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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


La Montagne Verte (conte traditionnel de Gascogne)

Il n'est pas toujours facile d'épouser la fille du diable. Jean en fera
l'expérience, mais il ne pouvait espérer mieux pour trouver l'aventure.

Les parents de Jean décidèrent un jour de partir voyager. Ils lui laissèrent
l'épicerie qu'ils avaient à Bordeaux.
Jean tout d'abord s'en occupa très bien, puis progressivement, à mesure qu'il
gagnait de l'argent, commença à jouer et à perdre. Si bien qu'un jour, il
n'avait plus rien en poche. Jean en fut très chagriné.
- Qu'as-tu donc ? dit un étranger qui passait.
- J'ai dévoré tout l'argent du magasin que mes parents m'avaient confié.
- N'aie pas de chagrin, répliqua l'étranger. Je te donnerai ce que tu as mangé,
à condition que dans un an exactement tu viennes dans la Montagne Verte.
Ainsi Jean régla-t-il ses affaires et ses parents n'en surent rien.
Au bout d'un an, il partit à la recherche de la Montagne Verte. Il marcha
longtemps, longtemps et finit par rencontrer une très vieille femme.
- Pouvez-vous me dire où se trouve la Montagne Verte ?
- Je n'en ai jamais entendu parler, dit-elle, mais je vais interroger ces
oiseaux. Ils doivent la connaître.
Eh bien non, les oiseaux ne connaissaient pas la Montagne Verte. La vieille
avait une soeur, elle aussi très âgée. Jean alla la voir.
- Je vais demander à cet aigle. Il doit certainement connaître la Montagne
Verte. L'aigle connaissait cette montagne et s'offrit d'y transporter le jeune
homme. Ils survolèrent ainsi un immense pays avant de se poser près d'un lac. Il
y avait deux jeunes filles qui s'y baignaient et avaient laissé leur robe au
bord de l'eau. L'une de ces robes était blanche et l'autre, rose.
- Prends la robe blanche et tu verras ce qui se passera, dit l'aigle en
s'éloignant.
Jean prit la robe blanche et quand la jeune fille sortit de l'eau, elle
rechercha en vain sa robe et finit par découvrir Jean.
- Il faut que vous me rendiez ma robe, je ne peux pas retourner nue à la maison
de mon père !
- Je vais vous rendre votre robe, mais à une condition. Il faut que vous me
disiez où se trouve la Montagne Verte.
- C'est très simple, c'est là où nous habitons. Je me ferai un plaisir de vous y
mener.
- J'ai un rendez-vous.
La jeune fille qui se nommait Blanche hocha la tête. L'autre jeune fille qui se
nommait Rose, aussi.
- On doit vous dire que c'est là qu'habite le diable.
Le diable attendait Jean et lui offrit un bon repas.
- Lorsque je vous toucherai avec le pied, sous la table, dit Blanche, ne mangez
pas ce que mon père vous aura servi.
C'est ainsi que fit Jean et c'est pourquoi il ne fut pas empoisonné dès le
premier jour.
- Parfait, fit le diable un peu étonné. Je vous souhaite une bonne nuit.
- Ne restez pas dans votre lit, dit en cachette la jeune fille, mon père y fera
pleuvoir des couteaux et des épées.
Jean resta dans la cheminée et ainsi fut sauvé.
Le lendemain, le diable déversa dans la cheminée de l'huile bouillante, mais
Jean n'avait justement pas dormi là. Fort irrité, le diable dit à Jean :
- Tu vas me couper ce bois et ces taillis. Il te faudrait deux heures à peine,
je te donne toute la journée. Si tu ne fais pas ce travail, tu mourras.
Il lui donna de vieux outils. Dès les premiers coups, ils cassèrent.
- Je vais mourir, dit Jean à Blanche, venue lui porter de la soupe et du pain.
Je ne peux pas faire ce travail. La jeune fille sourit et prit une baguette.
- À mon commandement, dit-elle, que tout ce bois soit coupé et en fagots empilé.

Ainsi fut-il.
Le diable, voyant que Jean avait fait le travail, commença à le regarder de
travers.
- Demain, tu iras nettoyer les viviers, dit-il, je veux que tu ranges tous les
poissons sur la pelouse pour que je puisse les compter. Ensuite, il faudra que
tu les remettes à l'eau sans qu'un seul ne meure.
Pour ce travail, il lui donna un panier percé.
Jean alla au bord des viviers et regarda les poissons. Il ne commença même pas à
essayer de les attraper. Il attendait Blanche.
- Aujourd'hui, je ne veux pas porter le dîner à Jean, dit la jeune fille à sa
mère. Celle-ci, par simple esprit de contradiction, obligea sa fille à y aller.
C'est ce que désirait Blanche. Elle dîna paisiblement avec Jean, puis vida
rapidement les viviers, étendit les poissons au soleil sur la pelouse, puis, le
diable les ayant comptés, les replongea dans l'eau. Tout se déroula
parfaitement.
Le lendemain, le diable dit à Jean :
- Tu vas aller au sommet de la montagne. Il y a, je le sais, une poule blanche
qui couve des oeufs d'or. Tu prendras la poule et les oeufs pour me les
rapporter. Voici une échelle de verre pour grimper sur les rochers.
Dès qu'il mit le pied sur l'échelle, le barreau cassa. Jean attendit son dîner,
mais  cette fois, il était très inquiet. Blanche vint.
- Une fois cette épreuve terminée, dit-elle, nous serons dégagés de tout. Nous
pourrons faire ce que nous voudrons.
- Oui, répondit Jean, encore faut-il que j'attrape cette poule.
- Voilà, dit Blanche, écoute-moi bien. Non loin d'ici, il y a une chaudière. Il
faut que tu me jettes dedans. Quand je serai cuite, il faudra que tu me retires
tous les os. Avec ces os, tu feras une échelle pour monter au sommet de la
Montagne Verte.
- Non, je ne peux pas faire une chose pareille, dit le pauvre Jean.
- Si, il le faut. Il ne faudra pas perdre le moindre petit os, car, une fois
l'épreuve réussie, je redeviendrai ce que je suis...
Pourtant, le pauvre Jean ne pouvait se résoudre à faire bouillir Blanche. C'est
elle-même qui sauta dans la chaudière où elle se consuma. Jean pleura de voir
Blanche réduite à l'état de daube. Il ramassa soigneusement les os, en fit une
échelle et monta au sommet de la Montagne Verte. Il ramassa les oeufs et prit la
poule. Il redescendit rapidement au pied de la falaise, désirant avant tout
sauver Blanche du chaos.
Et Blanche redevint ce qu'elle était auparavant. Ils rirent beaucoup de voir
qu'il lui manquait seulement le petit doigt du pied.
- Maintenant, dit-elle, il faut retourner chez mon père. Il va te parler d'un
mariage avec l'une de ses filles, sans savoir précisément laquelle. Je serai
seulement sur un lit avec ma soeur et tu auras les yeux bandés. Il n'y a qu'une
solution. Tu me reconnaîtras à ce petit doigt qui me manque.
Le diable fut bien étonné de voir revenir Jean avec la poule et les oeufs.
- Je te dois bien, maintenant, l'une de mes filles en mariage. Tu choisiras sans
les voir, car tu auras les yeux bandés. Tu ne pourras que leur toucher les
pieds.
Ainsi fut fait.
Jean et Blanche décidèrent d'aller se marier à Bordeaux, mais le diable et sa
femme n'étaient pas d'accord. Ils allèrent donc en cachette à l'écurie et
essayèrent de détacher le cheval rose. Ils n'y réussirent pas. Alors ils prirent
le cheval blanc.
Ils étaient déjà loin lorsqu'ils entendirent galoper derrière eux.
- C'est le cheval rouge, dit la jeune fille, je le reconnais. Je vais te
transformer en casseur de pierres, le cheval sera la pierre et moi le marteau.
Jean faisait semblant de travailler lorsque le diable arriva près de lui avec le
cheval rouge.
- Cantonnier, dit le diable, n'as-tu pas vu passer deux jeunes gens avec un
cheval blanc ?
- Non, je n'ai rien vu, répondit le cantonnier. Le diable retourna chez lui,
très confus.
- Tu ne les as pas retrouvés ? demanda sa femme en colère.
- Non, je n'ai rencontré qu'un cantonnier qui cassait des pierres.
- Mais c'étaient eux, justement ! Repars au plus vite, il faut les ramener ici !

Le diable fila sur son cheval rouge. Blanche alors se transforma en rivière.
Jean devint le pêcheur et le cheval, poisson.
- N'avez-vous pas vu passer un cheval blanc avec deux jeunes gens dessus ?
demanda le diable au pêcheur.
- Ça ne mord pas, répondit le pêcheur.
- Ce n'est pas ce que je te demande, s'énerva le diable.
- Ça ne mord pas....
Pensant que le pêcheur était sourd, il retourna chez lui.
- Andouille ! cria sa femme, ils étaient sûrement avec le pêcheur. Maintenant,
c'est moi  qui vais aller les rechercher.
Les jeunes gens avaient parcouru encore beaucoup de chemin. Ils étaient presque
à Bordeaux quand la femme du diable les reconnut. Blanche et Jean avaient
traversé la Garonne ; la femme du diable n'y parvenait pas.
- Comment avez-vous fait ? cria la mère à sa fille.
- Attachez cette pierre à votre pied, dit Blanche, et jetez-vous dans le fleuve.
C'est la pierre qui vous guidera.
La femme du diable s'attacha une pierre au pied et se jeta dans l'eau. Elle fut
emportée par le courant.
Ainsi débarrassés, les deux jeunes gens arrivèrent à Bordeaux. Mais leurs soucis
n'étaient pas encore terminés.
- Surtout, dit Blanche, n'embrasse pas tes parents lorsque tu les reverras. Tu
perdrais aussitôt la mémoire.
Jean fut si heureux de retrouver ses parents qu'il les embrassa et perdit la
mémoire. Il oublia Blanche immédiatement. Celle-ci en fut désolée. Elle
s'installa donc à l'hôtel du Cheval Blanc.
Un soir, Jean vint dîner à cet hôtel avec deux amis. L'un d'eux voulut dormir
dans la chambre de Blanche. La jeune fille l'obligea toute la nuit à ouvrir et à
fermer les volets jusqu'au petit matin. Cet ami repartit sans trop savoir ce qui
lui était arrivé.
Le lendemain, Jean revint. Blanche décida de lui enlever le charme de l'oubli.
Aussitôt, le jeune homme la reconnut.
- Il faut nous marier, dit-il, et ne plus jamais nous séparer jusqu'à la mort.
Ainsi firent-ils et ils n'eurent plus jamais d'ennuis.

bunni


Les fées de la dune (conte traditionnel de Gascogne)

La Grande Lande est, on le sait, le pays des fées. Elles habitent, dit-on, sous
les dunes.

Il était une fois un berger qui gardait ses moutons au coeur de la Grande Lande.
C'était un endroit désert, infiniment plat, où seule était construite une petite
grange en bois. Près de là, était un petit étang où les bêtes allaient boire et
une grande pelouse où l'herbe poussait à peine.
Ce berger aimait la solitude et ses compagnons le trouvaient même fier. Il est
vrai qu'il savait un peu lire et cela lui attirait bien des jalousies.
- Tu sais lire mais tu sens le bouc comme les autres.... lui disait-on.
Il laissait dire et n'en faisait qu'à sa tête.
ll savait que l'on racontait parfois qu'il y avait des bruits étranges sous le
sable de la dune. Il savait aussi que c'était vrai. En gardant son troupeau, il
en avait entendus de toutes sortes : comme si on lavait la vaisselle, comme si
l'on jouait avec des billes de cristal. Parfois, il y avait de grands éclats de
rire. Beaucoup de monde semblait vivre là, et bien vivre.
C'était l'été. Le soleil tapait dur et on laissait les moutons dehors pour la
nuit. Il faisait un beau clair de lune et les étoiles étaient filantes.
Le berger s'installa près d'une chandelle pour lire le livre qu'il avait dans
son sac. Pour l'instant, il regardait le ciel.
À minuit, la dune s'ouvrit juste par le milieu, devant lui. Il entendit une voix
de femme qui disait gentiment :
- Petite, va voir ce qui se passe sur la dune.
Le berger vit alors venir vers lui une très jolie petite fille.
- Mère, dit-elle, je vois un berger assis sur une touffe de bruyère.
- Dis-lui de descendre ici. Et qu'il n'ait pas peur pour son troupeau.
La fillette s'approcha du berger.
- Il faut que vous veniez chez nous. N'ayez aucune crainte pour votre troupeau.
Le berger comprit que l'aventure était doucement venue à lui. Je ne peux pas
manquer cela, pensa-t-il. Il suivit donc la fillette et descendit sous la dune.
Il arriva dans la salle d'un logis si beau, qu'il n'en avait jamais vu de
pareil. Il y avait des miroirs partout, de la vaisselle d'argent et les meubles
brillaient comme de la rosée au soleil.
Par hasard, il regarda en passant dans un miroir, et il fut stupéfait d'y voir
les autres bergers, juchés sur leurs échasses, surveiller les troupeaux qui
s'étendaient à l'infini. Ici et là, il y avait des arbres gigantesques qui
étaient les seules montagnes de ce pays.
Il vit soudain un groupe de jeunes femmes qui riaient en parlant de lui. Elles
étaient belles, gracieuses et faisaient plaisir à voir. Il y en avait une, toute
jeune, avec sur les cheveux une couronne de bruyère et d'ajoncs fleuris.
- Berger, dit-elle, ne t'occupe pas de tes brebis. Profite de ta venue ici.
Restaure-toi et repose- toi. On t'a trouvé du vin de sable qui ne te fera pas
mal.
En fait, il y avait des mets exquis auxquels il n'avait, jusqu'à présent, jamais
goûté.
- De ma vie, je n'ai aussi bien mangé, se dit-il.
Les fées le conduisirent ensuite à un lit en beau bois rose de cerisier, où il
n'osait pas se coucher.
- Ce n'est certes pas le grabat de la grange avec son matelas de vieilles
fougères sèches, se dit- il.
Il s'endormit délicieusement.
Quand il s'éveilla, une douce lumière apparut à son chevet et il prit le livre
qu'il avait dans son sac. Et il se mit à lire, à lire...
- Ne t'inquiète pas, berger, disait une voix. Quand la dune s'ouvrira, tu
pourras retourner avec tes moutons.
À minuit, la dune se rouvrit et il put s'en aller.
Le troupeau était à sa place et bien rassasié. Il n'eut donc plus d'inquiétude à
attendre minuit en regardant les étoiles filantes.
Désormais, il allait régulièrement chez les fées.
Il y en avait une qui était pour lui plus belle que les autres. Ils se prirent
facilement d'amitié.
Les autres bergers ne le virent plus à la surface de la lande.
- Où te caches-tu ? lui demandait-on.
Mais il ne pouvait parler. Il était désormais seulement mieux vêtu. Il sentait
plutôt la fleur d'ajonc que le bouc, et surtout, il avait dans ses poches de
belles pièces d'argent que lui donnaient les fées. Quant à son troupeau, il
prospérait mieux que les autres. Jamais une brebis ne s'égarait, même,
semblait-il, elles ne voulaient pas se mêler aux autres.
Les bergers parlèrent beaucoup de cela, et deux d'entre eux voulurent en avoir
le coeur net. Ils se mirent à surveiller celui qui avait rendez-vous avec les
fées.
Un soir, à minuit, ils le virent se glisser vers la dune de Boumbet. Le berger
essayait de se cacher derrière les bruyères et les genêts mais ils réussirent à
le suivre. Ils arrivèrent juste à temps pour le voir s'engouffrer dans la dune.
Cela suffit pour que tout le monde parle de cet événement, d'Arengosse à
Labouheyre, de Cantegrit à Luglon. On sonna même les cloches au clocher de
Sabre. Un tel vacarme alerta les fées et plus jamais la dune ne s'ouvrit au
berger. Il eut beau lire et relire tous ses livres, pleurer toutes ses larmes,
la dune ne bougea plus.
Pauvre il avait été, pauvre il redevint. Et pourtant, il resta toujours au même
endroit, personne n'aurait pu le faire changer. Il était bien là. Certains
disent l'avoir vu marcher sur la dune et frapper le sol avec son bâton, comme
quelqu'un qui frappe à une porte...

bunni


La Biche et le Barbare (conte traditionnel de Provence)

Dans ce pays l'innocence et la douceur parviennent souvent à vaincre la force et
la violence obscures. Ce fut le cas, une fois de plus, dans les forêts qui
régnaient alors dans les environs de Saint-Gilles.

Autrefois, la mer baignait les franges de ces lieux. Mais la terre mangea sur
les eaux et la mer se retira. La forêt prit sa place, peuplant de sangliers, de
biches et de chevreuils le sol jadis couvert de flots porteurs d'éponges, de
méduses, de coquillages, d'hippocampes et de poissons.
Fuyant l'agitation de la ville d'Arles, un vieil homme, auquel sa sagesse avait
valu le nom de saint Gilles, vint se retirer dans la pénombre épaisse des
taillis. Il y construisit une cabane de branches et de feuillages et vécut là,
totalement solitaire dans le dénuement le plus absolu, se nourrissant de baies
sauvages et s'abreuvant à l'eau claire d'une source.
Un soir, dans le silence à peine troublé par les chants d'oiseaux, il entendit
un froissement de broussailles. Scrutant l'obscurité du sous-bois, il vit luire
deux grands yeux brillants.
- Une bête sauvage ! Sans doute un sanglier... songea-t-il en se retirant
prudemment derrière un gros tronc d'arbre.
À peine se fut-il caché, que l'animal surgit et se précipita pour boire à la
source. Il s'agissait d'une biche, farouche et gracieuse qui, tout en se
désaltérant, jetait alentour des regards apeurés. Soulagé, l'ermite éclata de
rire :
- Prendre une biche pour un sanglier ! La solitude me rend fou...
Le bruit de sa voix effraya l'animal craintif qui bondit aussitôt et s'enfuit
dans les taillis.
- Hé ! Attends... Jolie biche... Ne m'abandonne pas ! cria le vieil homme, avide
soudain de compagnie.
Mais le silence s'était refermé autour de la cabane et de la source. Même les
oiseaux se taisaient pour la nuit, avant que les chouettes et les hiboux ne
vinssent prendre leur relais.
Gilles passa plusieurs jours dans la solitude qu'il avait choisie. Mais elle lui
pesait, à présent. Il s'imaginait volontiers vivant auprès de la jolie biche
entrevue. Sa présence lui manquait, même s'il avait peine à se souvenir de la
nuance de son pelage, de sa taille et de sa corpulence.
- Était-elle grande ? Petite ? Brune ? Fauve ? Je ne sais plus... Pourtant, elle
m'a paru si belle et si douce !
Tandis qu'il se désolait, il entendit à nouveau un frémissement dans les
branches. Fou d'espoir, il se dissimula encore en retenant son souffle. Et la
biche apparut, avançant d'un pas hésitant vers la source. Tandis qu'elle
penchait son cou vers l'eau cristalline, l'ermite la contempla. C'était bien la
plus jolie biche qu'il eût jamais vue. Ses jambes fuselées avaient, au-dessus
des sabots, comme de hautes socques blanches. Son long cou mince ployait vers le
sol avec la grâce infinie d'une liane courbée par le vent. Et ses yeux en amande
possédaient un regard si humain qu'il semblait compenser l'absence de parole du
fin museau tendre et racé...
Bien décidé à ne pas l'effrayer, Gilles ne trahit pas sa présence et demeura
immobile. Lorsque l'animal repartit, une sourde angoisse étreignit le coeur du
vieil homme :
- Et si elle ne revenait pas ?
Mais la biche avait déjà, malgré sa frayeur première, reprit le chemin de la
source. Aussi résolut-il de faire confiance au destin qui les avait réunis, lui,
le vieillard solitaire, elle, la grâce de la nature.
Bien lui en prit. Car l'animal revint, chaque soir, s'abreuver à l'eau limpide.
En son absence, Gilles déposait des herbes fraîchement coupées et délicieusement
odorantes près du rocher où jaillissait l'écume. Au début, la biche les flaira
sans y toucher. Puis elle se laissa tenter. Enfin, elle s'y habitua, tant et si
bien qu'elle sembla trouver autant de plaisir à ce repas qu'à la boisson
revigorante qui la désaltérait.
Au bout d'un mois de ce manège, Gilles osa enfin se montrer. Quand elle
l'aperçut, la biche eut un mouvement de recul et il pensa qu'elle allait se
sauver à jamais... Avec une infinie douceur, il tendit la main :
- Ne crains rien, petite... Je ne te veux aucun mal. C'est moi qui te nourris
ici, chaque soir...
Et l'animal s'immobilisa, puis vint lécher les doigts qui s'ouvraient vers lui.
Dès lors, la biche et le vieil homme vécurent en bonne entente. Il lui parlait,
comme à une amie. Elle l'écoutait et son regard répondait mieux que ne l'eût
fait un être humain. Gilles l'entretenait de la fureur et de la méchanceté des
hommes, ainsi que de cette perle de bonté qu'il fallait aller chercher loin,
loin, au fond de leur coeur.
Le bruit des troubles et des guerres ne parvenait pas jusqu'à eux. Ensemble, ils
coulaient des jours heureux dans la forêt profonde, ignorant tous deux que
Wambo, le roi des Wisigoths, avait envahi la région et comptait bien y imposer
sa loi, aidé par ses fils, tous vaillants et cruels guerriers.
Or, un matin, la terre trembla sous les sabots d'une horde de chevaux. Le
silence des arbres fut déchiré par les aboiements d'une meute de chiens féroces
et les cris excités des chasseurs. Réveillé en sursaut, l'ermite chercha autour
de sa cabane son habituelle compagne. Mais elle avait disparu, sans doute
effrayée par la cavalcade et les hurlements. Un instinct immémorial l'avait
poussée à se réfugier au plus profond des taillis. Inquiet, saint Gilles ne
trouva cependant rien d'autre à faire que de l'attendre près de la source. Un
long moment, la forêt résonna de piétinements sourds et de piaffements, de coups
de trompe et de cris rauques, d'ordres hurlés et d'aboiements... Puis, les
herbes frissonnèrent à l'orée de la clairière et la biche apparut, le cou
ensanglanté. Elle vacilla jusqu'à la source, au bord de laquelle elle
s'effondra, la tête penchée vers l'eau claire. L'ermite se précipita à son
chevet pour laver ses blessures. Quand il l'eut fait, il s'apprêta à tirer
l'animal vers sa cabane, afin de l'y cacher, mais les chasseurs surgirent avant
qu'il n'y parvînt.
- Cette proie est à nous ! cria un jeune chef.
Faisant face, mains nues, à ces hommes armés, le vieil homme répondit :
- Cette biche n'appartient à personne, pas même à moi, qu'elle honore de sa
présence quand elle le souhaite.
Les chasseurs éclatèrent de rire :
- Vieux fou ! Pousse-toi... Nous allons l'achever.
Comme le vieillard ne bougeait pas, l'un des cavaliers s'approcha et le bouscula
d'un geste brutal qui l'envoya valser dans les herbes.
- Allez, les chiens ! Attaquez ! hurla le chef des Wisigoths.
Mais un grand silence se fit. Pétrifiée, la meute contemplait la biche qui
léchait calmement ses plaies, tandis que Gilles, qui avait rampé vers elle, la
caressait d'un geste plein de compassion. Peu à peu, les chiens avancèrent...
Comme fascinés par l'amour qui unissait l'homme et la bête, au lieu de se
précipiter sur leur gibier, ils se mirent à le renifler, puis à japper et à le
lécher avec hésitation, ensuite, presque joyeusement... Surpris, les guerriers
baissèrent leurs armes.
- Il doit y avoir là-dessous quelque sorcellerie ! déclara le jeune chef.
Rentrons ! Et allons raconter ce prodige à notre père. Lui seul saura ce qu'il
faut décider.
Les cavaliers tournèrent bride. La meute se rassembla. Et, dans un nouveau bruit
de tonnerre, la horde entière s'enfonça à nouveau dans les bois.
Demeurés seuls, saint Gilles et la biche se réfugièrent dans la cabane.
Dès l'aurore, ils furent à nouveau éveillés par des cavalcades et des cris. Le
roi Wambo en personne, guidé par ses propres fils, avait retrouvé le chemin de
la source. Il vit la biche aux socques blanches. Il vit le vieillard solitaire.
Aucune trace de peur ne hantait leurs regards et les blessures avaient disparu
du col de l'animal.
Alors, le souverain rebroussa chemin. Et les hurlements de sa meute disparurent
à jamais au lointain.


bunni


Un conte

Il était une fois un homme ou une femme, ce sera comme tu veux... et cet homme avait une passion : son jardin et son verger. Il s'était initié à la culture et les moments qu'il passait là étaient pour lui agréables et essentiels.
   Or, un jour du mois d'août qu'il passait, en coup de vent, près de ses arbres et de ses plants, il eut l'idée de tâter les fruits et les légumes. Ceux-ci étaient beaux, luisants, appétissants mais au toucher, ils étaient durs, froids et très lourds. Notre homme s'est pincé, croyant qu'il rêvait, mais il a finalement dû se rendre à l'évidence : ses légumes et ses fruits s'étaient purement et simplement pétrifiés ! Il a retourné ses livres sans trouver un mot d'explication. Il a essayé de demander conseil et on l'a pris pour un fou... Alors il s'est arrêté et a réfléchi... Pour une fois qu'il s'arrêtait...
Il était assis sous le plus vieil arbre de son jardin quand tout à coup un grand oiseau s'est posé dans l'arbre :

      - Je sais ce qui te tracasse... Tu dois partir sur la mer. Là, tu trouveras des vergers à celui-ci semblables, des arbres à celui-ci semblables et des oiseaux à moi semblables, ce sont mes frères... Va et apprends tout ce que tu peux apprendre...
      - Mais je ne sais pas naviguer ! Comment vais-je me repérer dans toute cette aventure? On m'a dit que les étoiles peuvent m'indiquer le chemin. On m'a dit qu'il y avait partout des signes qui pourraient me soutenir. Certains disent même que ma légende personnelle est écrite quelque part...
      - Rien n'est écrit. C'est toi qui es à même d'écrire ton histoire. Bien sûr, tu n'es pas né nulle part, mais tu es capable de donner sens à ce qui t'arrive.
      - C'est un travail énorme...
      -C'est un travail passionnant, tu verras. Le monde est à découvrir et à inventer, le monde extérieur et le monde intérieur. Le monde intérieur c'est, entre autres, ta façon d'apprendre. Ce voyage au-delà des mers, si tu l'entreprends et si tu es attentif à ce que tu fais..., ce voyage t'apprendra pourquoi les fruits se sont pétrifiés.
      - Tu le sais ! Dis-le moi !
      - Non, je ne le sais pas. Je ne fais pas semblant. Le sens est à construire et il n'y a rien d'écrit. Il n'y aura rien d'écrit pour toi sinon par toi...

Et notre homme est parti. Rien n'aurait pu l'arrêter. Il voulait connaître la clé de l'énigme des fruits pétrifiés. Et il prendrait les moyens ! Coûte que coûte !
   Il est arrivé au bord de la mer. Il s'est engagé comme matelot débutant. Il avait passé l'âge d'être mousse. Le capitaine n'était pas bavard comme tous les vieux loups de mer, ses compagnons non plus. L'homme a beaucoup observé, mais il avait peine à retenir l'essentiel. En fait il ne savait pas quoi regarder, sentir, écouter. Il devait avoir l'air malheureux car un jour le capitaine lui a parlé. Sa voix était une voix de basse-taille. Elle avait quelque chose de rassurant. "Ce marin est déjà allé loin", pensa notre homme... Et le capitaine lui a dit le savoir du marin, le marin qui n'a pas besoin de cartes marines.

      - Elles sont là parce que les assurances l'exigent... mais moi je me fie plus au vent, à la couleur changeante des flots, au parfum de sel quand le jour se lève... Pour observer tout cela, tu dois...

   Le capitaine était intarissable... Mais, maintenant notre homme savait ce qu'il devait regarder, sentir, écouter, ...
      - Tu as vraiment envie d'apprendre, continua le capitaine, mais comment fais-tu pour fixer tout cela ?

   Sans attendre sa réponse, il enchaîna :
      - Moi, je vois tout dans ma tête. Comme au cinéma, mais en plus précis et puis je peux faire défiler les images au ralenti ou même à l'envers... Ce qui compte c'est travailler dans sa tête... Comme tu le veux, mais avec précision...
      - Moi, je crois que je me parle et j'aime aussi me souvenir du mouvement...
      - Hum ! dit le capitaine.

   Il a souri et notre homme a reçu ce sourire comme un encouragement. Il se sentait ... heureux, oui ! heureux, tout simplement...

      - Nous arriverons bientôt dans l'île que tu cherches.


   Quelques jours plus tard, ils sont arrivés en effet au large de l'île des signes. Notre homme est descendu seul à terre. Il a trouvé un verger au premier semblable, un arbre au premier semblable et dans l'arbre un oiseau au premier semblable.

      - Tu as remarqué qu'ici les arbres portent non des feuilles mais des lettres, dit l'oiseau sans préambule.
      - Oui, mais qu'est-ce que cela veut dire ?
      - C'est toi qui dois les assembler, c'est toi qui peux leur donner sens.
      - Comme ça, n'importe comment ?
      -Non, ces lettres groupées sur une branche sont comme les atomes crochus, ils sont faits pour s'assembler. C'est comme pour les mots d'un texte ou pour les idées.
      - Oui, mais parfois, on n'y arrive pas.
      - Alors, il faut recommencer. Et si la difficulté persiste, il faut se donner la permission de construire un ordre différent...

   L'homme a beaucoup réfléchi. Il s'est longuement promené. Il a compris que pour construire le sens complexe, il faut chercher les fameux petits "crochets"... C'est ainsi qu'il est tombé sur le mot ARC... L'oiseau est intervenu:

      - Pour toi qu'est-ce que cela signifie ?
      - C'est l'instrument du chasseur.
      - Bien sûr, mais encore...? Dis-toi qu'il y a souvent plusieurs sens aux choses et aux signes anciens et profonds.
      - C'est... C'est aussi semblable à une lyre.
      - Oui, on dit que tous les instruments de musique en dérivent. Et ce n'est pas tout : Ulysse tendit alors le grand arc et en fit vibrer, de sa main droite, la corde qui chanta belle et claire comme un cri d'hirondelle... Et l'oiseau lui a aussi raconté l'arc de Tristan, "l'arc qui jamais ne faut" et ils se sont mis à rêver de l'arc en ciel...
      - Mais où s'arrêter ?
      - ...
      - Je crois que je suis prêt maintenant à continuer ma route. Merci pour tout.

   Il est remonté à bord et le navire est aussitôt reparti. Le capitaine ne disait rien, mais son visage dégageait quelque chose d'encourageant.

   Quelque temps plus tard, ils ont abordé l'île aux énigmes. Notre homme a trouvé un verger aux autres semblable, un arbre aux autres semblable et, dans l'arbre, un oiseau aux autres semblable...
      - L'île aux énigmes est une épreuve apparemment plus difficile que la première. Prends en main un de ces casse-tête !
Notre homme a pris en main cet assemblage de petits morceaux de bois imbriqués les uns dans les autres... Le but était de le démonter.

      - En fait, il faut du temps et de la méthode : il faut que tu suives un certain ordre. Si tu le retiens, la chose deviendra vite aisée...

Et il s'y est mis.
      - Et cette poupée russe, par exemple ?
      - Tu sais bien qu'à l'intérieur il y en a une plus petite, et quand tu as en main la plus petite, il faut opérer un retournement mental et te dire que ce que tu vois de la terre correspond à la plus petite poupée...
      - Je ne comprends rien à ce que tu dis !
      - Continue ton chemin. Sache seulement que le danger c'est de s'arrêter, c'est cela qui pétrifie les fruits, mais aussi le cœur...

   Notre homme a continué sa route. Gageons qu'il cherche encore...

Plus la vie pose de questions, plus elle mérite d'être vécue... nous dit un sage du Cameroun.


bunni

#364

Chaton

Il était une fois un chaton qui était si petit qu'il tenait assis dans la paume d'une main. Sa mère était une vieille chatte qui vivait avec une Femme Très Sage, au sommet d'une colline ronde et verte.

       ― Le meilleur de la vie arrive souvent à la fin, dit la Femme Très Sage à la chatte très vieille.

      Et elle l'appela Chaton parce que sa queue dorée n'était pas plus grosse que les chatons de saule qui dansaient devant sa fenêtre.

       Au pied de la colline ronde et verte, vivaient un fermier et sa femme, qui cultivaient la terre alentour. Et tout au fond, à l'intérieur de la colline, vivait le peuple des Tout-Petits, qui jamais ne naît, jamais ne meurt, et vit pour toujours.

      Le fermier et sa femme n'avaient qu'un enfant, une petite fille, du nom de Fanny, qu'ils avaient attendue pendant de très longues années. Lorsque Chaton fut assez grand pour quitter la maison, la Femme Très Sage l'installa dans un panier, et l'offrit à la fermière. Comme ils descendaient la colline, elle expliqua à Chaton qu'il devrait veiller sur la fillette. Car, le jour même de sa naissance, elle avait lu dans le ciel noir qu'un danger menaçait la petite Fanny. Fanny et Chaton s'aimèrent tout de suite, et où l'un allait, l'autre suivait. Pendant les longues journées d'été, ils jouaient ensemble. Et lorsque la nuit tombait, les boucles d'or de la petite fille et la fourrure cuivrée du petit chat se mêlaient sur l'oreiller.

     Puis l'automne arriva. Un jour, Fanny s'en fut avec sa mère cueillir des mûres, Chaton glissé dans sa poche. Mais à mesure que le temps passait, la fatigue gagna la petite fille. Sa mère la coucha au milieu des buissons et demanda à Chaton de veiller sur elle. Il se pelotonna contre elle et, tout content, se mit à ronronner.

      Le temps passa encore, les ombres s'allongèrent, et Chaton commença à s'agiter. Il joua avec une feuille qui voletait sous le nez de Fanny. Puis un papillon se percha sur la chevelure dorée de la petite fille, mais n'y trouvant nulle fleur à butiner, s'envola. Aussitôt Chaton se lança à sa poursuite, sautant de buisson en buisson, tournoyant et cabriolant parmi les herbes folles ; il poursuivait les ailes du papillon qui scintillaient sous le soleil. Il le suivit, gambada très loin, très loin dans la vallée, et oublia la petite fille.

      Brusquement, une étrange quiétude enveloppa la vallée, et tout essoufflé, Chaton entendit les premières notes timides d'une musique qui venait de l'intérieur de la colline. De peur, sa fourrure se hérissa, et il se tapit dans l'ombre. La musique ne cessait de grandir.

      Sur la verte colline, dans la lumière tamisée du soleil, apparut le peuple des Tout-Petits. Ils étaient pâles, riaient, et dansaient au son de l'étrange musique, qui ressemblait à un long soupir. Au milieu, le roi chevauchait fièrement un minuscule cheval, et derrière lui, avançait la reine. Ses cheveux étaient aussi noirs que la nuit et ses yeux aussi verts que l'eau profonde des lacs. Chaton vit avec terreur qu'ils se dirigeaient vers la vallée, et que leurs pas les porteraient vers la petite fille endormie. Il leur courut après mais, avec ses petites pattes, il n'arrivait pas à les rattraper. Ils disparurent peu à peu dans la pénombre. Et avec eux, s'évanouit leur étrange musique. Chaton resta tout seul dans la nuit silencieuse.

      Alors il se remit à courir, sautant par-dessus les rochers et les buissons aux méchantes épines. Il avait peur, si peur de ne pas retrouver Fanny. Mais lorsqu'il arriva près de l'endroit où il l'avait laissée, il s'aperçut qu'elle dormait encore. Il ronronna de bonheur et se pelotonna à nouveau contre elle. Mais lorsqu'il la toucha, sa peau lui parut étrangement glacée. Puis elle gémit et le repoussa. Lorsque sa mère arriva, elle pensa qu'elle avait pris froid dans le brouillard du soir. Elle l'enveloppa dans son châle et la porta jusqu'à la ferme. Puis elle envoya son époux chercher la Femme Très Sage qui observa longuement la petite fille. Elle la regarda longtemps, très longtemps, puis soupira tristement :

      ― On a subtilisé votre enfant par enchantement, dit-elle. Ce n'est pas votre petite Fanny. Celle-ci tombera malade à l'automne, avec la tombée des feuilles, et à Noël disparaîtra.

       À ces mots, la mère de Fanny s'écria :

      ― Ma petite fille ! Où est ma petite fille ?

      ― Hélas, dit la Femme Très Sage, elle est à l'intérieur de la colline ronde et verte. Le peuple des Tout-Petits l'a enlevée.

       La mère se mit à pleurer et le père demanda :

      ― Que leur avons-nous fait qu'ils nous veuillent tant de mal ?

      ― Ils ne vous veulent pas de mal, répondit avec douceur la Femme Très Sage. Ils sont immortels et n'ont pas d'enfants. Ils ignorent les liens qui unissent les parents et les enfants. Quand les nuits deviennent trop longues sous la colline verte, ils cherchent simplement des compagnons.

     ― Je descendrai dans leur royaume, s'écria bravement le fermier. Je leur dirai combien nous sommes tristes et je les supplierai de nous rendre notre enfant.

       Mais la Femme Très Sage secoua la tête :

     ― Jamais un homme n'a pu trouver la porte magique qui mène à l'intérieur de la colline verte.

     Puis elle s'assit, plongée dans de profondes pensées, tandis que le fermier cherchait en vain à consoler sa femme. Alors Chaton, qui de honte s'était caché sous les jupes de la Femme Très Sage, sauta sur ses genoux. Il la fixa de ses yeux dorés, et elle devina ses pensées. À la fin, elle sourit :

     ― Chaton ira là-bas, dit-elle. C'est par sa faute qu'on vous a enlevé votre enfant ; c'est grâce à son courage qu'il vous sera rendu.

     ― Un si petit chat ! s'exclama le fermier. À quoi servirait-il ?

     ― Il est de taille à vous sauver tous, répondit la Femme Très Sage. Le plus petit terrier de lapin lui servira de route jusqu'à l'intérieur de la colline.

     ― Et s'il la trouve, dit le fermier, comment un chat pourrait-il plaider notre cause ?

     ― Dans ce pays enchanté, même les bêtes peuvent parler et se faire comprendre.

       Elle installa Chaton sur son épaule et s'en fut avec lui sur la colline verte. Et tandis qu'ils cheminaient, elle réfléchissait aux moyens d'aider le petit chat intrépide.

     ― Deux rivières pénètrent dans leur royaume souterrain, expliqua-t-elle à Chaton. L'une vient des noisetiers, et contient les eaux de la sagesse. L'autre s'écoule de l'étang aux saules, et renferme les eaux de l'oubli. Aussi, ne devras-tu boire que l'eau du noisetier.

      Elle déposa Chaton devant un terrier de lapin et lui donna un dernier conseil : jamais il ne devrait dire son nom.

     ― Si tu prononces ton nom, ils te jetteront un sort et te retiendront prisonnier dans leur royaume.

       Plein de courage, Chaton se glissa dans le terrier et pendant un long moment erra dans ce dédale obscur, qui dégageait une très forte odeur de terre. Soudain, il aperçut un rayon de lumière et se retrouva dans un monde étrange et merveilleux. L'intérieur de la colline était découpé en vastes cavernes, dont les murs couverts d'or et d'argent se reflétaient dans les eaux vertes de lacs d'une insondable profondeur. Il s'avança au cœur même de la colline et, finalement, déboucha dans un magnifique palais qui scintillait sous le feu d'innombrables pierres précieuses.

      Le roi du peuple des Tout-Petits avait organisé des festivités, avec de la musique, des danses et un somptueux repas. À ses côtés était assise la reine, avec la petite Fanny sur les genoux. Caché dans l'ombre, Chaton comprit tout de suite combien la reine aimait la petite fille. Elle caressait ses boucles d'or et lui offrait les mets les plus délicats. Il vit aussi combien Fanny aimait la reine : elle lui caressait le visage de ses mains potelées. Alors il sut que la petite fille avait trempé ses lèvres dans les eaux de l'oubli, et qu'elle ne se souvenait plus de son ancienne maison.

      Lorsque les Tout-Petits aperçurent Chaton, ils furent ravis de voir un chat aussi petit. La reine le prit et le déposa sur les genoux de la fillette. Fanny ne se souvenait pas de Chaton, mais elle aima tout de suite ce nouveau camarade de jeu. Tout de suite aussi, le roi et la reine apprécièrent sa compagnie. Quand à Chaton, il trouvait que la vie était bien agréable dans le royaume qui se cache sous la colline verte.

       Mais Chaton buvait uniquement l'eau du noisetier et ne voulait pas dire son nom : le roi comprit qu'il était bien décidé à les quitter un jour. Il était venu chercher la petite fille, le souverain n'en doutait plus. Il en sourit car son pouvoir était si grand qu'il doutait fort qu'un chat aussi petit pût l'emporter.

       Le peuple des Tout-Petits adorait les devinettes ; ils passaient de longues soirées à en inventer. Chaton se révéla très doué à ce jeu, et le roi n'en aimait que davantage sa compagnie, comme la reine aimait celle de la petite fille. Mais le souverain s'attristait que le chat ne dise jamais son nom. Un jour, il partirait aussi soudainement qu'il était arrivé. Alors, une nuit que Fanny et Chaton dormaient, le roi et la reine tinrent conseil. Ils cherchèrent, cherchèrent comment retenir à jamais le petit chat dans leur royaume.

       Le lendemain eut lieu un grand banquet pour célébrer la nouvelle année, lorsque les jours commencent à s'allonger et les nuits à raccourcir. Après le festin, les devinettes commencèrent : ils se montrèrent habiles, rirent beaucoup, mais Chaton l'emportait toujours. Alors le roi du peuple des Tout-Petits sourit et dans ses yeux noirs passa une lueur moqueuse. Il leva sa coupe en argent et s'écria :

    ― Ne boiras-tu pas avec nous ?

       Et comme le petit chat refusait de boire :

    ― Ne veux-tu pas nous dire ton nom ?

       Et comme Chaton refusait de dire son nom :

    ― Tu es donc venu chercher la petite fille ?

       Chaton comprit qu'il devait dire la vérité et répondit :

    ― C'est la vérité, Seigneur. C'est par ma faute que vous avez pu l'enlever, et que sa mère pleure depuis qu'elle a disparu.

    ― Mais si tu l'emmènes, la reine aussi va pleurer, répondit le roi du peuple des Tout-Petits, et je regretterai ton absence pendant les longues soirées d'hiver. Allons, pourquoi ne pas boire avec nous et oublier le passé ? Ta vie est-elle si malheureuse dans notre royaume que tu veuilles bientôt nous quitter ?

    ― C'est une vie fort agréable, au contraire, convint tristement Chaton, mais jamais je ne serai heureux, tant que je n'aurai pas réparé mon étourderie.

     Le roi fronça les sourcils. Tous étaient silencieux. Puis il sourit brusquement, comme si le soleil venait de percer de derrière les nuages.

    ― Je te lance un défi. Nous allons te poser trois devinettes. Si tu n'arrives pas à les résoudre, tu devras boire l'eau de ma coupe et oublier le passé. Mais si tu réponds aux trois, la petite fille sera libre et vous pourrez partir.

       Chaton regarda la reine, persuadé qu'elle refuserait de prendre un tel risque. Mais elle était assise la joue appuyée contre celle de la petite fille. Elle souriait, les yeux baissés. Pendant un bref instant, son sourire fit peur à Chaton. Puis il déclara :

    ― Il en sera fait comme vous le désirez, Seigneur.

    ― Dans ce cas, voici ma première devinette : Il n'est pas haut, mais jamais ne tarde. Sur les eaux de l'oubli, il m'attend.

       Chaton réfléchit un moment, puis déclara :

    ― Seigneur, s'il n'est pas haut, c'est qu'il est BAS, et si jamais il ne tarde, c'est qu'il part TÔT. Ce qui m'attend sur la rivière de l'oubli, c'est un BATEAU.

    ― Bravo ! s'écria le roi, en éclatant de rire.

       Le peuple des Tout-Petits était émerveillé par la vivacité d'esprit de Chaton.

    ― Voici maintenant la seconde devinette : Tous sont au roi fidèlement attachés, pourtant ses racines ne poussent pas ici-bas.

     Cette fois, Chaton dut réfléchir longtemps, beaucoup plus longtemps. Enfin, il expliqua:


    ― Seigneur, ''Tous'' désigne le PEUPLE, et s'ils sont attachés c'est qu'ils sont LIÉS, mais l'arbre qui ne pousse pas ici, c'est le PEUPLIER.

    ― Tu es vraiment un adversaire de taille, dit le roi.

    Celui-ci, plein d'admiration, applaudit, en même temps que tout le peuple des Tout-Petits. Alors la reine parla à son tour et ses yeux étaient posés sur la fillette :

    ― Seigneur, laissez-moi poser la troisième devinette.

    ― Comme vous voudrez, répondit le roi.

    Fanny avait oublié Chaton, mais il lui arrivait de murmurer son nom dans son sommeil. Et ce nom, la reine l'avait entendu. Elle leva les yeux vers Chaton, et ses yeux étaient verts et profonds comme deux grands puits.

    ― Voici ma devinette, Petit Chat : Il chasse les souris et apprécie le poisson, au bout d'une branche, il se balance.

     Tout espoir s'évanouit dans le cœur de Chaton. Il savait que le CHAT était le chasseur de souris. Et qu'il aime aussi le THON.  Et que le CHATON se balance au bout des branches de saule. Il savait que pour résoudre la devinette, il devait prononcer son nom et que, du coup, la fillette serait libre. Mais dès qu'il aurait prononcé son nom, le roi pourrait exercer sur lui son pouvoir et le retenir dans son royaume.

       Il hésita tandis que la reine l'observait à travers ses longs cils noirs. Sans doute pensait-elle qu'il préférerait sa liberté à celle de la fillette. Mais Chaton savait qu'il ne serait jamais heureux tant qu'il n'aurait pas réparé son étourderie.

  ― Madame, dit-il, je préférerais me taire, mais la réponse est CHATON. La fillette est libre.

       À ces mots, la reine et la fillette poussèrent ensemble un grand cri. Fanny cria de joie parce qu'elle se souvenait maintenant de son petit chat, la reine cria de douleur parce que la petite fille allait disparaître. Le roi du peuple des Tout-Petits était lui-même confronté à une énigme qu'il n'arrivait pas à résoudre. L'enfant libre, la reine serait malheureuse. Mais il avait donné sa promesse. Et s'il gardait Chaton, la petite Fanny serait malheureuse parce qu'elle adorait son petit chat. S'ils partaient tous les deux, alors les nuits d'hiver seraient bien longues, sans Chaton pour jouer aux devinettes avec lui !

   ― Tu as résolu trois devinettes, Chaton, dit enfin le roi. Ne pourrais-tu résoudre cette quatrième énigme ?

   ― Je ne suis qu'un petit chat, Seigneur, répondit Chaton. Cette fois, ma vivacité d'esprit ne suffira pas. Seule la sagesse pourra résoudre cette énigme. Allons trouver la Femme Très Sage.

       Et ils s'en furent. Le roi chevauchait au milieu du peuple des Tout-Petits. La reine à ses côtés, portait Fanny dans ses bras, et Chaton se tenait bien droit sur le pommeau de la selle. Et ils se rendirent chez la Femme Très Sage, dans sa maison perchée au sommet de la colline verte. Ils lui soumirent la devinette qui les tourmentait tant. La Femme Très Sage resta silencieuse un long moment, puis elle dit à la reine :

    ― Bien que votre chagrin soit grand, plus grand encore est le chagrin de celle qui enfanta Fanny. C'est pourquoi l'enfant doit retourner chez sa mère.

       Une larme coula sur la joue de la reine et scintilla à la lumière de la lune.

    ― Ne pleurez pas, ajouta la Femme Très Sage, car tout n'est pas perdu.

       Puis elle se tourna vers le roi et lui dit :

    ― Sans son petit chat, l'enfant sera trop triste. C'est pourquoi Chaton doit rester avec la fillette.

    Il possédait le pouvoir de garder Chaton, mais le roi inclina la tête.

    ― Nous avons souhaité nous soumettre à votre jugement, Femme Très Sage, dit-il, et nous obéirons.

    ― Vous agissez noblement, Seigneur, déclara la Femme Très Sage, mais tout n'est pas perdu. Puisque vous abandonnez tout pouvoir sur eux, chaque année Fanny et Chaton viendront vous rendre visite lorsque les nuits sont les plus longues. Et puisqu'ils ne sont pas liés par quelque pouvoir magique, ils retourneront vivre à la ferme, dès que les premiers chatons danseront au vent.

    À ces mots, la joie s'empara de la reine. La séparation l'attristait, mais elle savait qu'elle reverrait l'enfant. Elle repartit en compagnie du roi dans la nuit éclairée par les étoiles, et le peuple des Tout-Petits regagna le royaume qui se cache sous la colline verte. Alors la Femme Très Sage installa Chaton sur son épaule et ramena Fanny à ses parents. Lorsque le fermier et sa femme les aperçurent qui descendaient la colline, ils se précipitèrent pour les prendre dans leurs bras.

   Après avoir entendu le jugement de la Femme Très Sage, ils l'acceptèrent et se montrèrent généreux dans leur bonheur. Depuis ce jour, les fermiers vivent heureux avec Fanny, Chaton, et le peuple des Tout-Petits. Leur ferme n'a jamais été aussi belle sur la colline verte et ronde.



bunni


La Dame des livres

Moi et les miens, on vit perchés tout en haut.

    Plus haut, y a pas.

    À c'te hauteur, on trouve plus âme qui vive, excepté les faucons qui tournoient dans le ciel et les bestioles cachées dans les arbres.

    Moi, c'est Cal.

    Je suis pas le premier et pas le dernier, mais je suis l'aîné des garçons.

    Je peux aider P'pa aux labours et ramener les moutons partis se promener.

    Je peux aussi rentrer la vache le soir venu, ce qu'est pas mal utile, vu que ma sœur Lark, elle aurait le nez fourré entre les pages d'un livre de l'aube à la nuit si M'man le permettait.

    « Lark, la plus liseuse des enfants que vous avez jamais vue », dit P'pa.

    Moi, non.

    Je suis pas venu au monde pour rester assis figé comme une pierre devant du griffouillis de poules. Et ça me plaît pas du tout quand Lark joue à la maîtresse.

    La seule école est à des milliards de miles en aval du ruisseau. Et même ma petite sœur peut pas faire l'oiseau et voler jusque-là. Alors elle s'est mise en tête de nous faire la classe.

   Seulement moi, je suis pas porté sur les études. Du moins, pas avant que la dame des livres fasse son apparition.

    Je suis le premier à entendre le clip clop des sabots de la jument alezane, rouge comme une brique. Le premier à savoir que son cavalier, c'est pas un homme, mais une dame qui porte un pantalon, et devant tout le monde !

    Sûr qu'on l'accueille aimablement, l'étrangère. Et puis, elle a l'air gentille comme tout. Après trois gorgées de tisane de laurier, elle pose sa sacoche sur la table et ce qui en sort pourrait être de l'or, à voir les yeux de Lark briller comme des étoiles et ses mains qui restent pas en place, attirées par le trésor.

    Bon, ce qu'elle apporte, c'est loin d'être ça.

    Rien que des livres !

    Vous imaginez ? Toute une cargaison de livres qu'elle a transportée à flanc de montagne ! Une dure journée de grimpette et tout ça pour des nèfles, si vous voulez mon avis. Parce que si elle vient vendre sa marchandise comme le camelot qui voyage par monts et par vaux avec ses poêles et ses casseroles, le fait est qu'on n'a pas un sou chez nous, pas de belles pièces à débourser. Du moins, pas pour de vieux livres à la noix.

    Alors P'pa, il jette un coup d'œil à Lark et s'éclaircit la voix :

    — Troquons. Un sac de baies pour un livre.

    Je serre mes deux poings derrière mon dos. Je voudrais parler, mais j'ose pas.

    C'est moi qu'ai cueilli toutes ces baies. Pour une tarte, pas pour des livres !

    Mais là, j'en crois pas mes yeux, la dame secoue la tête fermement.

    Elle n'accepte ni baies, ni légumes verts, ni rien de tout ce que P'pa lui offre en échange.

    Ces livres sont gratuits.

    Gratuits comme le vent !

    Et dans deux semaines, jour pour jour, elle viendra nous en prêter d'autres à la place !

    Eh ben moi, je me fiche pas mal de ce qu'elle nous a apporté, et ça me ferait rien du tout si elle oubliait le chemin de la maison.

    Mais elle reviendra jusqu'ici.

    Malgré la pluie, le brouillard et le froid. Son cheval doit être bien courageux, si vous voulez mon avis.

    Un matin, le monde devient aussi blanc que la barbe de Grand-P'pa. Le vent, il pousse des hurlements de lynx tout au fond de la nuit. On se blottit, sans broncher, autour du feu.

    Pas un qui dit :

    — Comment qu'ça va aujourd'hui ?

    Même les bêtes sauvages restent au fond de leur trou avec une neige comme celle-ci.

    Par tous les saints ! On entend toc toc toc au carreau. Elle est là, dehors, emmitouflée jusqu'en haut ! Elle fait l'échange par la porte entrebâillée pour qu'on prenne pas froid. 

    Et quand P'pa la prie de rester pour la nuit, elle fait non de la tête.

    — Mon cheval me ramènera chez moi, qu'elle dit.

    Je reste un bon bout de temps à regarder disparaître la dame des livres.

    Et mes pensées, elles tournent à l'intérieur de mon crâne comme le tourbillon de flocons devant la porte.

    Y a pas que le cheval qui soit courageux, mais sa cavalière aussi, si vous voulez mon avis.

   Tout à coup, y m'faut savoir ce qui pousse la dame à risquer d'attraper froid ou pire. Je choisis un livre avec des mots et des images aussi, et je l'apporte à ma sœur.

    — Apprends-moi ce qu'il dit !

    Lark, elle rit pas, elle se moque pas.

    Elle se pousse un peu. Et, tout doucement, on commence à lire.

    P'pa dit que c'est écrit dans la nature si l'hiver sera court ou long.

    Cette année, les signes ont tous prédit une saison de neige profonde et de froid éternel. Et même si on reste presque tous sans bouger, aussi serrés que des doigts de pieds dans des souliers achetés à la ville, ça m'est égal.

    À n'y rien comprendre, je sais, mais vrai de vrai.

    Le printemps est plus très loin le jour où la dame des livres revient par chez nous.

    M'man lui fait cadeau de son seul bien précieux : la recette de sa tarte aux baies, qu'est la meilleure chose que vous avez jamais mangée sur cette terre.

    — C'est bien peu, je sais, pour la peine que vous vous êtes donnée... murmure M'man avant d'ajouter avec fierté : ...et pour avoir transformé une lectrice en deux lecteurs.

    La tête baissée, j'attends le dernier moment pour dire ce que j'ai sur le cœur :

    — J'voudrais vous offrir kékchose, mais j'sais pas quoi.

    La dame des livres se tourne et me regarde de ses grands yeux sombres.

    — Cal, viens ici, qu'elle dit avec douceur. Lis-moi donc quelques lignes.

    J'ouvre le livre que je tiens, un de ceux qu'elle vient à peine d'apporter.

    Du griffouillis de poules, voilà ce que je pensais.

    Maintenant je sais ce qui s'y cache, alors je lis à haute voix.

    — C'est le plus beau des cadeaux ! qu'elle dit, avec un sourire si grand que je lui souris en retour.



bunni


Ma clématite chérie

Hervé est jardinier. Il cultive des fleurs et des légumes. Il a planté tout contre le mur nord du jardin une clématite. Chaque jour, Hervé s'arrête auprès d'elle. Il remet les tiges rebelles en place et de l'ordre dans le feuillage.

       — Bonjour la belle.

       — Tu m'aimes ?

       — Oui.

       — Oui comment ?

       — Oui, beaucoup.

       — Tu n'aimes que moi ?

       — Non, mais surtout toi.

       Elle fait bruisser ses feuilles dans un souffle d'air. Elle sait lui plaire ainsi. Ce matin, Hervé est pressé.

       — Tu as mis ton costume de ville, l'interpelle la clématite, tu pars longtemps ?

       — Non, un jour ou deux, au plus. Ne t'inquiète pas, des averses sont annoncées.

       — Tout ira bien. Tu as raison de changer d'air, il faut voir le monde !

       — À très bientôt, ma belle !

                                                                    ♥♥♥♥

       Hervé est revenu. Il longe le mur nord en sifflotant.

       — Alors, c'était bien cette balade ? demande la clématite.

       — Oui... merci. Tu es toute fraîche ce matin.

       — Tu l'as dit ! J'ai failli crever ! Une nuit glaciale... Et bien sûr, je n'avais rien au pied.

       — Je suis désolé.

       À genoux, il examine la tige fibreuse.

       — C'est bon, c'est bon, la rassure Hervé.

       — Je ne demande pas grand-chose, juste un peu d'attention.

                                                                   ♥♥♥♥

       Les beaux jours sont là. Au bout du jardin, la clématite a fait une fleur, une tache rose, délicate sur le mur gris, dans les feuilles tendres. Hervé ne l'a pas encore vue. Il est tout à son potager.

       — Pour le reste, on verra demain, dit-il en s'étirant.

       En se retournant, Hervé la voit enfin.

       — Bravo ! Tu as la première fleur du jardin, la première de l'année !

       — Merci, mais je l'avais déjà hier !

       — Excuse-moi, je devais être ébloui par le soleil. Tu te souviens, le ciel était presque sans nuages.

       — Ébloui par tes tomates ! Tu as passé ton temps à les tuteurer, et que je t'attache par-ci, et que je te pince par-là...

       — Tu te montes la tête ! Je ne peux pas les laisser s'écrouler, ramper jusqu'aux radis !

       — Et moi, mes tiges s'emmêlent mais ça n'a pas l'importance ! Dans ce méli-mélo, comment veux-tu que je fasse d'autres fleurs ?

       — Doucement, s'il te plaît, je vais ajouter du fil, tu pourras t'enrouler à ta guise.

       Le jardinier tend le fil. La clématite se glisse sous son bras. Il sursaute et lui dit gentiment :

       — Que tu es sotte.

       Ça y est, les pieds de tomate ont poussé droit, les salades et les choux sont débrouillés et repiqués, les petits pois montent à l'assaut des rames.

       Hervé est très occupé. Il a à peine salué la clématite, elle est pourtant bien jolie dans la lumière douce du matin. De loin, elle le regarde, maussade, le guette, le surveille. Une mésange vient se poser sur elle, puis une deuxième. Leurs cris en attirent d'autres et, à chaque sautillement, leurs petites pattes la chatouillent. Elle rit. Une partie de cache-cache s'engage. Elle fait la folle, elle ouvre des passages dans lesquels s'engouffrent les oiseaux, puis elle les referme. Ça se balance, ça bruisse de partout. Elle s'ébroue d'un grand frisson.

       — Allez ouste, dehors !

       Les mésanges s'envolent, elle est épuisée. Le jardin est dans l'ombre. Hervé lui dit :

       — Bonsoir !

       Elle n'entend pas. La clématite dort.

                                                                   ♥♥♥♥

       Aujourd'hui, le jardinier reçoit des visiteurs. Il montre, il commente, il déterre, il met en pot.

       — Alors, bien dormi ? demande la clématite.

       ... Rien, pas de réponse, Monsieur fait des ronds de jambe.

       « Tu pourrais au moins me présenter, pense-t-elle. On va voir ce qu'on va voir ! »

       Elle se met en boule, bascule en avant, ça va craquer ! Ça craque ! Un clou jaillit du mur, le fil vibre et se détend, en sifflant. Hervé abandonne ses clients. Il accourt.

       — Qu'est-ce qui t'arrive encore ?

       Il attrape à bras-le-corps la masse végétale et la suspend comme il peut.

       — Aïe, tu m'écrases !

       Hervé remet le clou en place, en plante un second et fixe solidement le fil.

       — Ça va tenir. Tu m'as fait une de ces peurs !

       — Si tu t'occupais un peu plus de moi...

       C'est le temps de l'été. Hervé arrose abondamment. L'eau s'écoule dans les rigoles. Ça sent la terre chaude et mouillée. La clématite a soif et s'impatiente. Enfin le voilà. Il l'asperge de fines gouttelettes.

       — Qu'est-ce que tu en penses ? Ça rafraîchit !

       — Arrête, il fait presque nuit, je suis au nord, tu l'oublies, n'est trop tard. C'est toujours la même chose, tu sers tout le monde avant moi.

       — Ne te fâche pas... Allez, bonne nuit.

       — Bonne nuit, mais ça m'étonnerait que je trouve le sommeil, je suis transie.

       Le jardinier soupire et s'éloigne. Il se retourne, la clématite s'est assoupie.

                                                                  ♥♥♥♥


      Avec la chaleur du soleil, les groseilles, les framboises et les fraises rougissent. Les oiseaux vont se régaler. Le jardinier ne veut pas partager avec ces effrontés. Il installe l'épouvantail et accroche des bruisseurs argentés dans les arbres fruitiers. Il n'a guère le temps de papoter et la clématite s'ennuie. « J'en ai assez. Puisqu'il m'abandonne, je passe par-dessus le mur ! »


       Quelques jours plus tard, Hervé entend qu'on l'appelle. Ça vient du jardin derrière le mur nord. C'est la voisine.

       — Oui, dit-il.

       — Votre clématite m'envahit et si vous n'intervenez pas, je serai malheureusement obligée de couper ce qui dépasse de mon côté.

       — Non, non, j'arrive.

       Il monte sur l'échelle et repasse les rameaux de son côté.

       — Coquines ! bougonne Hervé après ces lianes vivaces qui se dérobent.

       — Vous disiez ? demande la dame.

       Elle est jolie. Il descend de l'échelle, remonte et lui offre une poignée de cerises.

       — Tenez, dit-il, elles sont fameuses cette année.

       Il rougit et redescend.

                                                                ♥♥♥♥

       — Maintenant, à nous deux, ma belle !

       Il attache les tiges fantasques. Il serre les nœuds.

       — Eh, doucement, tu m'étouffes !

       — Ah ! tu débordes de l'autre côté du mur. Tu veux partir, ça ne se passera pas comme ça.

       — Tu es fâché ? C'est un comble ! Tu accroches partout des trucs pour protéger les fruits. Je te signale que j'en ai aussi !

       — Ma chère, les tiens ne sont pas comestibles !

       La clématite est vexée. Hervé vérifie les attaches. Il est fatigué.

                                                                ♥♥♥♥

       Cette nuit-là, le jardinier entend un craquement sec, terrible. Sous son lit, le parquet se fend. Il en surgit une liane gigantesque. Elle grimpe jusqu'à lui, l'agrippe à la gorge, il veut crier... Il se réveille et bondit à la fenêtre, l'ouvre et avale une grande bouffée d'air. Dehors, tout est sombre et paisible.

       Le lendemain, il pleut. Hervé commence sa tournée matinale par une visite à la clématite.

       — Bonjour, lui dit-elle, tu es tout trempé !

       Le jardinier ne répond pas à ce salut. Il sort un sécateur de sa poche.

       — Écoute-moi bien : à partir d'aujourd'hui, je ne veux plus que tu me tourmentes, ni le jour ni la nuit, ni au printemps, ni en été, ni en automne et surtout pas en hiver. Tu vois, là-bas, les fruits et légumes ? Je les mange ! Et toi, si tu continues, gare à toi !

       La clématite tremble d'effroi. Dans son affolement, elle balbutie :

       — Je... je regrette... Excuse-moi, je sais, je suis parfois capricieuse mais...

       Hervé la regarde.

       — Bon, n'en parlons plus.

       Il ôte délicatement quelques feuilles jaunissantes.

       — Bientôt viendra l'automne, on se reposera un peu, nous en avons besoin.

       Il s'éloigne. Dans le ciel, un vol de canards s'en va vers le sud.

bunni


L'arbre généreux

Il était une fois un arbre qui aimait un petit garçon.

Et le garçon venait le voir tous les jours.

Il cueillait ses feuilles et il s'en faisait des couronnes pour jouer au roi de la forêt.

Il grimpait à son tronc et se balançait à ses branches... et mangeait ses pommes.

Puis ils jouaient à va-te-cacher. Quand il était fatigué, il dormait dans son ombre.

Et le garçon aimait l'arbre.

Et l'arbre était heureux...

... énormément !

Mais le temps passa...

Et le garçon grandit...

Et l'arbre resta souvent seul.

Puis un jour le garçon vint voir l'arbre et l'arbre lui dit :

Approche- toi mon garçon , grimpe mon tronc et balance-toi à mes branches, et mange mes pommes et joue dans mon ombre et sois heureux !

- Je suis trop grand pour grimper aux arbres et pour jouer, dit le garçon .

Je veux acheter des trucs et m'amuser. Je veux de l'argent. Peux–tu me donner de l'argent ?

- Je regrette, mais je n'ai pas d'argent. Je n'ai que des feuilles et des pommes. Prends mes pommes mon garçon, et va les vendre en ville. Ainsi tu auras de l'argent et tu seras heureux.

Alors le garçon grimpa sans l'arbre, cueillit les pommes et les emporta.

Et l'arbre fut heureux.

Mais le garçon resta longtemps sans revenir...

Et l'arbre devint triste.

Puis un jour le garçon revint ; l'arbre trembla de joie et dit :

Approche-toi, mon garçon, grimpe à mon tronc et balance-toi à mes branches et sois heureux.

J'ai trop à faire pour grimper aux arbres, dit le garçon. Je veux une maison qui me tienne chaud, dit-il. Je veux une femme et je veux des enfants, j'ai donc besoin d'une maison. Peux-tu me donner une maison ?

- Je n'ai pas de maison, dit l'arbre. C'est la forêt ma maison, mais tu peux couper mes branches et bâtir une maison, alors tu seras heureux.

Le garçon lui coupa donc ses branches et les emporta pour construire sa maison.

Et l'arbre fut heureux.

Mais le garçon resta longtemps sans revenir.

Et quand il revint l'arbre fut tellement heureux qu'il put à peine parler.

Approche-toi mon garçon, murmura-t-il, viens jouer.

- Je suis trop vieux et trop triste pour jouer, dit le garçon. Je veux un bateau qui m'emmènera loin d'ici. Peux-tu me donner un bateau ?

- Coupe mon tronc et fais un bateau, dit l'arbre. Ensuite tu pourras t'en aller et être heureux.

Alors le garçon lui coupa le tronc et en fit un bateau pour s'en aller.

Et l'arbre fut heureux ... mais pas tout à fait ...

Et très longtemps après, le garçon revint encore.

Je regrette mon garçon, dit l'arbre, mais il ne me reste plus rien à te donner... Je n'ai plus de pommes.

- Mes dents son trop faibles pour des pommes, dit le garçon.

- Je n'ai plus de branches, dit l'arbre, tu ne peux plus t'y balancer.

- Je suis trop vieux pour me balancer aux branches, dit le garçon.

- Je n'ai plus de tronc, dit l'arbre, tu ne peux pas grimper.

- Je suis trop fatigué pour grimper aux arbres, dit le garçon.

- Je suis navré, soupira l'arbre. J'aimerais bien te donner quelque chose... Mais je n'ai plus rien. Je ne suis plus qu'une vieille souche. Je suis navré...

- Je n'ai plus besoin de grand-chose maintenant, dit le garçon, juste un endroit tranquille pour m'asseoir et me reposer. Je suis très fatigué.

- Eh bien, dit l'arbre en se redressant autant qu'il le put, eh bien, une vieille souche c'est bien pour s'asseoir et se reposer. Approche-toi, mon garçon, assieds-toi. Assieds-toi et repose-toi .

Ainsi fit le garçon.

Et l'arbre fut heureux.

bunni


LA FLEUR ET L'ABEILLE

Il était une fois, une plante très délicate qui était composée d'une fleur et d'un petit bourgeon. La fleur, au coeur jaune et aux pétales blancs, était vieille et allait mourir d'une journée à l'autre. Mais tout à côté, un joli bourgeon allait éclore et prendre la place.

Vint donc ce jour; la petite fleur, naissant au sourire du soleil, s'étira, ouvrit ses yeux et baîlla.

Elle se faisait chauffer au soleil, lorsque brusquement elle se sentit bien seule. Elle partit donc en quête d'une amie, mais en vain. Elle était si fatiguée qu'elle s'asseya sur l'herbe tendre et verte, et elle s'endormit épuisée de cette longue marche.

Non loin de là, se promenait une abeille rayée de jaune et de noir. Elle virevoltait, allait puiser du nectar dans les corolles des autres fleurs. Tout à coup, l'abeille vit une petite fleur bleue au coeur jaune et aux veines rosées. C'était la plus jolie fleur qu'elle ait jamais vue. Eh oui!, c'était notre petite fleur qui rêvait d'avoir une amie. L'abeille la contourna, plana au-dessus de sa tête et s'immobilisa au sol. Tout ce bourdonnement avait réveillé la petite fleur et avait attiré son attention. Quelle drôle de personnage se dit-elle. Un peu timide, elle lui demanda: "Bonjour!... qui es-tu?" L'abeille lui répondit: "Je suis Bellabeille, et toi?" La petite fleur, toujours un peu gênée: "Je me nomme Fleurette". Et c'est de cette façon qu'elles firent connaissance.

Lorsqu'elles se furent bien connues, elles allèrent jouer ensemble dans le grand pré vert. Elles s'amusèrent à cache-cache sous l'ombre des grands arbres et aussi à bien d'autres jeux intéressants. Cela dura des jours entiers.

Un bon matin, Bellabeille amena Fleurette chez elle. Bellabeille demeurait dans une magnifique ruche. Fleurette ne connaissait pas ce qu'était une ruche, elle n'avait même pas idée de ce qu'était une maison. Sa maison, à elle, c'était le champ dans lequel elle était née et où elle demeurait; son feu de bois, c'était le soleil; sa nourriture, c'était la pluie qui tombait; son toit, c'était le firmament.

Fleurette contempla longuement la ruche. Elle regarda les abeilles qui entraient et sortaient pour accomplir leur travail quotidien.

Fleurette: "Qu'est-ce qu'elles font?"

Bellabeille: "Elles vont récolter le nectar dans la corolle des fleurs; elles l'amassent dans leur jabot et l'entreposent dans les alvéoles de la ruche."

Tout en lui expliquant le procédé, Bellabeille lui montrait comment les abeilles s'affairaient. Fleurette était émerveillée devant ce spectacle.

Mais, ce n'était pas tout!... Bellabeille lui montra aussi les autres travailleurs.

Bellabeille: "Dans la ruche, il y a trois classes de travailleurs. Premièrement, il y a la Reine; c'est la femelle féconde qui pond près de 2500 oeufs par jour, pendant plusieurs années.

Il y a quelques centaines de mâles, que l'on nomme Faux Bourdons. Il y a aussi plusieurs dizaines de milliers d'Ouvrières, femelles stériles, dont la vie ne dépasse pas quelques semaines. Ce sont elles qui construisent les alvéoles de cire que tu vois, qui nourrissent la colonie de pollen et de nectar butinés sur les fleurs, et la défendent grâce à l'aiguillon venimeux terminant leur abdomen."

Fleurette: "C'est très intéressant, mais comment faites-vous pour vivre entassés ainsi?"

Bellabeille: "C'est ce qu'on appelle la vie communautaire. Chacun aide l'autre; nous avons été élevés ici
et nous avons appris à vivre ainsi."

Fleurette n'en croyait pas ses yeux; autant de population dans une si petite ruche. Elle qui était toute seule dans un aussi grand champ...

***

Une semaine était passée et Bellabeille avait coutume de rendre visite à Fleurette tous les jours. Mais aujourd'hui, elle n'était pas encore venue; Fleurette s'impatienta et se mit à pleurer.

Fleurette: "Il est certainement arrivé quelque chose à Bellabeille! Elle m'aurait avertie si elle n'avait pas
pu venir!"

Brusquement, de gros nuages gris cachèrent le soleil; il se mit à pleuvoir sans arrêt. Les éclairs perçaient de leurs pointes aigües les nuages, le tonnerre grondait si fort que la terre en tremblait.

Bellabeille qui allait à la rencontre de Fleurette, se sentit désarmée devant tout ce spectacle. Elle cherchait bien un coin pour se cacher, mais n'en trouvait aucun. Elle était toute mouillée, et avait de la peine à avancer.

Pendant ce temps, Fleurette se mit à la recherche de Bellabeille. Elle courut autant qu'elle put, elle marcha longuement.

Plus tard, elle vit une forme allongée étendue sur le sol. Elle avança rapidement auprès de la forme, et s'aperçut que c'était Bellabeille. Elle la regarda avec anxiété, la toucha, lui parla sans recevoir de réponse. Bellabeille avait l'air morte. Avec espoir, Fleurette la traîna jusque dans une grotte non loin de là. Elle connaissait cette grotte depuis peu, mais elle savait que c'était un endroit sûr. Fleurette fit un lit à Bellabeille avec des feuilles de chêne et elle la déposa sur le lit, elle la recouvrit d'une feuille d'érable en guise de couverture. Fleurette n'en pouvant plus, s'endormit épuisée et bouleversée.

Peu de temps après, Bellabeille se réveilla, se tourna sur le côté pour regarder où elle était. Fleurette qui avait le sommeil léger sursauta en entendant le crissement des feuilles. Elle se leva et dit:

Fleurette: "Est-ce que tu vas mieux?"

Bellabeille: "Oui, mais je ne me souviens pas de ce qui s'est passé!"

Fleurette: "Tu as dû t'évanouir, tellement tu étais fatiguée, et cette pluie..., tiens, il a cessé de pleuvoir.

Il fait beau maintenant!"

En réalité, ce n'était qu'un de ces mauvais jours! se dirent-elles.

Trois jours plus tard, Bellabeille se sentait en pleine forme. Elle quitta pour toujours ses frères et soeurs. Elle dit aurevoir à sa ruche. Oui, elle allait demeurer avec Fleurette dans la jolie grotte. Elles allaient travailler et jouer ensemble maintenant. Elles étaient si heureuses. Rien ne pouvait les séparer désormais sinon la mort. Rien ne pouvait briser leur amitié, car elles avaient sû comment l'acquérir et comment la garder.


F I N


bunni


Le Palais aux mille horloges

Dans un pays, pas loin d'ici, il y avait un palais.  Dans ce palais, il y avait mille horloges.

C'est que le roi de ce pays-là voulait toujours avoir l'heure juste.  Le matin, en s'éveillant, il jetait les yeux sur sa pendule de chevet.  Mais il se demandait aussitôt si cette pendule marquait bien « la bonne heure ».

Pour s'en assurer, il allait comparer avec le coucou du mur nord.  Puis, pour vérifier si le coucou ne retardait pas, il allait consulter le cartel du foyer.  De peur que le cartel ne soit en avance, il courait interroger l'horloge grand-père du couloir.

Ainsi, d'horloge en pendule et de coucou en cadran, le roi courait jusqu'au soir.  Il s'habillait en allant d'une horloge à l'autre.  Il mangeait en comptant les douze coups de midi.  Il recevait ses ministres en surveillant les valets qui relevaient les poids, remontaient les ressorts, tournaient les clefs, viraient les manivelles.

Par malheur, il se trouvait toujours une pendule pour sonner une minute après le coucou, une horloge pour carillonner trois secondes avant le cartel.  Le roi n'était jamais tranquille.  Le roi n'était jamais content.  Il chicanait ses valets, rabrouait ses ministres, congédiait ses horlogers pour les rappeler tout de suite après.

—Comment peut-on gouverner un royaume, se lamentait le pauvre roi, quand on ne peut régler quelques horloges?  Quelle sorte de roi suis-je, si je ne puis jamais savoir l'heure juste?

Ainsi, toute la journée, il se démenait, se désespérait, courait sans s'arrêter de pendule en horloge et de cadran en coucou.

À la millième horloge, il tombait de sommeil.  Alors un vieux serviteur fermait sur lui les rideaux du grand lit.  Mais toute la nuit, le roi rêvait.  Dans son rêve, il voyait une princesse, la plus belle princesse du monde, qui courait vers lui en ouvrant ses beaux bras.  Mais comme elle allait le rejoindre, un coucou géant sortait d'une tour en grinçant, enlevait la princesse dans son bec monstrueux et l'emportait tout en haut de la tour.

Le reste de la nuit, dans son rêve, le roi essayait d'escalader la tour.  Il plantait ses ongles dans la pierre, grimpait, grimpait, mais chaque fois qu'il s'approchait du sommet d'où la princesse éplorée se penchait pour l'appeler, le coucou géant sortait pour sonner les douze coups de minuit, la tour se mettait à trembler et le roi retombait.

Puis venait le matin.  Le roi s'éveillait et tout de suite jetait les yeux sur sa pendule de chevet.

Ainsi les jours passaient, les semaines, les mois et les années.  Le roi maigrissait, le royaume dépérissait, les sujets étaient tristes, les ministres impuissants.  Seuls les horlogers étaient heureux, car il faisaient des affaires d'or.

Or il y avait, au palais, une petite servante qui aimait beaucoup le roi.  Pourquoi elle l'aimait, on ne le sait pas trop.  Mais elle l'aimait vraiment beaucoup.  Elle le trouvait beau, malgré son air toujours contrarié.  Quand elle le croisait, toujours courant d'une horloge à l'autre, elle admirait son énergie et sa constance.  Elle aurait voulu le consoler quand il se lamentait sur ses malheurs.

Seulement elle n'était qu'une humble petite servante que personne ne regardait, ni le roi ni ses ministres, ni les horlogers ni même les valets.  Si quelqu'un l'avait bien regardée, il aurait vu comme elle était jolie, malgré sa robe toute simple et son modeste bonnet noir.  Mais les valets étaient trop occupés à relever les poids, remonter les ressorts, tourner les clefs et virer les manivelles.  Les horlogers n'avaient pas trop de tout leur temps pour ajuster les mouvements, rajuster les mécanismes, nettoyer les engrenages.  Quant aux ministres, ils gardaient les yeux baissés pour ne pas trébucher sur le bord de leur robe en suivant la course du roi.  Et le roi n'avait d'yeux que pour la position des petites et grandes aiguilles...

Donc la petite servante aimait le roi, et personne ne le savait.  Elle l'aimait vraiment beaucoup.  Mais comment faire pour qu'il la regarde, ne serait-ce qu'une fois?

Eh! bien, la petite servante a trouvé.  Quand elle aime, une jeune fille trouve toujours le moyen pour que l'aimé la regarde.  Même si l'aimé est un roi et la jeune fille une humble petite servante.
Voilà donc ce qu'elle fit.  Une nuit, quand tout le monde au palais fut profondément endormi (même le roi qui rêvait d'une princesse enlevée par un coucou géant), la petite servante fit le tour de tous les salons, de tous les boudoirs, de tous les vestibules, de toutes les chambres, et elle arrêta toutes les pendules, les horloges, les cadrans, les cartels.  Il lui fallut courir très, très vite, car il y avait mille horloges dans le palais, je vous le rappelle.

Mais elle réussit, car il n'est rien d'impossible à une jeune fille amoureuse.

Le matin suivant, quand le roi s'éveilla, il jeta les yeux sur sa pendule de chevet.  Tout étonné, il vit qu'elle marquait dix heures dix.  Il alla consulter le coucou du mur nord...  qui marquait aussi dix heures dix.  Comme le cartel du foyer.  Comme l'horloge grand-père du couloir.

Toutes les petites aiguilles étaient sur le dix, toutes les grandes aiguilles sur le deux.  Tous les rouages étaient arrêtés, tous les balanciers étaient immobiles, tous les carillons étaient silencieux.

Affolé, le roi se demandait :

—Quelle heure est-il?  Quelle heure est-il?  Il ne peut pas être dix heures dix, le soleil vient de se lever.  Quelle heure est-il?  Qu'est-il arrivé? Que vais-je devenir?

Les valets tremblaient, les ministres se regardaient en se demandant comment sauver la face, les horlogers n'osaient bouger de peur que toute la colère du roi ne tombe sur eux.

Alors la petite servante s'avança, humble et tranquille.  Elle s'inclina devant le roi et dit :

—Sire mon roi, je sais que toute votre tristesse et tous les malheurs du royaume viennent de ce que vous ne pouvez jamais savoir l'heure juste.  Si vous voulez bien m'écouter, je connais le moyen pour que vos mille horloges soient toutes en même temps exactement, précisément, rigoureusement à la bonne heure.

—Ne l'écoutez pas, sire, dirent les valets.  Ce n'est qu'une petite servante de rien du tout.
—Ne l'écoutez pas, sire, murmurèrent les ministres.  Mais ils ne savaient pas trop pourquoi il ne fallait pas l'écouter.

—Ne l'écoutez pas, sire, crièrent les horlogers.  Elle n'a pas fait son apprentissage, elle n'a pas de diplôme!

—Je t'écoute, dit le roi en écartant valets, ministres et horlogers.  Parle, petite servante.  Si tu connais le moyen pour que toutes mes horloges me donnent l'heure juste, ne serait-ce qu'une fois pas jour, je suis prêt à t'offrir la moitié de mon royaume!

—Sire mon roi, répondit la petite servante, je sais ce qu'il faut faire pour que vos horloges vous donnent l'heure juste non pas une fois, mais deux fois chaque jour.  Mais je ne veux pas de la moitié de votre royaume.

—Parle, dit le roi.  Si ce que tu dis est vrai, tu pourras me demander tout ce que tu voudras!

Alors la petite servante tendit la main vers le cadran d'une grosse horloge grand-père.

—Voyez, sire mon roi, dit-elle.  Toutes vos horloges marquent dix heures dix.  Chaque matin et chaque soir, quand il sera réellement dix heures dix, toutes vos horloges vont vous donner l'heure durant toute une minute.  Pour cela, il suffit qu'elles restent arrêtées...

Les valets se grattaient la tête sans comprendre.  Les horlogers, qui avaient compris, se mirent à protester bruyamment.  Les ministres, qui ne savaient s'ils devaient comprendre ou non, essayaient de prendre un air de convenance.

Sur le visage du roi, doucement, naquit un sourire.  Et savez-vous, elle avait raison, la petite servante.  Il était beau, le roi, quand il souriait...

—Petite servante, dit le roi, tu es bien sage.  Et puis tu es bien jolie.  Je me demande comment je ne l'avais pas remarqué avant...  Tu as raison, bien sûr.  Avoir l'heure juste deux fois par jour, c'est un bien grand privilège, pour un roi.  Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai.

—Je ne veux pas la moitié de votre royaume, répondit la petite servante en rougissant un peu, mais je voudrais bien tout votre cœur, car je vous aime.

Ainsi le roi, ce matin-là, trouva la paix, la sagesse et l'amour.  Depuis le royaume est prospère, les sujets sont heureux, les ministres discrets et les horlogers sont maigres.

Ah!  J'oubliais de vous dire... Il arrive encore que le roi rêve, la nuit.  Dans son rêve, c'est lui qui court vers la plus belle princesse du monde, et au moment où il va la rejoindre, un coucou géant sort d'une tour en grinçant.  Alors la princesse tord le cou du coucou, qui se transforme en voilier avec deux mâts qui ressemblent à des aiguilles marquant dix heures dix.

Le roi et la princesse, qui ressemble parfaitement à la petite servante, s'embarquent sur le voilier et voguent vers un autre matin.
 



bunni


Le prince de la rivière Verte

Il était une fois un prince qui voulait bâtir son château au bord de la rivière Verte.

Ce n'était qu'un tout petit prince : il n'avait qu'un habit, qu'un manteau, qu'un chapeau.  Il n'avait pas même un cheval pour le porter, pas même un serviteur pour le servir.

Or ce jour qu'il se promenait sur le bord de la rivière Verte, mesurant de l'œil la longueur et la hauteur et l'épaisseur des murs de son futur château, le prince vit un petit chien gris qui s'avançait vers lui en traînant la patte.

—Bonjour, petit chien gris, salua le prince.

—Wof! répondit le chien, et il vint s'asseoir devant le prince.

—Oh! dit le prince, tu as une puce sur ton oreille...  Mais ça ne fait rien, même les puces ont le droit de vivre.  Tiens, prends ce croûton que j'ai dans ma poche.  C'était mon déjeuner, ajouta-t-il en regardant tristement le bout de pain, mais je crois bien que tu as faim encore plus que moi!

Le petit chien gris se jeta sur le croûton et l'avala en trois bouchées.  Puis il se rassit, regarda le prince dans les yeux et se mit à remuer la queue :

—Wof!

—Quoi encore?  Ah! Bien sûr, tu as soif maintenant, dit le prince.  Tiens, il me reste un peu d'eau dans ma gourde.

Le prince prit la gourde de sa main droite, versa l'eau dans le creux de sa main gauche et le chien lapa vigoureusement.  En trois coups de langue, il but toute l'eau.

—Wof! jappa-t-il joyeusement.  Et il partit en trottinant.

Le prince resta seul au bord de la rivière et recommença à mesurer de l'œil la longueur et la hauteur et l'épaisseur des murs de son futur château.  Hélas! Les murs ne seraient pas bien épais, ni bien longs, ni bien hauts.  Car c'était un tout petit prince qui n'avait qu'un habit, qu'un manteau, qu'un chapeau.  Et comme il n'avait pas de cheval ni de serviteur, son château n'aurait pas besoin d'écurie ni de communs.

Il n'aurait pas besoin non plus de cuisines puisque le prince n'avait plus rien à manger.  Et comme il n'avait plus rien à boire, il ne faudrait pas prévoir de saloir ni de fumoir, vu que le poisson salé et le jambon fumé donnent soif...

Le prince, à mesure qu'il pensait à tout cela, voyait les murs de son château se raccourcir, s'abaisser, se rétrécir.

—Je n'ai même pas une princesse qui veuille m'épouser, songeait le pauvre prince.  Ni même une bergère qui m'aime en secret.  Au fond, est-ce bien la peine de me construire un château?

Alors le prince s'assit tristement sur une pierre et se mit à lancer des cailloux dans la rivière.

—Wif!  Wif!  Wif!  entendit-il soudain derrière lui.  Il se retourna : quelle surprise!  Le petit chien gris trottinait joyeusement, essayant de japper tout en gardant dans sa gueule les rênes d'un magnifique cheval gris.  Le cheval était tout sellé, tout bridé, tout ferré.  Le petit chien gris le conduisit jusqu'au prince, déposa les rênes à ses pieds et s'assit en remuant la queue.  La puce sauta de son oreille droite à son oreille gauche.

—Waf!  Waf! ajouta le petit chien.

Le prince, émerveillé, sauta en selle et fit volter le magnifique cheval.  Il le mit au pas, puis au trot, puis au galop et fit un grand tour dans la plaine; puis il revint pour remercier le petit chien.

Mais le petit chien était parti! 

Alors le prince descendit de son cheval, qu'il décida d'appeler Grisou, car il était tout gris et aussi vif qu'une explosion.

—Il faudrait bien que je te bouchonne, que je te nourrisse, que je t'abrite, mon pauvre Grisou, dit le prince.  Hélas!  Je ne suis qu'un pauvre prince, je n'ai jamais appris à soigner les chevaux, et je n'ai pas d'écurie puisque je n'ai pas encore de château...

—Wif!  Wif!  Wif! entendit-il soudain derrière lui. Le petit chien gris était revenu et essayait de japper tout en gardant dans sa gueule une corde de soie dont l'autre bout était tenu par un serviteur, un colosse!  Le serviteur était muet.  Le petit chien gris le conduisit jusqu'au prince, déposa la corde à ses pieds et s'assit en remuant la queue.  La puce lui sautait sur le dos.

—Waf!  Waf!  ajouta le petit chien.

Le prince, de plus en plus émerveillé, montra Grisou de la main et aussitôt le serviteur se mit à bouchonner le cheval.  Puis il lui arracha une grosse brassée de bonne herbe.  Ensuite il prit la corde de soie, plia l'un vers l'autre trois sapins formant triangle et attacha les trois têtes des sapins avec la corde de soie.  Cela faisait une hutte verte, dans laquelle le cheval s'abrita pour manger tranquillement la bonne herbe.

—Eh! Bien, se dit le prince, voici que j'ai un serviteur, un cheval et même une écurie.  Merci petit chien gris...

Mais le petit chien était parti.

Le prince n'était plus tout seul au bord de la rivière.  Il recommença à mesurer de l'œil la longueur et la hauteur et l'épaisseur des murs de son futur château. Les murs ne seraient peut-être pas bien épais, ni bien longs, ni bien hauts.  Car c'était un tout petit prince qui n'avait qu'un habit, qu'un manteau, qu'un chapeau.  Mais il avait maintenant un cheval et un serviteur aussi, alors il fallait prévoir des communs à son château, et une véritable écurie pour remplacer la hutte de sapin.

—Au fond, est-ce bien la peine de me construire un château? se disait toutefois le prince.  Je n'ai même pas une princesse qui veuille m'épouser, ni même une bergère qui m'aime en secret.  Et puis mon serviteur a beau être un colosse, il ne pourra me construire un château à lui tout seul...

—Wif!  Wif!  Wif! entendit-il soudain derrière lui. Le petit chien gris était revenu et essayait de japper tout en gardant dans sa gueule une longe de cuir dont l'autre bout était noué au cou d'un bœuf énorme.  Le bœuf était attelé à une grande charrette remplie d'artisans : il y avait des charpentiers avec leurs marteaux, des menuisiers avec leurs équerres, des ébénistes avec leurs ciseaux; il y avait des tailleurs de pierre, des sculpteurs, des couturières, des peintres, des jardiniers...  Le petit chien gris mena le bœuf jusqu'au prince, déposa la longe de cuir à ses pieds et s'assit en remuant la queue.  La puce se balançait au bout de son sourcil gauche.

—Waf!  Waf!  ajouta le petit chien.

Le prince était de plus en plus surpris.  Il fit un geste de la main, et aussitôt les artisans se mirent au travail : c'était merveille de les voir mesurer, nettoyer, creuser, monter, ajuster, sculpter, coudre, ordonner...  Le grand bœuf transportait des pierres énormes, et le colosse de serviteur plaçait des poutres gigantesques.  En moins de temps qu'il n'en faut pour le rêver, un château magnifique s'éleva sur le bord de la rivière Verte.  Un château avec des murs longs, hauts, épais comme les murs du château d'un grand prince.  Et il y avait des écuries, des communs, un saloir, un fumoir, un puits et des jardins pleins de fruits, de légumes et de fleurs.

—Eh! Bien, se dit le prince, voici que j'ai des ouvriers, un serviteur, un cheval et un château magnifique comme en ont les grands princes!  Merci petit chien gris...

Mais le petit chien était parti.

Le prince visita toutes les pièces de son château, il marcha longuement dans les jardins, il se promena à cheval dans les allées soigneusement ratissées, il mangea et but, il se coucha et dormit dans le grand lit de plume.  Il s'éveilla, son serviteur l'habilla avec de merveilleux habits neufs tout décorés de dentelles et de rubans.  Alors il revisita toutes les chambres, remarcha dans les jardins, se refit une promenade à cheval, remangea, se recoucha...

Très vite il devint triste

—Je n'ai même pas une princesse qui veuille m'épouser, ni même une bergère qui m'aime en secret.  À quoi bon mon château, mes ouvriers, mon serviteur, mon cheval?  Avant je n'avais qu'un habit, qu'un manteau, qu'un chapeau, j'étais un bien petit prince, et j'étais seul.  Maintenant je suis un grand prince, mais je suis toujours aussi seul...  Si seulement je pouvais retrouver mon petit chien gris!  Je voudrais bien le garder avec moi, même s'il a des puces.

—Wif!  Wif!  Wif! entendit-il soudain derrière lui. Le petit chien gris était revenu et essayait de japper tout en gardant dans sa gueule un gant de satin.  Un tout petit gant tout gris, avec trois perles en guise de boutons.  Le petit chien gris porta le gant jusqu'au prince, le déposa à ses pieds et s'assit en remuant la queue.  La puce était immobile entre ses deux oreilles.

—Waf! Waf! Waf! ajouta le petit chien.

Le prince se demandait à qui pouvait bien servir un si petit gant.  Il le prit, le regarda, le tourna en tous sens, le caressa du doigt et le trouva très doux.

—C'est un gant pour une princesse, dit le prince.  Et encore, il faudrait que cette princesse n'ait pas la main plus grande que ta petite patte, ajouta-t-il en souriant au petit chien gris.

Alors le petit chien gris pencha la tête un peu de côté puis tendit devant lui sa petite patte, sur laquelle se promenait la puce.  Le prince, par jeu, y enfila le petit gant.  Et soudain...  POUF! Un grand nuage de fumée envahit la chambre.  Le prince ne voyait plus rien, et puis la fumée lui piquait le nez et il avait envie d'éternuer!

Mais la fumée se dissipa très vite, et le prince vit que maintenant le petit chien gris était assis sur les genoux d'une princesse toute vêtue de gris, avec des cheveux couleur de sable et des yeux couleur de noisette.

—Bonjour, dit la princesse.

—Bonjour, répondit le prince intimidé.  Qui êtes-vous, belle dame?

—Je suis la princesse Perlette, dit la princesse.  Une mauvaise fée m'avait changé en puce...  Heureusement mon petit chien ne m'a jamais abandonnée.  Il m'a transportée sur lui pendant tout le temps où j'ai été ensorcelée.  Il m'a nourrie, réchauffée, promenée à travers le monde.  Pour que cesse le sort que m'avait jeté la mauvaise fée, il fallait que je trouve un prince qui m'enfile mon gant.

C'est ainsi que le tout petit prince de la rivière Verte, qui n'avait qu'un habit, qu'un manteau, qu'un chapeau, devint un grand prince.  Parce qu'il croyait que même les puces ont le droit de vivre, il a maintenant des ouvriers, un cheval, un serviteur, un château.

Je pense qu'il a trouvé aussi une princesse pour l'épouser, et un petit chien gris pour amuser les nombreux enfants qu'ils auront sans doute.

Quant à savoir si quelque part une bergère l'aime en secret, ça...  l'histoire ne le dit pas!

bunni


Le plus gros gros mot du monde

Il était une fois un petit garçon, qui s'appelait Oumbabayé. Qu'est-ce qu'il était beau ! Il était tout noir. Sa peau était aussi sombre qu'une nuit sans lune, il avait des yeux immenses, dans lesquels brillaient mille et une étoiles et des cheveux crépus, des cheveux plus frisés que la laine du mouton.

Un jour où Oumbabayé jouait devant sa case, il vit venir à lui un homme, sur la piste qui menait au village, un homme qui se traînait, qui se traînait, qui se traînait... Oumbabayé, intrigué, courut à lui et lui dit :

-Es-tu malade, l'homme, pour marcher ainsi ?

L'homme lui répondit :

-Oh pour la santé ça va, mais vois-tu, c'est moi qui l'ai, le plus gros gros mot du monde, et qu'est ce qu'il est lourd à porter. Je voudrais le confier un moment à quelqu'un, un bref instant, pour pouvoir me reposer et continuer mon chemin !

Oumbabayé, qui était un enfant gentil, et aussi curieux, comme tous les enfants, s'empressa... À peine l'homme lui eut-il confié le gros mot, le plus gros gros mot du monde, que l'homme se mit à courir, à courir, à courir, si vite que bientôt il n'était plus qu'un point, sur la piste s'éloignant du village !

Pauvre Oumbabayé ! Il se traînait dans la savane, quand il rencontra le dromadaire. Je vous parle d'un temps où le dromadaire avait le dos aussi plat que ma main. Le dromadaire lui dit :

-Es-tu malade, Oumbabayé, pour marcher ainsi ?

Oumbabayé lui répondit :

-Oh pour la santé ça va, mais vois-tu, c'est moi qui l'ai maintenant, le gros mot, le plus gros gros mot du monde, et je voudrais le confier à quelqu'un, un bref instant, pour pouvoir me reposer et continuer mon chemin !

À peine Oumbabayé lui eut-il confié le plus gros gros mot du monde, que le dromadaire qui avait le dos plat comme ma main, mais aussi très sensible, attrapa une bosse énorme. Il rendit le gros mot à Oumbabayé en lui disant :

-Tu peux le garder ton gros mot. Tu as vu l'effet que ça me fait ?

Et depuis, eh bien il l'est resté, bossu, le dromadaire !

Pauvre Oumbabayé ! Il se traînait dans la savane, quand il rencontra la girafe. Je vous parle d'un temps où la girafe avait un cou ridiculement court. La girafe lui dit :

-Es-tu malade, Oumbabayé, pour marcher ainsi ?

Oumbabayé lui répondit :

-Oh pour la santé ça va, mais vois-tu, c'est moi qui l'ai maintenant, le gros mot, le plus gros gros mot du monde, et je voudrais le confier à quelqu'un, un bref instant, pour pouvoir me reposer et continuer mon chemin. Veux-tu t'en charger ?

La girafe, qui était une girafe fière, hautaine, comme toutes les girafes, se monta du col, se monta du col, se monta du col. Elle dit à Oumbabayé :

-Pour qui me prends-tu ?

Et depuis, eh bien elle l'est restée, collet monté, la girafe !

Pauvre Oumbabayé ! Il se traînait dans la savane, quand il rencontra le crocodile. Le crocodile lui dit :

-Es-tu malade, Oumbabayé, pour marcher ainsi ?

Oumbabayé lui répondit :

-Oh pour la santé ça va, mais vois-tu, c'est moi qui l'ai maintenant, le gros mot, le plus gros gros mot du monde, et je voudrais le confier à quelqu'un, un bref instant, pour pouvoir me reposer et continuer mon chemin !

À peine Oumbabayé lui eut-il confié le gros mot, le plus gros gros mot du monde, que le crocodile, de savoir un mot pareil, ça lui fit un drôle d'effet. Ça le fit pleurer. Il rendit le gros mot, le plus gros gros mot du monde à Oumbabayé, en lui disant :

-Tu peux le garder ton gros mot. Tu as vu l'effet que ça me fait ?

Et depuis, eh bien il n'a jamais cessé de pleurer, le crocodile !

Pauvre Oumbabayé ! Il se traînait dans la savane, quand il rencontra l'hyène. L'hyène lui dit :

-Es-tu malade, Oumbabayé, pour marcher ainsi ?

Oumbabayé lui répondit :

-Oh pour la santé ça va, mais vois-tu, c'est moi qui l'ai maintenant, le gros mot, le plus gros gros mot du monde, et je voudrais le confier à quelqu'un, un bref instant, pour pouvoir me reposer et continuer mon chemin.

À peine Oumbabayé lui eut-il confié le gros mot, le plus gros gros mot du monde, que l'hyène, de savoir un mot pareil, ça lui fit un drôle d'effet. Ça la fit rire, mais rire, mais rire ! Elle rendit le gros mot, le plus gros gros mot du monde à Oumbabayé et lui dit :

-Tu peux le garder ton gros mot. Tu as vu l'effet que ça me fait ?

Et depuis, eh bien elle n'a jamais cessé de ricaner, l'hyène !

Pauvre Oumbabayé ! Il se traînait dans la savane, quand il rencontra le serpent. Je vous parle d'un temps où les serpents avaient des pattes. Le serpent lui dit :

-Es-tu malade, Oumbabayé, pour marcher ainsi ?

Oumbabayé lui répondit :

-Oh pour la santé ça va, mais vois-tu, c'est moi qui l'ai maintenant, le gros mot, le plus gros gros mot du monde, et je voudrais le confier à quelqu'un, pour pouvoir me reposer, un bref instant, et continuer mon chemin !

À peine Oumbabayé lui eut-il confié le gros mot, le plus gros gros mot du monde, que le serpent, de savoir un mot pareil, eh bien ça lui fit un drôle d'effet. Ça lui coupa les jambes ! Il rendit bien vite le gros mot, le plus gros gros mot du monde à Oumbabayé, en lui disant :

-Tu peux le garder ton gros mot. Tu as vu l'effet que ça me fait ?

Et depuis, eh bien il n'a jamais cessé de ramper sur le ventre, le serpent.

Pauvre Oumbabayé ! Il se traînait dans la savane, quand il rencontra la tortue. Je vous parle d'un temps où la tortue était bavarde, mais bavarde ! Elle passait son temps à dire du mal des uns, à dire du mal des autres. Et où elle courait vite, mais vite. Elle courait d'un côté pour dire du mal des uns, elle courait de l'autre pour dire du mal des autres ! La tortue lui dit :

-Es-tu malade, Oumbabayé, pour marcher ainsi ?

Oumbabayé lui répondit :

-Oh pour la santé ça va, mais vois-tu, c'est moi qui l'ai maintenant, le gros mot, le plus gros gros mot du monde, et je voudrais le confier à quelqu'un, un bref instant, pour pouvoir me reposer et continuer mon chemin !

À peine Oumbabayé lui eut-il confié le gros mot, le plus gros gros mot du monde, que de savoir un mot pareil, eh bien ça lui a fait un drôle d'effet, à la tortue. Ça lui a coupé la parole...


Comptine de la tortue.
Je suis la tortue qui chemine.

Je suis la tortue cheminant.

Si je ne dis rien, je n'en pense pas moins.

Si je ne dis rien, j'entends.

J'entends les vertes et les pas mûres.

J'entends les petits et les grands.

J'entends le discours des adultes.

J'entends le serment des jeunes gens.

J'entends le discours des adultes.

Et le rire des enfants.

Je suis la tortue qui chemine.

Je suis la tortue cheminant.

Si je ne dis rien, je n'en pense pas moins.

Si je ne dis rien, j'entends.

Le gros mot, le plus gros gros mot du monde, elle l'a gardé pour elle ! Depuis elle se traîne, elle se traîne, elle se traîne... Et si quelqu'un me demande ce qu'est le plus gros gros mot du monde, moi, je ne peux pas répondre. Il n'y a que la tortue qui le sait

bunni


Astrologie chinoise : La légende des 12 signes

Un jour, le Roi de la Montagne (le Tigre), le Roi des Mers (le Dragon) et le Roi des Oiseaux (le Phénix) se sont présentés devant l'Empereur de Jade, pour se plaindre d'être malmenés par les humains. L'Empereur de Jade décida donc de dédier dix animaux aux années du cycle lunaire ; ainsi, les gens, en pensant à leurs propres signes zodiacaux, seraient moins enclins à les maltraiter. Il ordonna donc aux trois Rois de rassembler tous leurs sujets, le lendemain à l'aube. Les premiers à se présenter devant l'Empereur seront les élus.

Au royaume du Roi de la Montagne, le chat, s'inquiétant de ne pouvoir se réveiller à temps pour se présenter à la porte du Sud, demanda au rat de l'appeler avant de partir. Le rat lui promit de ne pas l'oublier. Cependant, un peu avant l'aube, le rat, de peur que le chat ne le laisse à la traîne s'ils partaient ensemble, décida de se rendre en catimini au palais de l'Empereur de Jade.

A l'aube, l'Empereur demanda à l'un de ses ministres de se parer d'une feuille de papier et d'encre et de noter le nom de l'animal qu'il prononcerait. Ensuite, il cria aux visiteurs d'entrer. Comme chacun voulait absolument être le premier à pénétrer dans le palais, tous se ruaient vers la porte, provoquant ainsi un gigantesque bouchon.

Le rat pensait : « Avec ma petite taille, je ne pourrais jamais les pousser pour entrer ; par contre, j'aurais plus de chance en me faufilant entre leurs pattes ». C'est ce qu'il fit et devint ainsi le premier des signes du cycle lunaire.

Le buffle, en voyant le rat se glisser à l'intérieur, se senti vexé, n'ayant pas su utiliser sa force pour entrer dans le palais. A coup de cornes, il parvint enfin à s'introduire. L'Empereur de Jade dit : « Le buffle ».

Le tigre, en voyant cela, bondit par-dessus toutes les têtes massées devant la porte et se retrouva devant l'Empereur. Celui-ci déclara : « Le tigre est arrivé ! »

Le lièvre, conscient de sa petite force, prit exemple sur le rat. Il fut ainsi consigné dans la liste céleste.

Le dragon, voulant à tout prix faire partie des élus, dut faire une percée prodigieuse avec sa tête et sa queue. Son effort fut récompensé quand l'Empereur cria : « Le dragon ! »

Quant au serpent, aussi fin qu'une corde, il n'eut guère de mal à se glisser dans le palais.

Le cheval pris appui sur ses puissantes pattes arrière et accomplit un saut qui lui permit de franchir l'obstacle de la foule massée devant lui.

La chèvre, à l'aide de ses cornes et de sa petite corpulence, put également pénétrer dans le palais.

Le singe, en voyant autant d'animaux entrer, se gratta la tête, se pinça les oreilles, s'introduit à son tour en sautillant par-dessus les têtes des autres animaux.

Le coq commença à paniquer. « Il faut que je trouve un moyen d'entrer avant que le compte ne soit bon » se dit-il. Finalement, il y parvint à l'aide de ses ailes.

L'Empereur de Jade, en voyant les dix animaux, s'adressa à son ministre : « C'est assez ! » Celui-ci, un peu dur d'oreille, avait compris «chien» et nota chien dans son registre. (En chinois, assez et chien sont homophones). L'Empereur s'écria : « C'est suffisant ! ». Et le ministre comprit cohon. (En chinois, suffisant et cochon sont également homophones). C'est ainsi que le cochon fit partie des signes du zodiaque ! L'Empereur se tourna vers son ministre et lui arracha la liste céleste de ses mains. Il y compta douze animaux. Il déclara : « Tant pis, ce sera douze au lieu de dix ».

Ainsi naquit le cycle lunaire avec les douze animaux.

Epilogue

Le rat, ayant obtenu la tête de liste, se retourna tout content chez lui. En rentrant, il vit le chat en train de faire sa toilette. Le chat lui dit : «Ne devions-nous pas partir ensemble ?» Le rat lui rétorqua : «La sélection est finie, où veux-tu aller ?», «Pourquoi ne m'as-tu pas réveillé ?»; «Si je t'avais réveillé, je ne serais probablement pas en tête de liste à l'heure actuelle !» Le chat, en entendant cela, fut hors de lui ; et en une seule bouchée, avala le rat. Depuis ce jour, le rat est devenu l'ennemi du chat. C'est pourquoi chaque fois qu'un chat rencontre un rat, il lui court après pour le mordre.

bunni

#373

...La flûte et l'anneau enchantés (conte traditionnel d'Artois)

Une bonne femme faisait un jour son pain.
Il resta au fond de la maie un petit morceau de pâte.
Tiens, se dit-elle, si j'en faisais une galette pour mon fils Jeannot ! »
Et la femme prit un peu de beurre, le mêla à la pâte, ajouta deux oeufs et fit
une excellente galette toute dorée pour son fils Jeannot. Lorsque la galette fut
cuite, la bonne femme appela son fils et la lui donna en lui disant d'aller
jouer avec ses camarades.
Jeannot s'en alla sur la route, s'assit sur un rideau et se mit à manger sa
galette.
Une vieille femme passait justement sur la route.
« Bonjour, Jeannot, dit-elle. La bonne galette que tu manges ! Veux-tu m'en
donner un petit morceau ?
- Parbleu ! mais tout, si vous le voulez. Tenez, prenez-la.
- Tu es bien gentil, Jeannot ; je n'en veux que la moitié. »
Et lorsque la bonne vieille eut mangé sa part de galette, elle prit une bague et
une flûte et les donna à l'enfant en lui disant :
« Je ne veux pas être en reste avec toi. Tu m'as donné la moitié de ta galette
et je m'en suis bien régalée mais, en échange, prends cette flûte et cet anneau
merveilleux et garde-les avec soin, car ils pourront t'être de grande utilité
dans la vie. »
Jeannot remercia la fée, car c'en était une, et, dès qu'elle fut partie, essaya
de quelle utilité pouvaient lui être la bague et la flûte. A peine eut-il mis
l'anneau à son doigt qu'il se trouva petit, tout petit.
« Si au moins je pouvais me grandir de même ! » pensa Jeannot.
Et aussitôt il grandit, grandit et devint aussi gros qu'un moulin à vent ou
qu'une meule de foin.
Il ôta l'anneau et reprit sa taille naturelle. Puis il se mit à jouer de la
flûte enchantée, et grand fut son étonnement en voyant qu'autour de lui tout se
mettait à danser, à sauter en mesure de plus en plus fort.
« J'en sais assez, pensa Jeannot, pour faire mon tour de France.»
Et il prit le chemin de la ville.
Comme le soir de ce jour il traversait une forêt, des voleurs l'aperçurent et le
poursuivirent. Mais Jeannot se servit de sa bague merveilleuse et devint petit,
tout petit jusqu'à pouvoir se cacher sous une moitié de coquille d'oeuf.
Lorsque les voleurs l'eurent dépassé, Jeannot reprit sa taille ordinaire et s'en
alla par un autre chemin. D'autres voleurs le poursuivirent encore, et Jeannot
dut se cacher sous une feuille de chou où il passa la nuit.
Le lendemain, le jeune voyageur entra dans un château et y demanda
l'hospitalité. Les domestiques le conduisirent par-devant le seigneur, qui
n'était autre que le roi du pays avoisinant.
« Que veux-tu, jeune homme ? lui demanda le roi.
- A boire, à manger et à dormir, que cela vous plaise ou vous déplaise.
- Tu es un insolent, et je vais te faire rosser par mes valets.
- Je ne crains ni vous, ni vos valets. Je suis le plus puissant des nains et le
plus fort des géants. Voyez. »
Jeannot se fit immédiatement petit comme un moucheron, puis aussi grand que la
plus grosse tour du château, et le seigneur épouvanté lui fit servir un bon
dîner et lui donna une chambre et deux domestiques à ses ordres.
Le roi avait une fille extrêmement belle ; Jeannot la vit et l'aima. Il se
décida à la demander en mariage.
Le roi demanda à réfléchir quelques jours, puis, ce temps écoulé, il appela le
jeune aventurier.
« Je me suis promis, Jeannot, de ne marier ma fille qu'à celui qui m'aura donné
les plus grandes preuves d'adresse. Beaucoup de princes ont essayé ce que je
vais te proposer et n'ont pu réussir. Voici ce qu'il te faut faire pour avoir ma
confiance et obtenir la main de ma fille. Tu vas prendre douze lapins noirs et
douze lapins blancs que tu conduiras par les champs et par les bois sans les
attacher d'une façon ou d'une autre. Si tu ramènes les vingt-quatre lapins au
château lors du coucher du soleil, tu auras ma fille en mariage. Tu as compris ?
- Oui, oui. Je suis prêt à tenter l'épreuve. »
Jeannot prit les lapins et les conduisit dans les champs. Arrivés là, ils
auraient bien voulu s'échapper suivant leur fantaisie, mais Jeannot joua de sa
flûte et les obligea à danser de sorte qu'au coucher du soleil il les ramena
tous au château.
Le roi voulut essayer une seconde épreuve.
« Cette fois, je te donnerai ma fille si tu peux demain échapper au bourreau qui
devra te pendre dans la cour du château. Ce sera la dernière condition, je te le
jure. »
En effet, le lendemain on fit dresser une potence dans la grande cour du palais,
et le roi se mit au balcon pour regarder l'exécution de Jeannot. Au moment où le
bourreau allait lui mettre la corde au cou, le petit aventurier prit sa flûte,
joua, joua, tant et tellement que tous les assistants, depuis le roi jusqu'au
bourreau, faisaient des bonds prodigieux sans pouvoir s'en empêcher. Le roi se
vit obligé de demander grâce à Jeannot, qui épousa la princesse quelques jours
après. Le jeune homme fit venir sa mère au palais.
Quand le roi, son beau-père, mourut, Jeannot fut proclamé roi. Il vécut fort
heureux avec sa femme et il en eut de nombreux enfants.

Henry Carnoy, Contes français, 1885


bunni

#374

L'oiseau et l'étoile

Il était une fois une étoile du ciel qui se demandait comment ce serait de marcher sur la planète qu'elle illuminait chaque nuit, ou comment ça serait le fait de marcher ou de sentir la brise sur la peau. Alors elle demanda à la Fée de la Lune de la transformer juste pour  un jour en un oiseau pour ainsi pouvoir sentir la liberté de voler sur le firmament, de jouir de la beauté de cette planète et de sentir la terre sous ses pieds.

La Fée de la Lune lui concéda son vœu et la première sensation que l'étoile ressentit, une fois changée en oiseau, fut celle d'avoir perdu sa lumière, cependant, son instinct animal l'orientait.

L'étoile-oiseau savoura pour la première fois le plaisir du vol de la liberté, le plaisir de se laisser aller à la merci du vent, sans battre des ailes, simplement,  en les maintenant dépliées et immobiles pour se rendre aux caprices du mouvement du courant d'air. L'actuel oiseau connut ce qu'était traverser un nuage et sentir l'agréable sensation de la chaleur des rayons du soleil qui brouille son âme animale.

-Oh ! Je peux chanter ─dit l'étoile-. Quel trille si charmant et mélodieux sort de moi !

Et avec sa belle chanson, l'étoile désormais convertie en oiseau, parcourut sans s'arrêter de chanter et piailler les collines et les vallées, pendant qu'elle se laissait séduire par la beauté naturelle de notre planète. Un oiseau au bel plumage s'approcha de lui et lui demanda s'ils pouvaient partager le vol en cette aventure et tous deux continuèrent à sillonner les cieux.

Les deux oiseaux commencèrent à avoir soif et se posèrent près de la rivière pour étancher leur soif.

L'eau  parût  si légère, glissante et cristalline  à l'oiseau ! Il la savourait et la regardait émerveillé. A partir de l'univers il était impossible jouir de la sensation de fraîcheur de l'eau.

L'autre oiseau lui demanda le pourquoi de cette surprise et expectation pour quelque chose de si naturelle comme l'eau, mais il n'obtint pas de réponse. Ils continuèrent leur envol et il se mit à tomber une fine pluie. Les minuscules gouttes traversaient leurs plumes et arrivèrent à leurs peaux. La chair de poule parcourut l'étoile désormais devenue oiseau.

-On dirait que tu es en train de trembler ─lui dit son nouvel et unique ami sur terre-. Je ne comprends pas pourquoi quelques fines gouttes de pluie t'affectent autant...Mais, à nouveau, pas de réponse.

Les oiseaux continuèrent à voler et la pluie cessa. L'arc-en-ciel trônait le ciel, et encore une fois l'oiseau fut fasciné devant autant de beauté de la sublime combinaison de couleurs que le firmament portait.

-Oh, que c'est beau ! ─ s'exclama-t-elle.

-Oui, ça me plaît aussi ─lui dit son ami- mais je ne crie pas de satisfaction chaque fois que je le vois. On croirait que tu n'es  pas terrien- affirma-t-il. Mais encore une fois, pas de réponse.  

-On va au nid? ─lui demanda-t-il- Pourquoi ne réponds-tu pas ? Où est le tien ? Une fois de plus pas de réponse. Simplement ils continuèrent à voler. Ils se dirigèrent vers une contrée naturelle où d'autres espèces animales paissaient tranquillement dans les pâturages. Subitement, un banc de brouillard s'installa dans ce lieu et un froid humide commença à leurs transpercer les os. De manière que les deux oiseaux devaient s'abriter dans leurs nids.

-Allons dans le mien ! ─dit le nouvel ami de l'oiseau-étoile.

Dans le nid, ils se placèrent l'un à côté de l'autre pour ainsi se transmettre la chaleur corporelle et cette nouvelle et inconnue sensation transmit tiédeur et sécurité à l'oiseau venu de l'Univers jusqu'à ce qu'il soit paisiblement endormi...

La Fée de la Lune le réveilla.

-Tu ne te rappelles pas que tu dois rentrer dans l'univers ?  ─lui demanda la Fée.

-Si, mais je suis si heureux ici...─lui répondit-il, pendant que son ami continuait à dormir.

-Tu appartiens au ciel étoilé ─lui dit la Fée-. Ta lumière ne te manque pas ? ─lui demanda-t-elle.

-Si, mais ici je peux sentir le battement de mon cœur et je vis en mouvement avec le moment présent qui me caresse l'âme ─dit  l'oiseau à la Fée.

Rappelle-toi que tu avais promis d'y retourner ─prévint la Fée à l'oiseau.

Alors l'autre oiseau se réveilla et l'oiseau-étoile lui raconta toute la vérité.

-Rentre ─dit l'oiseau à l'oiseau-étoile-. Moi je continuerai à voler près de toi dans le ciel étoilé. Nous partagerons les nuits et tu m'illumineras avec ta lumière stellaire.

-Ce ne sera pas pareil ─lui dit triste, l'oiseau-étoile.

-Bien, au moins tu seras là toutes les nuits et ta lumière me guidera toujours. Tu seras ma boussole.

Sur la joue de l'oiseau-étoile coula une larme et, de cette façon, elle connut l'amère saveur de la tristesse. Mais la larme commença à se transformer en lumière et la lumière commença à entourer l'oiseau-étoile qui se mit à battre ses ailes vers le firmament, qui, amoureusement l'attendait...Subitement, elle recouvra sa forme cosmique originaire et s'éleva avec la Fée de la Lune, en disant au revoir à son ami oiseau.

On raconte que toutes les nuits un oiseau après avoir parcouru le ciel, tout en suivant une boussole cachée dans un endroit retiré, murmure à une étoile une belle trille à l'aube...