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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


Conte du Mézenc farceur et des nuages chatouilleux.

Monsieur Mézenc est un mont majestueux qui est né voici plusieurs millions d'années, alors que la terre était tout entière en ébullition.

Les montagnes sont comme tous les êtres vivants : elles naissent, elles grandissent ; elles ont une jeunesse... et elles vieillissent aussi.

Monsieur Mézenc donc était né, et il avait grandi : à vrai dire, il avait eu une adolescence un peu tumultueuse... Bouillonnante, pourrait-on dire!

N'avait-il pas en grandissant tout bouleversé autour de lui? Ne s'était-il pas comporté comme un chamboule-tout, ne laissant rien en paix dans son entourage?

N'avait-il pas lancé flammes et laves à des dizaines de kilomètres et entraîné ses petits voisins à faire de même?

Pourtant, sous ses dehors d'agitateur, Monsieur Mézenc était un mont d'une sensibilité exquise – car les montagnes ont une sensibilité!- et sous son apparente rudesse se cachait une âme tendrement espiègle!

Le saviez-vous? Auriez-vous pu l'imaginer? Depuis qu'il était tout petit, en regardant vers les cieux, il avait nourri le désir de... chatouiller les nuages!

Les années avaient passé.

Avec l'âge, Monsieur Mézenc avait pris des allures de montagne sage et bien rangée, avec l'apparence paisible d'une grande table de pierre...

Des millénaires étaient passés...

Monsieur Mézenc était devenu un grand seigneur, dominant de son impressionnante masse tout le cirque des Boutières, et attirant les regards depuis tous les sommets et toutes les crêtes à des kilomètres à la ronde.

Il forçait l'admiration et le respect par sa sereine et splendide majesté.

Sur ses pentes, les chevreuils, les renards, les sangliers, les marmottes – et même à certaines époques les ours et les loups – adoraient vivre et se promener...

Son sommet n'avait certes rien de ces pics bien aiguisés que l'on peut voir en d'autres massifs : toutefois il estimait qu'il avait une pointe suffisante pour, le moment venu, parvenir à chatouiller les volutes immaculées qu'il voyait se promener au dessus de lui.

En effet, malgré cette apparence si sage, Monseigneur le Mézenc gardait son rêve d'enfant turbulent. Quoique paraissant très calme, il avait toujours son regard levé vers le ciel... guettant les nuages.

Car, pour tout dire, il s'ennuyait un peu, et il souhaitait toujours leur faire sa petite blague.

Or un jour – un jour qui aurait pu être tout pareil aux autres jours – il entendit chanter dans le lointain : -« Hé ho, hé ho, nous sommes les nuages, hé ho hé ho hé ho hé ho... »

-« Oh oh! se dit Monsieur Mézenc, mais ne dirait-on pas qu'un groupe de nuages se dirige par ici? Ils sont bien dodus, bien rondouillards et bien cotonneux... Mon heure ne serai-elle pas venue? »

Sans se douter qu'il se faisait le complice de son innocente malice, le vent les amenait dans sa direction : génial ! Il les laissa approcher en faisant semblant de dormir. 

Un sourire coquin à l'intérieur de lui-même, Monseigneur le Mézenc attendit patiemment qu'ils arrivent juste au dessus de lui.

Encore quelques mètres... et voilà : il les avait juste à portée de sommet !

Alors, il se haussa sur la pointe des pieds et, imperceptiblement, il se mit à donner à son sommet de petits mouvements afin de gratter le dessous des nuages.

D'abord tout doucement... Puis, un peu plus fort !
Un premier nuage commença à se trémousser en se déformant quelque peu. Un deuxième se tortilla en faisant entendre de petits gloussements. Un troisième, qui avait été chatouillé avec plus d'audace, hoqueta de rire:

-« Hey! Mais que se passe-t-il ici? J'ai l'impression qu'on me gratouille là-dessous! »

Le nuage se contorsionna pour regarder son ventre, et voir qui pouvait l'avoir ainsi papouillé. Monsieur Mézenc, l'air de rien, ne bronchait pas.

A l'intérieur de lui-même cependant, son rire exultait : c'était vraiment trop drôle, ces nuages qui se tortillaient!

Il reprit son oeuvre et chatouilla le reste du groupe : les nuages s'étiraient puis se recroquevillaient en riant, car ils étaient tous très chatouilleux!

-« Oh oh oh, c'est trop rigolo! » s'écria l'un d'eux, dans un grand éclat de rire. -« Oui, ajouta un autre, et je crois bien que c'est cette montagne, avec son air de sainte nitouche qui nous joue des tours... » -« Tu as raison, renchérit un troisième : regarde son sommet ; c'est en fait une véritable brosse à gratter! »

En se faisant de grands clins d'oeil, les nuages se rapprochèrent les uns des autres en chuchotant:
-« Hep, psst, psst... Si nous lui faisions, à notre tour, une bonne blague? » -« Oui, oui, oui! Faisons-lui nous aussi une blague! » -« Que diriez-vous de l'arroser? » suggéra le chef de groupe.

Aussitôt, les nuages s'amoncelèrent, puis ils se serrèrent et s'essorèrent tous en choeur juste au-dessus de lui.

Quelle bonne douche se prit le mont : il était trempé!

Ah, ces nuages ne l'avaient pas raté. Il les vit rire de leur bonne farce.

Ils ne perdaient rien pour attendre. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il leur mijota un bon coup à sa manière : ouvrant brusquement une de ses anciennes petites failles, il leur souffla un bon jet de vapeur.

Les nuages surpris se trouvèrent tout décoiffés : ils avaient tous la même coupe aérodynamique, en forme de crête de coq. -« Ha ha ha! exulta le Mézenc : je les ai bien eus ! »

Mais les nuages ne s'en tinrent pas là : ainsi donc, ce mont espiègle voulait jouer avec eux... et bien eux aussi allaient jouer avec lui!

Monsieur Mézenc méritait vraiment une réponse à ses petites blagues.

Les nuages se dispersèrent alors tout autour de lui et entreprirent de lui dessiner des moustaches de coton sur les flancs : bientôt, Monseigneur le Mézenc ressembla à une immense boutique de moustaches blanches.

Il y en avait pour tous les goûts : des fines et des épaisses, des raides ou des frisées, des recourbées en guidon de vélo et des toutes droites, des anglaises ou des rouflaquettes... Sans parler d'une espèce d'énorme perruque vaporeuse qui lui faisait une tignasse de zazou...

Monsieur Mézenc dut admettre que leur farce était plutôt réussie, il s'amusait beaucoup en se regardant dans le miroir du firmament et trouvait leur réponse vraiment désopilante :  » Quels joyeux lurons, ces nuages! » Alors ils se mirent tous à rire à gorge déployée : et leur rire en cascade dévalait et roulait dans les vallées alentour, et se trouvait amplifié par tous les échos des Boutières.

Rien de tel qu'une bonne partie de rigolade pour détendre l'atmosphère!

Et c'est pourquoi, depuis ce jour mémorable entre tous, quand les nuages, poussés par le vent, arrivent aux confins du Vivarais et du Velay, ils ont pris l'habitude – et ils sont tout heureux – de se rassembler au dessus de Monseigneur le Mézenc... qui en est tout heureux lui aussi.

Oui, désormais, c'est leur rituel commun, qui se perpétue depuis des centaines et des centaines d'années : les nuages viennent en groupes à portée de son sommet et le Mézenc farceur peut inlassablement renouveler son rêve d'enfant.

Les nuages lui laissent leur chatouiller le ventre, et ils recommencent à l'arroser puis à le décorer de moustaches fantaisistes et de perruques cotonneuses!

Si certains esprits chagrins vous disent que c'est du mauvais temps et du tonnerre, surtout ne les croyez pas : ce sont là des gens qui ne savent rien de ce qui se passe dans le coeur des montagnes!

Ils ne peuvent pas comprendre quelle âme d'enfant cache en lui Monsieur Mézenc, et ils ne soupçonnent pas non plus que les nuages sont espiègles!

Et ils sont vraiment trop sérieux pour entendre, dans ce qu'ils croient être le bruit du tonnerre, le rire sonore des nuages chatouilleux et du Mézenc farceur...

bunni


Julia est une étoile

Il était une fois, tout au fond de l'univers, une petite étoile qui s'appelait Julia.
Elle brillait de tous ses feux mais comme elle était petite elle pensait qu'elle brillait peu.
Autour d'elle, dans le froid céleste, il faisait noir et l'on n'entendait que le froufroutement rapide des comètes qui filaient à toute allure.
Julia se demandait parfois avec effroi si ces belles et ultra-lumineuses consœurs ne finiraient pas par la percuter.
Un jour qu'elle était triste parce qu'elle se trouvait seule et inutile, elle sentit soudainement une comète la frôler de si près qu'elle crut définitivement basculer dans l'univers sans fin.
Ola la, cria-t-elle ! Et elle ferma les yeux en se préparant au terrible choc.
Mais rien ne se passa.
C'est à peine si elle ressentit un petit chatouillis à l'extrémité de sa branche numéro 3.
Alors elle ouvrit un œil et elle vit une toute petite forme qu'elle prit tout d'abord pour un papillon.
- Qui es-tu ? interrogea Julia.
- Laisse-moi donc me remettre Julia, dit la forme en se lissant les ailes.
- Tu... Tu connais mon nom ?
- Toutes les fées connaissent ton nom, Julia.
- Tu es une fée ?
- Cela ne se voit pas ? minauda la forme un peu coquette.
- Je n'avais jamais vu de fée avant toi, avoua Julia.
- Hé bien, sans ce chauffard qui m'a propulsée sur toi, tu aurais pu ne jamais me rencontrer, et cela aurait été dommage, n'est-ce pas ?
Julia sourit. Décidément cette petite fée aimait bien se faire valoir, pensa-elle.
- Et tu as un nom ?
- Tout le monde possède un nom. Moi, c'est Valbée. Et tu trouves que je me fais valoir ?
- Oh pétard ! s'exclama Julia un peu confuse, tu lis dans mes pensées ?
- Comme dans un livre ouvert, ma belle !
- Et toutes les fées qui connaissent mon nom lisent dans mes pensées ?
Valbée eut un rire cristallin :
- Seulement les plus douées ! Mais je peux te dire que toutes te connaissent et t'adorent.
Julia allait de surprise en surprise.
- Elles m'adorent ? Mais je n'ai rien d'adorable, je suis petite, je ne brille pas beaucoup – en tous cas bien moins que les autres, je suis... très banale, très heu... je ne sais même pas quel mot choisir.
- C'est parce que tu es aux yeux des nôtres, ni banale ni ordinaire. Tu es unique Julia. Personne ne te ressemble et tu ne ressembles à personne. Si tu n'existais pas tu manquerais à notre monde. Tiens je vais te dire : tu es comme une œuvre d'art : unique en son genre.
Julia éclata de rire.
- Vous ne pensez pas que vous exagérez un petit peu ?
- Moi, j'exagère ? s'écria Valbée. Mais sur quoi je me reposerais actuellement si tu n'existais pas ?
- Tu aurais pu t'installer sur une autre étoile !
- Ca, c'est impossible. Chaque étoile qui possède un nom est obligatoirement dotée d'un destin. En fait, je suis venue t'annoncer que le C.S.F : Le Conseil Supérieur des Fées te donne une mission : tu es chargée... d'illuminer les yeux des enfants.
Julia était interloquée.
- Illum...Mais je ne brille pas assez !
- Ca, c'est ce que tu t'imagines. Nous, qui avons de l'expérience -nous te voyons briller très très fort... quand tu ne te caches pas derrière les nuages. Nous connaissons l'impact que tu produits sur tous ceux que tu côtoies sans les voir. Chez les fées, tout le monde a une mission, toi tu seras les paillettes d'étoiles qui suivent le mouvement de la baguette magique des fées quand elles réalisent un voeu.
Julia se souvint des yeux humides des enfants :
- Je serais le désir, je serais l'espoir...
- Tu seras toi, Julia, tu seras enfin toi...
La voix de Valbée s'était faite soudain lointaine, lointaine...
Alors Julia ouvrit enfin son deuxième œil et elle s'aperçut que la fée avait disparue.
- Où es-tu Valbée, où es-tu ?
- Tu ne me vois plus, mais je serais là où tu seras, Julia. Et je suis déjà partie pour une autre visite. Brille Julia, brille, fais voir que tu es là. On a tous besoin de ta lumière...
Julia, se mit à rosir de plaisir.
Puis, dans tes yeux à jamais, elle refléta toutes les couleurs chatoyantes de l'arc-en-ciel.

bunni

#317

L'Ogresse et la Princesse Clair-de-Lune

Autrefois, dans une vieille maison en pierre, vivait une pauvre veuve, mère de sept enfants. La malheureuse se retrouva sans aucune ressource financière, lorsque son époux décéda d'une longue et terrible maladie. Elle dut affronter seule les difficultés de l'existence. Pour nourrir ses enfants, elle acceptait tous les travaux qu'on lui proposait et s'acquittait de ses tâches correctement afin de récolter quelque argent... Ses fils se chargeaient de l'aider à l'extérieur, tandis que ses filles s'occupaient du foyer. La vie était bien pénible pour cette famille nombreuse.

Quand l'hiver approchait, la veuve avait peur que ses enfants ne meurent. de froid. Alors, à l'aide de bouts de laine recueillis ici et là, elle se mettait à tisser, tard dans la nuit, une large couverture de laine.

Par une nuit plus fraîche que de coutume, le vent soufflait à grandes rafales alors que la pauvre femme s'usait les yeux à tisser jusqu'à une heure avancée de la nuit. Ses enfants dormaient profondément, les uns accrochés aux autres, comme s'ils avaient peur de se séparer.

Brusquement, la fragile porte d'entrée claqua. Apparut alors une énorme silhouette, si effrayante que la veuve recula jusqu'au mur. Horrible et repoussante, Tériel l'ogresse se tint sur le pas de la porte, fixant de son regard perçant la pauvre femme toute tremblante. Le monstre avança vers le métier à tisser et rassura la femme terrorisée : « Ne crains rien ! Laisse-moi t'aider ! » Stupéfaite et effarée, la veuve ne put prononcer un seul mot.

Avec un acharnement démentiel, l'ogresse se mit à tisser. La peur au ventre, la veuve pensa qu'une fois la couverture achevée le monstre la dévorerait, elle et ses malheureux enfants. Mais le monstre n'en fit rien. Au contraire, dès qu'il eut fini de tisser une couverture, il en entama une autre et ceci jusqu'à l'aube. A ce moment-là, le monstre s'arrêta et sortit en lançant à la femme : « Voilà tes enfants à l'abri du grand froid ! Rassure-toi, l'hiver prochain, je reviendrai te tisser d'autres couvertures ! »

Il en fut ainsi durant sept ans. Au début de chaque saison hivernale, l'ogresse faisait irruption chez la veuve et lui tissait sept couvertures de laine.

Au bout de la septième année, alors que l'aîné des enfants avait atteint dix-sept ans, Tériel réapparut un soir d'hiver, comme de coutume. Elle annonça à la veuve : « Voilà sept ans que je t'aide à protéger ta progéniture des morsures du froid. Aujourd'hui je suis revenue te demander de m'offrir ton fils aîné afin de t'acquitter de ta dette. Pour me témoigner ta gratitude, tu me le donneras, il me sera très utile. »

La veuve saisit enfin la fausse générosité qui avait motivé l'ogresse durant toutes ces longues années. Elle se souvint, qu'enfant, sa grand-mère lui contait d'innombrables histoires sur cet horrible monstre qui habitait on ne sait où, qui guettait des proies en difficulté et dévorait ses victimes toutes crues. Elle lui disait toujours que Tériel ne se montrait que pour annoncer un malheur. La pauvre femme réfléchit un peu et pensa que, si elle refusait à l'ogresse ce qu'elle exigeait d'elle, celle-ci se fâcherait et serait capable d'avaler toute la famille. Elle se résolut alors à sacrifier son fils aîné, qui était pourtant son préféré. Elle alla le voir et lui dit à voix basse : « Mon fils, toi la première perle de mon collier de vie, tu dois accompagner l'ogresse chez elle ! Je pense qu'elle projette de te dévorer, mais il existe un moyen pour la contrarier et la faire tomber dans l'interdit, expliqua la mère. Dès qu'elle s'apprêtera à t'emmener avec elle, empresse-toi de lui téter le sein, tu deviendras ainsi son fils et même une ogresse ne peut dévorer son enfant » Il suivit les recommandations de la veuve. Surprise et dépassé par l'événement, l'ogresse se mit en colère. et s'adressa à lui : « Petit misérable ! Tu m'as eue ! Mais je te prendrai malgré tout avec moi. »

L'ogresse plongea le jeune homme dans son sac, le mis sur son dos et quitta la veuve bouleversée et déchirée par le départ de son fils aîné.

Le monstre marcha durant de longs jours sans s'arrêter. Le jeune homme, prisonnier au fond du sac, ne vit aucune lumière et ignora tout du voyage. Il arrivait à peine à respirer. De temps à autre, le monstre lui glissait un morceau de galette. Il avait soif, mais il résista du mieux qu'il le put.

Au terme d'un mois de voyage, Tériel l'ogresse, arriva enfin chez elle, dans un pays souterrain et obscur, où l'on n'entendait que les cris des hiboux, des chacals,
des ogres et autres animaux de mauvais augure. Des cris effrayants qui retentissaient comme des tonnerres stridents. L'ogresse poussa la porte de son infâme antre et jeta sur le sol le sac qui contenait le jeune homme. Celui-ci roula par terre, ouvrant les yeux sur le lieu sinistre où habitait le monstre. L'ogresse saisit violemment le jeune homme et l'enferma dans une cage.

Tous les matins, le monstre allait chasser et ne rentrait qu'à la tombée de la nuit, traînant derrière lui de multiples victimes parmi lesquelles se trouvaient quelquefois de petits enfants. Dès son arrivée, elle faisait du feu pour se réchauffer puis engloutissait d'énormes quantités de viande, sans même les cuire. A la fin de ses copieux et funestes repas, elle lançait vers la cage quelques restes pour nourrir le jeune homme encore prisonnier, tout en l'insultant et maudissant le jour où il était devenu son fils. « Ah ! Si seulement tu n'avais pas bu de mon lait ! J'aurais fait de toi un agréable dessert ! aimait-elle à répéter. »

Des jours et des mois passèrent et le jeune homme survécut grâce à son endurance et à sa ruse. L'ogresse faillit le dévorer à plusieurs reprises, mais il sut à chaque fois lui rappeler que nulle mère, pas même une ogresse, ne pouvait dévorer son fils. Celle-ci se voyait alors contrainte d'y renoncer. Le jeune homme savait éviter les colères de la monstrueuse créature.

Un jour que l'ogresse était sortie, comme à son habitude pour chasser, une magnifique perdrix apparut dans la cours du taudis et se mit à picorer quelques petits grains de-ci de-là. Le jeune homme vit le bel oiseau et songea : « Si seulement cette perdrix pouvait deviner mon malheur et me venir en aide ! » Il crut rêver, mais non, la perdrix lui répondit d'une petite voix mélodieuse : « Comment pourrais-je t'aider, brave jeune homme ? » Abasourdi et émerveillé, le jeune homme demanda : « Comment se peut-il qu'une perdrix sache parler ?
Ne te fie pas à mon apparence ! répondit le gentil oiseau. En réalité, je suis la princesse Clair-de-Lune. Mon père règne sur le Pays des Sept Rivières. C'est ma marâtre qui m'a transformée en perdrix, car mon père a eu le malheur de faire l'éloge de ma beauté devant elle. Pour se débarrasser de moi, elle m'a condamnée à l'apparence que tu vois là.
Mais c'est incroyable ! s'étonna le jeune homme.perdrix
Oh, oui ! Voilà sept ans que j'arpente les forêts, je traverse contrée après contrée, goûtant à la vie libre et douce des perdrix. » Les yeux ébahis, le jeune homme écouta le récit surprenant de l'oiseau puis demanda : « Si tout ce que tu dis est vrai, peux-tu m'aider à enlever les grilles qui m'emprisonnent ? » Sans hésiter, la perdrix répondit : « Je le peux sûrement. Tiens ce bâton ! Ce soir, quand l'ogresse se jettera sur son repas avec son empressement coutumier, elle ne te verra pas le glisser dans le feu. Enfonce alors le bâton enflammé dans la tête du monstre, car c'est là que réside son âme. Il sera tué sur le coup. Quant à tes grilles, je n'ai pas la force de les ouvrir, hélas !
C'est déjà bien généreux de ta part de m'avoir donné cette idée. Le reste, je m'en charge ! » interrompit le jeune homme, stimulé à l'idée de pouvoir enfin se libérer du joug infernal du monstre.

Vint la nuit. L'ogresse rentra, tenant dans ses bras poilus la carcasse d'un âne et le cadavre d'un tigre. Fidèle à son habitude, elle alluma le feu pour se réchauffer et s'installa pour dévorer goulûment sa prise. Le jeune homme profita de l'inattention du monstre pour enflammer le bâton que lui avait donné la perdrix et brusquement, de sa cage, il le lança en direction de la tête de l'ogresse qui mourut sur le coup.

Cependant, le jeune homme ne put s'échapper, car les clés étaient accrochées au cou de Tériel, et le cadavre de l'horrible monstre était tombé hors de sa portée. Il ne lui restait alors qu'un seul espoir : celui de voir la perdrix réapparaître et l'aider à sortir.

Il attendit le charmant oiseau un jour, puis deux, puis trois, mais il ne réapparut qu'au bout d'une semaine. Le jeune homme, épuisé par la faim et la soif, commençait à désespérer quand, enfin, l'oiseau surgit dans la cour. Dès qu'il le vit, le jeune homme reprit courage et le supplia : « Généreuse perdrix, pourrais-tu me rendre un immense service : j'ai besoin d'ouvrir cette cage et les clés sont pendues au cou de l'ogresse. Veux-tu essayer de les décrocher pour moi ?
Bien sûr ! répondit l'oiseau, qui s'exécuta sur le champ. » Le jeune homme put enfin se libérer. Il se jeta sur la nourriture et l'eau, sautillant de joie en respirant l'air agréable de la liberté. Puis, il prit la perdrix entre ses mains et la remercia chaleureusement : « Je te dois la vie, noble petit oiseau ! Le ciel t'a envoyé à moi et tu as eu pitié de ma misérable condition. Je ne saurais jamais te montrer toute ma gratitude.
Ce n'est rien voyons ! remarqua l'oiseau, tu aurais agi de la sorte si tu avais été à ma place » Le jeune homme observa l'oiseau et se sentit soudain très proche de lui, comme s'il l'avait toujours connu, comme s'il avait grandi avec lui. Il lui demanda : « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ?
Hélas ! Tu ne peux rien pour moi, répondit l'oiseau d'une voix morne et languissante. Quatre-vingt-dix-neuf nobles princes et vaillants chevaliers ont essayé de briser le maléfice qui m'accable mais tous ont péri. Je me suis résignée à accepter mon sort et j'ai appris à me contenter de ma vie de perdrix. » Compatissant et. très ému par ces révélations, le jeune homme eut grande envie de tenter l'impossible pour lui venir en aide, quitte, pour cela, à risquer sa vie. Jusqu'à présent, il n'avait douté ni du courage qui pouvait l'animer, ni du goût de l'aventure qui, pour la première fois, faisait battre son cœur.

Transporté par une vive émotion, il annonça à la perdrix : « Quoi qu'il puisse m'advenir, je veux tenter de briser ton maléfice ! » Naturellement, l'oiseau fut touché par le sentiment spontané et noble du jeune homme. Devant son enthousiasme, il ne put s'empêcher de lui expliquer ce à quoi il devait s'attendre. « Mon pays est parcouru par sept fleuves et dans chaque fleuve dort une gigantesque pieuvre. En m'infligeant ce sortilège, ma belle-mère a exigé de chacun de mes prétendants qu'il lui ramène les têtes des sept pieuvres qu'il aurait sectionnées de son propre sabre. Sache, mon tendre ami, ajouta la perdrix, que jusqu'à présent personne n'a été en mesure de réaliser le vœu de ma méchante belle-mère, car les pieuvres sont colossales et leur ruse est invincible !
Peu importe ! s'exclama le jeune homme, j'essayerai tout de même !
Et bien, encouragea l'oiseau, mon cœur est tout à toi et mon bonheur serait de te voir vaincre tous les obstacles. J'attendrais dans cette forêt et j'espérerai ton retour, priant le Ciel de guider tes pas et de te venir en aide dans ta généreuse mission ! »

L'oiseau s'envola et le jeune homme se mit à cheminer en direction de l'horizon. Il marcha ainsi durant des jours. Il apprit notamment à pêcher, chasser ; escalader des montagnes et affronter des eaux déferlantes. Après trois mois d'efforts, il atteignit une vieille maisonnette toute en bois qui semblait déserte et triste. Le jeune homme décida d'aller voir de près l'humble logis, espérant. pouvoir s'y reposer de son long et éprouvant périple.

Il frappa donc trois coups à la porte. Il entendit une petite voix frêle, presque agonisante, demander : « Ô toi, le passant pressé ! Que veux-tu d'un vieillard que les affres de la vie ont épuisé ? » D'un ton poli et obligeant, le jeune expliqua : « Que la paix soit sur toi, vieil homme ! Peux-tu m'offrir l'asile juste pour un soir ? Je viens de loin et je suis fatigué. Je souhaiterais me reposer une nuit dans la chaleur de ton foyer. » De sa petite voix, le vieillard répondit : « Soit ! Pousse la porte et entre ! » Doucement, le jeune homme ouvrit la porte et découvrit un vieil homme tout ridé, étendu sur une couche sale et pitoyable. Visiblement, l'homme âgé n'était même pas capable d'allumer le feu de sa cheminée. Il grelottait de froid et avait l'air affaibli par la soif et la faim. Autour de lui, l'ameublement rudimentaire était poussiéreux et nauséabond. Le jeune homme eut pitié de lui. Il ressortit pour ramasser quelques branches afin de faire du feu. Puis il s'occupa de nettoyer le lit du vieillard. Il lava délicatement le pauvre homme et pansa ses blessures. Il se mit ensuite à préparer une soupe avec quelques légumes et herbes trouvées dans la prairie qui entourait la maisonnette. Il aida le vieillard à se nourrir et se servit également.

Le visage blême et flétri du vieil homme reprit vie et son regard terne s'éveilla. Il remercia chaleureusement son invité et lui fit une surprenante confidence : « On m'appelle Amghar Azemni(1). Je suis né il y a si longtemps que je ne saurais te dire quand exactement. Je suis condamné à vivre vieux éternellement. Hélas, il y a quelques jours, un serpent m'a mordu et son venin m'a immobilisé sur mon lit. Le poison ne me fera pas mourir, mais il infecte mon corps. » Le jeune homme se proposa d'aspirer le poison de la blessure. Le vieil homme lui désigna la cheville que le serpent avait mordue. Une fois le poison totalement aspiré, l'homme se sentit soulagé et remercia le Seigneur de lui avoir envoyé un invité si généreux et si délicat. « Mon garçon, je ne sais comment te remercier. Tu m'as été d'un grand secours. Que les portes du Ciel te soient toujours ouvertes ! Et que tes désirs se réalisent ! » Le jeune homme questionna son hôte : « On dit de toi que tu sais tout sur tout. Arrives-tu à deviner ce qui me fait voyager depuis des semaines, ô sage homme ?
Oh ! je sais déjà que l'amour fait battre ton cœur et qu'il t'a jeté sur les chemins imprévisibles de l'aventure ! » Le jeune homme livra alors à son ami toute son histoire. Il n'omit aucun détail. Son auditeur resta silencieux ; il hochait de temps à autre la tête. Quand il eut fini son récit, le jeune homme demanda au vieux sage : « J'ai besoin de savoir où se situe le Pays aux Sept Fleuves pour tuer les sept pieuvres qui les habitent. Si je parviens à ramener les têtes tranchées des pieuvres le maléfice se brisera et la perdrix redeviendra princesse comme avant.
Mon brave garçon, tout seul tu ne peux te mesurer aux sept pieuvres géantes. Mais, comme tu possèdes un cœur généreux et intrépide, je vais t'aider à réaliser ton vœu. Dans le coffre que tu trouveras sous mon lit, il y a un sabre qui date de mille ans. D'innombrables et vaillants héros me l'ont emprunté pour vaincre de redoutables ennemis. Ce sabre, expliqua le sage, a le pouvoir de trancher les têtes de tous les monstres possibles et imaginables vivant sur la terre ou sous la mer. Je veux bien te le prêter à condition que tu me le rapportes, lorsque tu te seras acquitté de ta mission héroïque !
Sans faute ! s'exclama le jeune homme, fou de joie à l'idée de pouvoir se battre et libérer sa bien-aimée, qui hantait déjà toutes ses pensées. » Il prit le sabre magique, complimenta son bienfaiteur et s'en alla, fièrement, défier son destin.

Le cœur empli d'ambition et d'enthousiasme, Ie jeune homme traversa plusieurs provinces et forêts. Il emprunta des chemins inconnus et rencontra de bien étranges et curieux personnages. Il apprivoisa les uns et se méfia des autres. Il suivit les indications du vieux sage et supporta fort bien le voyage qui dura, d'ailleurs, des semaines entières.

Quand enfin se dessina à l'horizon la frontière du pays recherché, le jeune homme découvrit une montagne si haute qu'elle se perdait dans le ciel. A ses pieds, prenaient naissance les sept fleuves maudits où sommeillaient les sept monstrueuses pieuvres. Il sentit son cœur battre fortement. Il rassembla son courage et s'attaqua promptement à sa tâche. Il suivit le premier fleuve jusqu'à sa source, puis provoqua la pieuvre en lui jetant le corps d'un bœuf comme appât. Celle-ci sortit des eaux, se prépara à avaler le jeune homme. Brutalement, celui-ci trancha sa tête, grâce au sabre magique. Il fit de même avec les six autres pieuvres. D'un pas alerte et fier de son exploit, le jeune homme n'hésita pas à se rendre au palais pour demander audience à la reine, traînant derrière lui les énormes têtes des pieuvres.


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L'Ogresse et la Princesse Clair-de-Lune (suite et fin)

Extrêmement contrariée par l'arrivée triomphale du jeune homme, la méchante reine refusa d'admettre sa victoire. Elle le reçut. alors froidement ; sèchement, elle décréta qu'il s'agissait d'un démon. Elle ordonna aux gardes de le brûler vif pour conjurer le mauvais sort. Le jeune homme se défendit. Il s'adressa au roi, enfermé dans un mutisme troublant. Il lui dit : « Ô noble roi ! Je ne suis qu'un humble voyageur. Je souhaite m'acquitter d'une grande dette envers ta fille, la princesse Clair-de-Lune. Elle m'a sauvé de la mort et je sais qu'elle a besoin de toi. Ta femme l'a injustement condamnée à prendre l'apparence d'une perdrix, et tu ne peux deviner ce que j'ai dû endurer pour parvenir jusqu'ici. Je t'en prie sire ! Fais quelque chose pour ta fille, cet être si fragile et si généreux, qui n'est autre que ta chair et ton sang ! » Le roi eut les larmes aux yeux. Il se leva et ordonna à son épouse de rompre le mauvais sort qui affligeait la vie de sa fille, puis de quitter le palais immédiatement. D'une voix amère et déchirée, il s'emporta : « Vieille sorcière ! Tu as réussi à me séparer de ma fille et à me la faire oublier. Qu'a-t-elle donc fait pour mériter ta sentence ? Ne t'avait-elle pas aimée comme elle aimait sa propre mère si seulement le destin ne nous avait pas privés d'elle si tôt ? Va ! Hors de ce royaume ! Que le Seigneur te maudisse jusqu'à la fin de tes jours ! »

Le monarque remercia le jeune homme pour sa bravoure et sa courtoisie. Il le pria de lui raconter ce qu'il avait vu et entendu à propos de la princesse. Le jeune homme s'exécuta et lui demanda de le suivre dans la forêt de l'ogresse, où la perdrix l'attendait impatiemment. Le souverain fit préparer une impressionnante escorte ; il prit des vivres et des coffres emplis de louis d'or, puis s'empressa de rejoindre sa fille. Le vide qu'avait laissé la princesse dans le cœur des deux hommes leur fit oublier la lenteur et la difficulté du voyage. Ils se promirent tous deux de ne s'arrêter qu'une fois qu'une fois à destination.

Ce fut un bonheur immense de les voir au chevet d'une jeune fille rayonnante de beauté et de grâce, qui dormait sereinement sous un olivier. La princesse se réveilla, se jeta dans les bras de son père puis embrassa son héros, le remerciant. de tout son cœur : « Je te serai éternellement reconnaissante », lui murmura-t-elle. Charmé par l'éclat de sa beauté, le jeune homme osa s'adresser au roi : « Je sais que mon rang ne me permet pas de prétendre à une alliance avec toi, ô noble roi ! Mais je serais infiniment heureux et honoré de te demander la main de la princesse. » Le souverain regarda le jeune homme tendrement et lui répondit : « Mon brave garçon ! Ce qui fait la noblesse d'un homme, c'est d'abord sa vertu ! Je crois que tu m'as apporté la preuve de ta hardiesse et de ta pureté. Ma fille sera en sécurité avec toi. Alors, je t'offre sa main avec une immense joie. »

La princesse Clair-de-Lune adressa à son bien-aimé un sourire consentant et complice, puis prit le chemin du retour, impatiente de retrouver les lieux magiques de son enfance.

De retour au palais, le roi annonça allègrement les épousailles de sa fille avec l'héroïque jeune homme.

Quelques jours plus tard, on célébra fastueusement les noces des jeunes amoureux et celles de cent autres jeunes gens issus de familles pauvres du royaume. Le roi souhaita ardemment que le Ciel bénisse le mariage de sa fille, et il fit preuve pour cela d'une grande générosité envers ses sujets Une ambiance de réjouissante de liesse régna au palais durant des jours et des jours. On en profita pour savourer avec délectation le goût de la paix et du bonheur.

Quelques mois s'écoulèrent. Le jeune homme appréciait pleinement la vie princière et son épouse, la princesse Clair-de-Lune, prit soin de son couple. Elle lui offrit toutes les conditions d'une vie épanouie et heureuse.

Un jour, elle surprit le sabre magique que son époux avait rangé dans son coffre. Elle le contempla et apprécia la finesse de sa décoration. Dès que son mari la rejoignit, elle l'interrogea : « D'où te vient ce magnifique sabre ? » Voilà que le jeune homme se rappela la promesse faite au vieux sage, le propriétaire du sabre magique. Il répondit à sa femme : « Heureusement que tu m'as parlé de lui, sinon je l'aurais complètement oublié. Ce sabre est la clé de notre salut, ma chérie. Il faut que je le rende à celui qui me l'a prêté. »

Dès le lendemain, le prince sella son cheval, prit quelques provisions et se dirigea vers la maisonnette du vieux sage. Quand celui-ci le vit arriver, il le prit dans ses bras et lui confia : « J'étais sûr que tu reviendrais, mon enfant ! Tu es un homme de qualité, ce sabre t'appartient, je te l'offre. Quelque chose, cependant, attriste mon cœur.
Qu'y a-t-il donc, père ?
II y a dans ce bas monde une mère qui pleure ton absence depuis des années. Elle te croit mort et s'en veut de n'avoir pu te sauver. Je l'entends se plaindre à tous les saints à l'approche de chaque hiver. N'est-il pas temps d'aller la consoler ? » Le jeune homme se souvint tout à coup du regard déchiré que lui avait lancé sa mère la nuit où l'ogresse l'avait arraché à elle. Il regretta profondément de l'avoir oubliée. Le vieux sage le consola : « Ce n'est rien mon brave garçon ! L'oubli est de nature humaine, va la rejoindre ! Elle sera certainement heureuse de te revoir. »

Le jeune homme retrouva le chemin de son pays natal et offrit à sa malheureuse mère le plus beau cadeau que l'on puisse offrir à une mère au premier jour du printemps. En effet, quand elle vit s'avancer vers elle un jeune homme élégant et distingué, elle lut dans son regard ces liens sacrés qui finissent. toujours par réunir une mère et son enfant. Les retrouvailles furent empreintes d'une émouvante ferveur.

Le jeune homme raconta à sa mère. tout ce qui lui était arrivé et la pria de l'accompagner au royaume de son épouse. La femme, d'une voix mélancolique, lui dit : « Le propre d'une mère est d'élever ses enfants pour les voir partir un jour. C'est la vie. Retourne à ton foyer et prend soin de ton épouse. Reviens me voir dès que je te manquerai, et fais-moi le bonheur d'amener un jour ta descendance. Je suis déjà comblée de te savoir vivant et heureux. Il est vrai que l'on dit toujours que se sont. les épreuves qui cisèlent et forgent l'esprit d'un homme et toi, mon garçon, tu as su affronter ton destin dignement. Je suis très fière de toi. »

Le jeune homme demeura encore quelques jours auprès de sa mère, de ses frères et sœurs et savoura avec délices les doux moments partagés avec sa famille. Puis il s'en retourna auprès de sa dulcinée à qui il fit le récit de son odyssée.

La princesse Clair-de-Lune et son époux vécurent heureux. Il firent la joie de leurs parents quand ils leur annoncèrent la naissance de leur premier enfant, qu'ils prénommèrent bourgeon-de-Printemps.

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La vieille femme et l'araignée

Elle aimait son travail. Et du plus lointain de ses souvenirs, Bouquet de Perles Etincelantes se voyait s'activant de son mieux, avec toujours le même plaisir, comme sa mère et ses tantes le lui avaient appris. Elle s'occupait du bois et de l'eau, en hiver. Elle savait tanner les peaux de bison, et préparer la viande afin de régaler toute la famille. A six ans, elle aidait les femmes dans les travaux du ménage. A dix ans, elle montait à cheval comme le meilleur des guerriers et sillonnait la plaine avec fougue. Puis à quatorze ans, elle est devenue une vraie femme : son père l'a mariée à Feu du Tonnerre et le temps a passé vite, très vite. A présent, elle était une vieille femme mais les années avaient glissé sur elle, sans entamer sa force, ni sa joie de vivre. Quand elle riait des facéties du dernier de ses petits-fils, sa bouche révélait l'absence de quelques dents. Mais elle était toujours belle.

Sa peau, aussi tannée que la peau du bison, avait la couleur du soleil couchant. La prunelle de ses yeux rayonnait du même éclat juvénile d'autrefois et quand elle marchait, c'était d'un pas majestueux, que le poids des ans n'entravait pas. La tribu aimait à raconter que c'était une sage qui avait la force de l'ours et qui avait reçu la protection du loup blanc, à son berceau. Bouquet de Perles cousait dans le cocon que formait le cercle du wigwam. Et tout en travaillant, elle songeait à son rêve de la nuit dernière...

Elle avait rêvé d'un bébé rieur qui gigotait sur une immense fourrure, moelleuse et parfumée, au milieu des herbes jaunes. Ses petits pieds et ses minuscules mains dorées s'agitaient, se balançaient pour suivre les frémissements légers du vent. Il était seul, sans inquiétude. Ses yeux suivaient le vol d'un oiseau puis il éclatait de rire à chaque bruissement de feuilles des blancs bouleaux. L'enfant comprenait le langage des arbres et du monde végétal qui l'entourait. La terre était sa mère, le ciel son père. Puis, le paysage s'assombrit en un instant. Une ombre grise recouvrit l'enfant qui cessa de rire. Le vent se fit violent et la neige recouvrit aussitôt plaines et bois.

Bouquet de Perles ne voyait plus le bébé à présent mais elle l'entendit crier et ce sont ses pleurs qui l'ont réveillée, toute suffocante. Quel message son rêve voulait-il lui adresser ? La vieille indienne l'ignorait.

Bouquet de Perles Etincelante cousait, respectueuse des traditions ancestrales dans le wigwam à l'odeur d'armoise. Les femmes avaient récemment allumé des feux de bois pour imprégner la couverture qui servait à la fabrication de la tente afin qu'elle garde sa souplesse, après les pluies. Bouquet de Perles songeait. C'est alors qu'elle entendit des lamentations, dans un coin de son logis. La vieille indienne interrompit son ouvrage et demanda :

- Qui pleure ? ...

-C'est moi, grand-mère, dit une petite voix. La femme leva les yeux et aperçut une minuscule araignée, au creux de sa toile.

- Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-elle avec inquiétude.

- Je pleure parce que personne ne m'aime. Les hommes ont peur de me voir et disent que je suis inutile, sur cette terre. Chacun a son rôle à tenir, et pas moi !

Bouquet de Perles se leva et regarda attentivement le minuscule et fragile animal. Elle ressentit une immense peine pour la malheureuse.

- Je ne sais comment t'aider, ni te consoler.

Et tout en lui parlant, la réconfortant par la musique de ses paroles, la vieille indienne laissa son regard se promener sur la toile arachnéenne. L'araignée avait tissé un ouvrage d'une grande perfection ! Beaucoup de squaws auraient aimé pouvoir s'enorgueillir d'un tel chef-d'œuvre. Un vrai bijou que la lumière du soleil faisait étinceler. Elle en admira la finesse et la légèreté aérienne. La grâce du travail était digne des broderies et décorations de toutes les femmes du village rassemblées.

C'est alors que Bouquet de Perles se souvint de son rêve de la nuit précédente, aux pleurs du bébé.

- Je crois que je peux faire quelque chose pour toi, si le Grand Esprit y consent. Dorénavant, quand tu tisseras ta toile au-dessus de l'endroit où les enfants dorment, les mauvais rêves seront capturés à l'intérieur. Au petit matin, ils seront détruits par le soleil. Seuls les bons rêves peupleront les songes de nos petits. 

Et comme la vieille indienne était une sage, à partir de ce jour, les araignées eurent leur place sur cette terre, comme tous les animaux. Elles furent les gardiennes du sommeil des enfants attirant leur proie sans aucune pitié pour les livrer au soleil, aux premières lueurs de l'aube.

Bouquet de Perles Etincelantes cousait paisiblement dans la chaleur de son wigwam, près du feu.

L'été des Indiens était terminé à présent. Les grands froids gelaient les lacs qui miroitaient au soleil. Parfois, elle pensait au bébé de son rêve qui ne pleurait plus et jouait avec le vent. Alors elle posait son ouvrage  et souriait.

Jocelyne Marque



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Le petit tailleur de Galway (Conte irlandais.)

Il était une fois à Galway, en Irlande, un petit tailleur qui se mit en route, un beau matin, pour aller voir le roi, à Dublin.
Il venait à peine de partir lorsqu'il rencontra un cheval tout blanc. Comme il était bien élevé, il le salua.
- Le ciel vous aide! dit-il.
- Le ciel vous aide! répondit le cheval. Où partez-vous si tôt matin ?
- Je vais à Dublin, dit le tailleur, afin de bâtir une tour pour le roi, et obtenir ainsi sa fille en mariage.

Il faut savoir que depuis des mois, les envoyés du roi sillonnaient les villes et les villages d'Irlande afin de trouver celui qui serait capable de bâtir une tour pour le roi. En échange, le souverain avait promis sa fille en mariage ainsi qu'une très grosse somme d'argent. Hélas ! de nombreux Irlandais avaient essayé de bâtir la tour, mais, à chaque fois, trois géants qui vivaient dans un bois voisin venaient jeter par terre pendant la nuit l'ouvrage fait durant le jour, et par-dessus tout, ils mangeaient le constructeur.

Alors, le cheval dit au petit tailleur :
- Si tu voulais d'abord me faire un trou où je puisse me cacher, j'en serais bien heureux. Je suis fatigué d'aller au moulin ou au labourage. Quand les gens viendront me chercher, ils ne me trouveront pas !
- Volontiers, dit le petit tailleur.
Il tira de son sac sa bêche et sa truelle et fit un trou. Il demanda au cheval d'y entrer, pour voir s'il était assez grand mais quand le cheval blanc fut entré dans le trou, il n'en put plus sortir.
- Fais-moi un chemin par où je puisse sortir du trou quand je voudrai, dit le cheval.
- Oh! pas encore, dit le tailleur. Reste ici jusqu'à ce que je revienne, et alors je te ferai sortir.

Le jour suivant, le petit tailleur rencontra un renard.
- Le ciel vous aide! dit le renard.
- Le ciel vous aide! dit le tailleur.
- Où t'en vas-tu si tôt matin ? demanda le renard.
- Je vais à Dublin, voir si je peux bâtir une tour pour le roi.
- Si tu voulais d'abord m'arranger un endroit où je puisse me cacher, dit le renard. Les autres renards me battent et m'empêchent de manger.
- Bien volontiers, dit le petit tailleur.
Il prit sa hache et sa scie et fit un joli terrier. Il demanda ensuite au renard d'y entrer pour voir s'il était assez grand. Le renard y entra, et le tailleur ferma l'entrée.
- Laisse-moi sortir, à présent, dit le renard.
- Pour ça non, dit le tailleur. Attends ici jusqu'à ce que je revienne.

Le jour suivant, il rencontra un buffle.
- Le ciel vous aide! dit le buffle.
- Le ciel vous aide! répondit le tailleur.
- Où t'en vas-tu si tôt matin ? demanda le buffle.
- Je vais à Dublin, voir si je peux bâtir une tour pour le roi.
- Si tu voulais d'abord me faire une charrue, dit le buffle; les autres buffles et moi, nous pourrions labourer jusqu'à ce que vienne la moisson.
- Bien volontiers, dit le tailleur.
Il prit sa hache et sa scie, et fit une charrue. Dans le timon, il y avait un trou, et quand le buffle vint essayer la charrue, le tailleur lui prit la queue et l'enfonça dans le trou, où il la fixa avec une cheville, de sorte que le buffle ne put pas la retirer.
- Laisse-moi aller, maintenant, dit le buffle.
- Pour ça non, répondit le petit tailleur, attends ici jusqu'à ce que le revienne; et il repartit pour Dublin.

Quand il arriva dans la capitale, il engagea des maçons et commença à bâtir la tour. A la fin du premier jour, il fit poser une grosse pierre en équilibre sur le mur, et plaça un levier dessous, de façon à pouvoir la faire bouger facilement. Ensuite, les maçons s'en allèrent, mais le tailleur se cacha derrière le mur.
Lorsque la nuit fut venue, les trois géants sortirent du bois, et commencèrent à démolir la tour. Mais quand ils arrivèrent sous la grosse pierre, le petit tailleur fit manœuvrer son levier et la pierre tomba sur un des géants et le tua. Les deux autres furent si étonnés qu'ils se sauvèrent tout de suite.
Les maçons revinrent le lendemain matin, et travaillèrent jusqu'à la nuit; puis ils mirent la pierre sur le mur, avec le levier, comme la veille, et s'en retournèrent, mais le tailleur se cacha encore derrière le mur.
Quand tout le monde fut endormi, les deux géants revinrent, et comme ils approchaient de l'endroit où se trouvait la grosse pierre, le tailleur fit manœuvrer son levier, et la pierre tomba sur un des géants et le tua. Le troisième géant s'en alla, et ne revint plus.

Quand la tour fut finie, le petit tailleur demanda au roi l'argent et la princesse, mais le roi lui dit qu'il ne les aurait pas avant d'avoir tué le troisième géant.
- Bon, dit le petit tailleur, ce ne sera pas long.
Il alla dans la forêt, et, quand il arriva chez le géant, il lui demanda s'il n'aurait pas besoin d'un domestique.
- Oui, dit le géant, à condition qu'il puisse faire tout ce que je ferai moi-même, sans cela, je le mangerai.
- Je ferai tout ce que tu feras, dit le tailleur.
Ils entrèrent dans la caverne où le dîner était en train de cuire, et le géant demanda au tailleur s'il oserait boire autant de bouillon brûlant qu'il en avalerait lui-même.
- Certainement, dit le tailleur, laissez-moi seulement une heure pour me préparer.
Il alla acheter un grand morceau de cuir, dont il fit un sac qu'il glissa sous ses habits. Puis il rentra et dit au géant de commencer. Le géant avala une soupière de bouillon brûlant.
- Ce n'est que ça ? dit le tailleur. Et il versa une soupière de bouillon brûlant dans son sac en faisant semblant de le boire. Le géant avala une autre soupière, et le tailleur continua son manège, puis il dit :
- Je vais faire à présent une chose que tu n'oseras jamais faire.
- Quoi ? demanda le géant.
- Je vais faire un trou dans mon estomac et laisser couler le bouillon, dit le tailleur.
Et il prit son couteau, et fendit le sac de cuir, et le bouillon coula par terre.
- A ton tour, dit-il.
Le géant se donna un grand coup de couteau, si fort qu'il se fendit le ventre et en mourut.

Le petit tailleur alla trouver le roi et réclama la princesse et l'argent, disant qu'il jetterait le château par terre si on ne les lui donnait pas. Les gens de Dublin eurent peur et on lui donna la princesse et l'argent.

Lorsque le petit tailleur fut parti, dans une belle voiture à deux chevaux emmenant avec lui la princesse, le roi et les gens de la ville se repentirent de la lui avoir donnée et ils se mirent à courir après lui. Ils arrivèrent bientôt à l'endroit où était le buffle, et celui-ci leur dit :
- Si vous me relâchez, je galoperai après eux et je les atteindrai.
Ils relâchèrent le buffle, et voilà le buffle et les gens de Dublin courant après le petit tailleur et la princesse.
Quand ils arrivèrent à l'endroit où était le renard, le renard leur dit :
- Si vous me laissez sortir, je courrai " après eux et je les atteindrai.
Ils laissèrent sortir le renard, et voilà le renard, le buffle et les gens de Dublin courant après le petit tailleur et la princesse.
Quand ils arrivèrent à l'endroit où était le vieux cheval blanc, le cheval leur dit :
- Si vous voulez me laisser sortir, je courrai et je les atteindrai.
Ils le laissèrent sortir, et voilà le cheval, le renard, le buffle et les gens de Dublin courant après le petit tailleur et la princesse.
Lorsque le petit tailleur se vit poursuivi, il descendit de la voiture et s'assit par terre, sur ses talons.
- Ah! dit le vieux cheval blanc; c'est comme cela qu'il se tenait quand il faisait le trou dont je n'ai pas pu sortir! Je ne vais pas plus loin.
- Ah! dit le renard; c'est comme cela qu'il se tenait quand il fit le terrier dont je n'ai pas pu sortir! Je ne vais pas plus loin.
- Ah! dit le buffle; c'est comme cela qu'il se tenait quand il faisait la charrue dont je n'ai pas pu me débarrasser! Je ne vais pas plus loin.
Voyant cela, les gens de Dublin prirent peur et s'en retournèrent aussi.

Le tailleur et la princesse arrivèrent à Galway et ils y vécurent heureux jusqu'à la fin de leurs jours.


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Bout de paille, braise et haricot

Dans un petit village vivait une pauvre vieille femme, qui s'était ramassé un plat de haricots et voulait les faire cuire. Elle dressa son feu dans la cheminée et l'alluma avec une bonne poignée de paille pour qu'il brûle plus vite. Quand elle mit ses haricots dans la marmite, il y en eut un qui lui échappa par mégarde, et qui vint choir sur le sol juste à côté d'un brin de paille ; l'instant d'après, c'était un bout de braise qui sautait du foyer et qui venait tomber auprès des autres. Le bout de paille entama la conversation :
- Chers amis, d'où arrivez-vous comme cela ?
- La chance m'a permis de sauter hors du feu, répondit la braise et sans la force de cet élan, c'était pour moi la mort certaine : je serais maintenant réduite en cendres.
- Je l'ai échappé belle aussi, répondit le haricot à son tour, car si la vieille femme m'avait jeté dans la marmite, irrémissiblement c'en était fait de moi et j'étais cuit avec les autres.
- Croyez-vous peut-être que le j'aurais eu un destin plus clément ? reprit le bout de paille. Tous mes frères, la vieille les a fait passer en feu et en fumée : soixante d'un coup, qu'elle avait pris, auquel elle a ôté la vie ! Moi, par bonheur, je lui ai filé entre les doigts.
- Et maintenant, qu'est-ce que nous allons faire ? demanda la braise.
- A mon avis, dit le haricot, puisque nous avons tous les trois sites miraculeusement échappé à la mort, nous devrions nous unir en bons camarades et partir tous d'ici pour gagner un autre pays, afin d'éviter quelque nouveau malheur.
La proposition convint aux deux autres, et tous ensemble ils se mirent en chemin. Ils arrivèrent bientôt devant un ruisselet qui n'avait pas le moindre pont, ni-même une passerelle le, et ils ne savaient pas comment passer de l'autre côté. Le fétu eut alors une bonne idée et dit : « Je vais me coucher en travers, et vous pourrez ainsi passer sur moi comme sur un pont. »
La paille, donc, se suspendit entre une rive et l'autre, et sur ce pont improvisé, la braise, avec son naturel ardent, s'avança hardiment, mais à tout petits pas pour ne pas renverser le fragile édifice. Arrivée au milieu, toutefois, en entendant le bruit que faisait le courant au-dessous d'elle, la peur la prit et elle s'immobilisa, n'osant pas se risquer plus avant ; aussi le bout de paille commença-t-il à prendre feu, se rompant net par le milieu et tombant dans l'eau, entraînant dans sa perdition la braise, qui chuinta en touchant l'eau et rendit aussitôt l'esprit.
Le haricot, demeuré prudemment sur la rive, partit d'un tel fou rire en voyant cette histoire, et s'en tordit tellement sans pouvoir s'arrêter, que, pour finir, il éclata. C'en eût été fini de lui pareillement, si par bonheur un compagnon tailleur qui faisait son tour d'Allemagne ne s'était arrêté au bord de ce ruisseau pour se reposer. Par ce qu'il avait bon cœur et l'âme secourable, le tailleur prit du fil et une aiguille et se mit aussitôt à le recoudre. Le haricot lui en fit ses remerciements chaleureux et choisis comme on l'imagine ; mais comme il avait utilisé du fil noir, c'est pour cela que, depuis ce temps -là, tous les haricots ont une couture noire.

Conte de Grimm

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Le serpent blanc

Il y a maintenant fort longtemps que vivait un roi dont la sagesse était connue dans tout son royaume. On ne pouvait rien lui cacher, il semblait capter dans les airs des nouvelles sur les choses les plus secrètes. Ce roi avait une étrange habitude : tous les midis, alors que la grande table était desservie et qu'il n'y avait plus personne dans la salle, son serviteur fidèle lui apportait un certain plat. Or, ce plat était recouvert, et le valet lui-même ignorait ce qu'il contenait ; personne d'ailleurs ne le savait, car le roi ne soulevait le couvercle et ne commençait à manger que lorsqu'il était seul. Pendant longtemps cela se passa ainsi. Mais un jour, le valet, ne sachant plus résister à sa curiosité, emporta le plat dans sa chambrette et referma soigneusement la porte derrière lui. Il souleva le couvercle et vit un serpent blanc au fond du plat. Cela sentait bon et il eut envie d'y goûter. N'y tenant plus, il en coupa un morceau et le porta à sa bouche. Mais à peine sentit-il le morceau sur sa langue qu'il entendit gazouiller sous la fenêtre. Il s'approcha, écouta et se rendit compte qu'il s'agissait de moineaux qui se racontaient ce qu'ils avaient vu dans les champs et dans les forêts. Le fait d'avoir goûté au serpent lui avait donné la faculté de comprendre le langage des animaux.
Ce jour-là, justement, la reine perdit sa plus belle bague, et les soupçons se portèrent sur le valet qui avait la confiance du roi et avait donc accès partout. Le roi le fit appeler, le rudoya et menaça de le condamner s'il ne démasquait pas le coupable avant le lendemain matin. Le jeune homme jura qu'il était innocent mais le roi ne voulut rien entendre et le renvoya.
Le valet, effrayé et inquiet, descendit dans la cour où il commença à se demander comment il pourrait bien faire pour s'en tirer. Il y avait là, sur le bord du ruisseau, des canards qui se reposaient en discutant à voix basse tout en lissant leurs plumes avec leur bec. Le valet s'arrêta pour écouter. Les canards se racontaient où ils avaient pataugé ce matin-là et quelles bonnes choses ils avaient trouvées à manger puis l'un d'eux se plaignit :
- J'ai l'estomac lourd car j'ai avalé par mégarde une bague qui était sous la fenêtre de la reine.
Le valet l'attrapa aussitôt, le porta dans la cuisine et dit au cuisinier :
- Saigne ce canard, il est déjà bien assez gras.
- D'accord, répondit le cuisinier en le soupesant. Il n'a pas été fainéant et il s'est bien nourri ; il devait depuis longtemps s'attendre à ce qu'on le mette dans le four.
Il le saigna et trouva, en le vidant, la bague de la reine.
Le valet put ainsi facilement prouver son innocence au roi. Celui-ci se rendit compte qu'il avait blessé son valet fidèle et voulut réparer son injustice ; il promit donc au jeune homme de lui accorder une faveur et la plus haute fonction honorifique à la cour, que le valet choisirait.
Le valet refusa tout et demanda seulement un cheval et de l'argent pour la route, car il avait envie de partir à la découverte du monde. Aussi se mit - il en route dès qu'il eut reçu ce qu'il avait demandé.
Un jour, il passa près d'un étang où trois poissons, qui s'étaient pris dans les roseaux, étaient en train de suffoquer. On dit que les poissons sont muets, et pourtant le valet entendit leur complainte qui disait qu'ils ne voulaient pas mourir si misérablement. Le jeune homme eut pitié d'eux ; il descendit de son cheval et rejeta les trois poissons prisonniers dans l'eau. Ceux-ci recommencèrent à frétiller gaiement, puis ils sortirent la tête de l'eau et crièrent :
- Nous n'oublierons pas que tu nous as sauvés et te revaudrons cela un jour.
Le valet continua à galoper et eut soudain l'impression d'entendre une voix venant du sable foulé par son cheval. Il tendit l'oreille et entendit le roi des fourmis se lamenter :
- Oh, si les gens voulaient faire un peu plus attention et tenaient leurs animaux maladroits à l'écart ! Ce cheval stupide piétine avec ses lourds sabots mes pauvres serviteurs !
Le jeune homme s'écarta aussitôt et le roi des fourmis cria :
- Nous n'oublierons pas et te revaudrons cela un jour !
Le chemin mena le valet dans la forêt où il vit un père corbeau et une mère corbeau en train de jeter tous leurs petits du nid.
- Allez-vous-en, sacripants, croassèrent-ils, nous n'arrivons plus à vous nourrir vous êtes déjà assez grands pour vous trouver à manger tout seuls !
Les pauvres petits, qui s'agitaient par terre en battant des ailes, piaillèrent :
- Comment pourrions-nous, pauvres petits que nous sommes, subvenir à nos besoins alors que nous ne savons même pas voler ! Nous allons mourir de faim !
Le jeune homme descendit aussitôt de son cheval, le transperça de son épée et l'abandonna aux jeunes corbeaux pour qu'ils aient de quoi se nourrir. Les petits s'approchèrent et, après s'être rassasiés, crièrent :
- Nous ne t'oublierons pas et te revaudrons cela un jour !
Le valet fut désormais obligé de continuer sa route à pied. Il marcha et marcha et, après une longue marche, il arriva dans une grande ville dont les rues étaient très peuplées et très animées. Soudain, un homme arriva à cheval et annonça que l'on cherchait un époux pour la princesse royale, mais que celui qui voudrait l'épouser devrait passer une épreuve difficile et, s'il échouait, il devrait payer de sa vie. De nombreux prétendants s'y étaient déjà essayés et tous y avaient péri.
Mais le jeune homme, lorsqu'il eut l'occasion de voir la princesse, fut si ébloui de sa beauté qu'il en oublia tous les dangers. Il se présenta donc comme prétendant devant le roi.
On l'emmena immédiatement au bord de la mer et on jeta sous ses yeux un anneau d'or dans les vagues. Puis, le roi lui ordonna de ramener l'anneau du fond de la mer, et ajouta :
- Si tu émerges de l'eau sans l'anneau, les vagues te rejetteront sans cesse jusqu'à ce que tu périsses.
Tous plaignirent le jeune homme et s'en allèrent. Seul, debout sur la plage, le valet se demanda ce qu'il allait bien pouvoir faire, lorsqu'il vit soudain trois poissons s'approcher de lui. C'étaient les poissons auxquels il avait sauvé la vie. Le poisson du milieu portait dans sa gueule un coquillage qu'il déposa aux pieds du jeune homme. Celui-ci le prit, l'ouvrit et y trouva l'anneau d'or.
Heureux, il le porta au roi, se réjouissant d'avance de la récompense. Or, la fille du roi était très orgueilleuse et, dès qu'elle eut appris que son prétendant n'était pas de son rang, elle le méprisa et exigea qu'il subît une nouvelle épreuve. Elle descendit dans le jardin et, de ses propres mains, elle répandit dans l'herbe dix sacs de millet.
- Tu devras ramasser ce millet ! ordonna-t-elle. Que ces sacs soient remplis avant le lever du soleil ! Et pas un seul grain ne doit manquer !
Le jeune homme s'assit dans l'herbe et se demanda comment il allait pouvoir s'acquitter de cette nouvelle tâche. Ne trouvant pas de solution, il resta assis en attendant tristement l'aube et la mort.
Or, dès que les premiers rayons de soleil éclairèrent le jardin, il vit devant lui les dix sacs de millet remplis à ras. Ils étaient rangés les uns à côté des autres et pas un grain ne manquait. Le roi des fourmis était venu la nuit avec des milliers de ses serviteurs et les fourmis reconnaissantes avaient rassemblé tout le millet avec infiniment de soin et en avaient rempli les sacs.
La princesse descendit elle-même dans le jardin et constata avec stupéfaction que son prétendant avait rempli sa tâche. Ne sachant pourtant toujours pas maîtriser son cœur plein d'orgueil, elle déclara :
- Il a su passer les deux épreuves, mais je ne serai pas sa femme tant qu'il ne m'aura pas apporté une pomme de l'Arbre de Vie.
Le jeune homme ignorait où poussait un tel arbre, mais il décida de marcher là où ses jambes voudraient bien le porter, sans trop d'espoir de trouver l'arbre en question. Il traversa trois royaumes et il arriva un soir dans une forêt. Il s'assit au pied d'un arbre pour se reposer un peu lorsqu'il entendit un bruissement dans les branches au-dessus de sa tête et une pomme d'or tomba dans sa main. Au même moment, trois corbeaux se posèrent sur ses genoux et dirent :
- Nous sommes les trois jeunes corbeaux que tu as sauvés de la famine. Nous avons appris que tu étais en quête de la pomme d'or et c'est pourquoi nous avons traversé la mer et sommes allés jusqu'au bout du monde où se trouve l'Arbre de Vie pour t'apporter cette pomme.
Le jeune homme, le cœur joyeux, prit le chemin du retour et remit la pomme d'or à la belle princesse qui ne pouvait plus se dérober. Ils coupèrent la pomme de Vie en deux, la mangèrent ensemble et, à cet instant, le cœur de la princesse s'enflamma d'amour pour le jeune homme. Ils s'aimèrent et vécurent heureux jusqu'à un âge très avancé.

Conte des frères Grimm

bunni


Le neuvième soleil

Au début du monde, il y avait neuf garçons-lunes et neuf filles-soleils qui se succédaient dans le ciel.

À peine l'un d'entre eux s'était-il couché qu'un autre montait à l'horizon, et ils se suivaient ainsi, et ainsi alternaient le jour et la nuit.

Mais voici qu'un jour les filles-soleils se sont mises à briller toutes en même temps dans le ciel.

Elles sont apparues l' une après l' autre, sans attendre que la précédente ait fini sa course et se soit couchée.

Très vite, il a fait très chaud, l'eau des rivières s'est évaporée, la terre s'est desséchée et fendue, les tiges des maïs et les pousses de riz ont jauni et se sont racornies, les arbres ont commencé à mourir, les buffles couchés sur le sol craquelé haletaient de soif, les oiseaux tombaient tout rôtis du ciel, sauterelles et grenouilles grillées jonchaient le sol entre les herbes sèches.

Plantes, hommes et bêtes, tous allaient mourir.

Un homme du nom de Yang Yua avait un fils unique.

Le troisième jour, le jeune garçon est parti au ray* chercher quelques épis de maïs restés sur leur tige brûlée.

Mais la chaleur était telle, que l' enfant est mort d'insolation.

Quand son père l'a retrouvé mort, fou de chagrin et de colère, il s'est écrié :

« Ce sont ces neuf filles-soleils qui l' ont tué! Je vais les tuer, moi aussi ! »

Il s'est fabriqué une arbalète, s'est forgé des flèches de fer et s'est posté en embuscade sur le chemin suivi par les filles-soleils.

Il a tiré huit flèches, et abattu huit soleils.

La neuvième, alors, voyant tomber ses soeurs, est restée cachée derrière les hautes herbes dont on fait les toits des maisons Hmong, et qui, seules, avaient résisté à la fournaise.

Les garçons-lunes, attirés par l' obscurité, se sont levés à leur tour, et Yang Yua, dans sa colère, les a abattus un à un.

Seul le neuvième a survécu, mais il avait reçu une flèche dans l'oeil, et il s'est laissé tomber dans l' herbe pour se cacher, lui aussi.

Alors, l' obscurité s'est installée sur la Terre.

L' obscurité totale, et avec elle, le froid.

Un froid terrible.

Les hommes ont appelé la fille-soleil pour qu' elle remonte dans le ciel, mais elle avait bien trop peur, elle restait cachée.

Prières, chants, offrandes, ils ont tout essayé, mais elle n'a pas voulu reparaître.

Ils ont tenu conseil, dans le noir et le froid, et décidé de faire appel aux animaux pour convaincre le soleil de revenir.

Tous les animaux, du poussin pépiant à l'éléphant, qui a eu beau barrir, baronner et baréter, en passant par la grenouille qui a coassé à qui mieux mieux, et le grillon stridulant, crissant et grésillant, tous, en vain, ont levé les yeux vers le ciel obscur, et appelé, l'un après l'autre, à leur manière, le soleil.

Le tigre a feulé si fort que la fille-soleil s'est blottie un peu plus derrière la ligne d'horizon, et la nuit est devenue plus sombre encore.

La vache a meuglé si désespérément que tout le monde s'est senti l' âme bouleversée, et le neuvième soleil est resté caché tout au fond du ciel, plus découragé encore.

Une lueur d'espoir est apparue quand le hibou a bouboulé, une clameur s'est élevée...mais on a vu apparaître un petit astre pâle dont la lumière éclairait faiblement.

C'était le garçon-lune rescapé, et on peut voir encore, les nuits de pleine lune, la cicatrice de son oeil blessé.

Finalement, il ne restait plus que le coq, qui n'avait pas encore lancé son appel. Tous les regards étaient braqués sur lui, éclairé par la Lune nouvelle.

Il s'est perché sur le toit d'herbe d'un petit grenier à riz, il a dressé les plumes de sa queue, il s'est raclé la gorge, il a tendu le cou...et il a lancé un formidable "cocorico!" plein d'espoir.

Il a semblé à tous que le ciel s'était très légèrement éclairci, le temps d'une demi-seconde.

Encouragé, le coq a coqueriqué vaillamment une seconde fois, puis une troisième fois...et lentement, timidement, la fille-soleil a pointé son visage, pâle d'abord, puis timidement rose, puis de plus en plus rayonnant à mesure que hommes et bêtes la saluaient et l'acclamaient.

C'est depuis ce jour que le neuvième soleil brille au-dessus du Laos, et ailleurs.

Depuis ce jour aussi, ou plutôt cette nuit, la Lune est là, qui veille sur la Terre quand le neuvième soleil a fini sa tournée, et les hommes s'endorment confiants, car le coq, très fier de son succès, n'oublie jamais de chanter chaque matin pour appeler le soleil.



bunni


Effets de lune

Pleine lune.

Elle brillait, ici plus qu'ailleurs, peut-être un ciel plus pur.
On pouvait même distinguer les étoiles, claires, scintillantes.
La lagune réfléchissait comme un miroir. Sur le coté, des barques, couchées, échouées sur le sable attendaient : le jour, le pêcheur, un autre jour ?

Des cris aigus, d'autres plus doux : des oiseaux sûrement.
Charlotte tenait fermement la main de Thomas, pas question de se lâcher.
Charlotte toute brune, grands yeux noisette, avec des cheveux qui commençaient à lui tomber sur les épaules, surtout quand ils étaient mouillés. Thomas était sûrement son frère, lui tout blond, avec de grands yeux verts-gris, et son petit air "scrogneugneu", juste le "scrogneugneu" qu'on aimait.

Les deux enfants n'avaient pas peur, tout semblait familier, rassurant , et pourtant c'était la première fois qu'ils sortaient seuls la nuit.
Ils ne comprenaient pas tout, mais c'était bien eux devant la lagune et même pas peur, pas zun brin comme dirait Némo leur gentil chat !
D'ailleurs la lune éclairait tellement qu'on se serait cru en plein jour. Il y avait des arbres, mais ce sont des palmiers dit Charlotte à Thomas .
Oui je crois dit Thomas, mais je n'ai jamais vu de palmiers, que dans des livres, si tu veux ce sont des palmiers, après tout....
Il aimait la forme élancée du tronc et le grand plumeau sur le sommet.

Oui, oui ce sont des palmiers !!!! Ils riaient doucement.

Il faisait doux, un vent léger venait du large avec de fortes odeurs d'algues, fortes mais agéables.galerie-membre-coucher-soleil-coucher-de-soleil-et-palmier.jpg
Et c'est là, qu'elle apparut, de derrière un petit mur.
Une femme, vêtue d'une longue robe blanche. On ne voyait pas ses mains, juste son visage, sous une épaisse crinière de cheveux rouges.
Elle avait de grands anneaux d'argent aux oreilles et deux grands colliers de turquoises pendaient sur sa poitrine. On pouvait entendre le cliquetis des ses bracelets...

- Tiens Charlotte, Thomas ? Dehors à cette heure ?
En fait je vous dit cela, mais ici, il n'y a pas d'heure. C'est toujours la bonne heure !

Nous sommes où se demandait Charlotte quand même vaguement, vaguement inquiète ?

- Comment , vous ne savez pas ?
vous êtes au pays des grands Arcs-en-ciel.

- Des Arcs-en-ciel comme dans le ciel ?

- Oui mais ici les gens ont la peau de cette couleur, de ces couleurs je devrais dire.

Charlotte et Thomas se regardaient, incrédules. Elle doit se tromper, les gens normaux sont blancs, jaunes , ou noirs, mais pas de toutes les couleurs à la fois.

- On peut voir ça dit Charlotte ?

- Je ne sais pas encore .

- Faut voir qui ?

- En fait, parfois certains sont plus rouges , ou plus jaunes que d'autres, ou plus bleus, mais c'est toujours très  joli à voir, du plus bel effet !!!!!

- Super, je voudrais être bleue se dit Charlotte.

- Et moi tout jaune, là c'était Thomas qui parlait. C'était sa couleur préférée et quand il faisait de la peinture, parfois on le confondait avec le papier peint de sa chambre, tellement il se barbouillait, oui je serai tout jaune et je ne me ferai même pas gronder.

La dame au cheveux rouges leur expliqua que ça ne dépendait pas seulement d'elle.
Il faut que je demande à la grande sorcière, car moi souvent je me trompe dans les mots magiques et parfois je fais des erreurs.
Cet oiseau, c'était Paul, je suis désolée Paul... Vraiment !

Paul , le bel oiseau lança un cri de colère qui retentit sur la lagune.
Il en avait assez de patauger dans la boue et de manger du poisson !! Il détestait ça !

La femme aux cheveux rouges dit à Paul, qu'il fallait juste attendre la nouvelle lune, et qu'il redeviendrait un petit garçon normal, et surtout qu'elle apprendrait mieux les mots magiques...

A ce moment un petit coup de vent souleva la robe de la sorcière rouge, juste assez pour qu'on voit ses jambes.

Houlalalalallala !!!!ses jambes étaient de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et c'était beau.

- Il y a d'autres enfants comme ça ? Nous on aimerait bien voir.

- Voir ? je vais demander, mais je ne sais pas si on peut voir seulement, il se peut que vous restiez comme ça, de toutes les couleurs !
vous aimeriez ?

- Non non , moi je veux rester de la même couleur que mon père et ma mère , pas arc-en-ciel.

Thomas se disait que jaune ce serait bien, mais il avait compris que c'était tout ou rien. Moi non plus je ne veux pas , et surtout je ne veux pas être un canard ou un oiseau, et si on retournait à la maison demanda-t-il à Charlotte ?

La femme aux cheveux rouges souriaient, mais vous êtes chez vous.

Et c'était vrai, Là ,c'était chez eux sous la lune ronde, sous les étoiles, près de la lagune, oui bien sûr.
En plissant les yeux, ils pouvaient voir leurs lits, leurs doudous, un lapin pour Charlotte et des foulards pour Thomas.

Demain, si la lune est encore ronde, nous irons au pays des montagnes bleues, mais ce sera demain........

La lune était toujours là, bienveillante et ronde, bleutée et douce, et elle serait toujours là pour eux, s'ils voulaient bien la voir, ou la regarder.


bunni


La Fée Ilona et le Prince Argus

Il était une fois un roi qui avait trois fils. Dans le jardin du roi se trouvait un pommier en or. Cet arbre fleurissait la nuit et ses fruits étaient mûrs à l'aube. Chaque matin, le roi faisait ramasser les pommes et ainsi, il devint des années après, le roi le plus riche du monde.

Un beau matin, il trouva son pommier sans aucun fruit. Pas de fruits le lendemain non plus. Le troisième jour, il annonça qu'il donnerait la moitié de son royaume à celui qui défendrait ses pommes d'or contre les voleurs. Ses fidèles serviteurs, à tour de rôle, montèrent la garde sous le pommier. Mais vers minuit ils succombèrent tous au sommeil. Quand ils se réveillèrent, toutes les pommes qui avaient mûri pendant la nuit avaient disparu.

Les trois princes se réunirent et décidèrent de surveiller le pommier. D'abord, ce fut l'aîné qui commença, suivi par son frère cadet. Mais ils échouèrent. Le benjamin, du nom d'Argus, était beau comme un ange. Vint son tour. Il prit son épée et emporta un coffret en or rempli de tabac à priser. Puis il s'étendit au pied du pommier et regarda autour de lui sous la clarté de la lune. Soudain, il commença à céder au sommeil. Il ouvrit son coffret en or, il prisa du tabac et éternua si violemment qu'il n'eut plus sommeil. A ce moment là, treize corbeaux s'approchèrent de l'arbre. D'un geste habile, Argus attrapa le premier corbeau par les pattes. Il savait que c'était lui le chef des voleurs. Mais à peine l'avait-il attrapé que le corbeau se transforma en une splendide jeune fille. Elle était si belle que le Prince en tomba tout de suite amoureux.

«Belle voleuse, qui es-tu ? demanda le Prince. Je ne te laisserai plus jamais partir.
- Je suis la Fée Ilona, dit-elle, et ces corbeaux sont mes amies. Je ne peux pas rester plus longtemps avec toi, mais je te promets de revenir chaque soir et je te laisserai les pommes.»

Les treize corbeaux s'envolèrent avec fracas.

Le lendemain, à la plus grande surprise de la cour royale, les pommes d'or étaient au complet sur l'arbre. Le roi embrassa son fils sur le front et celui-ci demanda à son père la permission de continuer à garder le pommier.
Et ce fut ainsi. Nuit après nuit, Argus alla surveiller le pommier et à chaque fois il rencontra la Fée Ilona.
Cependant, vivait à la cour royale une vieille sorcière. Elle épia Argus et la Fée Ilona. Elle se cacha derrière les buissons et le matin suivant raconta au roi ce qu'elle avait vu.

«J'ai vu le Prince assis sous le pommier en or en compagnie d'une fille merveilleuse aux cheveux blonds. Elle est apparue sous la forme d'un corbeau et elle s'est transformée en une superbe jeune fille aux cheveux d'or.
- Tu mens! cria le roi, ce que tu dis n'est pas vrai.
- Bien sûr que c'est vrai, Majesté. Si vous le souhaitez, demain je vous le démontrerai.»

Le lendemain, la vieille sorcière attendit que le Prince et la  Fée Ilona s'endorment. Elle sortit alors de derrière les buissons et coupa une mèche d'or des cheveux de la Fée Ilona. Quand celle-ci se réveilla, elle constata qu'une mèche d'or lui manquait. Elle embrassa le Prince, enleva une de ses bagues et la passa au doigt du Prince.

«Je te l'offre, dit-elle. Je te reconnaîtrai à cette bague n'importe où dans le monde.»

Elle claqua dans ses mains, se transforma en corbeau et s'envola.
Le lendemain, la vieille sorcière alla voir le roi et lui montra la mèche d'or. Le roi fut très étonné et il appela tout de suite le Prince Argus.

«Mon cher fils! Tes frères se sont déjà tous mariés, il est temps que je te marie, toi aussi. J'ai trouvé une riche princesse pour toi, je crois que tu n'auras rien à redire.
- Mon cher père! Je vais me marier à condition que je puisse choisir moi-même ma future épouse. D'ailleurs, c'est déjà fait, c'est la Fée Ilona que j'épouserai.»

La réponse déplut fortement au roi, mais il n'arriva pas à convaincre le Prince qui prit son épée et s'en alla tenter de retrouver la Fée Ilona. Toute la cour royale fut plongée dans le deuil.

Le Prince traversa presque la terre entière, mais ne retrouva pas la Fée Ilona. Il interrogea le Soleil, la Lune, et même le Vent, mais nul ne pouvait le renseigner. Il traversa la montagne de verre et arriva à une grande plaine plongée dans l'obscurité. Il grimpa à un arbre, regarda autour de lui et aperçut une petite lumière dans le lointain. Il s'en approcha et se trouva devant un beau château. Il frappa à la porte qui s'ouvrit toute seule. Il croisa un géant qui avait un oeil sur le front.

«Bonsoir, Majesté! Auriez-vous des nouvelles de la Fée Ilona? Où pourrait-elle bien être?
- Tu as la chance de m'avoir salué comme il le fallait, autrement je t'aurais condamné à mort! Je suis le roi des animaux et je ne sais rien de la Fée Ilona.»

Il siffla et tous les animaux se retrouvèrent dans la cour. Le roi les questionna en détail sur la Fée Ilona, mais ils ne savaient rien. Finalement, un loup boiteux s'avança et dit :

«Moi, je sais quelque chose. Elle habite au-delà de la Mer noire, là où je me suis cassé la patte.
- Alors emmène le Prince là-bas, ordonna le roi.»

Le Prince se mit sur le dos du loup boiteux qui marcha ainsi durant cent ans. A la fin de la centième année, il déposa le Prince et lui dit:

«Moi, je ne peux pas aller plus loin, mais tu vas retrouver toi-même ton chemin. Tu dois aller toujours tout droit.»

Le Prince fit ainsi. Il arriva dans une vallée entourée de trois montagnes. Trois diables y étaient en train de se battre. Il s'approcha d'eux et leur demanda pourquoi ils se bagarraient.

«Notre père est décédé et nous a laissé ce manteau, ce fouet et ces chaussures qui ont un pouvoir magique : si tu enfiles ce manteau, si tu mets ces chaussures et si tu fais claquer ce fouet à plusieurs reprises en disant : Hip!-Hop! Que je sois où je veux être !  et voilà, c'est fait. Mais nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord.
- Alors, je vais vous rendre justice tout de suite, dit le Prince. Faites la course et celui qui sera arrivé le premier au sommet de cette montagne-ci, aura les trois objets.»

Ainsi firent les trois diables. Le Prince suivit leurs indications. Vêtu du manteau et des chaussures, il fit claquer le fouet à plusieurs reprises et répéta la phrase ,,Hip!-Hop! Que je sois où je veux être!"...et ô miracle...il se retrouva devant un palais merveilleux. Il frappa à la porte et, à sa grande surprise, une sorcière ouvrit la porte et lui dit:

«Je sais ce qui t'amène ici. Si tu suis mon conseil, tu peux libérer la Fée Ilona. Elle ne peut circuler librement que jusqu'à minuit, tu ne peux la voir qu'à ce moment-là. Mais méfie-toi, tu dois résister à la magie et rester réveillé, autrement tu vas rentrer bredouille.
- Rien n'est plus facile que cela!», pensa le Prince.

Il s'allongea pour se reposer, car minuit était encore loin.

A minuit juste, la vieille sorcière souffla dans le sifflet magique dont le son endormit le Prince. Quand la Fée Ilona arriva, elle se réjouit d'abord à la vue du Prince et constata ensuite qu'il était tombé dans un sommeil profond.

«Réveille-toi, mon Prince charmant! Si tu m'embrasses trois fois, je serai libérée de la magie. Réveille-toi, mon Prince charmant!», dit la Fée Ilona.

Elle revint trois fois, trois nuits de suite. La quatrième nuit, elle arriva par la fenêtre et retrouva la sorcière endormie. Elle ronflait tellement fort que même les murs épais du château tressaillaient. Le Prince embrassa trois fois la Fée Ilona dont la mèche d'or repoussa. Le Prince fit claquer le fouet à plusieurs reprises et dit: ,,Hip!-Hop! Que je sois avec ma Fée Ilona dans le château de mon père!"

Ainsi fut fait. Le roi était content que son fils épouse une fille aussi merveilleuse. Ils donnèrent un grand repas de noces, et ils vivent encore aujourd'hui s'ils ne sont pas morts entre temps.

bunni


La fille aux cheveux parfumés (légende Laotienne)

Il était une fois une femme, veuve et sans enfant, qui vivait à l'écart d'un village. Son domaine était la forêt et ses amis les animaux lui tenaient compagnie. Pour survivre, elle se nourrissait de plantes diverses, pêchait et buvait l'eau vive de la rivière.
Un jour qu'elle cherchait de quoi se nourrir dans les bois, elle s'aperçut qu'elle avait grand-soif mais qu'elle s'était éloignée de la rivière. Elle vit alors une mare qui s'était formée de la dernière pluie et but tout son soûl. Puis, prenant quelques instant de repos, elle se rendit compte que la mare avait exactement la forme d'un pied d'éléphant. Elle reprit son chemin sans plus y penser.

Quelques mois plus tard, la femme mit au monde une superbe petite fille. Au début, tout le monde fût étonné mais durant tous ces mois, elle avait réfléchi: cette enfant ne pouvait venir que de l'eau bue dans l'empreinte de l'éléphant. Sa petite fille était splendide et détail surprenant, de ses cheveux se dégageait un parfum des plus agréables.
Au village, les langues allaient bon train et bientôt tous surent d'où venait l'enfant. Elle grandit dans l'amour de sa mère mais ne sut jamais la vérité ni pourquoi les enfants se moquaient d'elle en scandant: "La fille de l'éléphant, la fille de l'éléphant!". Elle en était très peinée mais malgré son insistance, sa mère ne voulait rien lui dire.
Un jour, se sentant mourir, sa mère se décida enfin à lui avouer la vérité.

L'enfant, qui était devenue une belle jeune fille, partit à la recherche de son père, le roi des éléphants. Elle ne tarda pas à le trouver et lui expliqua la situation. Le roi, méfiant, lui imposa alors un test:
-Si tu es vraiment ma fille, tu devras courir sur mes défenses, sans chute et sans faux pas.
La fille réussit le test à merveille à la grande joie de l'éléphant, tout heureux de se trouver une fille. Il lui fit aussitôt construire un immense palais où la jeune fille vécut heureuse les premiers temps, tout en apprenant à connaître son père. Celui-ci l'adorait mais avait interdit l'accès du palais à tout étranger. Sa fille commença bientôt à s'ennuyer et passait des heures au bord de la rivière, à rêver.
C'est ainsi qu'un jour, elle jeta à l'eau deux de ses cheveux à l'odeur si particulière en faisant le voeu d'épouser celui qui les trouverait.
Son père décida à ce moment, de partir à la chasse dans des contrées lointaines. Un jeune prince qui avait trouvé les cheveux se présenta alors à la jeune fille. Ils se marièrent aussitôt et bientôt des enfants vinrent égayer le palais.

Mais le père revint de la chasse après avoir été longtemps absent, et, se souvenant de l'interdiction faite à tout étranger de l'approcher, sa fille cacha mari et enfants dans la forêt pour éviter le courroux de son père. Celui-ci ne s'aperçut de rien mais vint lui annoncer qu'il repartait bientôt chasser.
La jeune femme fit alors revenir sa famille mais, surprise! Son père revint plus tôt que prévu. Il entra dans une colère noire et chassa tout le monde du palais... et le regretta aussitôt. En effet, il n'avait que sa fille, son mari et ses enfants pour famille, et ne voulait pas rester seul. Il pardonna à tous et une grande joie emplit le palais durant quelques mois.
Le roi des éléphants, vieillissant et se sentant mourir, fit un jour venir sa fille et lui dit:
-Je vais bientôt mourir mais pour ne pas te laisser dans la peine, dès que je serai mort tu prendras mes défenses et tu les poseras sur la rivière. Aussitôt, celles-ci se transformeront en bateau d'or qui vous emmèneront au bout du monde si vous le souhaitez.
Le deuil passé, la famille embarqua donc sur les deux défenses qui s'étaient transformées en bateaux d'or, comme promis. Mais le malin veillait.

Il existait dans la forêt une méchante sorcière. Celle-ci était amoureuse du jeune prince avant que celui-ci n'épouse la fille aux cheveux parfumés. En reconnaissant les occupants des bateaux sur la rivière, la sorcière décida de se venger.
Elle se changea en fleur de lotus et approcha bientôt du bateau où se trouvait la famille. La princesse, attirée par cette fleur magnifique, se pencha pour cueillir la fleur mais tomba à l'eau et fut aussitôt changée en singe. Quant à la méchante sorcière, elle avait déjà pris la place de la princesses auprès du mari et des enfants.
Si le mari ne s'aperçut de rien, les enfants eux ne reconnurent pas cette femme qui les nourrissait de son sein.
Ils résolurent alors d'aller à la recherche de leur mère... qu'ils ne tardèrent pas à trouver. En effet, en traversant les bois, ils furent intrigués en entendant des pleurs et tombèrent sur un pauvre singe tout éploré. Ils ne tardèrent pas à reconnaître leur mère et celle-ci leur expliqua comment elle pouvait retrouver forme humaine.

Entre-temps, le prince s'était aperçu de l'imposture: les cheveux de sa 'femme' n'avait plus cette odeur qui les caractérisait et qu'il aimait tant. Il avait également constaté la disparition de ses enfants. Éploré mais lucide, il fit ligoté la sorcière et attendit quelque temps le retour des enfants. Ceux-ci ne tardèrent pas à revenir et expliquèrent toute l'affaire. Fou de joie, le prince voulut retourner chercher sa femme mais les petits l'arrêtèrent: pour que celle-ci retrouve forme humaine, il fallait d'abord tuer la sorcière et baigner le singe dedans. Aussitôt dit, la jeune femme reprit bientôt forme humaine.

C'est ainsi que le voyage reprit, lentement et gaiement, sur la rivière qui avait failli causer leur perte.

bunni


Niulang et Zhinu (légende Chinoise)

Niulang était un garçon robuste et travailleur. Orphelin, il vivait pauvrement à l'écart de la ville. D'ailleurs, la ville lui déplaisait et il préférait vivre dans son coin, sans compter qu'il n'était pas seul puisque son ami le taureau partageait sa vie et lui vouait une amitié sans bornes.
Ainsi donc vivait Niulang, cultivant son champ avec son taureau, chassant et pêchant pour assurer son quotidien. Un jour, il décida de partir un peu plus loin, jusque dans la forêt qu'il ne connaissait pas. Toujours accompagné du fidèle animal, il trouva l'endroit charmant et surtout il prit plaisir à écouter les oiseaux. Il flâna ainsi quelques heures, à profiter du calme de la forêt. Ses pas le menèrent ensuite vers un grand lac que le soleil éclairait.
Mais le ciel se couvrit bientôt et, levant la tête, il aperçut soudain une chose étrange: neuf jeunes filles descendaient des nuages. Elles semblaient flotter dans les airs! Arrivées près du lac, les jeunes filles commencèrent à se déshabiller. Tout en se taquinant, elles riaient toutes de bon coeur. Nues, elles plongèrent alors dans le lac et profitèrent de la douceur du soleil qui était revenu.

Nuilang et son ami le taureau, Illustré par SylvieCaché derrière un buisson, Niulang suivait le spectacle sans en perdre une miette. Se pinçant pour vérifier qu'il ne rêvait pas, il n'en croyait pas ses yeux : ainsi donc, les anges existaient et venaient parfois sur terre... Depuis sa cachette, il suivait leurs jeux et tomba vite sous le charme. Parmi ces créatures ravissantes, une d'entre elles, la plus jeune, retenait particulièrement son attention. Elle était tellement belle qu'il en tomba immédiatement amoureux.
Après quelques heures de plaisirs aquatiques, la plus âgée rappela ses amies et leur fit un signe: il était temps de rentrer. Peiné de constater que l'élue de son coeur allait s'évanouir, il consulta son ami le taureau afin trouver  une solution pour retenir la plus jeune, dont le nom était Zhinu.
-Cache-lui ses vêtements! lui conseilla-t-il.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Et tandis que les autres jeunes filles regagnaient déjà les nuages, Zhinu cherchait encore son vêtement. Alors qu'elle commençait à perdre patience, elle s'aperçut que quelqu'un l'observait. Apeurée, elle se réfugia tout de suite dans un buisson afin de cacher sa nudité. Maladroit, Niulang s'approcha d'elle en tenant quelque chose à la main.
Le jeune homme se présenta et lui rendit son vêtement tout en lui déclarant sa flamme. Amusée plus que fâchée par le tour que lui avait joué ce terrien, Zhinu fût aussitôt conquise par ce jeune homme si timide et tellement charmant.
Ainsi Zhinu décida-t-elle de rester sur terre et d'y vivre avec son bien-aimé et son ami le taureau. La vie s'écoula tranquille et heureuse pour le jeune couple. Durant ces deux années, un garçon et une fille vinrent agrandir la famille de Niulang et Zhinu qui vivaient un amour idéal et savouraient un bonheur parfait.

Mais pour les autres anges du paradis, Zhinu avait trahi. Les lois du ciel interdisent en effet à un ange de un terrien, fut-il le meilleur d'entre eux. Aussi, un jour que Niulang était parti à la pêche avec ses enfants, les anciennes compagnes de la jeune femme vinrent la chercher pour la ramener chez elles. Devant son refus de les suivre, elles décidèrent alors d'employer la manière forte et enlevèrent Zhinu, sans autre forme de négociation. A l'idée de ne plus revoir son mari et ses enfants, la jeune femme se mit à pleurer et les appela de toutes ses forces.
De l'endroit où il pêchait, Niulang entendit les cris de sa bien-aimée. Il bondit alors sur son ami le taureau et le fit courir aussi vite que possible. L'animal y mit tellement d'énergie qu'il rattrapa bientôt Zhinu qui ralentissait de toutes ses forces l'envol de ses anciennes congénères. Mais c'était oublié que les agresseurs étaient des anges et qu'elles avaient des pouvoirs magiques!
Illustration de la légende par SylvieVoyant Niulang se rapprocher dangereusement, elles firent alors apparaître une rivière entre elles et leurs malheureux poursuivants. Face à cet obstacle infranchissable, Niulang et son taureau s'arrêtèrent net. Désespéré, il appela Zhinu que les anges avait relâchée. Sur l'autre berge, la jeune femme était effondrée à l'idée d'être séparée de ceux qu'elle aimait.
Émus par la situation, les oiseaux de la forêt qui connaissaient bien le jeune couple, décidèrent d'agir dans l'instant. En quelques secondes, les pies se réunirent et formèrent un pont au dessus de la rivière. Ainsi, les deux amants purent se rejoindre et tombèrent, ivres de bonheur, dans les bras l'un de l'autre. Au bout d'un moment, Zhinu se résolut à annoncer à Niulang la triste vérité:
-Il m'est interdit de vivre plus longtemps avec toi! sanglotait Zhinu.
-Comment cela? s'exclama son époux, ne comprenant plus rien.
-Je ne suis pas de ce monde, et il me faut retourner vivre là d'où je viens. Toutefois, une grâce nous est accordée. Ainsi, je reviendrai te voir chaque année, à cette date, à cet endroit.
A peine Zhinu avait-elle achevé sa phrase qu'elle s'envola, filant à travers les airs vers le nuage duquel elle était descendue...

Et c'est ainsi que tous les ans, à la date anniversaire de ce jour qui a été fixée au 7 juillet dans le calendrier solaire (le 7ème jour de la 7ème lune dans le calendrier lunaire), les amoureux fêtent les retrouvailles de Niulang et Zhinu.

Une autre Saint Valentin, en quelque sorte...

Maintenant, la nuit venue, levez les yeux vers les étoiles et vous constaterez que l'histoire de Niulang et Zhinu n'est peut-être pas une légende. En effet, les étoiles du bouvier (Altaïr) et celle de Zhinu (Véga) sont toujours séparées par la voie lactée...



bunni

#328

Compère Lapin et les concombres du Roi (conte martiniquais)

C'est décidé: Compère Lapin en a assez de manger de l'herbe et des carottes! C'est vrai, ça! Vous ne seriez pas lassés, vous, d'avoir des pommes de terre et des épinards à tous les repas?! Il traîne donc une mauvaise humeur grandissante, fâché de ne trouver autre chose à se mettre sous la dent. Ah! Une bonne courgette! Et les concombres!! Compère Lapin adore les concombres!!
La faim au ventre, il se promène, ce matin-là, au hasard de la campagne. Et puis, au détour du chemin, il aperçoit... le jardin du ROI!! Pour Compère Lapin, c'est une aubaine! Imaginez: des carottes, des salades, des ignames, des concombres... tout cela à 'portée de pattes'! Cela appartient au Roi? Peu importe! La gourmandise bien connue de Compère Lapin refait surface. N'y tenant plus, il passe la barrière du potager et se jette sur les concombres, qu'il engloutit avec voracité mais aussi beaucoup de plaisir!!

Au palais, un peu plus tard.
C'est l'heure du dîner, le Roi souhaite manger des légumes, et surtout du concombre qui est son plat favori. Le cuisinier envoie le jardinier lui chercher les fameux légumes dans le jardin. Arrivé sur les lieux, le pauvre homme pousse un cri:
-Qui a fait ça? Et que va dire le Roi?
Il faut se rendre à l'évidence: quelqu'un a mangé les légumes préférés du Roi! Le jardinier court ventre à terre prévenir son maître du méfait. Celui-ci, furieux, ordonne au jardinier de faire une enquête et de trouver le coupable rapidement, ou sinon le pauvre homme lui-même sera puni. Sentant la menace, le jardinier retourne sur les lieux du vol et inspecte son lopin de terre. Bientôt il découvre un indice intéressant: quelques crottes de lapin sont disséminées autour des concombres!! L'auteur du délit lui est alors connu. Il se rend donc directement au palais pour en informer le maître des lieux. Le jardinier dit au Roi:
-Je sais qui a fait le coup! C'est Compère Lapin, bien sûr! Sa réputation n'est plus à faire en matière de mauvais tour! J'ai même une idée pour le coincer!
Et il expliqua au Roi que si Compère Lapin était connu pour sa gourmandise, il était aussi réputé pour son goût des belles lapines. Il exposa donc son plan pour attraper ce voleur.

Compère Lapin, de son côté, a décidé de ne pas retourner au jardin avant un moment, car il sait ce qu'il risque. Mais la gourmandise reprend le dessus et il n'y tient plus: il retourne manger ces concombres si délicieux trouvés dans le jardin du Roi. De retour sur les lieux, il passe la barrière enchanté à l'idée du repas qu'il va faire, quand il aperçoit dans le fond du jardin la silhouette d'une superbe lapine. Interloqué, il stoppe net sa course vers le potager et lance un 'Bonjour' retentissant et charmeur. La belle lapine ne bronche pas. Compère Lapin comprend alors que celle-ci n'est pas facile à aborder et décide de se rapprocher. Parvenue à sa hauteur, il lui fait les yeux doux et va même jusqu'à poser sa patte sur l'épaule de la belle.
Erreur!! C'était un piège et maintenant, notre héros se retrouve toutes pattes collées sur la fausse lapine que le jardinier avait réalisée! Comprenant qu'il a été piégé, il se met alors à vitupérer et surtout à s'en vouloir d'avoir été aussi bête!
Quelques minutes plus tard, le jardinier arrive pour son labeur quotidien. Quelle n'est pas sa surprise de découvrir Compère Lapin pris au piège!! Satisfait, il attrape le lapin par les oreilles et lui dit en l'attachant:
-Ah mon gaillard! Tel est pris qui croyait prendre! Nous sommes plus malins que tu ne le crois! C'est le Roi qui va être content de moi!
Il attache alors les pattes de l'animal et l'enferme dans un sac qu'il suspend à une branche d'arbre.
-Comme ça, tu ne m'échapperas pas! Je cours prévenir le Roi que j'ai trouvé son coupable! Tu seras puni de coups de bâton! Voleur!
Et il se rend en courant au palais annoncer la bonne nouvelle.

Pendant ce temps, Compère Lapin ne décolère pas de s'être fait avoir. Comment sortir de là? Il tente alors de se libérer les pattes. Mais la solution lui parvient de l'extérieur. Zamba, la gentille et naïve chèvre, se promène tranquillement sur le chemin bordant le jardin. Elle aperçoit alors ce sac suspendu qui bouge dans tous les sens.
Intriguée, elle s'approche et demande:
-Holà! Qui est dans ce sac et qu'est-ce que vous faites là-dedans? En voilà une drôle d'idée!
-Ah Zamba! Si tu savais ... gémit Compère Lapin.
-C'est toi Compère Lapin? Que t'arrive-t-il?
-Le Roi m'a fait enfermer car il veut me faire manger des ignames et j'ai HORREUR des ignames!! Peux-tu m'aider?
Zamba est une chèvre comme les autres: elle raffole des ignames. Aux paroles de son ami, sans même y réfléchir, elle répond:
-Mais j'adore les ignames! Si tu le veux, je vais prendre ta place!
Et sans même attendre la réponse du lapin, elle le délivre de ses liens que celui-ci lui remet aussitôt pour ne pas éveiller les soupçons du jardinier.
Or, le jardinier est sur le chemin du retour avec le Roi et quelques hommes pour donner la bastonnade au voleur.
Compère Lapin se cache dans les fourrés qui bordent le jardin. Il entend le Roi s'adresser au sac, et surtout à l'animal qui est dedans:
-Ah te voilà bien attrapé! Tu commets assez de méfaits dans la région, Compère Lapin, tu as besoin d'une bonne leçon!
Comme le lui avait conseillé son ami, Zamba ne répond pas et attend ses ignames. Quelle n'est pas sa stupeur de recevoir une volée de bois vert! Elle se met aussitôt à crier:
-Eh! Mais c'est des ignames que je suis venu chercher, pas des coups!
-Ne cherches pas d'excuses! Tu ne nous auras pas cette fois! Dit le Roi, croyant que Compère Lapin avait déguisé sa voix.
Et les coups de bâton pleuvent à nouveau.

Dans son bosquet, Compère Lapin rit du tour qu'il vient de jouer à la chèvre mais également au Roi! Et une chose est sûre: si jamais il retourne dans le potager du Roi, il n'y laissera aucune trace!

bunni


La fée et le crapaud

Posée au bord du chemin, Une petite fée détend ses ailes.  A cette heure-ci, le soleil tombe dans la rivière et les lucioles commencent a danser.

Sur une pierre non loin d'elle, un crapaud lui demande :

«  Voudrais-tu me faire un câlin gentille petite fée ? »

« Non vilain crapaud ! Et ne me porte point querelle », lui répondit la fée.

« Alors je n'exaucerai pas tes prières. » croassa le crapaud. Puis, il sauta dans la rivière et disparut à tout jamais.

La petite fée sourit en contemplant la nuit qui s'installait doucement. Elle songea au vilain crapaud et se demandait bien de quoi il voulait parler.

Un vent frais se levait  dans les vieux arbres majestueux. La petite fée se blottit dans une douce couverture de laine qu'elle avait tricotée pour les nuits fraîches d'automne.

Une luciole au drôle d'air rigolo s'approcha soudain.

« Pourquoi n'as tu point voulu câliner ce pauvre crapaud » demanda-t-elle.

« Car il était bien trop hideux ! «  Lui répondit la petite fée.

La luciole se frotta le menton de la main gauche et ajouta :

« Penses-tu que seul les êtres de toute beauté peuvent être aimés, noble petite fée ? »

«  Oui, car ils le méritent ! «  lui répondit elle en souriant, comme une évidence.

La luciole se tourna vers le large et reprit dans un soupir :

« C'est dommage car, si tu avais prêtée attention à la beauté de son âme plutôt qu'à la laideur de son apparence, il se serait changé en un majestueux prince des fées et il t'aurait épousé et aimé pour toujours. Maintenant, il est parti. » Puis elle s'envola dans la forêt.

La petite fée regretta son geste. Elle qui cherche désespérément un amour pur et sincère. Elle comprit alors ce que voulait dire le vilain crapaud, mais il était trop tard...

Alicia Vermant