Nouvelles:

Nouvelle version 2024 du forum installée  !

Menu principal

Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

« précédent - suivant »

bunni


Histoire de la fée bleue qui ne savait pas qu'elle était belle

Il était une fois, une fée bleue qui était extrèmement belle. Malheureusement, elle ne le savait pas.
En effet, elle vivait au pays des fées vertes, ses origines, du pays lointain de Bleunie n'étaient pas les mêmes.

En Bleunie, les fées bleues sont extrèmement proches de la terre, de la nature et des éléments. Ces fées ont pour but de redistribuer cette énergie très maternelle et douce, que dégage la terre et de l'apporter au monde entier.

Voici, que, par quelques circonstances de la vie que nous ne connaissons pas, notre petite fée bleue se retrouve en Verdonie, pays des fées vertes. Les fées vertes sont complètement différentes et connectées au monde moderne et matériel. Parmi les fées les plus connues, il y avait: la fée du logis, la fée de l'informatique et la fée carabosse dont le passe temps favori était de jouer aux derniers jeux vidéo à la mode.

Elle avait en elle toute l'énergie et les capacités d'être proche de la terre, venant de ses origines, mais elle les avait mises de côté pour se fondre dans la société de Verdonie. Malgré tout, elle avait en elle beaucoup de maternité et de douceur, comme sa mère la terre. D'ailleurs, elle donna naissance à cinq magnifiques enfants turquoise, qui avaient en eux à la fois les capacités de Bleunie et la modernité de Verdonie.

Notre petite fée bleue se sentait en décalage avec toutes les fées vertes car elle n'avait pas leurs capacités materialistes. Elle enviait la fée du logis d'avoir sa maison toujours en ordre, elle n'était pas non plus une fée de l'informatique, quand aux jeux vidéo... n'en parlons pas! Elle déployait de nombreux efforts pour ressembler aux fées vertes, tout en oubliant qu'elle refoulait de plus en plus sa nature profonde.

Refoulant encore et encore qui elle était vraiment, la petite fée était de plus en plus mal dans sa peau. A tel point qu'un jour, elle se réveilla et avait changé de couleur... Elle était devenue toute grise. Elle n'avait plus goût à rien, elle était triste et s'enfermait sur elle même: elle avait la Grisonîte.

Cette maladie lui permit de faire un retour sur elle même et de voir ce qui se trouvait au plus profond de son coeur. Elle comprit qu'elle ne voulait pas être matérialiste ou moderne et petit à petit elle reprit ses couleurs. Je peux même vous dire, qu'avec le temps, son bleu devint de plus en plus éclatant car elle osait enfin exprimer sa nature profonde, se rapprochant ainsi de la terre, de la nature et des éléments. Non! elle ne serait jamais fée du logis, reine de la télévision, pro de la dernière console et elle en était fière. Elle était heureuse, après toutes ces années, de pouvoir être enfin elle même.

Figurez vous que ce matin, notre petite fée bleue a fait une découverte extraordinaire. Elle,qui se trouvait si laide, a enfin pu se regarder autrement dans le miroir. Elle était contente du chemin parcouru et vit qu'elle rayonnait.
- Tu es belle, se dit elle en s'adressant à son reflet.
Sans le savoir, elle venait de se faire un très beau cadeau. Elle m'a dit de vous le dire: soyez vous même et la vie vous le rendra, c'est promis!


bunni


Légende du temps

Chronos, le dieu du temps, s'ennuyait ferme dans son atelier. Assis, les yeux posés sur son sablier il regardait s'égrainer le temps qui passe. Il était à cours d'idées. Il avait déjà inventé milles objets du temps et avait soufflé aux hommes comment les fabriquer. Ainsi, étaient nés les cadrans solaires, les montres, les calendriers lunaires, les horloges comtoises, les clepsydres et que sais je encore. Les hommes avaient tout ce qu'il falait et il ne savait plus ce qu'il pourrait bien leur souffler.

Il avait bien essayé de leur enseigner la préparation d'un élixir de jouvence, mais l'humanité n'était pas encore prête pour ça. Il gardait donc sa recette dans un coin, prêt à leur enseigner à des heures plus propices.

L'ennui le conduisit à explorer la grande bibliothèque du savoir universel, partagée par les dieux depuis le commencement des âges. Là il trouva un ouvrage, tout poussiéreux, depuis longtemps oublié sur une étagère. « Recettes du temps » put-il y lire.

Heureux de sa trouvaille, Chronos s'en retourna dans son atelier. Il était impatient de découvrir ce qui se cachait dans ce livre fort inhabituel. Feuilletant les pages, il découvrit avec stupeur des formules magiques merveilleuses, excitantes et d'autres sombres et inquiétantes. Celui qui possèderait ce livre aurait la possibilité de rendre le temps plus paisible, plus beau, construire une nouvelle éternité. Mais aussi de produire des dérèglements et perturbations.

Le temps, Chronos s'était appliqué à l'aplanir. Il avait décidé le temps paisible et les hommes vivaient en harmonie avec lui. Il décida donc d'ignorer les recettes nuisibles et d'y prendre garde.

Chronos passa des jours à lire le livre des recettes du temps. Il était insatiable. Il s'était régalé de préparer la brume du temps heureux, il s'était amusé de chanter la chanson des siècles accomplis, il s'était émerveillé de mitonner la soupe du temps des cerises. Il avait dansé la valse à trois temps des heures entières. Il s'était bien amusé.

Après avoir lu toutes les belles formules, il restait sur sa faim. Il aurait aimé apprendre des recettes du temps encore et encore. C'est alors qu'il pensa à regarder les recettes du livre pour perturber le temps. Il s'était refusé d'y jeter ne serait-ce qu'un coup d'œil, de peur de découvrir ce qu'elles contiendraient. Mais il ne lui restait que ces quelques petites pages pour terminer son ouvrage. Curieux, il décida de les lire sans rien expérimenter.

La première lecture lui glaça le sang, puis il les parcourut les une après les autre. Grêle des temps difficiles, recette du temps ennuyeux, soupe de temps gaspillé, poudre de manque de temps, incantation de retard absolu, potion de temps malmené...

Chronos n'en croyait pas ses yeux. Comment imaginer perturber le temps? Comment penser à modifier l'ordre des choses si parfait? C'était impossible! Impensable!

Il referma le livre et le rangea soigneusement au fond d'un placard.

- Mieux vaut le mettre en sécurité, pensa-t-il. Il serait préférable d'éviter qu'il ne tombe entre de mauvaises mains.

Il referma la porte de l'armoire à double tour avant d'aller se coucher.

Cette nuit là fut particulièrement agitée pour Chronos. Il fit des rêves épouvantables. Il rêva de pendules qui tournaient à l'envers, de sabliers figés, de réveils qui oublient de sonner et d' humains n'ayant jamais le temps. Ce fut une très mauvaise nuit. La pire de son existence.

Pendant son sommeil, il commença à réciter les formules magiques de perturbation du temps. Autour de lui, des monstres hideux et repoussant prenaient vie au fil des incantations. Ils étaient de plus en plus nombreux et de pus en plus repoussants.  Les monstres se regardèrent, observèrent un instant Chronos dormant, puis décidèrent de descendre sur la terre.

Alors que le monde ne connaissait que des temps paisibles, les Monstres du temps s'immiscèrent discrètement. Chaque humain se mit alors à avoir une perception du temps déformée.

Les monstres variateurs de temps accéléraient le temps à certains moments et le faisaient paraître parfois interminable, les monstres de l'ennui rendaient le temps insupportable et long, les monstres du chaos rendaient le temps incontrôlable...

Les plus virulents étaient les monstres grignoteurs de temps. Lorsqu'un grignotteur de temps s'immiscait dans la vie d'une persone, elle se retrouvait tout à coup dépassée. Chaque fois qu'elle avait une minute à elle, elle se la faisait immédiatement dévorer. On pouvait facilement reconnaître un humain contaminé. Il courait à toute allure en répétant sans cesse:

- Je suis encore en retard, je dois me dépêcher, vite, vite!

Ou encore:

- Je ne peux pas, je n'ai pas le temps, je suis débordé!

Les monstres du temps mettaient la pagaille partout sur la terre.

Lorsque Chronos se réveilla, il ne se rendit compte de rien. Il avait bien observé que sa chambre était plus en désordre que d'habitude mais il l'attribua à son sommeil agité. Sa journée se passa comme d'habitude. Il avait fort à faire. C'était la période où les jours commençaient à rallonger et il devait effectuer bon nombre de réglages.

Le soir venu il regarda la terre pour observer les hommes et découvrit avec horreur le remue ménage qui s'était installé.

Furieux, il descendit immédiatement sur terre pour tenter de réparer les dégâts. Il parcourut toute la planète pour mettre les monstres du temps hors d'état de nuire. Le temps retrouva bien vite un meilleur équilibre.

Mais les monstres étaient si nombreux qu'il n'avait pas pu tous les stopper. Pire! Beaucoup d'hommes les avaient adoptés.

Chronos remonta péniblement sur son nuage, fatigué et déçu. Observant le monde, il constata qu'il ne pouvait plus revenir en arrière et faire disparaître les monstres du temps. Les hommes se les étaient appropriés et les monstres feraient partie de leur quotidien désormais.

Alors, pour tenter de rétablir l'équilibre, Chronos donna aux humains la possibilité de gérer eux même leur temps. Ils pourraient en faire ce qu'ils voudraient. Ils pourraient faire partir consciemment les monstres du temps s'ils le souhaitaient et rétablir leur équilibre. Chronos s'etait ainsi détaché de son contrôle absolu sur le temps, pour le bien des êtres humains.

Depuis ce jour, Chronos continue de veiller sur le monde. Il observe les gens depuis le ciel. Certains humains peuvent  l'apercevoir s'ils lèvent les yeux. Ils veront alors qu'il leur adresse un clin d'œil complice et paternel depuis son nuage, alors que les humains courrent, disant qu'ils n'ont pas le temps...

bunni


Entre guillemets

Leur première rencontre se fit sur une page blanche. La lumière y était si crue que la pauvre petite fut tout éblouie, elle ne vit pas tout de suite qu'elle n'était pas seule. Dans l'espace vide se promenaient, comme des âmes en peine, d'autres créatures qui ne lui étaient pas inconnues mais qu'elle avait l'habitude de voir de loin. Le bruit était insupportable pour elle si discrète. Dans une communauté où les adeptes vivent, en général, assez coupés les uns des autres, il est bien normal qu'un tel événement sème la zizanie, les chamailleries allaient bon train.
      La veille au soir l'écrivain avait fermé son ordinateur sans crier gare, le désespoir du trou noir, l'angoisse de la page blanche, du vide, du rien, l'envahissaient comme une marée montante et malfaisante. De rage et de tristesse il avait tapoté au hasard sur son clavier avant d'aller entamer sa nuit sans sommeil.     C'est ainsi que se retrouvaient, mélangés pêle-mêle, les signes de ponctuation, émergés du clavier, orphelins des lettres de l'alphabet. Le grand désert blanc ouvrait des horizons inconnus jusqu'alors, quelque peu effrayants, il est vrai, mais également invitant à l'aventure.
      La virgule, svelte, aux courbes bien placées, était seule dans son coin. Sage et timide, elle observait ses compatriotes avec curiosité et étonnement. Qu'avaient-ils donc à se trémousser, à se pousser les uns les autres, à s'interpeller sans gentillesse, à geindre à perdre haleine ? Les pauvres petits cherchaient désespérément une place devenue incertaine; notre virgule, elle, trouvait qu'ils en faisaient un peu trop, que d'excitation pour pas grand chose !
      C'est qu 'elle, la gentille petite virgule, est habituée à toutes les situations, elle est capable de travailler sans relâche et de tenir un éventail de rôles qui ferait pâlir le plus ambitieux des hommes. Elle se sait indispensable, elle est toujours là, modestement, lorsque l'on a besoin d'elle. C'est une laborieuse, elle s'occupe de tout, des propositions, des compléments, des appositions, des pléonasmes et que sais-je encore. Elle met en valeur, elle appose, impose, précise, juxtapose, sépare, relie... en un mot, l'écrivain n'est rien sans elle ! C'est pourquoi elle ne regrette pas le manque d'inspiration de son patron qui lui permet de souffler un peu.
      Le point d'exclamation, lui, se pavane, imbu de lui-même il fait son intéressant, à tout instant il
proclame " halte là ! " Son seul but étant d'attirer l'attention, il n'est jamais satisfait de l'effet produit.
      Par contre le point d'interrogation vit dans une incertitude constante, jamais sûr de lui, il ne cesse de poser des questions. Il faut dire qu'il est très curieux et qu'il voudrait tout savoir, des sujets les plus importants aux plus futiles, tout le passionne. A courber l'échine pour ses recherches, il a attrapé une scoliose carabinée et est incapable de se tenir droit, ce qui n'ajoute rien à son sex-appeal.
      Et ces trois compères qui vont à la queue leu leu, ce sont les points de suspension, ils sont moqueurs, ne s'expriment jamais jusqu'au bout de leurs idées, peut-être parce qu'ils n'en ont pas. Leur distraction préférée est le jeu des charades, ils insinuent et allez donc deviner la suite.
      Un peu plus loin, le tiret fait de la chaise longue, il se prélasse ce paresseux. Ce n'est pas un actif, il se présente surtout dans les dialogues, se tenant un peu à l'écart, il a l'air de dire : " je suis là mais ne faites pas attention à moi, je suis dolent et il me faut rester allongé "
      Ceux qui chahutent et font le plus de bruit, ce sont les jumeaux, les deux -points. Ils ne se séparent jamais, l'un sur l'autre ils jouent à saute-mouton et sont les rois des explications, de vrais garnements qui ont un tas de choses à prouver ou à déduire.
      Les parenthèses sont beaucoup plus sérieuses, elles proposent également des informations mais en aparté, sans insister. Elles se retrouvent en ce moment, sur cette page vide de texte, alors qu'elles n'ont jamais l'opportunité d'être face à face. Un peu confuses, elles s'approchent l'une de l'autre, refermant leurs bras en un cercle d'enlacement affectueux.
      Quant aux guillemets, ils se prennent pour l'aristocratie de la ponctuation. Arrogants ils regardent les autres de haut, n'étant là que pour encadrer ou pour mettre en valeur, ce sont des oisifs invétérés, des vaniteux imbuvables.
      Le temps passe, la charmante virgule se sent, à son tour , observée. Elle explore l'espace afin de découvrir le regard investigateur. C'est celui d'un signe de petite taille, rondelet sur les bords, au sourire engageant, l'air décidé et ne doutant de rien. Comme une petite boule, il roule vers la virgule, avec beaucoup d'assurance, il est prêt à engager la conversation.
      Elle, timidement, baisse les yeux, lui, admiratif, commence à parler. Civilement il se présente, inutilement d'ailleurs car elle avait reconnu le point. Tout le monde connaît le point, il a une renommée notoire que personne ne met en doute.
      Il parle, elle écoute, il questionne, elle répond. Leurs regards se croisent, s'accrochent, se rencontrent. Il est charmé par sa délicatesse, elle est impressionnée par son assurance virile. Ils s'explorent, se racontent, découvrent qu'ils ont beaucoup de choses en commun, et que souvent ils se complètent. L'atmosphère se détend, il la fait rire, elle rougit, se laisse aller... il devient entreprenant, elle est séduite. Leurs yeux ne se quittent plus, ils se sont tus, une attirance magnétique annonce le désir... doucement il se penche au-dessus d'elle...
     Et c'est ainsi que naquit le point-virgule, grâce au manque d'inspiration d'un pauvre écrivain . Cet enfant de l'amour, engendré lors d'une rencontre fortuite, ressemble à ses deux parents comme deux gouttes d'eau, il se sent heureux et comblé lorsqu'on lui conte l'histoire de sa naissance. Point final !

Aliza Claude Lahav

bunni


Les chemins de traverse

Les chemins de traverse

"Penser c'est suivre des lignes de sorcière." Gilles Deleuze

Le chemin m'avance.
On y laisse nos ombres de pas, des traces de doigts, une flaque de pensée jouant à la couleur, à la vie. On devient ce sentier tordu où des rencontres grandissent dans la simplicité d'un champ de coquelicots.

" J'ai descendu dans mon jardin " ...

- Donne-moi la main, viens voir parmi les fleurs.
Tiens, la voix d'Alice me prend la main, elle me guide...
- Regarde, tu vois ce monticule de terre ?
- Oui, oui Alice. Pourquoi le soleil semble pleurer ?
- C'est qu'en dessous, si tu ouvres loin ton regard, tu verras la pensée d'Antigone, tu entendras son amour.
- Antigone ? Attends, Alice, j'ai encore la mémoire lourde de gravité. Est-ce dans cet endroit qu'elle a recouvert le corps de son frère ?
- Oui. Parce que le soleil brûlait cette mort. Oui. Parce que la loi d'un père éclatait, cruelle, inhumaine.
J'essayais de lire au travers les mots d'Alice. Car avec Alice, je réapprenais le langage, je lavais cette mémoire encombrée du regard arrêté. Je lui ai demandé :
- Antigone n'a-t-elle pas enfreint une loi, n'était-elle pas révoltée ?
- Mais non, tendre une main de pitié est-ce enfreindre une loi ?
Je devinais peu à peu, surtout avec la main d'Alice accompagnant mes pas.
- Oui, Alice, c'est l'amour seulement qu'on entend respirer.
Un oiseau a fleuri. Antigone était libre maintenant de la loi de Créon. Un message virevoltait sur une feuille de verre.
Alice le prit et me le tendit...
- Oh, un dessin d'enfant. Un chapeau ! Non, je me trompe encore ...
- Regarde, n'oublie pas de " lire au travers ". Ecoute le souffle, sens les couleurs.
- Mais, oui. C'est le boa qui a mangé un éléphant.
- Est-ce que tu comprends ? C'est " l'écrit qui fond devant le non-écrit ". C'est ça, lire au travers.
L'espace du jardin s'ouvrait, le morceau de glace logé dans mon oeil était tombé dans la boue. Alice se mit à rétrécir pour se poser entière sur ma main. Petite ombre de lumière donnant vie à ma terre.

" Gentil coquelicot mesdames, gentil coquelicot nouveau "

- Oh, Alice, une ombre court sur les pétales !
- Oui, c'est celle de Peter Pan. Tu vois comme elle est éclairée .
- Il y a du Clochette dans l'air !
- Elle chantait dans le coquelicot ...
La forme de l'ombre s'approchait de ma main, son pas sentait le maintenant. Elle aimait la goutte Alice scintillant à la source de ma paume. Peter Pan et Clochette appelaient l'ombre. Ils étaient jaloux qu'une ombre veuille partir ainsi. Comment Peter Pan prendrait-il du poids ? Il pourrait voler encore plus en hauteur, encore plus en oubli. Mais tout de même cette ombre était son aile terrienne.
Comment rejoindre Wendy, sans elle ?
Peter Pan vint nous voir, se dressant sur la pointe des pieds et
demanda :
- Rendez-moi mon ombre, s'il vous plait j'en ai vraiment besoin. Toujours elle me joue des tours, elle se croit dans un manège, et va à la rencontre de voix lumineuses. Elle aime faire la fête, elle se défile, et j'en perds mes chaussures, mes pas restent gravés dans les chemins.
Alice avait caressé le poids de cette ombre, elle en tissa son corps.
- Je te la rends, car on sera toujours lié au maintenant. L'ombre et la lumière se sont enlacées, ça vibre en secret.
Peter Pan reparti heureux, avec son ombre recousue et Clochette à son cou.
Je comprenais. Une voix vint me chercher très profond au bord du chemin, sous les pas de Peter Pan. La route était recouverte de lettres et de graines, de feuilles et d'écorce. Je lisais son parchemin et entendais la chair des mots.
Je dis à Alice :
- J'ai rencontré l'espace du milieu, le coeur du regard. Un livre vivant avance.
Oui, une marée de mots roulait sous mes doigts, sur mes cils. Cette voix que je ressentais enchantait le jardin. Le même visage, toujours, s'ouvrait, souriait et faisait s'envoler les parois du livre, des pages. C'était le visage de la vie.
Le chemin initiatique, je le comprenais, était ma rencontre au visage, à la voix, au souffle des mots libres.
Je laissais mon oreille errer vers les mots de ma petite fée clairvoyante.
- Oh ! Le visage du chat et son sourire en résonance d'espace.
Seule la dent d'un sourire tournoyait dans ma main. Alice repartait en me laissant ce souvenir. Ainsi, je pourrais toujours traverser les visages des mots, ouvrir leur noyau et faire pousser des grains d'espace, toucher le lien.
Dans la dent de clarté, cette phrase d'Artaud parcourant le temps :

" lire l'oeuvre d'un poète, c'est avant tout lire au
travers car toute l'oeuvre écrite est une glace où l'écrit
fond devant le non-écrit ".





bunni

#289

Tipat le millepatte qui voulait voyager

Tipat, le millepatte vivait dans une forêt lointaine. Tipat avait deux amis, Coco la coccinelle et Bizzi l'abeille. Depuis sa plus tendre enfance, alors qu'il n'était encore qu'un tout petit millepatte avec seulement une centaine de pattes, il avait un rêve : voyager de par le monde. Mais il avait besoin de beaucoup de chaussures. En fait, il lui fallait trouver pas moins de 1 000 chaussures. Ce n'était pas une mince affaire. Et Tipat se lamentait de ne pouvoir réaliser son rêve. Pour aider leur ami, Coco et Bizzi décidèrent de voler jusqu'au pays des lutins quelque part dans un coin de la forêt pour demander à Escabille, le cordonnier, de fabriquer les 1 000 chaussures. Escabille était vieux et fatigué mais comme il aimait beaucoup Tipat, il accepta. Il fabriqua les chaussures et les araignées jumelles, Filopat et Patafil tissèrent les 2 000 lacets. Un mois plus tard, tout était prêt. Tout excité Tipat, accompagné de ses amies, enfila ses chaussures. Il lui fallut beaucoup de temps, surtout pour faire les boucles des 2 000 lacets. Bizzi et Coco, pendant ce temps, s'impatientaient :
- Dépêche-toi Tipat, nous voulons te voir marcher avec tes belles chaussures avant la nuit tombée.
- Je fais ce que je peux mais ce sont ces maudits lacets. Je n'ai pas l'habitude de faire autant de boucles. C'est très compliqué. Arrêtez de voler autour de moi en criant dans mes oreilles. Vous m'énervez. Je fais de mon mieux.
- Mais ça ne va pas assez vite, déclara Coco, il faut qu'on t'aide.
Elle interpella des lutins qui se trouvaient là:
- Allez, vous autres, venez nous aider, sinon il va falloir plusieurs jours pour attacher ces maudits lacets. A plusieurs nous irons plus vite.
Les lutins des alentours vinrent aider Tipat qui bientôt fut parfaitement chaussé. Il se mit debout. Et là, patatras ! Catastrophe ! A peine eut-il tenté de faire trois pas que ses pieds s'emmêlèrent. Les pieds de droite n'avançaient pas en même temps que ceux de gauche. Ceux de derrière avançaient avant ceux de devant. C'était la pagaille. Il avait beau se concentrer, essayer toutes sortes de techniques et écouter les conseils de ses amis, rien n'y faisait. Ses pieds ne pouvaient pas avancer en bon ordre. Découragé, il repartit dans la forêt avec un grand sac rempli de ses 1 000 chaussures et ses 2 000 lacets.
Pendant plusieurs jours, Tipat essaya sans succès de discipliner ses pieds. Mais notre petit millepatte ne savait toujours pas marcher avec des chaussures. Un matin, Coco la coccinelle arriva toute affolée. Elle venait du village des lutins où elle avait appris qu'Escabille, le cordonnier était tombé très malade. Coco, Bizzi et Tipat coururent à toute allure jusqu'au village. Les lutins étaient en train de tenir conseil. Il fallait aller chercher une fleur magique qui poussait dans le jardin des délices de l'autre coté de la forêt. Mais les lutins ne pouvaient pas sortir de la forêt sinon ils se transformaient en gouttes de pluie. Tipat proposa aussitôt :
- Je vais me rendre dans ce jardin.
Il ajouta un peu gêné :
- Je me sens un peu coupable. C'est peut-être parce qu'il a trop travaillé pour fabriquer mes chaussures qu'Escabille est malade maintenant. Je voudrais l'aider.
Les lutins mirent Tipat en garde.
- La traversée de la forêt peut être dangereuse, c'est un long voyage. En plus il faut faire vite car Escabille est bien faible.
Tipat répondit tristement :
- Quel dommage que je n'arrive pas à marcher avec mes chaussures. J'irai beaucoup plus vite pourtant avec des chaussures aux pieds.
- Nous pouvons peut-être t'aider.
L'un des lutins tendit un objet à Tipat en précisant :
- Voici une flûte magique. Si tu en joues en marchant, tes pieds suivront la musique et tu pourras marcher très vite sans jamais trébucher ni tomber.
Tipat, ravi, retourna chez lui en courant. Il enfila ses chaussures avec impatience. Il appela Coco et Bizzi et tous les trois partirent sur-le-champ pour le jardin des délices. Ils jouaient de la flûte à tour de rôle. Ils arrivèrent très vite. Le jardin était magnifique avec des fleurs immenses qu'ils n'avaient encore jamais vues. Bizzi s'émerveilla :
- Regardez comme c'est beau toutes ces couleurs, toutes ces fleurs elles sentent si bon. Ce doit être un vrai régal.
En prononçant ces mots, très excitée, elle volait de fleur en fleur, en butinant de ci de là. Pendant ce temps, Coco essayait de découvrir la fleur magique décrite par les lutins : toute petite, blanche, avec des points roses et des tiges bleues. Trouver cette fleur ne serait pas facile. Coco rappela Bizzi à l'ordre:
- Nous ne sommes pas là pour nous amuser. Il faut trouver cette fleur le plus vite possible. Bizzi, cherche avec nous au lieu de butiner du pollen.
- Mais c'est tellement bon. Tu te rends compte si on avait les mêmes chez nous près de la ruche, on ferait du miel extraordinaire, répondit Bizzi attirée par ces parfums enivrants.
Tipat cria soudain:
- Je l'ai trouvée ! Elle est là. C'est vraiment la fleur la plus petite de ce jardin. Elle sent très bon mais elle ne parait pas magique du tout.
Il cueillit plusieurs pétales pendant que Bizzi récoltait du pollen de la fleur magique pour le ramener au village.
Tout joyeux d'avoir rempli si facilement leur mission, les trois amis reprirent le plus vite possible le chemin du retour. Malheureusement, dans leur précipitation, Coco fit tomber la flûte qui se brisa en plusieurs morceaux. Elle ne pouvait plus jouer la mélodie magique. Les pieds de Tipat commencèrent à s'emmêler, il ne pouvait plus avancer. Tout à coup, les trois amis entendirent un bruit curieux et effrayant derrière eux. Ils aperçurent, au loin, un monstre affreux qui venait vers eux avec un air menaçant. Ils étaient très effrayés. Il était épouvantable, très gros et tout noir, avec deux grands crochets au bout de ses pattes avant. Il se déplaçait par petits bonds, assez lentement. Terrorisé, Tipat voulait fuir avec ses amies, mais plus il s'affolait et plus ses pattes partaient dans tous les sens. Il était cloué sur place. Epuisé, il renonça et dit à ses amies de partir sans lui pour rapporter la fleur qui pouvait sauver leur ami Escabille. Soudain une douce mélodie envahit la forêt, légère comme l'air. Un immense et magnifique oiseau lyre apparut dans le ciel au-dessus d'eux. Et alors que l'oiseau sifflait son chant doux et mélodieux, Tipat sentit ses pattes se remettre en ordre. Enfin, il pouvait marcher, et courir même. Le chant magique de l'oiseau lui permettait de coordonner ses pieds et il avait aussi fait fuir le monstre. Ils arrivèrent très rapidement au village. Les lutins préparèrent la potion. Bientôt, Escabille fut complètement guéri et en pleine forme. On décida de faire une grande fête au village pour fêter le retour des trois amis et la guérison d'Escabille. Et une grande surprise attendait les amis de Tipat et tous les lutins. Avec l'aide de l'oiseau lyre, Tipat avait appris à marcher tout seul, à courir aussi et même à danser. Il fit une démonstration de fox trot, sa danse préférée. Et depuis ce jour, devinez quoi ? Tipat, le millepatte est devenu professeur de danse et on vient de tous les coins de la forêt pour suivre ses cours et assister à ses spectacles.




bunni

#290

La folie

La folie décida d'inviter ses amis à prendre un café chez elle. Tous les invités sont venus.

Après avoir bu le café, la folie propose : Jouons à cache-cache

Qu'est-ce que c'est ? demanda la curiosité

- Cache-cache est un jeu où je compte jusqu'à cent et ensuite je dois te trouver. Le premier à être trouvé sera le prochain à compter.

Tous ont accepté, sauf la peur et la paresse. 1, 2, 3 ..., la folie a commencé à compter...

La hâte s'est cachée en premier, dans un endroit quelconque. La timidité, timide comme toujours, se cacha tout en haut d'un arbre.

La joie alla se cacher au milieu du jardin, alors que la tristesse commença à pleurer, parce qu'elle ne trouvait pas un endroit approprié pour se cacher. L'envie a suivi le succès et se cacha près de lui, sous une pierre. La folie continuait de compter et ses amis se cachaient...

Le désespoir était désespéré en voyant la folie qui était déjà quatre-vingt-dix-neuf, cent ...

La folie cria : Je vais commencer à chercher.

La première à apparaître fut la curiosité, ne pouvant plus attendre, se demandant qui serait le prochain à compter.

En regardant sur le côté, la folie voit le doute sur un mur, hésitant, ne sachant pas de quel côté il se cacherait le mieux. Et ainsi furent trouvés la joie, la tristesse et la timidité ...

Quand ils furent tous réunis, la curiosité demanda : "Où est l'Amour ?"

Personne ne l'avait vu. La folie commença à chercher... Elle a cherché au sommet des montagnes, dans les profondeurs des rivières, sous les pierres et pas moyen de trouver l'amour. Cherchant partout, la folie vit un rosier, pris un bâton, commença à chercher parmi les branches, et soudain entend un cri. C'était le cri de l'amour, une épine lui avait percé l'œil.

La folie ne sachant quoi faire, s'excusa, implora le pardon de l'amour et lui promit de le servir pour toujours.

L'amour accepta ses excuses et depuis lors et jusqu'à aujourd'hui ... "L'amour est aveugle et la folie l'accompagne toujours".

bunni


La forêt d'Aétos

Peu de gens se risquaient à parler à Aldek le magicien, car c'était un homme taciturne, à l'air peu engageant, qui se laissait parfois aller à des colères aussi soudaines qu'inexplicables. Il vivait à Aétos depuis des années, mais n'y avait aucun ami. Quand on le voyait arpenter les rues du village, on évitait autant que possible d'être sur son chemin. Ce matin là cependant, Aldek trouva quelqu'un sur sa route. Une fillette blonde avec d'immenses yeux verts dans une figure toute pâle, étaient assise contre un mur. Le magicien la regarda attentivement, car il ne l'avait jamais vue auparavant et il pensait bien connaître tous les petits vauriens des environs. Il s'arrêta devant elle et c'est à peine si elle leva la tête vers lui. Elle était vêtue légèrement, trop légèrement pour la saison et ses habits n'étaient plus de la première jeunesse.
« Ce doit être une vagabonde », pensa-t-il. Elle paraissait si seule, si perdue qu'il en fut ému. Il fit alors ce dont aucun villageois ne l'aurait cru capable. Il se baissa et prit l'enfant dans ses bras. Son front était brûlant de fièvre. « Pauvre petite créature », murmura-t-il en l'emportant chez lui. Il l'installa dans son propre lit, face à la cheminée. Mais malgré la chaleur, ses joues demeuraient désespérément blêmes, sa peau restait froide. Il fit venir la guérisseuse du village. La grosse femme entra en tremblant et Aldek tout étonné constata qu'il lui faisait peur.
-La malade est ici, dit-il de sa grosse voix bourrue, en la poussant près du lit.
La petite avait les yeux clos, elle respirait avec difficulté. La guérisseuse posa la main sur son front, tint son poignet quelques instants. Elle secoua la tête:
-Je ne peux rien faire, seigneur magicien, déclara-t-elle. Le mort est déjà sur elle !
-Comment ça vous ne pouvez rien faire ? Vous êtes guérisseuse oui ou non ? De quoi souffre-t-elle ?
-Je l'ignore, vous devriez demander de l'aide ailleurs...
Elle sortit précipitamment et le magicien se retrouva seul et impuissant face à l'enfant qui déclinait.
Il ne pouvait pas la laisser mourir... La guérisseuse lui avait conseillé de chercher de l'aide ailleurs. Après tout, pourquoi pas ? Aldek traça un pentagramme sur le sol et invoqua Céléna, l'esprit des bois qui régnait en maître sur les forêts et tout ce qui y vivait. Le feu se mit à crépiter plus vivement et émergeant de la terre, Céléna se tint devant lui. Elle le toisa sévèrement.
-Tu m'as appelée, mortel ? demanda-t-elle. Hâte toi, je n'ai pas de temps à perdre !
Aldek se prosterna à ses pieds.
-je t'implore divine Céléna, de rendre la santé à l'enfant qui est couchée là.
L'esprit des bois se pencha sur la fillette et son regard s'adoucit.
-Sais-tu mortel, que mes services ne sont pas gratuits ?
Le magicien jeta un rapide coup d'oeil vers la petite malade. La main de Céléna sur sa tête semblait la soulager.
-Dis moi ton prix, déclara-t-il. Quel qu'il soit, je m'en acquitterai !
-Ne crains rien, je n'exigerai rien que tu ne puisse me donner, assura-t-elle. Prends ce sac, ajouta-t-elle en lui tendant un baluchon en toile et répands en le contenu à l'extérieur de ton village. Tu concentreras ensuite tout ton pouvoir dessus. Sois prodigue de ta force et je serai prodigue de la mienne !
Aldek prit le sac et laissant l'enfant aux soins de Céléna, il se rendit au sud d'Aétos.
Il jeta à la volée tout ce que contenait le baluchon. Des graines de toutes sortes tombèrent sur la tête et s'y enfoncèrent aussitôt. Aldek ferma les yeux. Il dirigea ses pensées vers les graines. La vie qui palpitait en elles germa brusquement et les germes sortirent du sol, puis ils devinrent plantes. A mesure que les végétaux croissaient, les forces d'Aldek s'épuisaient. mais comme l'efficacité des soins de Céléna dépendaient de ses efforts, il persévéra. Les plantes se transformèrent en arbres, leurs branches se tendirent vers le ciel, couvertes de feuilles. Une forêt immense se dressait là où, quelques instants avant il n'y avait encore que des champs rocailleux. Aldek, vidé de son énergie, gisait sur le sol. Il se redressa péniblement et retourna chez lui en titubant. Céléna avait disparue, l'enfant aussi. Fou d'inquiétude, il les chercha dans tous les coins, maudissant l'esprit de la forêt de l'avoir trompé.
Sa vie solitaire reprit son cours. Les villageois se méfiaient plus que jamais de lui et il les ignorait.Un jour, l'envie le prit d'aller voir « sa » forêt. Il y pénétra, s'installa sous un arbre et se mit à somnoler. Quand il rouvrit les yeux, une merveilleuse jeune femme aux yeux couleur d'herbe l'observait en souriant.
-Je suis heureuse de pouvoir enfin te remercier Aldek ! dit-elle.
-Me remercier ? s'étonna le magicien. Mais de quoi ? Je ne t'ai jamais vue !
-Bien sûr que si, rétorqua la gracieuse créature. Je suis venue dans ton village autrefois. J'étais enfant alors et malade. Et tu as fait surgir une forêt pour me sauver. Sans toi, je serais morte car une nymphe ne peut survivre longtemps sans arbre où se réfugier !
Elle posa un baiser sur sa joue et s'évapora dans le feuillage d'un arbre. Aldek était de nouveau seul, tout seul... mais un peu plus heureux.

bunni


L'homme au manteau vide

Il était une fois un pauvre vieux village. Au bas de ses maisons était un champ de thym, dans ce champ quelques oliviers, puis des rochers, un torrent maigre. Là vivait (vivait-il vraiment ?) un homme sans corps, sans visage. Tout ce que l'on voyait, assis dans l'herbe rare, étaient son manteau, sa capuche, et ses épaules un peu voûtées. Qui était sous ce vêtement ? Peut-être quelqu'un, ou personne. Les gens l'avaient toujours vu là, les vents et les soleils aussi. Il était l'homme au manteau vide. On ne parlait guère de lui. On n'osait pas, on le craignait. On lui portait de temps en temps de quoi manger, du pain, des fruits, qu'on déposait à quelques pas. L'homme ne se retournait pas, mais une voix disait : « merci ». Alors on répondait d'un hochement de tête et on s'en retournait aux champs, à la maison, aux soins des bêtes.
Il en fut ainsi jusqu'à l'an où vient un hiver de misère. Moutons crevés, chevaux enfuis et sacs efflanqués dans la grange, on ne parlait que de cela la nuit venue, devant le feu. Ce soir-là Jeanne était assise sur le plancher près de son chien. Le menton sous ses genoux hauts elle enivrait ses yeux de flammes. Elle dit soudain :
« Demain matin, j'irai voir l'homme au manteau vide »
Tu es folle, gronda sa mère. Imagine qu'il te regarde, j'en ai froid rien que d'y penser.
Il n'a jamais mangé personne. Pourquoi me ferait-il du mal ? Je veux seulement lui parler.
Tais-toi donc, bougonna son père, le manteau est creux, il n'y a personne, que du vent.
Eh bien, répondit la petite, qu'est ce que je risque, s'il n'y a rien ? Je lui porterai nos poussins. La poule est morte. Ils vont mourir. Peut-être les sauvera-t-il.
Son père la poussa du pied.
Va te coucher, tu me fatigues.
Elle s'allongea contre le chien.
Le lendemain, dans son panier, elle mit ses dix poussins malingres et dévala la pente raide jusqu'aux rochers du bord de l'eau. Dès qu'elle vit l'homme au manteau vide elle reprit souffle et s'avança, en serrant son écharpe au col. Elle déposa les dix bestioles tout alentour du vêtement qui bougeait un peu sous le vent. Elle s'assit à côté de lui. Elle lui arrivait à l'épaule. Le capuchon resta penché. Elle lui jeta un bref coup d'oeil puis écouta le bruit de l'eau. Après longtemps une voix dit :
Que me veux-tu ?
Je ne sais pas. Peut-être peux-tu nous aider.
Le silence, encore. Longtemps. Jeanne entendit sonner des heures au loin, si loin que la présence de ce manteau sans rien dedans à côté d'elle lui parut prodigieusement rassurante. Elle en sourit, soupira d'aise. Alors la voix lui murmura :
Mets tes poussins sous mon habit et reviens dans une semaine. J'ai aimé être auprès de toi.
Oh, moi aussi, répondit-elle.
Elle remonta jusqu'au village. Elle s'attarda jusqu'à la nuit à errer sous les oliviers. Sa mère voulut tout savoir de ce qu'elle avait fait et dit, mais elle ne sut que lui répondre. Elle avait laissé les poussins là-bas, auprès du manteau vide. Et quoi d'autre ma fille ? Rien.

Six jours, six nuits, à dormir peu. Au septième matin, Jeanne courut si vite qu'elle ne sut s'il ventait, s'il faisait gris ou bleu. Elle vit de loin l'homme sans corps et les poussins autour de lui. Quelle vigueur ils avaient pris ! Elle s'assit parmi eux, au plus près de l'habit. Elle dit :
Que leur avez-vous fait ?
Je les ai réchauffés, je les ai laissé vivre.
Leur permettre d'aller ainsi sans que personne les surveille, c'est dangereux, lui dit l'enfant. Si un renard était venu ?
Ecoute, Jeanne.
Elle écouta. Le silence du manteau vide la tint au chaud jusqu'à la nuit. Le soir venu, elle soupira :
Je ne saurai comment leur dire.
Va, vis, reviens, je serai là.
Elle prit les poussins et s'en alla.
Sa mère l'attendait sur le pas de la porte. Elle s'inquiétait. Elle lui cria :
Tu me feras mourir ma fille!
En découvrant dans le panier la couvée qu'elle n'espérait plus :
D'où sortent-ils ces beaux chéris ? Qui les a nourris ? Le manteau ?
Il est vide, gronda le père. Il n'y a rien sous le capuchon. Un rien ne peut nourrir personne !
Jeanne ne lui répondit pas. Elle pensa, et ses yeux brillèrent : « Oh le silence de ce rien ! ». Puis elle entra dans la maison. Le feu flambait. Il faisait bon.


bunni


L'histoire de Petit Jean

Il y a bien longtemps, dans un pays tellement éloigné dans le temps et l'espace que nul n'en garde plus aucun souvenir, excepté quelques rares grands enfants, vivait Petit Jean.

C'était le fils dernier né d'un humble couple, si pauvre et misérable que la famille entière vivait au fin fond  d'une grotte en un lieu de broussailles ignoré de tous. Cette grotte était sombre et humide : le jour n'y pénétrait que par l'entrée fort étroite donnant sur un long couloir de granite, difficile à travailler. Mais là, demeuraient six personnes. Les parents et leurs quatre enfants. Vint à mourir le père. La mère Jacquine n'avait pour faire vivre ses enfants, trois jolies filles et un garçonnet rêveur et débrouillard, que le maigre résultat de son métier à tisser. Le chanvre ne se cultive pas facilement pour une femme seule et voyez-vous le coton était encore ignoré en ces contrées, quant à la soie, elle n'était  que le vague rêve d'un papillon ne devant éclore que quelques décennies plus tard.

Une nuit que Petit Jean s'était sauvé de la grotte familiale et qu'il rêvassait au bord de l'eau, s'imaginant vivre sur la lune dorée, il vit voltiger quantité de lucioles brillantes et pleines de gaieté dans leur sarabande effrénée. En son cerveau aussitôt une idée vit le jour « et si je ramenais ces lumières dans la grotte afin que l'on y voit et que maman et les sœurs puissent filer et tisser pendant que je ramasse le bois, les champignons et que je pêche ». Et voilà notre Petit Jean, plein d'entrain, chercher à nouer de longues herbes souples afin d'un faire une cage à mailles serrées. Il se voyait déjà tout fier ramener de la lumière et espérait-il un peu de chaleur et de gaieté dans la triste demeure.

La cage fut vite prête, mais une fois tissée, et la petite porte nouée, Petit Jean eut beau courir et sauter, les lucioles ne se laissaient pas piéger. Il courut et sauta aussi longtemps qu'il le put et les lucioles, semblant se prendre au jeu formaient autour de lui un nuage de lumière voltigeant joliment  avec lui. Au matin, les premières lueurs chassèrent les étincelles de la nuit et Petit Jean fatigué, mais toujours décidé se coucha sur la mousse. Il sombra dans le sommeil et dormit ainsi une bonne partie de la matinée. Ce furent les cris inquiets de sa mère et de ses sœurs qui le ramenèrent à la conscience. En pleurs il raconta son idée et sa vaillante poursuite nocturne. Aussitôt les filles et leur mère voyant les pieds ensanglantés et les griffures innombrables sur les bras, l'entourèrent, le consolèrent et essayèrent, en vain, de lui faire croire qu'il ne fallait pas s'inquiéter, et que « allez, on va s'en sortir et après tout on est heureux, non ? puisqu'on est tous ensemble. ».

Malgré toutes les cajoleries et les recommandations de la mère, Petit Jean retourna, la nuit suivante, au bord de l'eau guetter les lucioles. En chemin il croisa une petite araignée grise, les pattes engluées dans une sorte de résine et qui se débattait furieusement. Il lui sembla se voir se débattre dans son combat pour ramener les lucioles à la maison, les pieds collés au sol, incapable de bondir assez haut. Pris de pitié, il cueillit un brin d'herbe  et délicatement dégagea la prisonnière. Celle-ci peu farouche grimpa aussitôt sur sa main et escalada ses cheveux pour se jucher sur son oreille.

Amusé Petit Jean voulut reposer la singulière cavalière quand celle-ci se mit à parler d'une voix semblable au vent dans la prairie « Nous t'avons vu la nuit dernière »

« Oh ... » fit-il, car, que dire d'autre dans ces cas-là ?

«Je veux te remercier, ramène moi chez moi et mes sœurs et moi te tisserons un filet  léger et solide que tu jetteras sur les lucioles. Je ne sais si cela suffira, mais c'est le mieux que je puisse faire ». Petit Jean sur les indications de Chalima (et oui, les araignées aussi ont des noms !) S'enfonça dans la forêt et au cœur de celle-ci, dans un taillis impénétrable il découvrit la forteresse des araignées : un enchevêtrement argenté de toiles épaisses et presque infranchissable. À  l'orée de ces murs de toiles, il s'endormit pour la nuit pendant que les tisseuses préparaient un filet à lucioles. Au matin il fut réveillé par le chatouillis de petites pattes qui posaient devant son nez un rouleau argenté. Ravi il le déplia, fin comme une dentelle, léger comme un souffle d'air, solide comme l'acier et grand comme quatre mains : son piège était parfait.

La nuit suivante une grosse grenouille, grasse et l'œil mauvais partageait la veille de Petit Jean, blottie entre les roseaux, elle se tenait cachée de tous. Quand la danse lumineuse recommença, Petit Jean s'invita au milieu des lucioles et le jeu –qui n'en était pas un pour Petit Jean- reprit comme la veille. Les lucioles, ignorant la présence attentive de leur ennemie voltigeaient en tous sens et Petit Jean sautait, mais le filet ratait toujours les proies convoitées.  Petit Jean déçu s'assit et regarda le ballet aérien. Puis d'un coup, le nuage passa au dessus des roseaux et une longue langue suivie du bond gigantesque d'une grenouille monstrueuse captura trois lucioles. Les autres se précipitaient sur le corps de la grenouille, le bombardant de leurs petits corps, mais la grenouille narquoise ne bougeait pas et contrairement à ses congénères, ne se hâtait pas pour gober ses petites proies, semblant bien au rebours les admirer tout à loisir avant que d'en faire son repas. 

Petit Jean, sans trop bien savoir pourquoi, sinon qu'il n'était pas juste que la grenouille mange ces jolies lumières alors que lui qui les voulait seulement admirer et ramener chez lui, ne les pouvait attraper, se jeta sur la goulue. Sur un Crôâââ indignée, probablement dû au fait que Petit Jean en lui sautant dessus lui comprima l'estomac, elle se sauva, libérant les petites prises. Sonnées celles-ci tombèrent au sol, mais au lieu de les capturer, Petit Jean se mit à les regarder de plus près. Et là ! Stupeur, maintenant que les lumières étaient éteintes il put enfin les voir, pour de vrai. Il s'agissait de minuscules petits êtres semblables à des enfants avec quatre ailes transparentes. 

Décidément, rien donc dans ce monde n'était ce qu'il paraissait ? Les araignées parlaient et avaient des forteresses, les lucioles étaient des ... des quoi au fait ? Ou  qui ?

« Des fées, Petit Garçon, nous sommes des fées »

« Oh ! » Fit-il car il n'avait pas trop de conversation, ce n'était qu'un petit garçon après tout !

« Et tu viens de sauver une de mes filles, Muguet,  avec ses deux suivantes »

« Ah » Fit-il, car il n'avait toujours pas plus de conversation.

« Nos enfants sont trop faibles pour affronter la lumière du Soleil et ne peuvent sortir que la nuit, mais les dangers sont grands. »

« Euh ? .. » Toujours ce problème de conversation. Je suis sûre qu'une fille s'en serait mieux tirée.

Mais Liriandra, la reine, semblait comprendre ces sons.

« Alors, comment te remercier ? »

« Lumière ... euh, je voulais de la lumière, mais pas faire de mal. »

«Oooh .... » là, c'était la reine et elle semblait songeuse.

« .. Chalima m'a donné le filet, il est joli » dit-il passant du coq à l'âne. « Je vais le donner à maman. Je ne chercherai plus à vous capturer, c'était pour éclairer la grotte »

« Une grotte ? ?? » Liriandra semblait affolée « Malheureux, les chauves souris, sauve-toi, elles sont dangereuses !!!!!! »

« Pas pour des humains, pis, y'en a pas, alors ..., des chauves souris je veux dire. Y en a pas de chauves souris. »

Liriandra semblait intéressée au plus haut point.

« Parle-moi de cette Chalima petit garçon. »

Et Petit Jean raconta tout ce qu'il savait du peuple araignée et de la forteresse construite pour repousser tous les animaux gloutons d'araignées et de la gentillesse de Chalima.

« Rentre chez toi petit d'homme, une de mes filles te suivra pour connaître ta grotte et demain je viendrai parler à ta mère, à la tombée de la nuit »

Petit Jean rentré chez lui réveilla ses sœurs : Lizyna, Bellusine et Kossimette, ainsi que sa mère. Il leur raconta toute son histoire, l'araignée et la forteresse, et la grenouille, et les fées, et la promesse. Les quatre étaient inquiètes : et si les fées voulaient leur prendre la grotte, ou si elles estimaient que Petit Jean connaissait un secret qu'il aurait dû ignorer, et si les araignées venaient aussi. Ou si les fées venaient et trouvaient que la grotte était sale et que les humains étaient des dégoutants, ou si , ... ou si ..., ou si ...

Toute la journée, à la faible lueur venue de la fente servant à évacuer la fumée lorsqu'on faisait un feu dans la grotte,  la famille s'activa, chassant la poussière, rangeant les trois affaires, briquant les écuelles, rangeant dans un sens, puis dans l'autre, déplaçant là pour mettre ailleurs les paillasses d'herbe, puis les remettant, cueillant des roseaux pour joncher le sol, ramassant quelques coucous pour faire un bouquet.

De tout ce temps,  la mère et les sœurs ne purent filer ou tisser tant leurs mains tremblaient. Et à la tombée de la nuit, Jacquine,  Lizyna, Bellusine, Kossimette et Jean attendaient devant l'entrée de la grotte. Quand un son à la fois lointain et tout proche retentit, un peu comme une légère brise dans la prairie, accompagné de quelques tintements de clochettes. Puis vint une lumière, des milliers et des milliers de lucioles dansaient, chantaient, au sol un tapis d'araignées en mouvement ondoyait vers la grotte. Mais la petite famille ne bougea pas, car que faire sinon ?  Puis Liriandra parla, longtemps et sa voix et son discours apaisa toutes les craintes. Puis Chalima aussi parla et sa courtoisie séduisit Jacquine.

De ce jour-là, dans les grottes les plus reculées à la suite de la demeure humaine, se construisit la forteresse de Chalima, dans les autres, les lucioles/fées enfants s'installèrent, attendant d'être assez grandes pour affronter la lumière du jour. En guise de bons échanges, les tisseuses apprirent aux fillettes comment tisser une toile semblable à un voile avec les fils d'araignées. Et les fées donnèrent leur belle lumière dans les grottes, ainsi toutes ces toiles devinrent de la couleur de l'or. Ces magnifiques étoffes devinrent célèbres dans toute la contrée, apportant richesse et renommée et personne n'en connut jamais le secret, hormis vous et moi, bien sûr. La famille s'agrandit avec le mariage des filles, et des grottes furent creusées toujours plus loin, toujours baignées de lumières et toujours parées de voiles diaphanes. Et pour ce que j'en sais, il en est toujours ainsi. 

Petit Jean ? Il ne voulut pas grandir et les fées lui apprirent à voler, on le voyait souvent en compagnie de Muguet, voler de nuit, riant comme un enfant heureux. Certains savants écrivirent des histoires à son sujet et commencèrent à l'étudier. Certains même, prétendirent que son nom fut transformé au fil des temps et que Petit devint Peter : Peter Jean, mais qu'un copiste maladroit se serait trompé et aurait transformé le Je de Jean en P. Quelle drôle d'idée, vraiment !



bunni


La souris qui perdit sa queue

Il y a bien longtemps de cela, la fée de l'Aube se promenant sur un rayon de soleil entendit pleurer un petit enfant. Elle  tenta de savoir les raisons de ces pleurs. Un garçonnet sentait trembler une dent et il avait peur qu'elle tombe suivie de toutes les autres. La fée de l'aube était bien jeune encore et avait le cœur tendre. Elle convoqua toutes les fées, les animaux et les éléments afin de leur demander ce que l'on pourrait faire. Dès le début l'éléphant, le morse,  le narval et d'autres décidèrent que le sujet ne les concernait pas et s'en allèrent. Certaines fées avaient à faire ailleurs et partirent. D'autres se souvenant de leur jeunesse décidèrent de l'aider. Après de longues discussions il fut décidé  que lorsqu'un enfant perdrait une dent il recevrait une piécette pour le réconforter. Une piécette de cuivre dorée et brillante comme le soleil. La question se posait de savoir comment le sou serait délivré.

À ce moment là, les  animaux sauvages partirent. Les histoires des hommes ne les intéressaient pas. Tous les gros animaux domestiques s'en allèrent ainsi que les animaux aquatiques, et bien d'autres encore qui n'auraient pu remplir cette mission. Ne restaient que les oiseaux, les chiens, les chats et les éléments. Le vent dit,

« Je peux passer partout sous les portes, par les cheminées, je suis rapide et silencieux »

L'Aurore demanda

« Comment porteras-tu la pièce, et qui fera ton travail pendant ce temps ? »

Le vent s'en alla lui aussi. Le feu se proposa, mais l'on eut trop peur qu'il n'incendie tout sur son passage, l'eau aurait tout noyé et la terre  tout enseveli, les oiseaux ne pouvaient pas : construire un nid, voler, chanter, nourrir des oisillons affamés tout cela prend trop de temps. Face aux fées ne restaient que les chiens, les chats et ignorée de tous, une petite souris, Sitha. Celle-ci passait son temps à brosser et entretenir sa queue, un magnifique panache semblable à celui des écureuils. Les souris étaient ainsi naguère. Le chat se leva, majestueux, s'étira et miaula qu'il était discret, intelligent et que c'était là un travail qu'il pouvait faire.

Les fées mirent un morceau de soleil et un sou de cuivre dans un grand chaudron et firent chauffer le tout, créant une pièce brillante comme l'astre du jour  et légère comme l'air. Dérus, le chat saisit la pièce entre ses dents et lentement se dirigea  vers la fée de l'aube, d'un coup de baguette celle-ci enchanta la pièce. D'elle-même elle dirigerait le porteur, et une fois déposée à destination il en viendrait une autre pour le prochain enfant. .

Le chat partit  remplir son office, au début tout se passa bien, il dédaigna les oisillons et les  bestioles trottinant dans les coins. Il ne s'arrêta même pas pour faire sa toilette. Et lorsqu'il arriva dans la chambre où dormait un petit enfant, il souleva délicatement l'oreiller, s'empara de la dent et posa la pièce sous l'oreiller. La dent disparut dans une lueur bleue et à la place une nouvelle pièce parut. Le chat allait la saisir quand il regarda un peu mieux la couette profonde.

« Allons, se dit-il, ce n'est pas un petit somme de quelques minutes qui va causer du tort »

Il pétrit soigneusement la couette des ses pattes avant, faisant un trou douillet et s'y allongea, ronronnant. Le chien là-haut, aboyait et jappait pour le réveiller. Les fées trépignaient, mais rien n'y faisait. La souris intéressée délaissa sa toilette. Mais, non,  Dérus dormait déjà. Les fées se décidèrent et en quelques mouvements de baguettes le chien fut envoyé dans la chambre. Il se saisit de la pièce abandonnée sur la couette, et poussant la porte s'en fut vers la prochaine destination. Mais le chat se réveilla, comprit ce qui se passait et furieux poursuivit le chien, le rattrapant sur un pont, il lui sauta sur le dos miaulant, crachant :

« Voleur, voleur, fuyard

Et le chien de répondre

« Paresseux, feignant

Et la pièce tomba, roulant, rebondissant, disparaissant dans l'onde furieuse.  Les deux bagarreurs se regardèrent consternés. Le chien sauta dans l'eau, mais las, la pièce était introuvable. Le chien chercha, chercha à s'en épuiser et n'eut été le chat qui fit tomber une branche en travers du ruisseau, aurait bien pu finir noyé. Penauds les animaux comparurent devant les fées. Elles étaient aussi furieuses qu'inquiètes.

« Quand la pièce est tombée dans l'eau, elle a été emportée, puis s'est échouée devant la grotte de Hénaki. »

« Hénaki ? » couina la petite souris, mais personne ne l'entendit, le chat miaulait, crachait, le chien aboyait, grondait et les fées se lamentaient. Au milieu de tout ce bruit Sitha entendit les mots Roi et Dragons. Sa queue se hérissa et son museau se plissa de peur. Mais curieuse, elle resta. Aube tremblante  annonça

« Puisque c'est mon idée, je vais aller lui réclamer la pièce. Il ne peut pas, ne doit pas la garder. Il se moque bien de la magie de la pièce, la seule chose qu'il veut, c'est accumuler des richesses, de l'or, de l'argent et des joyaux. Si je lui échange contre de l'or peut-être la rendra-t-il ? »

Mais rien n'y fit. Hénaki refusa de seulement entendre Aube, à peine s'était-elle approchée de la grotte qu'il sortit, crachant du feu, tempêtant et hurlant qu'il ferait rôtir quiconque s'approcherait de lui, car disait-il il avait trouvé un grand trésor, une pièce aussi brillante que le soleil et qu'il savait bien qu'on la voulait  prendre. Là-dessus, il était retourné dans la grotte, se couchant devant l'entrée bouchant tout passage. Personne ne pouvait ou ne voulait aller à la recherche de la pièce. Le vent craignait le roi des dragons, car celui-ci commande aux tempêtes et à tous les éléments de l'air les plus violents. Le feu ne pouvait rien contre Hénaki, lui-même élément de feu.  Hénaki roi des dragons régnait sur les dragons des eaux et celle ci craignait les tempêtes déchaînées par les soldats du Roi Dragon. La terre ne pouvait rien contre les rochers des grottes. Les fées mourraient  si elles s'approchaient trop des flammes des dragons. Le chat et le chien voulaient y aller, mais les fées refusaient voyant bien qu'il n'y avait pas moyen pour eux de pénétrer dans l'antre du dragon. Il fut convenu d'attendre la prochaine sortie de Hénaki et d'envoyer le chat, si cela pouvait se faire. Dans le silence suivant cette annonce on entendit une petite voix  affirmer

« Je peux le faire moi » c'était Sitha

Le chat souffla de mépris et le chien aboya de rire si fort que la petite souris sursauta et fila se cacher dans les jupes de Iris la fée des arcs en ciel. Mais Sitha répétait

« Je peux le faire, je peux le faire » Encore et encore, si bien que juste pour la faire taire on accepta de l'écouter

« Je suis petite, dès que le dragon dormira, je me faufilerai, moi je trouverai bien la place de passer, la pièce je la prendrai dans mes dents et en même pas le temps qu'il faut à Dérus pour s'endormir je serai sortie de la grotte avec la pièce. Et puis, qu'avez-vous à perdre ? Ce ne sera pas un drame si le dragon me croque. » Tant et tant qu'à la fin Aube, Aurore et Iris cédèrent.

Il en fut fait ainsi, et tout se passa sans difficulté aucune. Posée à quelques lieues de la grotte en compagnie de Kiro le chien, elle se jucha sur son dos et en peu de temps ils furent en vue des fumées s'échappant de l'antre. Kiro s'arrêta laissant descendre la souris. Sitha filait comme le vent, sans prendre la peine de réfléchir, sinon elle savait bien qu'elle aurait fait demi-tour. Devant l'entrée de la grotte tout se passa comme prévu, il y avait un petit espace entre les pattes de Hénaki, juste suffisant pour passer. Dans la grotte, il y avait des montagnes d'or, de bijoux, mais, à part, dans un coin, sur un coffre : la Pièce. Sitôt vue, sitôt saisie. Le dragon dormait, lâchant des petits jets de feu. Prenant son courage à 4 pattes Sitha se résolut à sortir. Hénaki ronflait et bavait dans son sommeil. Sitha se mit à courir de plus en plus vite, tous poils hérissés, queue dressée, passant au ras du mufle du dragon, tellement proche que la queue chatouilla les naseaux fumants, déclenchant un éternuement terrible, accompagné d'une colonne de feu. Les flammes roussirent le dos et la queue de Sitha, la laissant toute pelée. Heureuse de s'en tirer à si bon compte la souris courut se blottir contre Kiro attendant la venue des fées.

Plus tard, réconfortée, nettoyée, fêtée les fées lui demandèrent ce qu' elle désirait le plus au monde

« Je veux porter les pièces aux enfants, je me faufile partout, je suis silencieuse et même un dragon ne peut m'arrêter

Les fées éclatèrent de rire et lui donnèrent le titre de petite souris des dents. Aube voulut soigner son pauvre panache tout déplumé mais Sitha refusa, déclarant qu'elle porterait désormais cette blessure comme une décoration, souvenir de sa bagarre avec un dragon. C'est depuis ce temps  que les souris sont telles qu'elles sont et qu'elles mettent des pièces sous les oreillers des enfants la nuit.

bunni


La légende des carrefours

Un jour que les parents étaient à rentrer eux-mêmes les brebis dans la bergerie tellement il faisait mauvais temps, la grand-mère prit Lison à part. Elle avait sur son visage toujours joyeux un air de grand secret.  Rangeant sa pelote de laine, la plus blanche et la plus mousseuse que l'on pût voir en cette contrée, elle fit signe à Lison de prendre place à côté d'elle.

« Vois-tu Lison, quoiqu'en disent certains, les fées et les lutins existent toujours, les nouveaux Dieux ne les ont pas chassés. Ils se cachent juste de nous, mais certains endroits sont des points de rencontre entre eux et nous. Endroits où l'on peut leur parler. Ces endroits sont faciles à reconnaître »

Lison écoutait fascinée sa grand-mère adorée, toujours si souriante et enjouée envers tout le monde, légère comme une plume, elle allait du matin au soir, trottinant légère et affairée. Tout le monde l'aimait et la respectait, mais nul plus que Lison.

« Vois-tu, il faut qu'il y ait la rencontre de deux routes ou chemins, ou sentes se croisant parfaitement tout à côté d'un pont passant sur de l'eau vive, juste sous les branches des arbres.  Connais-tu un tel endroit ici ? »

Lison enchantée par ce récit qu'elle prenait pour un conte, battit des mains.

« Oui grand-mère, la croix au Souhaits, c'est en bas du grand pré »

« Exactement. Donc quand tu passes là, récite ces quelques vers :

       Permettez que je passe

       Et point ne trépasse

       Que votre bonté

       M'accorde santé

       Bonheur et prospérité

En n'oubliant point d'offrir un petit cadeau aux esprits des lieux »

Lison grava le poème dans sa mémoire, sans aucune difficulté.

Le beau temps revenant, elle partit conduire quelques brebis au pré d'en bas. Passant au croisement, le conte de la grand-mère lui revint, et, mi sérieuse, mi amusée, elle récita : Permettez que je passe et point ne trépasse, que votre bonté m'accorde santé, bonheur  et prospérité. Puis elle se souvint qu'il fallait faire une offrande, mais elle n'avait rien, alors fouillant désespérément dans la poche de son jupon, elle trou vaperdu au milieu de quelques miettes de pain, un vieux bouton de culotte ramassé un jour sur la route et qu'elle traînait de poche de jupon en poche de chandail, sans trop savoir pourquoi. Elle le jeta à la croisée des sentes. Le soir en revenant, par jeu elle recommença le même rituel en déposant une touffe de poils de brebis trouvée accrochée dans les ronces. Et chaque fois qu'elle passait à la Croix aux Souhaits elle reprenait le rituel, comme un jeu secret. Tantôt elle posait un joli caillou trouvé au bord du chemin, une plume de geai bleue,  tantôt une belle feuille d'arbre, dévorée par le temps et ressemblant à une dentelle.

Un jour qu'elle revenait par là, à peine avait elle commencé sa comptine, qu'un tout petit bonhomme, pas plus haut que ma main apparut au milieu du pont de bois.

« Que m'apportes-tu aujourd'hui, hein ? Quelle bricole, brindille ou brimborion ?

Lison surprise et muette ne put que montrer 2 noisettes cueillies le matin même. Le lutin haussa, les épaules, enleva son chapeau, orné du gros bouton de culotte déposé quelques mois plus tôt, et soupira :

« Ah, lala, les hommes, sont ladres, avares et peu généreux, Que vais-je rapporter à ma mie, mon adorée, ma chérie, des noisettes, fruits secs, fruits de peu ? Regarde ce que tes dons, tes offrandes, tes cadeaux font de Alfric, ma personne, moi-même. »

Lison amusée par cette étrange façon de s'exprimer faisant que le lutin disait  la même chose sous trois formes différentes le regarda sans plus aucune crainte. Il est vrai que le lutin payait peu de mine, une  feuille séchée ornait son chapeau, terminé par le vieux bouton, sa petite veste était tissée avec de la laine de brebis grise et rêche (celle ramassée sur les ronciers se dit-elle) et son pantalon était taillé dans un vieux bout de jupon vert apporté là peu de temps auparavant. Un peu gênée Lison dut bien convenir que ses cadeaux étaient ... un peu .... Mesquins.

« Mais que puis-je t'apporter ? Je n'ai rien, si nous ne sommes pas pauvres, nous ne sommes pas riches. Nous sommes heureux de ce que nous avons, nos brebis donnent du bon lait et de la bonne laine, les agneaux de printemps se vendent bien et nous avons une chaumière confortable. Mais je n'ai rien à moi, je ne suis qu'une enfant. »

« Partage avec moi ton repas, ta nourriture, ton goûter, trois gouttes de lait scellées dans une feuille de peuplier par de la sève, quelques miettes de ton pain ou de tes gâteaux enfermées dans des feuilles de noisetier ou de l'écorce de châtaigner. Oui trois gouttes de lait, quelques miettes de pain ou de gâteau, ma mie, mon épouse, ma tendre, aimerait cela, du lait du pain et du gâteau. Trouve un joli ruban, un bout d'étoffe colorée, un lien soyeux pour la chevelure. Ce sera mon présent, mon don, mon cadeau pour elle, mon étoile, ma .... » La phrase n'était pas terminée que Alfric avait disparu, comme il était venu.

Un peu étonnée Lison rentra chez elle, et sans savoir pourquoi,  n'en parla mie. Elle continua son petit rituel, chaque fois qu'elle passait par la Croix aux Souhaits, mais ses offrandes avaient changé, c'étaient désormais de petits paquets de feuilles soigneusement liées entourant des bribes de pain ou de gâteaux, des feuilles scellées autour de miettes de fromage ou de quelques gouttes de lait. Elle apporta même quelques mèches de laine finement cardée. Elle ne savait pourquoi elle faisait cela. Mais elle continuait. Passa l'hiver, elle ne sortit guère, mais à chaque fois qu'elle put elle apporta, entortillés dans de la paille, quelques présents. Adroite de ses mains elle sculpta même deux paires de minuscules sabots teints avec des écorces de noix. Le printemps revenu ses visites furent plus nombreuses. Elle n'avait guère remarqué de changement dans sa vie, mais tous disaient qu'elle ressemblait de plus en plus à la grand-mère. Le même rire argentin, la même grâce légère. Quoiqu'elle fit cela était, beau, parfait, qu'elle s'attelât à tisser, à broder, ou à faire la cuisine (malgré son jeune âge). Si elle conduisait les brebis, aucune ne se perdait, et le lait était meilleur que jamais, la laine abondante et fine. Son ouvrage était toujours fini à temps, plusieurs fois même, elle eut la surprise ayant posé le soir de la laine à carder à côté de son lit, de trouver le travail fait le matin. Se demandant si elle avait rêvé, si elle avait travaillé dans son sommeil, ou ...

Vint le solstice d'été, ne sachant pourquoi elle eut envie de faire un joli présent aux lutins tant sa vie lui paraissait belle. Elle lava, sécha et repassa du mieux qu'elle put son plus beau ruban et le laissa là, accroché à une branche du chêne. Elle n'avait pas fini de le suspendre qu'il disparut et qu'une lumière descendit sur elle d'entre les branches, tel un rai de soleil. De ce jour ses yeux furent comme deux lumières apportant chaleur et réconfort tout autour d'elle. Elle grandit, se maria avec un bon et beau  mari, eut de magnifiques enfants et toujours récita « permettez que je passe et point ne trépasse que votre bonté m'apporte santé, bonheur et prospérité » en déposant de petits riens à la croisée des chemins. Et quand elle eut l'âge, comme le fit sa grand-mère avant elle, et encore avant, la grand-mère de sa grand-mère, et encore avant ..., elle apprit une étrange comptine à sa petite fille.

Si vous voyez de ces femmes qui parlent seules aux carrefours et y déposent de petits paquets, regardez-les bien, elles marchent comme sur des nuages, vivent sans vieillir, vieillissent sans s'aigrir, meurent comme on souffle une chandelle et leur âme s'envole à tire d'aile. Mais surtout regardez bien leurs yeux, vous y verrez leur âme d'enfant.

bunni


Léona la fourmi

Mon histoire se passe dans une fourmilière bien loin de la notre. Elle concerne Léona une petite fourmi qui n'agissait en  rien comme les autres. Oh, elle ne refusait pas de travailler, non, mais elle ne voulait pas faire comme ses parents et les parents de ses parents et encore avant  les parents des parents l'avaient fait... . Non, elle ... inventait. Tout était prétexte à laisser courir son imagination. Voyait-elle un brin d'herbe qui pliait et se redressait et voilà qu'elle  créait une sorte de comment appeler cela ? C'était tout nouveau, n'avait donc pas de nom. Cela servait à amortir les chocs et éviter la casse quand on déposait des charges les unes sur les autres. Elle avait nommé cela des «amortissherbes». Bon, les autres fourmis disaient que ça faisait du travail en plus et pour rien ces «amorti machins trucs», quelle importance si les choses étaient cassées. Alors Léona disait, «Oui mais pour protéger les œufs ....» et les autres la coupaient durement: «On a toujours fait à notre façon, qui es-tu pour nous dire de changer nos traditions ? Ce qui était bon pour nos parents est bon pour nous.  Ne te complique donc pas la vie et ne nous fatigue pas, sois donc comme tout le monde ». Et dès que Léona tournait le dos les autres fourmis ricanaient.

Un jour elle vit un bousier pousser une boulette devant lui, et cela lui rappela les pattes rondes sur lesquels les géants roses se déplaçaient. Mais évidemment les géants roses se mouvaient en faisant du bruit et des odeurs affreuses. Tout cela était terriblement inefficace, rustre, en un mot bien peu évolué comparé au niveau de civilisation de la fourmilière. Alors elle se dit qu'en reliant les boulettes à un axe sur lequel on poserait une feuille robuste, l'on pourrait transporter beaucoup plus de choses. Et les autres fourmis dirent : «Mais que vas-tu chercher ? Les géants roses sont faibles et portent de petites charges, pourquoi les imiter, si ils ont des choses à pattes rondes c'est parce que ce sont des fainéants sans force. Nous pouvons porter plusieurs fois notre poids, pourquoi fabriquer ces engins stupides ? »

Mais Léona continuait, encouragée par sa meilleure amie la petite princesse héritière, Franca. Un jour Léona inventa une sorte de ... de chose, engin, trucmuche, servant à  ... à faire des sons. Du bruit. Bon pas très harmonieux, mais drôlement performant. Franca et Léona s'amusaient comme des folles à faire des BANG et autres sonorités quand la voisine de Maman Léona appela les fourmis  soldates. La voisine était une vieille fourmi ronchon et méchante : Otac cherchait toujours à avoir raison et à apprendre des tas de choses aux autres. Comment regarder une corneille de l'œil droit uniquement pour ne pas attirer la malchance sur soi. Comment essuyer la patte avant gauche puis la droite ensuite l'arrière droite etc. ... avant de rentrer dans la chambre de la reine, sinon la Reine risquait de ne plus pouvoir pondre des œufs. Elle prenait les jeunes fourmis à part et les terrorisait avec des histoires de fin de monde.

Et ce jour-là Otac avait appelé les soldates. Elles arrivaient toujours en cohorte marchant au pas cadencé, et tout le monde se cachait sur leur passage. Les soldates avaient mauvaise réputation, on disait qu'elles étaient dangereuses et que si on leur déplaisait elles vous envoyaient travailler des journées entières dans les mines à champignons. Heureusement ces condamnations ne duraient jamais longtemps, mais ça faisait peur à tout le monde. De toute façon il fallait bien qu'il y ait des ouvriers qui aillent y travailler, alors c'était une façon comme une autre de trouver des travailleurs. Quand les soldates virent que la petite princesse était dans le coup, elles laissèrent tomber. Mais elles prévinrent Léona que la prochaine fois, et bien ... la prochaine fois, ça chaufferait.

Malgré tout Léona continuait à inventer des choses, plein de choses. Un jour elle eut l'idée de ramasser des duvets d'oisillon et de fabriquer des ailes afin de pouvoir voler toute l'année et au lieu de se contenter de regarder passer les fourmis volantes quand la saison le voulait. Elles partirent toutes deux de bon matin tester cette nouvelle idée. Elles escaladèrent une jeune pousse de peuplier, se harnachèrent soigneusement et s'élancèrent. Tout se passa pour le mieux, les deux amies voltigeaient dans les airs, poussant des cris de joie. Mais évidemment ces cris attirèrent un moineau. C'est au prix de je ne sais combien de ruses et loopings que les deux copines évitèrent de finir en casse croûte. C'est à l'atterrissage que tout se gâta vraiment. Franca se cassa une patte. Et c'est la jambe enveloppée de bandelettes de feuilles de peuplier qu'elle se présenta devant la Reine sa mère.

Léona fut convoquée et amenée encadrée par deux soldates devant la reine.

«  Comment as-tu osé mettre en péril la vie de l'héritière, c'est d'une inconscience ! Si Franca n'avait pas autant plaidé en ta faveur, tu finirais ta vie dans les cavernes à champignons. Mais je ne peux laisser passer cela ! Tu iras donc servir En Bas pendant toute une lune.  Peut-être cela te permettra-t-il de réfléchir et de murir. Et je ne veux plus jamais entendre parler de tes inventions farfelues » Et c'est ainsi que Léona fut conduite dans les cavernes sombres s'occuper des champignons. Franca pleurait toutes les larmes de son cœur en voyant partir son amie. Dire que tout cela avait commencé comme une extraordinaire journée d'amusement.

Pendant que Léona purgeait sa peine, ses parents avaient fort à faire pour supporter les ragots d'Otac et les railleries de ses amies commères. Mais Léona faisait face avec courage même si parfois elle pleurait toute seule dans le noir. Quand sa peine fut terminée elle revint à la surface et fut mutée à l'approvisionnement. Pendant un bout de temps elle se tint tranquille, forçant son esprit à rester en repos. Puis  un jour elle vit une araignée filer sa toile et eut l'idée de torsader plusieurs fils ensemble pour faire une corde solide lui permettant de faire un harnais pour porter sa charge en gardant toutes ses pattes libres. Une autre fois voyant son reflet déformé dans une goutte d'eau bombée, elle s'amusa à créer des gouttes dans lesquelles on pouvait se mirer  toute déformée, grosse, maigre, etc. Cela faisait beaucoup rire les enfants fourmis.

Voyant que les jeunes s'entendaient bien avec cette ouvrière si particulière, la chef du Personnel la fit muter au service de la garderie. Franca venait la voir de temps à autres. Les temps des escapades étaient terminés, Franca apprenait ses devoirs de future Reine  et Léona travaillait sans relâche. Malgré tout elles restaient amies et les autres fourmis évitaient désormais de trop bousculer cette bizarre petite travailleuse qui avait les faveurs de la future reine. Elle avait la charge de donner la nourriture aux enfants et de leur apprendre les rudiments du savoir vivre et de la vie en société. Elle les emmenait aussi en promenade aux abords de la fourmilière. En ces occasions, elle sortait explorer les abords afin d'être certaine que tout était sûr et qu'aucun ennemi ne risquait de fondre sur ses petits protégés.

C'est ainsi qu'un jour, partie explorer les environs elle découvrit une cohorte de termites se dirigeant droit vers la fourmilière. Les termites sont de redoutables guerriers dangereux et sans pitié. Les fourmis et les termites ont toujours été en guerre. Les fourmis cherchaient  à se protéger et les termites voulaient toujours envahir et détruire. Il fallait vite aller prévenir les soldates de la Reine pour mettre les enfants à l'abri, condamner les issues et préparer les défenses. Mais voilà les termites lui coupaient tout chemin et les contourner prendrait trop de temps. Tant pis pour les ordres de la reine. Léona se précipita sur une toile d'araignée, coupa un long fil l'attacha à sa taille et l'autre bout, elle le colla à une feuille d'acacia. Puis elle coupa le pédoncule de la feuille, et celle-ci, portée par le vent s'envola vers la fourmilière, entraînant Léona à sa suite, nettement en dessous, mais pas trop près, ni trop loin du sol. C'est ainsi qu'elle survola les termites. Et arriva en vue de la fourmilière.

Catastrophe, Léona l'avait oublié, mais c'était le jour d'intronisation de Franca et tout le monde était dans la salle de Ponte. Personne à l'entrée, hormis l'inévitable Otac

«Allez Léona, qu'est-ce que je vois, un jour comme celui-ci et je te vois les antennes en bataille, les pattes sales et un bout de toile d'araignée collée au postérieur, comment oses-tu ? « 

Et  Otac se saisit de Franca sans écouter un mot des protestations de la petite jeunette. Malgré son âge et son embonpoint Otac avait la poigne solide. Mais Léona était vraiment désespérée, au point de faire l'impensable, s'arcboutant sur ses pattes arrières elle poussa de toutes ses forces la grosse fourmi, la faisant bouler cul par-dessus tête. Comment prévenir tout le monde sans courir en salle de Ponte, au fin fond de la fourmilière ? Quelle perte de temps cela serait !

Ah bien sûr, la machine à BANG. C'était un système ingénieux constitué d'une rondelle de métal repliée et ondulée sur les bords, trouvée en bordure des champs des géants roses, qu'elle avait suspendue à une branche de saule et qu'elle cognait avec un brin de limaille de fer. Elle avait réussi à transporter cette fabuleuse trouvaille grâce à son invention des boulettes à plate forme.  Vite elle se précipita à la salle d'apprentissage. Elle y avait caché son invention loin des soldates qui autrement l'auraient confisquée, et tapa, tapa, tapa, jusqu'à ce qu'elle attendait survienne : des soldates furieuses, prêtes à la saisir et l'envoyer dans les cavernes, mais de toute sa petite voix, elle hurla dans un bout de feuille d'acacia roulée en cornet (une autre de ses inventions) :

« Termites en vue, termites »

Les soldates s'arrêtèrent net, et avant même que la capitaine puisse lui poser quelque question Léona raconta tout, les termites, le vol en feuille d'acacia et tout, elle n'avait pas fini que les soldates faisaient demi tour avec cet air désespéré qu'ont celles qui se savent perdues. Léona sentit son cœur se briser à les voir ainsi. Vite elle réfléchit et se jeta devant la capitaine au risque de se faire piétiner.

« Ecoutez-moi, écoutez-moi » hurlait-elle. Et la capitaine l'écouta, aussi bizarre que cela paraisse. Elle donna des ordres, sans trop y croire, déléguant un vingtaine de guerrière sous le commandement de Léona. Et très vite tout fut fait. Quand les termites arrivèrent, elles trouvèrent toutes les entrées sauf une, condamnées. Sûres de leurs forces, elles ne cherchèrent même pas à forcer les autres entrées. Et là à peine devant l'entrée, un bruit épouvantable avec des vibrations insoutenables leur vrilla le cerveau. La machine à BANG de Léona, frappée en cadence par des dizaines de fourmis munies de brins de limailles. Les fourmis souffraient aussi, mais ne s'arrêtaient pas pour autant. Les termites firent halte, hésitèrent et d'un seul coup portant leurs pattes à leurs têtes, on n'entendit plus que des lamentations et ce fut la débandade.

Elles ne revinrent jamais. Léona fut fêtée ; Franca en fit sa conseillère privilégiée, lui permettant d'ouvrir une classe pour apprendre aux jeunes fourmis prometteuses à se servir de leur imagination. Cette histoire se passait dans une fourmilière bien loin de la nôtre, mais vous en avez tous entendu parler de cette fourmilière légendaire : en contrée de Vincennes, et désormais toutes les fourmis connaissent aussi le nom de Léona de Vincennes.

 

bunni


Poivretsel

Il y a de cela assez longtemps, mais pas trop quand même, vivait le comte de Montempoivre. Il habitait dans la rue de Montempoivre porte de Montempoivre.

De tous temps, sa famille qui avait fait fortune dans le commerce du poivre avait vécu là. Le comte de Montempoivre était toujours muni d'un grand mouchoir à carreaux, il n'arrêtait pas d'éternuer car il avait toujours du poivre collé sur lui.

Chaque fois que le docteur lui demandait : « Dîtes trente-neuf » car il habitait au trente-neuf de la rue de Montempoivre, le comte répondait « Atchoum ! » et c'était là le mot qu'il prononçait le plus souvent.

C'est même ce qu'il avait dit au moment de demander en mariage mademoiselle Fleurdesel dont la famille avait, bien sûr, une fortune issue du commerce du sel. La jeune fille lui avait répondu « oui » dans un torrent de larmes car ses yeux étaient trop souvent irrités par le sel.

Le couple eut un enfant qu'ils appelèrent Poivretsel. Le garçon eut du reste les cheveux de cette couleur dès sa naissance, sans doute le fruit de sa curieuse filiation.

Poivretsel de Montempoivre, si fier qu'il fut de ses origines, ne se sentit pas, arrivé à l'âge adulte, la vocation de reprendre la double affaire familiale et d'épouser mademoiselle Pimentrouge comme le souhaitait son père. Il avait envie de vivre une existence n'ayant plus rien à voir avec les ingrédients de cuisine dont il avait été copieusement saupoudré durant son enfance et son adolescence.

-Pour échapper à ce destin tout tracé, il faudrait que je parte très loin, se dit-il.Au Pôle Nord par exemple.

            Il exposa son idée à son père qui s'écria, horrifié :

-Surtout pas ! J'y aie été dans mon jeune temps. J'ai bien failli n'en jamais revenir. Regarde cette cicatrice, c'est un ours polaire qui me l'a faite.

            Il exhiba son épaule.

-Mes éternuements l'effrayaient et l'empêchaient de dormir, expliqua t'il.

-Notre vie n'est elle pas assez pimentée pour toi, mon fils ? s'inquiéta sa mère.

-Ne viens pas mêler ton grain de sel, rétorqua son mari. C'est une discussion d'hommes.

-Je pourrais aller en Amérique planter du sucre de canne, dit Poivretsel.

-Le salé et le sucré ne font pas toujours bon ménage, rétorqua sa mère.

-Alors je vais me rendre en Asie, dit Poivretsel.

-Pourquoi pas ? dit son père. Les voyages forment la jeunesse.

-Evite le bateau, recommanda sa mère. Malgré ma passion pour le commerce du sel, j'ai toujours eu le mal de mer.

-Mais par voie terrestre, le voyage me prendra des années, objecta son fils.

-Un de mes amis, Astrolune, a inventé un nouveau moyen de transport, dit le comte. C'est une nacelle surmontée d'un grand ballon.

-Alors soit, dit Poivretsel, s'il accepte de me prendre à son bord, c'est avec lui que je voyagerais.

Le lendemain, le comte et son fils prirent leurs meilleurs chevaux pour se rendre chez Astrolune. Les deux bêtes n'étaient pas si bonnes que cela ; elles n'auraient jamais gagné une course, c'étaient plutôt des chevaux de labour mais bien suffisants pour faire quelques lieus.

-Vous arrivez au bon moment, dit Astrolune. Je prépare justement une nouvelle expédition. Si tu veux être mon équipier, sois ici à l'aube dans trois jours.

-J'aimerais aller en Asie, dit Poivretsel.

-Ah, pour cela, dit Astrolune, je ne peux pas te garantir que ce sera notre destination. Avec un ballon, on va un peu au gré du vent.

            Poivretsel fit son balluchon. Il emporta un carnet de voyage pour y consigner  ses aventures, sa meilleure plume, de quoi écrire à sa famille, des vêtements de rechange avec plusieurs mouchoirs à carreaux et de la nourriture jointe à des quantités un peu excessives de sel et de poivre.

            Le jour du départ, le vent était au rendez-vous. Un peu trop même.

-Vous êtes sûr qu'il ne va pas y avoir une tempête ? demanda le comte, inquiet.

-Ne vous en faîtes pas, dit Astrolune. Quand bien même ce serait, mon ballon en a vu d'autres.

  Ils décollèrent en quelques secondes et disparurent très vite du champ de vision du comte. Poivretsel tomba assis au fond de la nacelle, le souffle coupé par le vent. Son cœur battait à coups redoublés.

Au bout de quelques minutes, il fut calmé et put se relever pour aider Astrolune à manœuvrer son engin.

-Quelle impression de légèreté on a, dit-il émerveillé. J'ai le sentiment de ne plus rien peser.

-N'est ce pas ?!! dit Astrolune. C'est ma quinzième expédition mais je ne m'en lasse pas.

-Attention ! cria Poivretsel. Une cigogne à babord !

            Ils évitèrent l'oiseau de justesse.

-Les oiseaux ne sont pas habitués à mon ballon, expliqua Astrolune. Soit ils lui rentrent dedans, soient ils traversent la nacelle ou se posent sur son rebord réclamant quelques miettes de mes repas soit ils me crient dessus d'un air indigné sans doute quelque chose comme : « Intrus ! Le ciel nous appartient ! »

    Ils poursuivirent leur route une semaine durant survolant terres et rivières puis ils furent presque à sec de provisions.

-Il faut absolument que nous atterrissions, dit Astrolune. Le problème, c'est que c'est ce qu'il y a de plus difficile à faire avec un ballon. Prends ma longue-vue et dis-moi dès que tu repères une grande prairie propice à nous accueillir.

            Au bout d'une heure, Poivretsel vit un endroit qui lui parut convenir. Ils commencèrent à jeter les amarres.

            Le vent qui tombait aida à la manœuvre et leur permit de se rapprocher doucement du sol.

-Accroche-toi au bord de la nacelle, cria Astrolune.

       Malgré toutes les précautions prises, le choc de l'atterrissage fut un peu rude. Heureusement, ils tombèrent assis sur les sacs de lest en supplément au fond de la nacelle. Ils sortirent de là les jambes flageolantes.

-J'ai l'impression que le sol tangue, dit Poivretsel, le teint blême.

-Cela fait toujours cet effet, dit Astrolune. Il faut quelques heures pour se réaccoutumer au plancher des vaches.

            Ils vérifièrent que la nacelle était bien amarrée au sol puis marchèrent jusqu'à un pommier à l'ombre duquel ils s'assirent. Le soleil tapait sec et ils mangèrent chacun une des pommes à leurs pieds ce qui leur redonna un peu d'aplomb.

-Que faisons-nous maintenant ? demanda Poivretsel.

-D'abord une petite sieste, dit Astrolune. Depuis le temps que nous sommes en manque de sommeil à nous relayer aux commandes, cela nous fera du bien. Je n'étais jamais resté dans le ciel aussi longtemps sans faire escale. C'est en partie grâce au temps clément que nous avons eu jusqu'ici et grâce à tes compétences. Tu es le meilleur équipier que j'ai jamais eu.

            Poivretsel rougit de plaisir. Il n'était pas habitué aux compliments. Ses parents ne lui trouvaient pas de compétences particulières pour le commerce.

-Ton père est monté une fois en ballon avec moi, reprit Astrolune. Il est devenu vert comme une salade en moins de dix minutes, nous avons du redescendre d'urgence.

            Il bailla, Poivretsel l'imita et, bientôt, ils ronflaient à qui mieux mieux. Ce fut une voix qui les tira de leur sommeil quelques heures après.

-J'an vois daux qui s'an font pes ! dit la voix.

-Pardon ? dit Astrolune.

-C'ast e vous, la truc bizarre dens mon chemp ? demanda l'homme.

             Les deux explorateurs, ouvrant les yeux, virent qu'ils avaient affaire à un paysan.

-Pourquoi parlez-vous en inversant les « e » et les « a » ? questionna Poivretsel.

-Ja seis point da quoi vous perlaz, dit le fermier. On e toujours perla comma ce dens la coin.

C'ast vous qui perlaz point comma nous.

            Ils se regardèrent et se mirent à rire.

-Qu'ast ca qua vous âtes vanus feira dens la coin ? reprit le paysan.

-Nous sommes de grands voyageurs, dit Astrolune.

-Des explorateurs, renchérit Poivretsel.

-Nous nous sommes posés ici pour reprendre des provisions, nous n'avons plus rien à boire ni à manger, ajouta Astrolune.

-Mas peuvras gans ! dit le paysan. Vanez vita dens me farma qua me famma vous fessa e mengar.

            Les deux voyageurs apprirent progressivement qu'ils étaient dans un coin de campagne perdu quelque part à l'est de l'Europe. Ils se trouvaient au fond d'une grande gorge où il ne venait pas trois visiteurs par an. Tous les alentours défilèrent pour les voir, eux et leur drôle de ballon. Le paysan les persuada de passer la nuit chez lui et de reprendre leur route seulement le lendemain.

            Mais, au matin, horreur, le ballon avait disparu !

-Ca doit atre las brigends da le montegna qui l'ont vola, dit le fermier.

-Mas c'est une catastrophe, une abomination, le pire crime de tous les temps ! rugit Astrolune. Me voler mon invention, la plus grande, la plus belle, la plus magnifique qui soit ! On me coupe les ailes ! On m'empêche de voler ! On...

            Il ne put en dire plus. Rouge comme une tomate, il semblait au bord de l'apoplexie.

-Calme toi, je t'en prie ! dit Poivretsel. Nous allons la retrouver.

-Il y a intérêt, gémit Astrolune. Il faudrait au moins un mois pour en construire un autre et, de toute façon, il n'y a pas du tout ce qu'il faut ici pour cela.

-Las montegnas s'atandant sur das kilomatras, vous pouvaz charchar pandent das mois sens las ratrouvar, dit le paysan.

-Mon père m'avait dit que tu avais dessiné les plans d'une autre machine volante, dit Poivretsel.

-Oui, une sorte de bicyclette à deux places avec une aile au dessus et une hélice au niveau du porte-bagages, dit Astrolune, mais cela n'a ni le confort ni la rapidité ni la stabilité du ballon.

-Ja paux vous donnar un viaux valo qua j'ei dens me grenga dapuis das lustras, dit le paysan.

            Les deux explorateurs se regardèrent et dirent ensemble :

-Bon, essayons.

-Voler avec cet engin pourra toujours nous aider à repérer le ballon, ajouta Astrolune.

            Avec de vieux sacs en toile de jute et quelques bouts de bois, ils firent une aile. Pour l'hélice, ce fut plus compliqué mais ils s'en sortirent avec des bouts de girouette et de râpe à fromage.

            Poussé par le paysan, le vélo volant prit contre toute attente son envol. Il ne tint pas plus d'un kilomètre mais ce fut très suffisant pour repérer le ballon dissimulé au milieu d'un nid naturel composé de rochers.

-Il est là ! rugit triomphalement Astrolune, en pédalant à triple allure dans sa direction.

            Face à la violence de cette action, l'aile du vélo volant donna des signes de faiblesse et l'engin piqua du nez droit vers le ballon.

            Un des voleurs dormait au soleil à côté de la nacelle. Il sentit d'abord une ombre sur lui et, avant qu'il ait eu le temps de reprendre ses esprits, il fut assommé, écrabouillé, complètement en compote à cause de la machine volante qui lui tomba dessus.

            Astrolune et Poivretsel en abandonnèrent les restes. Ils bondirent dans leur cher ballon et larguèrent les amarres.

            Le chef des voleurs, s'éveillant, s'étira paresseusement et dit :

-Bah ! Tant pis ! Monter dans ce truc avait l'air un peu trop dangereux pour nous. On est plus en sécurité sur la terre ferme que dans le ciel.

            Une avalanche de rochers, déclenchée par les sacs de lest largués pour faire décoller le ballon, lui prouva le contraire.

             Les deux voyageurs respiraient à pleins poumons l'air frais des montagnes depuis leur ballon.

-Avec tout cela, dit Poivretsel, nous n'avons toujours pas de provisions.

-Erreur ! rugit de joie une nouvelle fois Astrolune. Regarde au fond de la nacelle ! Les voleurs avaient sûrement prévu de partir en expédition sous peu, il y a tout ce qu'il faut même un jambon entier et des outres de vin. Hip hip hip hourra !

              Peu après, quelques coups de vent plus tard, ils se trouvèrent au dessus de la mer.

-Nous allons descendre un peu pour pêcher du poisson, dit Astrolune. J'ai une canne à pêche à rallonge que j'emmène toujours spécialement à cet effet.

            Aussitôt dit aussitôt fait, l'appât plongea dans les vagues sous la conduite d'Astrolune tandis que Poivretsel veillait à la bonne marche du ballon.

-J'en tiens un ! J'en tiens un ! cria brusquement Astrolune. Il a même l'air sacrement gros. Viens m'aider !

            Un torrent d'injures retentit en dessous d'eux.

-Espèce d'âne ! Pélican qui ne sait pas où poser son bec ! hurla une voix. Vous avez attrapé un de mes filets, il est tout troué maintenant. Vous croyez que je n'ai que cela à faire que le raccommoder ?!! Moi qui n'aie déjà pas trois instants de libre pour manger ! Je suis le marchand de sable, j'étais venu me ravitailler sur cette plage entre deux personnes à endormir. Pour vous punir, je vais utiliser un échantillon de ce précieux sable rendu magique par mes pouvoirs.

            Il joignit le geste à la parole. Avant même d'avoir pu protester, les deux explorateurs sentirent leurs yeux cligner et se fermer. Ils plongèrent dans le pays des songes.

            Le ballon dériva longtemps jusqu'à une île au milieu de la mer où il se creva sur un pan de rochers et commença à se dégonfler. La nacelle, déséquilibrée, pencha dangereusement vers la droite et ses deux passagers tombèrent à l'eau ce qui eut pour effet de leur faire reprendre leurs esprits.

            Comme ils n'étaient heureusement  pas loin d'une plage, ils poussèrent la nacelle jusque là.

-J'ai assez de matériel pour réparer le ballon, dit Astrolune, mais il va falloir que nous allumions un grand feu pour le regonfler. J'espère qu'il n'y a pas de sauvages dans les parages.

            Mais le silence régna, seulement rompu par des cris de singes et des jacassements de perroquets. Un nuage gris vert s'avança vers eux et se mit à pleuvoir une étrange pluie gris-vert sur le ballon, éteignant le feu. Suivant le nuage, quelques bourdons se mirent à tournoyer autour des explorateurs.

-Quel est ce pays où la pluie a la couleur des perroquets et où les bourdons sont aussi larges que mon petit doigt, grogna Astrolune. Il faut les chasser, ils risquent de faire d'autres trous dans le ballon, invisibles à l'œil nu, et, alors, nous ne pourrions plus jamais le réparer.

-Non, ne les écrase pas, dit Poivretsel. Je suis sûr qu'ils sont inoffensifs. On dirait qu'ils veulent nous demander quelque chose.

            Comme pour confirmer ses paroles, l'un des bourdons vint se poser sur sa main.

            Poivretsel caressa précautionneusement son duvet soyeux et, aussitôt, le bourdon se transforma en une ravissante jeune fille.

-Tu m'as délivré, dit-elle. Je m'étais moquée de la verrue qu'un méchant démon avait sur le nez et, pour me punir, il nous avait métamorphosés, moi et ma famille. Seul un humain nous apportant attention et compassion pouvait nous délivrer.

            Les cinq bourdons redevenus humains aidèrent les deux voyageurs à réparer leur ballon. La jeune fille qui s'était posée sur la main de Poivretsel exprima le désir de les accompagner chez eux.

-Ma famille commerce le miel, dit-elle. Nous pourrions travailler avec votre famille.

-C'est une excellente idée, dit Poivretsel, les yeux brillants.

             Tous trois rentrèrent donc sans autant de mal qu'à l'aller en deux semaines chez le comte de Montempoivre. Dans l'intimité étroite qu'offrait le ballon, Poivretsel et Baguettes d'Or (ainsi se nommait la jeune fille à cause des baguettes qui retenaient ses cheveux attachés) tombèrent éperdument amoureux l'un de l'autre.

            Leur prochain voyage en ballon sera, n'en doutez pas, une merveilleuse lune de miel.

 

Sandrine Liochon

bunni


La fleur de fougère

Ce soir là , les roulottes se sont arrêtées à la lisière de la forêt . La soupe d'orties et de viande cuit dans le chaudron . Les femmes préparent le reste du repas . Les hommes se sont resserrés autour du feu qu'ils ont allumé : certains  jouent aux dés , un autre fait chanter son violon ... Les chevaux , détachés s'ébrouent et l'on entend vibrer leurs longues lèvres . Les enfants accroupis sur le sol jouent tout en chuchotant , sensibles au silence environnant . La nuit est sombre mais paisible .
Kéja , la petite tzigane se tient debout un peu à l'écart , elle écoute la vie nocturne qui s'éveille . Elle est bien , détendue . Tout est si calme ! Elle regarde vers la forêt et soudain se sent irrésistiblement attirée par elle . Elle hésite mais bientôt , n'y tenant plus , elle s'engage sur le sentier qui zigzague vers les arbres touffus . Personne ne fait attention à elle . Ses pieds nus s'enfoncent dans la mousse . L'obscurité s'épaissit car les arbres forment comme une voûte au-dessus de sa tête . Kéja avance sans crainte . Une chouette pousse un cri . Kéja ne tremble pas , elle avance encore . Le sentier se rétrécit , Kéja avance toujours ... Elle pénètre de plus en plus dans la forêt , sans peur ... Tout à coup , une clairière apparaît au détour du sentier . Kéja distingue une silhouette sombre sous un énorme chêne , au beau milieu de la clairière . Elle ne tremble pas , s'avance encore un peu . c'est une vieille femme qui est là .
-Vous avez besoin de quelque chose , grand-mère ?demande la petite tzigane .
La femme tourne la tête et déjà Kéja découvre deux yeux noirs au regard perçant au milieu d'un visage blafard . La bouche est mince , les lèvres décolorées . La femme la fixe un long moment avant de répondre :
-Je n'ai besoin de rien .
Kéja mal à l'aise voudrait s'en aller rebrousser chemin mais la vieille femme ajoute :
-Tu es bonne , petite tzigane , et généreuse... Laisse moi te révéler un secret , celui de la fleur de fougère qui ne fleurit qu'une fois , la nuit de la Saint-Jean , lorsque les cloches des églises égrainent les douze coups de minuit .
-la fleur de fougère... balbutie Kéja.
-Celui qui la cueille obtient la richesse mais aussi le pouvoir de deviner l'avenir , le sien et celui de tous les autres . Si tu le souhaites , bientôt , tu pourras jeter ta vieille robe trouée . Tu seras riche . Tu pourras te vêtir de vêtements de soie et te couvrir de d'or et de pierreries . Ecoute...
Tu avanceras tout droit , par-là ... et la main décharnée indique un chemin toujours tout droit . Bientôt , un serpent se dressera sur ta route , ne détourne pas le regard , il ne te fera rien .
-un serpent!
-Tout droit , toujours tout droit ! Alors , tu apercevras un château magnifique .
Des cuisines te parviendront des odeurs alléchantes de viandes grillées et de pâtisseries . Par les fenêtres ouvertes des salons , tu entendras une musique envoûtante et les bruits d'une fête .Ne t'arrête pas ! marche tout droit , toujours tout droit!
-un château! une fête!
-tu entendras les sabots d'un cheval , un jeun et beau chevalier t'interpellera , n tourne pas la tête , ne le regarde pas ...
-un cavalier!
-Avance encore , toujours tout droit ... Lorsque , tu entendras la cloche d'une église sonner les douze coups de minuit , tu découvriras devant toi la fleur de fougère .
-la fleur de fougère!
-Cueille-la et emporte la . tu seras alors riche , très riche ! Et capable de connaitre l'avenir...
La petite tzigane voudrait demander des précisions , des explications ... elle hésite ... regarde dans la direction  indiquée par la vieille femme puis tourne à nouveau la tête vers le chêne . Celle-ci a disparu.
La petite tzigane hésite , les autres ,là-bas vont bientôt manger , la chercher ...elle tourne le regard en direction des roulottes mais , c'est cette nuit , la nuit de la Saint-Jean ... Savoir de quoi demain sera fait , prédire l'avenir , devenir riche ...l'envie la presse , la crainte soudain ...Elle hésite encore et encore puis ...
Elle ira , c'est décidé .
Alors , elle avance dans la direction indiquée par la vieille dame , avance sans plus hésiter , tout droit .
Les arbres se serrent , les buissons s'épaississent , le sentier rétrécit . Kéja marche d'un pas décidé , court presque . Les branches accrochent sa robe au passage . Elle se dégage vivement , avance encore , tout droit .Soudain , un serpent à l'énorme gueule se dresse au milieu du petit sentier , tête dressée , prêt à bondir .Kéja frissonne , mais ne détourne pas le regard .Elle fixe le serpent et se faufile entre la haie touffue des arbustes et l'animal .Celui-ci disparaît en sifflant sans attaquer la fillette.
Elle accélère .Le sentier est si étroit que les branches égratignent ses bras nus jusqu'au sang . Elle continue sa course sans prêter attention aux épines qui déchirent sa pauvre robe .Ce n'est plus dans la mousse que s'enfonce ses pieds nus . Les pierres aiguës l'ont remplacée depuis longtemps mais Kéja court maintenant , insensible à la douleur .Tout droit , toujours tout droit ...La nuit est de plus en plus sombre . La forêt dissimule les étoiles qui pourraient la guidée .Elle court ,Kéja, elle court , n'entend même plus son cœur qui bat la chamade et s'emballe ! Elle suit ce chemin montré par la vieille femme , ne pense qu'à la fleur de fougère , échappe peut-être à son destin et court ,court.....

Et voilà qu'un château fabuleux se profile , brillant au mille feux d'une fête aux chandelles . Il est plus somptueux que tout ce qu'elle pouvait imaginer ! Une musique plus gaie qu'un violon tzigane qui chante , plus triste aussi qu'un violon tzigane qui pleure parvient à ses oreilles .Elle aperçoit des hommes et des femmes richement vêtus qui dansent et tourbillonnent .Instinctivement , elle ralentit le pas ,hume le fumet des viandes grillées qui s'échappe des fenêtre du rez-de-chaussée .Ne t'arrête pas petite tzigane , ne t'arrête pas !La voix de la sombre grand-mère résonne dans sa mémoire .Tout droit, tout droit ...ne t'arrête pas !Elle reprend sa route , pleine de regrets mais laisse le château derrière elle .

Le bruit d'une cavalcade s'approche ,un beau et jeune cavalier monté sur un fier coursier noir approche .elle court Kéja , elle court !il est de plus en plus proche , sa main tient un bouquet de roses . "C'est pour toi !" crie -t-il .
kéja est tentée de s'arrêter , de répondre , il semble si aimable et si joyeux !Ne t'arrête pas ,Kéja ,le cœur d'une tzigane n'est pas fait pour un étranger aussi beau soit-il ! Cours ,cours  tout droit , toujours tout droit !Le cavalier disparaît . Kéja avance encore , elle tend l'oreille , croit entendre ... mais oui !C'est bien une cloche ...une église ... elle compte les coups ... dix ...onze ...douze ...

soudain devant elle , apparaît une fleur magnifique , la fleur de fougère .Elle scintille comme un diamant aux mille facettes , elle est délicate , parfumée ... Elle ne ressemble à aucune autre , et renvoie le reflet de la lune enfin dégagée ...
Kéja tend la main , va la cueillir , l'effleure ...

Elle arrête son geste , la main comme suspendue dans les airs ...
Qu'allais-tu faire ? se dit-elle .Es-tu folle Kéja? A quelle vie te préparais-tu ? La richesse , les beaux atours , les bijoux ? A quoi bon ? Connaître l'avenir ? Savoir à l'avance de quoi demain sera fait ? Ne plus avoir le bonheur d'espérer ? Ne plus connaître le désir ? l'inquiétude , l'impatience ? Ne plus avoir la joie de la surprise ? Rien de nouveau à découvrir ? Laisse là cette fleur de fougère , Kéja !
Qu'importe la faim , le froid les incertitudes du moment qui vient , l'orage ,la pluie ,le vent !
Qu'importe les pieds nus , les robes trouées ,les cailloux du chemin et les épines des arbres !

Alors , Kéja rebrousse chemin en riant ,vers les roulottes , sans cueillir la fleur de fougère .


   

bunni


Le mystérieux secret d'Islambad

Il était une fois dans la ville d'Amerah ,au centre d'Islambad une immense Bibliothèque qui contenait les plus grands ouvrages du monde entier. Jamais personne jusque là n'eût la sagesse d'esprit de percer le mystérieux secret ! Le secret enfermé à l'intérieur de chaque ouvrage. Ce secret que l'on entendait murmurer entre deux mots dans une conversation, ce secret qui se hurlait tout seul dans la foule de peur de n'être point entendu. Le secret que le tonnerre, la foudre et le vent n'apportaient pas avec eux. Le secret que chacun portait en soi, sans même le savoir.

Un jour alors que le ciel se couvrait de plus en plus, dans une demeure non loin de là, à Bagambab (une ville voisine d'Islambad) une jeune femme allait mettre au monde un enfant.

Le temps se faisait de plus en plus lourd quand soudain l'énorme foudre s'abattît sur Islambad et au même moment on entendit les cris de l'enfant qui venait de naître.

Un enfant bien particulier, celui qui portait en lui le secret. Ses parents la nommèrent "liséa ".
Elle grandissait très vite ! Liséa était sage et intelligente. Petit à petit lui vint la passion pour la lecture. Ses parents fascinés par son talent littéraire lui payèrent donc le voyage pour se rendre à la fameuse Bibliothèque d'Islambad renommée pour ses ouvrages.

Elle s'y rendit donc...Deux jours plus tard Liséa et ses dix sept années de sagesse d'esprit se retrouva devant l'immense porte du bâtiment.

Elle la poussa d'un geste vif et sûr, monta l'escalier de verre et se présenta à l'accueil, demandant une carte d'accès à la salle principale. 

Le vieil homme de l'accueil lui demanda son nom, " Lisea " lui répondit-elle.
Le vieil homme sut immédiatement que Liséa serait celle qui découvrirait le mystérieux secret.

Les jours, les semaines passèrent Liséa devint amie avec le vieil homme.
Cette jeune virtuose dévorait les ouvrages un à un et quand au bout d'une année elle eût fini de consulter tous les livres de la salle, en sortant de la bibliothèque, Liséa dit au vieil homme :

" en lisant chaque livre cette semaine j'ai remarqué qu'il y avait toujours dans chacun d'entre eux un message d'amour. Et quand je finissais un livre je me sentais meilleure et plus heureuse ". Puis elle sortit.

Le vieil homme eût un soupir de joie, Liséa avait trouvé le secret se disait-il ! C'est l'amour que l'on donne qui rend le monde meilleur. L'amour que chacun porte en soi. Le vieil homme mourût sur sa chaise, apaisé de toute inquiétude. Désormais son secret était en paix avec Liséa et désormais le monde dans lequel elle grandirait serait meilleur !