répond le petit gnome avec humilité.
- Tu dois détruire la source du mal et pour cela il faut détruire le maître des ténèbres. Tu auras besoin de toute ma force, aussi je te fais don de quatre graines, chacune est porteuse d'un élément. La graine du feu, celle de l'air, puis de l'eau et de la terre. Elles te seront indispensables pour vaincre le mal. Mais cela ne suffira pas, il te faudra aussi redonner suffisamment d'énergie à Maëlyne pour que le contact pratiquement rompu puisse se rétablir entre les fées. Ce sera difficile et ce sera à la condition que celle-ci ne soit pas complètement endormie, lui explique l'esprit des quatre éléments.
- Mais comment dois-je m'y prendre pour détruire le Maître des ténèbres ? demande encore polisson.
- Toi seul dois en trouver le moyen, c'est à cette condition que le maléfice pourra être levé définitivement, lui répond la voix.
-Mais je ne saurai pas comment faire !! s'inquiète Polisson.
- Tu trouveras le moment venu, je te fais confiance, conclut l'esprit des éléments.

A ce moment là une fleur s'éclaire aux pieds de Polisson, puis elle ouvre largement ses pétales et quatre grosses graines flottent et s'élèvent dans l'air jusqu'à la main du gnome. Celui-ci les prend délicatement, puis les glisse dans une petite poche de son ceinturon tissé dans des racines de plantes.
Dans un souffle la bulle dans laquelle il se trouve éclate d'un seul coup et Polisson est projeté doucement vers la surface de l'eau. Il se retrouve sur la berge de la rivière et chose surprenante il n'est même pas mouillé !
Mais à ce moment là une seule pensée effleure son esprit, se rendre au chevet de Maëlyne en espérant qu'elle n'ait pas encore sombré dans un sommeil profond. Il se met à courir à en perdre le souffle, mais, arrivé à l'entrée de la chaumière, il constate que tous ses amis sont près du lit de Maëlyne. Royal, le cerf, sa compagne la biche et leur faon, ainsi que de nombreux animaux, lapins, écureuils, oiseaux, renards, loups, hérissons et bien d'autres encore qui pleurent à chaudes larmes autour du lit sur lequel repose Maëlyne d'un sommeil dont personne ne peut la sortir.
Alors Polisson s'élance dans une course éperdue, celle du désespoir. Il court à en perdre haleine, puis stoppe net.
- Il faut que je me calme, que je réfléchisse, se dit-il. Il n'est sans doute pas trop tard sinon pourquoi l'esprit des éléments lui aurait-il fait confiance ? Il faut que je retrouve au plus vite le Maître des ténèbres et que j'en finisse une fois pour toutes !! pense-t-il, déterminé à aller jusqu'au bout des choses. Il se souvient des champignons magiques qu'il a toujours au fond de ses poches ; il en croque un en souhaitant se retrouver dans l'instant à l'endroit même où se trouvent le sorcier et le Maître des ténèbres. Ce qui se produit aussitôt.

Heureusement de par sa petite taille, Polisson est dissimulé par une grosse touffe d'herbe. Ils sont là tous les deux en train de parler.
- Ce soir tout sera terminé maître. Crapulet va répandre une dernière fois le concentré de vos vilaines pensées autour de la chaumière de la petite fée et le fil d'énergie sera rompu ...pour l'éternité ! annonce fièrement Geiséric le méchant sorcier.
Polisson comprend tout maintenant ! Voilà comment ils s'y étaient pris pour affaiblir Maëlyne ! et voilà pourquoi il avait constaté une poussière noire anormalement épaisse autour de la petite chaumière de Maëlyne ces derniers temps... Il décide d'attendre la nuit pour intervenir et mettre fin aux agissements malveillants de Crapulet, de Geiséric et du Maître des ténèbres.

La nuit venue, Polisson se tient prêt à intervenir. Caché derrière le tronc d'un arbre Polisson aperçoit dans la pénombre une masse volumineuse se faufiler autour de la chaumière de Maëlyne, il s'agit de Crapulet. L'heure est enfin venue d'en finir...
Polisson s'approche doucement et alors que celui-ci répand de sa grosse main le concentré des mauvaises pensées du Maître des ténèbres, le petit gnome surgit et lance dans la coupelle que Crapulet tenait entre ses mains une des graines que l'esprit des quatre éléments lui a donné.

A ce moment là un souffle énorme emporte dans les hauteurs un gros nuage noirâtre qui s'enroule violemment dans une spirale infernale et s'élève à une hauteur prodigieuse. Puis un cri déchire l'air, strident et puissant il s'agit de Crapulet qui est aspiré dans ce gouffre suspendu dans les airs. Dans le même temps Geiséric le sorcier alerté pas cette plainte magistrale s'était approché et hurlait des mots dont Polisson ignorait la signification. Il s'agissait de phrases répétitives, qui étaient en fait des formules magiques pour stopper le nuage en effervescence. Et effectivement au bout de quelques secondes de paroles ininterrompues, la spirale perdait progressivement de sa puissance. Polisson n'écoutant que son courage s'élança de nouveau au plus près du sorcier pour jeter à ses pieds une autre graine. Celle-ci s'enflamma en touchant le sol, aspirant le sorcier à son tour dans le tourbillon de poussières. Une flamme immense gronda dans ce tonnerre de feu. Elle était rouge et noire et de son cœur brûlant de l'enfer s'éleva une silhouette grise et longiligne ainsi que celle plus volumineuse et trapue de Crapulet  pour éclater en millions de particules de poussières noires qui s'éparpillèrent dans les confins de l'univers. Mais ça n'était pas encore fini !! Il fallait anéantir le Maître des ténèbres, qui, bien qu'affaibli, puisque le concentré de ses mauvaises pensées avaient été détruites, était toujours une menace pour toutes les fées.

Polisson se demanda comment en venir à bout. Il lui restait encore deux graines. Comment allait-il pouvoir s'en servir? La première qu'il avait utilisé était celle de l'air. La seconde celle du feu. Il lui restait donc celles de l'eau et de la terre. Mais il n'eut pas le temps de répondre à ses propres questions qu' un énorme grondement le fit sursauter, suivi d'un violent coup de tonnerre. Un éclair d'une extrême violence transperça le ciel de la nuit qui se transforma en couleur rouge sang éclairant d'une lumière de feu la forêt toute entière. Puis dans un fracassement innommable apparut une montagne noirâtre. Il s'agissait du maître des ténèbres. Il recouvrait entièrement de son manteau funeste la montagne qui surplombait la rivière qui, si limpide d'ordinaire, semblait n'être qu'un torrent de lave brunâtre.

Polisson se sentait bien démuni d'un seul coup avec ses deux petites graines dans le creux de sa main. Lorsqu'il se souvint de ses amis auxquels il avait demandé de rester au chevet de Maëlyne et qui comptaient tous sur lui. Il ne pouvait pas renoncer maintenant. Il lui fallait tenter le tout pour le tout. Il croqua dans le dernier de ses champignons magiques et souhaita devenir invisible puis être transporté au pied de la montagne. Arrivé au pied du Maître des ténèbres il le provoqua, tant et si bien que lorsque le monstre démoniaque ouvrit une énorme mâchoire pour l' avaler, celui-ci se jeta à corps perdu à l'intérieur de ce trou noir et béant et y jeta les deux petites graines qui lui restait. Dans un bruit effroyable tout se mit à trembler à des kilomètres alentours. Puis dans une gigantesque explosion  roches,  poussières et  cendres se dispersèrent dans le ciel pour retomber sur le sol recouvert instantanément d'une épaisse couche de terre. Puis l'eau si brunâtre de la rivière sortit à son tour pour finir de recouvrir cet amas de terre noire. Polisson se retrouva assis au bord de la rivière qui avait retrouvé toute sa limpidité. Un vent léger balaya les nuages noirs laissant place à un grand ciel bleu ensoleillé. Le petit gnome aperçut au loin au dessus de la chaumière de Maëlyne, de nombreuses lumières de toutes les couleurs qui dansaient et s'entremêlaient les unes aux autres semblables à des aurores boréales. Puis un chant envoûtant s'éleva enfin mêlant de nombreuses voix qui n'en faisaient qu' une. Les lumières intenses et douces à la fois s'élevèrent dans le ciel et se dispersèrent à leur tour pour laisser place au silence. Polisson subjugué se mit à courir jusqu'à la chaumière de la petite fée. Tous ses amis étaient là réjouis et il vit avec bonheur Maëlyne...

Elle était debout, elle était vivante et... elle lui souriait. Jamais sourire ne lui avait semblé plus beau ! Il avait réussi et désormais plus jamais personne dans la forêt n'appellerait Maëlyne : la petite fée tristesse.

                                                   ............      ........ Fin