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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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#82
L'étrange aventure de Thomas le Rimeur

         

                            Les contes de Magic Scotland


u Sud de l'antique Abbaye de Melrose, ou du moins de ses ruines, non loin d'Abbotsford, l'habitation de Walter Scott, se dressent trois sommets importants, : les collines d'Eildon. Ces trois pics, dont le plus haut mesure environ quatorze cents pieds, ne formaient jadis, si l'on en croit la légende, qu'une seule éminence. Le diable, travaillant aux ordres du sorcier Mickael Scott, les partagea un beau jour. Ce coin fut, de tout temps, le domaine favori des fées. On peut encore les voir, affirment les gens du pays, à certains soirs d'été, quand la lune est dans son plein, folâtrant dans les prairies, dansant des rondes autour de leur reine Titania. Elles ont pour compagnons de joyeux elfes que guide Oberon, leur chef. Lorsque l'aube se lève, les fées et les elfes s'évanouissent, et il ne reste dans la prairieque les traces de leur pas légers sous la forme de grands cercles très apparents au milieu de la rosée.

Vers la fin du XIIIème siècle vivait, dans levillage qui se serrait autour des murs du monastère, en un gentil cottage, un poète. Il se nommait Thomas of Ercildoun, mais on l'appelait plus communément Thomas le Rimeur. Thomas était un être exquis, tout de douceur et de charme. On le recherchait chez les moines de l'abbaye comme dans les châteaux des seigneurs des environs. Mais lui préférait, aux doctes entretiens desreligieux ou aux longues beuveries des Lords, la rêverie solitaire.

Parmi tous les endroits où l'on peut muser etsonger, Thomas avait choisi un chêne sur le versant d'une des collines d'Eildon. Il y composait, bercé par le bourdonnement des mouches, par le tintement des clochettes des moutons qui paissaient au loin, charmé par les jeux de la lumière, des poèmes ou il chantait les fées, les elfes et les lutins, dont c'était le domaine.

"Vous n'êtes pas équitables envers moi, petits génies des prairies, soupirait-il parfois,. Je viens en votre fief. Je loue votre grâce et vos ébats aériens, et vous, vous ne vous montrez jamais à moi, alors que vous apparaissez à des villageois qui vous détestent ou à des voyageurs qui vous redoutent." Comme justement le Rimeur venait d'exprimer de nouveau cette plainte, il entendit monter de la vallée le son assourdi d'un cor. Le bruit s'approcha et Thomas aperçut, chevauchant vers lui, une femme d'une grande beauté, qui soufflait dans une trompe d'ivoire. Ses cheveux d'or étaient épars sus ses épaules; des fleurs couronnaient sa tête; une robe blanche d'une étoffe impalpable flottait autour de ses formes parfaites. Elle montait un coursier blanc, et ce cheval avait cette particularité que ses sabots ne faisaient aucun bruit en se posant sur le sol.

evant cette apparition, le poète fut saisi d'un trouble profond. Il se leva. Déjà la cavalière avait sauté à terre et se tenait à ses côtés; elle posait sur lui le regard de ses grands yeux aux prunelles pailletées d'or. -Que crains-tu Thomas? Pourquoi cette méfiance? Vingt fois tu m'as appelée. Lorsque je me montre enfin à toi, tu t'apprêtes à t'éloigner. La voix était si harmonieuse, le ton si affable, que Thomas se sentit complètement rassuré. Il ôta sa toque et répliqua : - Je ne comprends pas bien vos paroles Madame. Ce n'est pas d'ailleurs de la crainte que j'ai éprouvée, mais de la surprise. Il passe peu de monde par ici, car les gens ne se soucient pas de rencontrer les fées, qui, dit-on, s'y donnent rendez-vous. La dame en blanc éclata de rire, d'un rire perlé qui faisait penser au bruit d'une cascade dans la montagne.

- C'est moi précisément, prononça-t-elle, qui suis la reine des fées.
Thomas s'apprêtait à faire un compliment galamment tourné à la belle écuyère; elle lui coupa la parole :
- Il ne m'est pas permi de m'attarder longtemps sur terre en plein jour et de converser avec les mortels. Si tu veux me connaître mieux, viens avec moi dans mon royaume. Le Rimeur n'hésita pas :
- Je vous suivrai, proclama-t-il, jusqu'au bout du monde. Un nouvel éclat de rire salua cette réponse :
- L'endroit où je te mènerai est plus loin que le bout du monde. Tu seras heureux de le visiter; seulement, je te préviens que seuls peuvent l'atteindre ceux qui ignorent la peur.
- Je ne sais, madame, riposta Thomas avec feu, si je suis brave ou poltron, n'étant pas homme de guerre et n'ayant fait autre chose toute ma vie que rimer et que chanter. Je suis certain pourtant que rien ne m'effraiera tant que je serai avec vous. La reine des fées rit pour la troisième fois.
- Dans ce cas, dit-elle, enfourche ce cheval. Moi, je m'assiérai en croupe derrière toi. Tu n'as qu'à te laisser emporter. Une recommandation pourtant : quoi que tu voies, quoi qu'il arrive en route, ne me pose pas de questions, je serais forcée de t'abandonner.
- Je saurai me taire.
- Alors viens !

Le poète obéit. Il monta sur le beau destrier blanc. La fée, assise derrière lui, se retint à son manteau. Elle était si légère qu'il ne s'apercevait même pas de son contact. Le cheval partit au galop. A mesure qu'il progressait, son allure devenait plus rapide. Les près, les montagnes, les forêts, les vallons défilaient sous les yeux de Thomas en une course vertigineuse. L'animal parcourut des plaines immenses. Soudain, il s'immobilisa.

homas vit devant lui une large rivière noire qui coulait comme des flots d'encre. Il se retourna vers la fée, voulant lui demander ce que cela signifiait. Horreur ! Au lieu du doux visage encadré de cheveux d'or, il ne vit qu'une face grimaçante et flétrie, aux rides profondément creusées et à la courte chevelure grise. Il se souvint des sévères instructions reçues avant le départ et il se tut. Le cheval plongea dans la rivière. Quand il ressortit de l'autre côté, sa robe était noire. Thomas s'abandonna à nouveau au galop du destrier. Encore une fois celui-ci s'arrêté. Une immense nappe de feu barrait la route. Par dessus son épaule, Thomas jeta un regard. A la place de l'affreuse mégère chevauchait un jeune démon. Dans sa figure écarlate s'ouvraient des yeux brillants comme des escarboucles. Difficilement le poète refréna la question qui montait à ses lèvres.

Le coursier s'était élancé au milieu des flammes. Lorsqu'il les eut traversées, sa robe était d'un rouge ardent. Le paysage maintenant était tumultueux, les rocs s'entassaient sur les rocs. On n'apercevait pas la moindre trace de végétation. Une lumière glauque dont on ne voyait pas la source éclairait ce chaos. Brusquement, le coursier se raidit sur ses membres. A ses pieds s'ouvrait un précipice sans fond, une crevasse géante de laquelle sortaient des hurlements de désespoir. Le Rimeur était étreint pas l'angoisse. Il regarda en arrière. Un squelette qui ricanait de toutes ses dents occupait la place du démon. Par un effort désespéré, Thomas contint l'exclamation qui allait lui échapper.

D'un bond prodigieux, le cheval avait franchi le précipice. Il galopait parmi les prairies riantes dont la verdure était tachetée de mille petites fleurs multicolores comme l'est un ciel d'été de myriades d'astres scintillants. Des sources d'eau claire coulaient le long des coteaux boisés d'où provenaient des senteurs enivrantes. Au milieu de la vaste étendue se dressait un arbre géant. Thomas ne pouvait discerner l'espèce à laquelle il appartenait; ses feuilles étaient autant d'émeraudes, ses fleurs, des rubis, et ses fruits, des pommes d'or. Sous la ramure brillante et épanouie, le destrier fit halte.
- Mets pied à terre, glissa dans l'oreille du poète une voix harmonieuse qu'il reconnut pour être celle de la reine des fées.

l éxécuta l'ordre, et toucha le sol juste à temps pour recevoir dans ses bras l'adorable créature à la chevelure blonde et à la couronne fleurie. Emerveillé par tout ce qu'il voyait, tenté par la nouveauté des choses, grisé par l'air subtil et embaumé qu'il respirait, le Rimeur posait à sa compagne mille questions auxquelles elle ne répondait que par des rires. Juste au dessus de la tête de Thomas pendait une pomme d'or. L'envie lui vint d'y goûter. Il tendit la main. D'un geste brusque la fée lui saisit le bras.
- Imprudent ! s'écria-t-elle. Qu'allais tu faire ? Cet arbre qui nous abrite est l'arbre de la science du bien et du mal, celui dont Dieu a défendu le fruit au premier homme. Voudrais tu recommencer le péché d'Adam ?
- Sommes nous donc, s'informa le poète, au Paradis Terrestre ?
- Tu ne t'abuses pas.
- Allons nous demeurer ici ?
-Non pas. C'est un lieu interdit à tout mortel.
La fée, de son doigt, désigna trois routes que Thomas n'avait pas remarquées et qui prenaient leur point de départ près de l'arbre mystique.
- Vois-tu le premier chemin ? C'est un sentier étroit, encombré d'épines et de ronces, il conduit au royaume de Dieu. Le second , large et commode, et bordé de roses et de lys, about it au royaume de Satan. Ton heure n'est pas venue d'emprunter l'un ou l'autre de ces chemins. En voici un troisième. Cette allée ombragée qui serpente dans la campagne mène à mon royaume.

A côté de la fée, le Rimeur s'engagea dans cette voie. Il marcha longtemps sans éprouver de fatigue tellement il était charmé par le spectacle toujours renouvelé de la nature, par le gazouillement varié à l'infini des oiseaux.
Enfin il parvint à une demeure où tout était enchanté, où l'on n'avait pas besoin de formuler un désir pour qu'il fût exaucé.
- Tu es chez moi, déclara la fée.
Le Rimeur se plongea dansdes délices insoupçonnées. Ses journées, il les passait en promenades dans des parcs ombreux.Le soir, les elfes, les lutins, les enfants-fées exécutaient à son intention des ballets, auxsons d'une musique invisible. Sa nourriture était le suc des fleurs et son breuvage une roséeparfumée.
Un matin, Thomas venait de s'éveiller dans son lit aux lambrequins de drap d'or,quand la reine des fées pénétra dans sa chambre.

h ! mon ami, mon cher poète, prononça cette gracieuse souveraine, ily a sept ans aujourd'hui que je t'ai accueilli dans mon royaume. Il m'est, hélas, interdit de conserver plus longtemps un mortel. Si je le faisais, il perdrait sa nature humaine et il ne pourrait jamais plus retourner sur la terre. Le rimeur était sur le point de répondre qu'il ne tenait pas à revenir parmi ses semblables, qu'il avait rencontré le bonheur, celui que d'ordinaire on n'atteint qu'en rêve, et qu'il désirait passionnément s'y tenir. Il n'eut pas le tempsd'exprimer sa pensée. La reine avait étendu sur lui sa baguette. Il sentit comme un grand souffle de vent qui s'engouffrait dans la chambre. Un tourbillon l'emporta. Il eut l'impression defranchir l'espace à une vitesse prodigieuse, et il se retrouva étendu sous le chêne de la colline d'Eildon.

Tout était comme le jour où il était parti. Au loin paissaient les mêmes troupeaux de moutons. Il entendait le son grêle de leurs clochettes. Il crut un moment que ce qu'il avait vécu n'avait été qu'un songe. Le poète se leva. Il descendit vers le village qui entourait l'abbaye et se dirigea vers sa demeure. En l'apercevant, les hommes et les femmes béaient d'étonnement. Thomas reconnut que leurs silhouettes s'étaientalourdies. Une jeune fille, dont les dix huit printemps rayonnaient de santé, lui dit en le croisant après une petite hésitation :
- Salut, maître Thomas
- Qui êtes vous ? demanda-t-il.
- Je suis Betsy, la fille du meunier, bien heureuse que vous soyez enfin de retour.

Betsy ! Le poète revoyait une enfant turbulente qui jouait auprès du moulin, et il comprit qu'il n'avait pas rêvé. Dans la soirée, un serviteur du monastère vint trouver le Rimeur, le priant, de la part de l'abbé, de lui rendre visite. L'abbé n'était plus le père Ezéchiel, le vénérable moine que Thomas avait toujours connu. Celui-ci était jeune et, lorsque le poète s'informa de son prédécesseur, il répliqua :
- Le saint Abbé n'est plus de ce monde. Il s'est éteint peu de temps après votre départ en voyage. A ce propos, on s'est étonné de votre brusque disparition. Chacun sait que les poètes sont fantasques, pas au point cependant de quitter leur demeure, leurs amis et leur pays sans prendre congé. Où donc avez-vous porté vos pas ?
Le Rimeur se mit à raconter tout ce qui lui était arrivé. A mesure qu'il parlait, il voyait un sourire d'incrédulité crisper les lèvres du moine.
- Quel dommage, murmura l'abbé lorsque Thomas eut achevé son récit, que vous n'ayez rien rapporté de votre expédition. Votre belle aventure paraîtrait plus vraisemblable.

n quittant le monastère, le poète se jura de ne plus confier à quiconque ce qu'il avait vu. Cependant il ne put tenir sa parole, car, le lendemain, il fut convié à un grand repas chez le laird de Galashiels. Ce seigneur, qui avait toujours été de ses amis,lui parut envahi par l'obésité. Il avait renoncé à la chasse et ne se plaisait plus que le verre en main, parmi de gais compagnons. - Hullo! maître Thomas! éclata le laird en voyant entrerle poète, le bruit court que vous avez fait un surprenant voyage. J'espère que vous ne nous en épargnerez pas les détails. Le Rimeur, à contre-coeur, s'exécuta. Petit à petit il se laissa entraîner par son sujet. Il ne remarquait pas qu'autour de lui l'assistance pouffait discrètement, et ,lorsque, enfin, il le constata, toute la table se pamaît de rire. Dès lors Thomas refusa toute nouvelle invitation. Il restait obstinément enfermé chez lui ou, quand le temps le permettait, il allait s'asseoir sous le chêne de la colline d'Eildon. Il devenait mélancolique.

Ses beaux souvenirs, loin de l'égayer, l'attristaient. Il en avait fait un poème qu'il se récitait à lui seul et qu'il terminait dans les larmes.
- Oh! reine des fées, murmurait-il, pourquoi m'avoir fait goûter l'enchantement de votre royaume pour me rejeter ainsi parmi la laide et plate humanité ?
Il croyait s'être séparé de ses anciens amis, mais c'étaient eux, au contraire, qui se retiraient de lui. Il surprenait, lorsqu'il passait, des sourires moqueurs, des hochements de tête ironiques, des confidences murmurées à voix basse. L'abbé avait dit à quelques-uns de ses moines:
- Le pauvre garçon a perdu l'esprit.
Le laird de Galashiels s'esclaffait entre deux lampées d'ale :
- C'est un satané fou que notre Rimeur.

Et tout le village, depuis les vieillards jusqu'aux enfants, répétait : "Thomas l'insensé". Beaucoup avait peur de lui. A son approche les mères rappelaient les petits. Les galopins qui polissonnaient dans les fossés le montraient du doigt :
- Thomas l'insensé !
Un soir qu'il revenait vers son cottage plus morose que de coutume, il traversa un petit bois, en longeant un ruisseau. Devant lui une biche blanche s'abreuvait dans l'onde limpide. Il s'arrêta pour la considérer.

La jolie bête tourna vers lui ses yeux. Il reconnut les prunelles aux paillettes d'or de la reine des fées.
-Oh! ma reine, s'écria-t-il, emmenez moi dans votre royaume, je ne puis vivre parmi les hommes ! La biche secoua joyeusement la tête. D'un bond, elle se précipita dans le ruisseau et disparut. Sans hésiter, le poète se jeta dans l'eau à son tour. Jamais on ne le revit. Jamais on n'en entendit plus parler.

Thomas le Rimeur était retourné au pays des fées.



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L'Esprit dans la bouteille

Il était une fois un pauvre bûcheron qui travaillait du matin au soir. S'étant finalement mis quelque argent de côté, il dit à son fils :
- Tu es mon unique enfant. Je veux consacrer à ton instruction ce que j'ai durement gagné à la sueur de mon front. Apprends un métier honnête et tu pourras subvenir à mes besoins quand je serai vieux, que mes membres seront devenus raides et qu'il me faudra rester à la maison.
Le jeune homme fréquenta une haute école et apprit avec zèle. Ses maîtres le louaient fort et il y resta tout un temps. Après qu'il fut passé par plusieurs classes - mais il ne savait pas encore tout - le peu d'argent que son père avait économisé avait fondu et il lui fallut retourner chez lui.
- Ah ! dit le père, je ne puis plus rien te donner et, par ce temps de vie chère, je n'arrive pas à gagner un denier de plus qu'il n'en faut pour le pain quotidien.
- Cher père, répondit le fils, ne vous en faites pas ! Si telle est la volonté de Dieu, ce sera pour mon bien. Je m'en tirerai.
Quand le père partit pour la forêt avec l'intention d'y abattre du bois, pour en tirer un peu d'argent, le jeune homme lui dit :
- J'y vais avec vous. Je vous aiderai.
- Ce sera bien trop dur pour toi, répondit le père. Tu n'es pas habitué à ce genre de travail. Tu ne le supporterais pas. D'ailleurs, je n'ai qu'une seule hache et pas d'argent pour en acheter une seconde.
- Vous n'avez qu'à aller chez le voisin, rétorqua le garçon. Il vous en prêtera une jusqu'à ce que j'ai gagné assez d'argent moi-même pour en acheter une neuve.
Le père emprunta une hache au voisin et, le lendemain matin, au lever du jour, ils s'en furent ensemble dans la forêt. Le jeune homme aida son père. Il se sentait frais et dispos. Quand le soleil fut au zénith, le vieux dit :
- Nous allons nous reposer et manger un morceau. Ça ira encore mieux après.
Le fils prit son pain et répondit :
- Reposez-vous, père. Moi, je ne suis pas fatigué ; je vais aller me promener dans la forêt pour y chercher des nids.
- Petit vaniteux ! rétorqua le père ; pourquoi veux-tu te promener ? Tu vas te fatiguer et, après, tu ne pourras plus remuer les bras. Reste ici et assieds-toi près de moi.
Le fils, cependant, partit par la forêt, mangea son pain et, tout joyeux, il regardait à travers les branches pour voir s'il ne découvrirait pas un nid. Il alla ainsi, de-ci, de-là, jusqu'à ce qu'il arrivât à un grand chêne, vieux de plusieurs centaines d'années, et que cinq hommes se tenant par les bras n'auraient certainement pas pu enlacer. Il s'arrêta, regarda le géant et songea : « Il y a certainement plus d'un oiseau qui y a fait son nid. » Tout à coup, il lui sembla entendre une voix. Il écouta et comprit : « Fais-moi sortir de là ! Fais-moi sortir de là ! » Il regarda autour de lui, mais ne vit rien. Il lui parut que la voix sortait de terre. Il s'écria :
- Où es-tu ?
La voix répondit :
- Je suis là, en bas, près des racines du chêne. Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir !
L'écolier commença par nettoyer le sol, au pied du chêne, et à chercher du côté des racines. Brusquement, il aperçut une bouteille de verre enfoncée dans une petite excavation. Il la saisit et la tint à la lumière. Il y vit alors une chose qui ressemblait à une grenouille ; elle sautait dans la bouteille.
- Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir ! ne cessait-elle de crier.
Sans songer à mal, l'écolier enleva le bouchon. Aussitôt, un esprit sortit de la bouteille, et commença à grandir, à grandir tant et si vite qu'en un instant un personnage horrible, grand comme la moitié de l'arbre se dressa devant le garçon.
- Sais-tu quel sera ton salaire pour m'avoir libéré ? lui demanda-t-il d'une épouvantable voix.
- Non, répondit l'écolier qui ne ressentait aucune crainte. Comment le saurais-je ?
- Je vais te tuer ! hurla l'esprit. Je vais te casser la tête !
- Tu aurais dû me le dire plus tôt, dit le garçon. Je t'aurais laissé où tu étais. Mais tu ne me casseras pas la tête. Tu n'es pas seul à décider !
- Pas seul à décider ! Pas seul à décider ! cria l'esprit. Tu crois ça ! T'imaginerais-tu que c'est pour ma bonté qu'on m'a tenu enfermé si longtemps ? Non ! c'est pour me punir ! je suis le puissant Mercure. Je dois rompre le col à qui me laisse échapper.
- Parbleu ! répondit l'écolier. Pas si vite ! Il faudrait d'abord que je sache si c'était bien toi qui étais dans la petite bouteille et si tu es le véritable esprit. Si tu peux y entrer à nouveau, je te croirai. Après, tu feras ce que tu veux.
Plein de vanité, l'esprit déclara :
- C'est la moindre des chose .
Il se retira en lui-même et se fit aussi mince et petit qu'il l'était au début. De sorte qu'il put passer par l'étroit orifice de la bouteille et s'y faufiler à nouveau.
À peine y fut-il entré que l'écolier remettait le bouchon et lançait la bouteille sous les racines du chêne, là où il l'avait trouvée. L'esprit avait été pris.
Le garçon s'apprêta à rejoindre son père. Mais l'esprit lui cria d'une voix plaintive :
- Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir !
- Non ! répondit l'écolier. Pas une deuxième fois ! Quand on a menacé ma vie une fois, je ne libère pas mon ennemi après avoir réussi à le mettre hors d'état de nuire.
- Si tu me rends la liberté, dit l'esprit, je te donnerai tant de richesses que tu en auras assez pour toute ta vie.
- Non ! reprit le garçon. Tu me tromperais comme la première fois.
- Par légèreté, tu vas manquer ta chance, dit l'esprit. Je ne te ferai aucun mal et je te récompenserai richement.
L'écolier pensa : « Je vais essayer. Peut-être tiendra-t-il parole. » Il enleva le bouchon et, comme la fois précédente, l'esprit sortit de la bouteille, grandit et devint gigantesque.
- Je vais te donner ton salaire, dit-il. Il tendit au jeune homme un petit chiffon qui ressemblait à un pansement et dit :
- Si tu en frottes une blessure par un bout, elle guérira. Si, par l'autre bout, tu en frottes de l'acier ou du fer, ils se transformeront en argent.
- Il faut d'abord que j'essaie, dit l'écolier.
Il s'approcha d'un arbre, en fendit l'écorce avec sa hache et toucha la blessure avec un bout du chiffon. Elle se referma aussitôt.
- C'était donc bien vrai, dit-il à l'esprit. Nous pouvons nous séparer.
L'esprit le remercia de l'avoir libéré ; l'écolier le remercia pour son cadeau et partit rejoindre son père.
- Où étais-tu donc ? lui demanda celui-ci. Pourquoi as-tu oublié ton travail ? Je te l'avais bien dit que tu ne t' y ferais pas !
- Soyez tranquille, père, je vais me rattraper.
- Oui, te rattraper ! dit le père avec colère. Ce n'est pas une méthode !
- Regardez, père, je vais frapper cet arbre si fort qu'il en tombera.
Il prit son chiffon, en frotta sa hache et assena un coup formidable. Mais, comme le fer était devenu de l'argent, le fil de la hache s'écrasa.
- Eh ! père, regardez la mauvaise hache que vous m'avez donnée ! La voilà toute tordue.
Le père en fut bouleversé et dit :
- Qu'as-tu fait ! Il va me falloir payer cette hache. Et avec quoi ? Voilà ce que me rapporte ton travail !
- Ne vous fâchez pas, dit le fils ; je paierai la hache moi-même.
- Imbécile, cria le vieux, avec quoi la paieras-tu ? Tu ne possèdes rien d'autre que ce que je t'ai donné. Tu n'as en tête que des bêtises d'étudiant et tu ne comprends rien au travail du bois.
Un moment après, l'écolier dit :
- Père, puisque je ne puis plus travailler, arrêtons-nous.
- Quoi ! dit le vieux. T'imagines-tu que je vais me croiser les bras comme toi ? Il faut que je travaille. Toi, tu peux rentrer.
- Père, je suis ici pour la première fois. Je ne retrouverai jamais le chemin tout seul. Venez avec moi.
Le père, dont la colère s'était calmée, se laissa convaincre et partit avec son fils. il lui dit :
- Va et vends la hache endommagée. On verra bien ce que tu en tireras. Il faudra que je gagne la différence pour payer le voisin.
Le fils prit la hache et la porta à un bijoutier de la ville. Celui-ci la mit sur la balance et dit .
- Elle vaut quatre cents deniers. Mais je n'ai pas autant d'argent liquide ici.
- Donnez- moi ce que vous avez ; vous me devrez le reste, répondit le garçon.
Le bijoutier lui donna trois cents deniers et reconnut lui en devoir encore cent autres. L'écolier rentra à la maison et dit :
- Père, j'ai l'argent. Allez demander au voisin ce qu'il veut pour sa hache.
- Je le sais déjà, répondit le vieux : un denier et six sols.
- Eh bien ! donnez lui deux deniers et douze sols. Ça fait le double et c'est bien suffisant. Regardez, j'ai de l'argent de reste.
Il donna cent deniers à son père et reprit :
- Il ne vous en manquera jamais. Vivez à votre guise.
- Seigneur Dieu ! s'écria le vieux , comment as-tu acquis une telle richesse ?
L'écolier lui raconta ce qui s'était passé et comment, en comptant sur sa chance, il avait fait si bonne fortune. Avec l'argent qu'il avait en surplus, il repartit vers les hautes écoles et reprit ses études. Et comme, avec son chiffon, il pouvait guérir toutes les blessures, il devint le médecin le plus célèbre du monde entier.

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Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme est un sentiment qui manque à l'amour : la certitude.

(Honoré de Balzac)

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