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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


Le Trésor

Le meunier était malheureux et lui-même n'aurait su dire pourquoi. Jamais personne ne l'avais vu sourire, ou entendu rire, puisque rien ne lui procurait de joie.

Et voilà maintenant qu'il se mettait à faire ce rêve étrange : il longeait vers le sud de la rivière où se tenait son moulin et, à trois jours de marche, il arrivait devant une ville entourée de remparts. Au coeur de cette ville, se dressait le palais du roi et pour y accéder, il fallait passer sur un pont. Le meunier rêvait qu'en creusant sous ce pont, il trouvait un trésor inestimable.

Un matin, il se réveilla après avoir fait le même songe. Il prit une pelle avec une besace contenant un peu de nourriture et ferma le moulin. L'homme marcha pendant trois jours et tandis qu'il cheminait, il s'imaginait tout ce qu'il pourrait faire grâce à ce trésor ; oh! comme il serait heureux!

A l'aube du troisième jour, il arriva devant la grande ville. Il trouva facilement le palais du roi et là, sous le mont qui y menait, à l'aide de sa pelle, se mit à creuser.

Le meunier fouillait la terre depuis une bonne heure, lorsque les gardes du palais le surprirent en pleine besogne. Ils s'emparèrent de lui et l'amenèrent devant leur capitaine.

- Nous avons trouvé cet homme en train de creuser devant le palais, lui dirent-ils, c'est un espion, sans aucun doute!

- Ah non, protesta le meunier, je ne suis pas un espion. Je cherchais un trésor caché sous le pont.

- Et pourquoi pensais-tu y découvrir un trésor? lui demanda le capitaine soupçonneux.

- Eh bien, répliqua le meunier un peu gêné, j'ai fait plusieurs fois un rêve et dans ce rêve, je déterrais un trésor enfoui sous ce pont.

Le capitaine partit d'un grand éclat de rire :

- Comment peux-tu être aussi bête pour suivre tes rêves? Si j'écoutais les miens, je marcherais vers le nord pendant trois jours en suivant la rivière et je trouverai un moulin. Il faudrait que je creuse au coeur de ce moulin pour trouver un trésor qui ferait de moi un homme immensément riche. Mais je ne suis pas fou!

Et il ordonna à ses gardes d'escorter l'homme aux portes de la ville et lui en interdit désormais l'accès. Le meunier, songeur, se hâta de retourner chez lui.

Là, il creusa au beau milieu de son moulin et déterra un petit coffre vermoulu. Il contenait seulement un vieux parchemin. En le déroulant, le meunier put y lire inscrit en lettres d'or :

"Ce qu'il y a de plus précieux au monde est à l'intérieur de toi."

Le meunier se mit à rire en comprenant le message. Il était allé bien loin chercher le trésor qu'il portait en lui depuis toujours.

Ce trésor était son coeur et tout le bonheur du monde y était contenu.

bunni

#271

L'Éternel Présent

« Quand on a le physique de l'emploi, on en a l'âme. »
MAUPASSANT

Parmi tous les phénomènes mystérieux qui existent dans l'univers, il en est un qu'on est à même de constater chez le petit brocanteur, situé rue des Miracles, qui mérite d'être notifié. À peine a-t-on franchi la porte de son arcade située au fond d'une impasse, que l'on se sent propulsé dans de multiples époques figurées par des meubles et des bibelots entassés dans cet espace restreint. Les objets paraissent contenir une foule d'informations sur des moments éclatés de l'histoire et sur les gens les ayant possédés. La vue de tant d'existences attestées par ces gages humains engourdit les sens.
En caressant d'anciens jouets restaurés bien des fois, on croirait entendre les rires des enfants les ayant manipulés. Un cheval de bois bascule imperceptiblement, comme animé par des forces invisibles ; de vieilles horloges paraissent indiquer l'heure qui leur convient ; de vieilles photographies témoignent des quartiers, des commerces, ainsi que des traditions d'une époque aujourd'hui révolue. On se doute de ce qu'il est advenu de cette famille posant pour un photographe, dont l'estampille située au dos de l'image indique une date ayant tout d'une épitaphe. Les tiroirs d'un vieux secrétaire, ayant peut-être appartenu à un notaire, renferment-ils de terribles secrets enfouis dans les tombes ? Le regard vitreux du petit chien empaillé et fixé sur un socle semble avoir cligné ; attend-il ses maîtres, hélas, aujourd'hui disparus, à qui il doit son drôle d'état ? Pareillement, une chouette vit les yeux grands ouverts, l'obscurité est pour elle permanente ; à la vue des pipes en écume de mer, alignées sur les rayonnages d'une vitrine, on pourrait encore percevoir les aspirations de grandes bouffées d'air mêlées de tabac de ceux qui s'en sont servis pour fumer ; en feuilletant les pages de vieux ouvrages empilés sur des étagères, on se laisserait facilement envahir par l'aura de ceux qui les ont écrites, il y a longtemps ; les particules de poussière, que l'on trouve jusque dans les moindres recoins, témoignent, elles aussi, d'un passé révolu.
Mais, le plus envoûtant, le plus vibrant de tous ces objets hétéroclites, ne serait-il pas celui qui arbore un visage humain ; tel l'autoportrait d'un peintre anonyme du dix-septième siècle suspendu sur le pan d'un mur ? Il s'agit de la représentation, à la fois idéaliste et réaliste d'un créateur en pleine possession de son art et de ses moyens ; celui-ci s'est lui-même représenté au centre du tableau, en pied, de trois quarts ; la pose qu'il prend suggère que le peintre a été, comme surprit, en pleine activité ; son geste est comme suspendu dans l'espace ; dans sa main droite il tient délicatement entre ses doigts longs et fins quelques pinceaux, de l'autre, il porte une palette couverte d'une boue arc-en-ciel. Le visage peint confère aux traits l'expression animée d'un individu qui s'apprête à dire quelque chose d'important. La toile inachevée au second plan, sur laquelle œuvre l'artiste, représente un paysage, dont le message paraît éternel ; les détails et le rendu de la matière apportent un relief à l'ensemble et en particulier au personnage dont on a le sentiment de pouvoir le toucher en avançant la main. On peut déceler dans le regard du peintre la vitalité de son esprit, ses yeux légèrement plissés, scrutateurs et fixes, ne laissent pas le spectateur indifférent pour ce qu'ils ont d'hypnotique.
Le brocanteur, qui n'est jamais loin, semble être l'une de ces présences fantomatiques qui hantent les lieux. L'aspect sec et presque momifié qu'il doit à son âge avancé accentue la troublante impression pouvant étreindre le spectateur réceptif. Lui, qui ne voit plus venir personne dans sa boutique, paraît s'être donné pour mission d'accompagner ces objets quelques années encore, avant qu'ils ne soient dispersés chez d'autres commerçants. Ce marchand, le dernier de sa génération, qui a une quantité invraisemblable d'enterrements à son actif, vit seul ; il n'a en vérité plus que tous ces vieux objets pour lui tenir compagnie. Ils semblent parler le même langage, un langage dont le brocanteur n'avait capté d'abord que des bribes, jusqu'à ce que la communication soit parfaitement établie entre eux ; l'homme ayant à son tour vieilli. Lui aussi allait payer son tribut à l'histoire, afin d'appartenir corps et âme au passé. Avec un peu d'imagination, on pourrait trouver entre le vieil homme et le portrait peint une certaine ressemblance pour le moins troublante ; il transparaît dans leur regard un semblable éclat, quoi qu'éteint, chez le vieil homme. Leur silhouette étant pour ainsi dire la même, on en viendrait à se demander s'il existe un lien de parenté qui relie ces deux êtres à quelques siècles d'intervalle ? Cette impression, - cette illusion fantastique - c'est bien sûr au peintre à qui il en revient tout le mérite ; ce dernier a tellement dû s'investir dans son œuvre, tellement y mettre de lui-même afin de parvenir à un résultat si criant de vérité, qu'on eût dit qu'il lui était possible, de s'extraire du tableau, de l'enjamber même ardemment, afin de s'intégrer au Présent.

William Wilson

bunni


Le collier de perle de pluie

Il était une fois une très belle princesse, du nom de Soraya. Elle était réputée pour son caractère capricieux. Son père, le Roi, aimait passionnément son unique enfant, et cherchait à satisfaire le moindre de ses désirs. Un jour, la princesse, qui s'ennuyait mortellement dans son palais, regarda distraitement la pluie tomber. Les gouttes de pluie brillaient sur le bord du balcon, et lui donnèrent une idée.
- Je veux un collier de perles de pluie, demanda-t-elle à son père.
Dans l'heure les orfèvres du royaume étaient convoqués.
- Il faut fabriquer le plus beau des colliers en perles de pluie, pour Soraya, ma fille.
Les orfèvres consternés, lui firent mille autres propositions. Soraya refusa rageusement. Le Roi eut alors l'idée de prononcer un édit, offrant mille diamants à celui qui serait capable de fabriquer ce collier. Un petit cordonnier du nom de Chaban ayant apprit la nouvelle, quitta immédiatement son village et marcha trois jours et trois nuits pour arriver au palais.
- Je peux fabriquer le collier de perles de pluie pour la princesse Soraya, annonça-t-il au Roi.
- Mais tu n'es qu'un simple cordonnier, comment feras-tu ?
- Cela me regarde, j'ai simplement une condition qu'il vous faut accepter, Ô! Roi, avant même que je commence.
- Ce que tu désires, dit le Roi, car rien n'est impossible s'il s'agit de satisfaire ma fille.
Soraya était folle de joie, c'est alors que Chaban demanda :
- Tout d'abord, je veux que la princesse enfile elle-même les perles de pluie et surtout que jamais la princesse Soraya ne porte ce collier.
- Mais pourquoi, ne devrais-je pas porter ce collier de perles de pluie ?
- Car toute personne portant un collier de perles de pluie, risque de disparaître à tous jamais dans le royaume de l'oubli. Son maître est très cruel envers des personnes qui oseraient porter ce collier de perles de pluie.
A ces mots, la princesse Soraya trembla de peur et se demanda quelle folie avait bien pu lui passer par la tête. Le cordonnier et la princesse Soraya, passèrent plusieurs de jours à confectionner ce fameux collier aux perles de pluie. Quand le collier fut enfin terminé, le cordonnier fit encore quelques dernières recommandations à la princesse Soraya.
- Surtout souvenez-vous bien de ce que je vous ai dit à propos de ce collier, il y a quelques jours. Ne le portez jamais car cette erreur de votre part pourrait vous être fatale.
C'est à ce moment-là, que le roi entra dans la pièce et dit au cordonnier:
- Voilà, la coutume veut, dans notre pays, que le jeune homme qui réussira à satisfaire la princesse, d'un rêve impossible que celle-ci en ait formulé le désir, deviendra Roi à la place de celui qui gouverne actuellement. Et c'est ce qu'il va se passer pour vous cher Chaban.
Une cérémonie eut lieu pour célébrer la victoire de Chaban simple cordonnier. Les jours et les nuits passèrent, et la princesse Soraya tomba amoureuse de Chaban. Un mois plus tard, la cérémonie du mariage de la princesse Soraya et du Roi Chaban eut lieu ; il dura pendant cinq jours et cinq nuits.
Mais un jour la princesse Soraya étant seule, alla chercher le collier de perles de pluie, qu'elle conservait dans un de ses nombreux coffrets bijoux. Elle voulait tellement ce si beau collier, qu'elle l'accrocha autour son cou, et aussitôt, elle fut entourée d'un nuage de fumée. Avant de disparaître, elle eut juste le temps de crier:
- Chaban, vient me sauver !
Et elle sombra dans le monde de l'oubli. Chaban se précipita dans la chambre de son épouse, et aperçu le coffret qui devait contenir le collier de perles de pluie, et il comprit aussitôt ce qu'il venait d'arriver à sa femme.
Il alla voir un très grand sorcier pour lui réclamer de l'aide.
Celui-ci lui répondit de sa voix tremblante :
- Voilà mon garçon, pour sauver la princesse Soraya, tu dois reconfectionner un collier de perle de pluie. Tu devras le mettre et toi-même tu seras projeté dans le monde de l'oubli. Une fois là-bas, tu devras combattre le maître des lieux.
- Ho merci, Grand sorcier, ton aide m'est toujours aussi précieuse à chaque fois que je viens te voir.
Le Roi Chaban alla donc confectionner un deuxième collier de perles de pluie. Il
se mit pendant plusieurs jours, à la construction du collier. Une fois celui-ci terminé, Chaban le mit et fut lui aussi à son tour entouré d'un nuage de fumée, et c'est ainsi que Chaban tomba dans le monde de l'oubli. Il trouva la princesse Soraya, mais juste à ce moment-là, le maître de ce monde mystérieux apparut et un combat s'engagea entre celui-ci et Chaban. Au bout de quelques heures, le Roi Chaban mit un terme à ce combat en portant un coup fatal au maître du royaume de l'oubli, qui mourut dans un dernier sursaut. Le maléfice fut rompu, et, le Roi Chaban et la princesse Soraya retournèrent chez eux. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup enfants.
Maintenant cette aventure terminée, la princesse Soraya put porter son collier de perles de pluie autant qu'elle le désira.

Virginie Fleuranceau

bunni


Le dragon

À une époque très éloignée de la nôtre, il y a bien, bien longtemps, dans un pays situé au-delà des montagnes qui bordent l'Arménie, vivait un roi.
Ce roi était très riche et très puissant. Il possédait une quantité incalculable d'or et d'argent, beaucoup de villes florissantes, une armée innombrable ; mais il n'avait pas d'enfant, et cela détruisait toute la joie qu'il aurait pu avoir de sa puissance et de ses trésors.
– Après moi, se disait-il, je ne laisserai point de postérité. À quoi bon être roi ?
Et nulle chose, dans sa vie, n'avait pour lui aucune douceur.

Un jour, il se promenait, seul et triste, dans un de ses jardins, lorsque, tout à coup, il aperçut un joli serpent qui, au milieu de sas petits, se chauffait au soleil. L'un des jeunes serpenteaux, pour jouer, s'enroulait au cou de sa mère ; un autre lui glissait sous le ventre ; un troisième lui plongeait sa tête dans la gueule ; un quatrième la léchait avec sa petite langue fourchue.
Dissimulé derrière un buisson, le roi contempla longtemps ce spectacle ; puis, en soupirant, il s'écria :
– Ainsi, même un serpent a de l'amour pour ses petits ! Il trouve sa joie à les caresser. Et moi, j'ai de l'amour plein le cœur, mais pour un enfant que je n'ai pas. Que n'ai-je au moins un petit serpent à chérir, et qui me consolerait !

Le roi avait dit ces paroles sans réflexion, et il n'y pensa plus ; mais à peine un an s'était-il écoulé, que la femme du roi mit au monde un petit serpent.
Dès que ce reptile fut né, il se mit à grandir, à grandir avec une effrayante rapidité ; en quelques instants, il devint un véritable dragon.
La reine et tous ceux qui l'entouraient, saisis de terreur, prirent la fuite. Le nouveau né, se voyant seul, commença à pleurer. Mais quelles horribles clameurs, que les plaintes de ce jeune dragon ! Elles s'élevèrent si haut que tout le monde, dans le palais, en trembla.
Personne n'osait annoncer au roi que sa femme avait mis au monde un serpent ; mais, lorsque les cris de son fils lui arrivèrent aux oreilles, il s'informa d'où venait ce bruit épouvantable. On fut bien obligé de lui dire la vérité.
Le roi se rappela ses imprudentes paroles, et, de regret, il se mordit les doigts. Puis il interrogea ses serviteurs.
– Quelle est, dit-il, la taille de ce dragon ? Est-il aussi grand qu'un homme ?
– Sire, lui répondit-on, il n'a pas encore la taille d'un homme ; mais il grandit si vite qu'il l'aura bientôt dépassée.
Le roi réfléchit un moment.
– Que décider ? dit-il. Ce qui est fait est fait ; serpent ou dragon, cet être est mon enfant. Il faut le garder et lui donner de la nourriture, pour qu'il ne meure pas.
On apporta au dragon toutes sortes d'aliments ; mais n'en voulu rien prendre et continua de pousser des plaintes effroyables.
Le roi fit venir tous les savants du royaume.
– Que faut-il faire manger au serpent ? leur demanda-t-il. Je ne veux pas qu'il meure.
– D'après ce que j'ai lu dans mes livres, répondit l'un des savants, un dragon de cette espèce ne peut manger que des jeunes filles.
Les autres confirmèrent au roi qu'il en était ainsi.
Malgré tout son désir de ne pas laisser mourir de faim son étrange fils, le roi, qui était juste et humain, jugea bien cruelle cette façon de le nourrir ; mais, pour éprouver les savants, il leur dit :
– Eh bien, je suivrai votre conseil. Commençons par la fille de celui qui a parlé le premier, et ce sera ensuite le tour des vôtres, à vous tous qui avaient approuvé ses paroles.
Alors les savants se troublèrent, et ils dirent au roi :
– Sire, nous sommes prêts à sacrifier nos filles pour assurer la vie de votre enfant ; mais, quand il les aura mangées, que ferez-vous ? Ne croyez pas que vous trouverez chez tous vos sujets le même dévouement et même dévouement et la même obéissance : quand vous en viendrez à demander au peuple ses filles, il se révoltera ; vous pouvez y perdre le trône et la vie. Envoyez plutôt des émissaires en d'autres royaumes, pour y enlever les filles et les amener ici.

Le roi n'approuva point cet avis ; mais il ne voulait pas non plus laisser périr le dragon. Sans dire une parole, il se retira, ne sachant pas ce qu'il devait faire. Comme le soir était venu, il se coucha, et, après une longue agitation, il finit par s'endormir.
Pendant son sommeil, une vielle femme lui apparut. Malgré son âge, elle était belle et douce à voir. Ses cheveux d'argent rayonnaient comme un métal en fusion et son visage, peu ridé, avait quelque chose de lumineux. Ce qui faisait reconnaître en elle une vieille femme, c'était, avec la blancheur de ses cheveux, son regard pensif, comme celui d'une personne qui a vu beaucoup de chose et qui a longuement réfléchi. Tout, en elle, respirait la bonté.
– Tu as bien fait, dit-elle au roi, de ne pas consentir dans ton cœur au sacrifice d'innocentes jeunes filles ; mais je viens te dire que tu peux, sans mal faire, suivre l'avis de tes conseillers. Toutes les jeunes filles enlevées au loin seront rendues à leurs familles, excepté une seule, sur laquelle je veillerai.
– Qui donc es-tu, répondit le roi, toi qui m'apportes ces rassurantes paroles ?
– Je suis Arévamaïr, la mère du Soleil.
En disant ces mots, elle rayonna d'un éclat splendide, dont le roi fut ébloui, et elle disparut.

À son réveil, plein de confiance et d'espoir, il se déclara prêt à suivre le conseil des savants. Il envoya donc des émissaires au-delà des montagnes qui bornaient son royaume, en leur ordonnant d'enlever une centaine de jeunes filles au pays arménien, et de les amener le plus promptement possible.

Laissons maintenant, pendant quelques jours, le roi attendant le retour des émissaires, la reine bien malheureuse, et le dragon affamé, refusant toujours la nourriture. Tantôt il se traînait, avec des gémissements terribles, dans la vaste pièce qu'on lui avait abandonnée ; tantôt il sommeillait lourdement, pour s'éveiller tout à coup et reprendre ses plaintes. Laissons-les tous les trois dans le palais avec les serviteurs tremblants ou affligés, et parlons d'un village arménien, proche des montagnes que les envoyés du roi allaient bientôt franchir.
Parmi les habitants de ce village, il y avait un homme, qui vivait avec sa femme et ses deux filles. Il s'était marié deux fois.
L'aînée des filles était née de la première union ; sa mère était morte depuis longtemps. La plus jeune était née du second mariage de son père. Cet homme aimait bien sa première fille, sans manquer d'affection pour la seconde ; mais la femme, dont le cœur était jaloux et méchant, n'aimait que sa fille à elle et détestait profondément la fille aînée de son époux. Le nom de celle-ci était Arévahate ; sa sœur se nommait Mauchi.
Arévahate était radieusement belle ; l'autre était noire et noueuse comme un prunellier. La mère haïssait Arévahate pour sa beauté et lui en voulait de la laideur de Mauchi, comme si elle en eut été la cause. Toute la journée, cette femme l'accablait de travail : elle lui faisait cuire le pain, nettoyer la vaisselle, traire la vache, porter d'énorme tas de foin. Elle espérait que le blanc visage de la jeune fille en serait noirci, que ses mains en deviendraient ridées, que sa taille étroite se courberait, et même que, perdant la force et la santé, la malheureuse se fanerait toute jeune encore. Mais Arévahate, au contraire, était de jour en jour plus forte et plus belle, tandis que Mauchi, qui vivait sans rien faire, comme une demoiselle, devenait de plus en plus maigre et laide.
Arévahate ne redoutait nullement l'ouvrage ; elle s'y donnait de tout son cœur et, même quand elle l'aurait pu, ne restait pas une minute sans rien faire. Aussitôt qu'elle avait terminé les travaux pénibles (c'étaient parfois ceux d'un homme), elle mettait à filer ou à tricoter. À la maison, elle faisait du fil de soie ; si elle allait chercher de l'eau à la source, elle emportait l'ouvrage commencé ; et, pour ne pas rester oisive en attendant son tour, au lieu de bavarder avec les autres, elle faisait tourner son fuseau.
Elle était habile en tout : elle savait cultiver la terre, construire un puits, tisser la toile, couper des étoffes, coudre, faire la cuisine, battre le beurre, mettre toutes choses en ordre. En un mot, c'était une fille qui n'avait pas sa pareille. Par malheur, elle était tombée entre les mains d'une belle-mère, cruelle qui trouvait mal fait tout ce qu'elle faisait, et qui, à chaque instant, imaginait quelque prétexte pour la jeter à terre, la frapper à coup de pied, lui arracher les cheveux, lui mettre en sang le nez et la bouche.
Ce qui faisait le plus de peine à la fille, c'était que sa marâtre trouvait le moyen de persuader son père qu'elle était obstinée et méchante. Elle ne pouvait pas se justifier : elle aurait voulu parler, mais les sanglots la suffoquaient, lorsqu'elle voyait son père ajouter foi aux paroles de la mauvaise femme.
Chaque fois qu'il l'avait grondée, elle se rendait au cimetière. Elle s'agenouillait sur la tombe de sa mère, versait des larmes, et s'en revenait le cœur plus tranquille. Quelquefois, elle posait la tête sur le tombeau chéri, s'endormait, voyait sa mère en rêve, et lui nouait ses bras autour du cou. Elle avait son refuge dans la tendresse maternelle, ainsi retrouvée pour un instant. Sa douce mère la consolait, lui disait de rester toujours bonne et de supporter ses chagrins avec courage, elle lui promettait la fin de ses peines. La jeune fille se sentait alors au cœur une force nouvelle ; elle se rassérénait, oubliait ses chagrins et continuait à fleurir comme une rose.
Elle faisait l'aumône de façon si gracieuse que le pauvre, en recevant d'elle la moindre chose, s'en réjouissait plus que d'une riche offrande ; et il lui souhaitait de longs jours sans tristesse. Tout être innocent était heureux de la voir. Les animaux domestiques en apercevant la marâtre lui témoignaient leur antipathie : le chien aboyait contre elle, le chat essayait de la griffer, la vache ne se laissait point traire par elle, le bœuf la regardait de travers, le cheval s'effarouchait, la chèvre et le mouton s'enfuyaient ; mais ces mêmes animaux, ces braves bêtes, voyant Arévahate, l'entouraient aussitôt, la caressaient, lui léchaient les mains, se poussaient l'un l'autre pour arriver jusqu'à elle. D'elle-même, la vache se posait de façon que la jeune fille pût la traire aisément. Lorsqu'elle allait chercher de l'eau, le chien la suivait pour la défendre au besoin ; il était toujours prêt à lui obéir.
...

bunni

Le dragon(suite et fin)
...
Or, le bruit se répandit dans le village et dans les environs que toute jeune fille allant seule aux champs disparaissait et ne revenait plus : un dragon, à ce que l'on disait, dévorait les filles du pays. Arévahate, toujours solitaire, ignorait ce danger ; mais sa belle-mère en fut informée et en ressentit un cruel plaisir.
– Je vais envoyer cette fille aux pâturages, se dit la méchante, et elle tombera dans la gueule du dragon.
Un jour donc, elle mit la vache et le mouton devant Arévahate et lui ordonna de les mener paître.
– Voici un pain pour ta journée, lui dit-elle, et une quenouille de laine : ne rentre qu'à la nuit, lorsque toute la laine sera filée.
La jeune fille poussa devant elle la vache et le mouton jusqu'à un endroit où l'herbe était haute et drue. Voyant qu'on n'y avait pas fait paître, elle s'assit par terre et se mit à son travail, tandis que les deux animaux se reposaient et broutaient. Le chien, qui m'avait suivie, resta auprès d'elle.
Un peu avant le couché du soleil, sa quenouille était filée, Arévahate se levait pour rentrer chez elle avec les bêtes, lorsqu'elle vit tout à coup une belle et douce vieille femme auprès d'elle. C'était celle-là même qui était apparue en songe au roi, père du serpent. Bien vite, la jeune fille se mit devant le chien, pour l'empêcher de mordre l'inconnue ; mais la vieille femme dit en souriant :
– N'aie pas peur, Arévahate : le chien ne me mordra pas. Il sent bien que je suis une amie. Vois-tu comme il remue joyeusement la queue ?
– Mais, dit la jeune fille, qui donc es-tu, mané (ce joli mot signifie en arménien : bonne vieille mère) ? Je ne t'ai jamais vue. Tu n'es pas de notre village ?
– Je ne suis d'aucun village, reprit la vieille femme ; je ne suis pas de ce monde-ci. Je suis la mère du Soleil ; c'est moi qu'on appelle Arévamaïr. Tes souffrances m'ont émue ; j'aime ton innocence et ta bonté. Agenouille-toi devant moi : je veux te bénir, pour que tu puisses accomplir tes souhaits.
Émerveillée de ces paroles, Arévahate regarde plus attentivement la vieille femme et voit qu'elle ne ressemble à aucune créature terrestre. De ses yeux s'échappent des rayons semblables à ceux du soleil, bien que ne blessant point la vue ; sa façon de parler est si douce, sa voix si mélodieuse, que la jeune fille croit entendre sa propre mère. Les vêtements d'Arévamaïr étincellent : ils semblent d'or fondu, et non d'étoffes cousues.
Arévahate s'était agenouillée devant la mère du Soleil : baissant la tête, elle voulait baiser le bas de sa robe ; mais la bonne vieille femme, soulevant la tête de la jeune fille, étendit ses mains sur elle et la bénit en disant :
– Que sous tes pas fleurissent les violettes ! Que ton sourire soit pareil à la rose ! que tes larmes ressemblent aux perles ! Que sur toi ne puissent mordre ni scorpion ni serpent ! Puissé-je voir la couronne sur ton front ! Que ta demeure soit un palais aux murailles d'or et d'argent, au plafond de pierres précieuses ! Je te bénis chère enfant, pour que tu sois à l'abri du malheur, et que pas un cheveu ne soit enlevé à ta tête !
Ayant ainsi parlé, Arévamaïr releva la jeune fille et l'embrassa.
– Que ce baiser, lui dit-elle, ajoute encore à ta beauté !
Puis elle lui donna un petit paquet dans lequel il y avait un vêtement ! Il était constellé de pierreries et si fin qui semblait être fait non pas en coton ni même en soie, mais des rayons du soleil.
– Ce vêtement, dit Arévamaïr, garde-le sur ton cœur jusqu'au jour de tes noces : ce jour-là, tu t'en habilleras. Reste pure et bonne, et ne crains rien. Moi, je m'en vais : mon fils m'attend.
En achevant ces mots, elle glissa comme un nuage d'or vers l'horizon, que le soleil venait d'atteindre, et elle disparut avec lui. Arévahate, stupéfaite de cette apparition, se demanda si elle venait de faire un songe ; mais dans son vêtement, sur sa poitrine, se trouvait le présent merveilleux de la vieille femme.
– Alors, pensa-t-elle, je ne rêve pas ; et sa tristesse devint joie, son cœur se desserra, son visage s'épanouit. Elle parla gaîment au chien, elle caressa la vache et le mouton, et, leur ayant ainsi fait part de sa joie, elle reprit avec eux le chemin du logis.
Elle marche, elle marche... Soudain, elle voit s'avancer vers elle un groupe de cavaliers en armes, dont les cuirasses brillent aux derniers rayons du couchant. Le chien, très inquiet, tourne autour de sa maîtresse et la regarde ; elle-même devine que ce ne sont point là de bonnes gens. Mais comment échapper à ces hommes, s'ils veulent s'emparer d'elle ? Elle a entendu dire que des bandits, parfois, saisissent les enfants, les jeunes filles et vont les vendre au loin comme esclaves : ils en tirent un bon prix, lorsque leur marchandise humaine est vigoureuse et belle. Afin de ne pas apparaître aux cavaliers comme une riche proie, Arévahate se barbouille le visage avec de la terre mouillée par une pluie récente. Puis elle chemine, courbée, auprès de la vache.
Hélas ! la précaution est vaine. En s'approchant, les cavaliers aperçoivent une fille très laide, à ce qu'ils pensent ; mais ils se disent entre eux :
– Belle ou laide, qu'importe ! Elle n'en ira pas moins dans le ventre du dragon.
Puis l'un d'eux crie à haute voix :
– Ô fille, n'essaie pas de t'enfuir ! Tu vas monter en croupe sur le cheval de l'un de nous : il faut que nous t'emmenions !
Arévahate s'arrête. Que faire ? Lutter est impossible ; et puis, si on l'emmène au loin, y sera-t-elle plus malheureuse que dans la maison de sa marâtre ?
Elle dit adieu au chien, elle l'embrasse ; puis elle baise entre les yeux la vache et le mouton. Et la voilà sur la croupe de l'un des chevaux. La vache se met à mugir, le mouton à bêler, tandis que s'éloigne leur chère maîtresse. Le chien la suit en gémissant ; il ne peut se décider à la quitter ; mais enfin, à bout de souffle... il s'arrête, tandis que les chevaux galopent et que la jeune fille lui envoie de la main un dernier salut.
Les trois animaux s'en retournent, bien tristes à la maison.
Les ravisseurs arrivèrent à un grand rocher, descendirent de leurs montures et, par un étroit passage, introduisirent Arévahate dans une grotte spacieuse, où il y avait déjà plus de quatre-vingts jeune filles enlevées aux abords des villages environnants. D'autres cavaliers les gardaient. Les malheureuses pleuraient à faire pitié. Cependant, elles n'osaient pas élever la voix : elles étouffaient leurs sanglots et murmuraient des paroles de désespoir.
Arévahate essaya de les réconforter. Si on les vendait dans le royaume voisin, ne pourraient-elles pas s'évader et rentrer dans leur pays ? Mais beaucoup d'entre elles savaient déjà qu'on les emmenait pour les donner en pâture au dragon, car la nouvelle s'en était répandue dans toute la contrée. Arévahate, qui l'ignorait, était préparée à tout. S'il lui fallait périr, elle voulait que ce fût avec courage. Cependant, elle n'oubliait pas les promesses de la bonne vieille femme qui lui était apparue, et elle espérait échapper à la mort.
Quelques autres jeunes filles ayant été amenées dans la grotte, on les fit toutes sortir. La nuit était venue, mais la pleine lune éclairait les sentiers. À travers les vallées et les montagnes, on emmena les captives vers le royaume voisin, chacune étant attachée sur un cheval, derrière un cavalier. Elles voyagèrent toute la nuit, puis une partie de la journée suivante, et enfin elle arrivèrent à la capitale du roi, père du serpent.
Tous les habitants de la ville accoururent pour les voir. Quelle surprise et quelle merveille ! Toutes ces Arméniennes étaient plus belles les unes que les autres. Ce fut une grande pitié, de penser qu'elles allaient devenir la proie du dragon.
Seule, Arévahate paraissait bien laide, avec sa face toute couverte de boue.

Le moment était venu, pour le roi, de donner ses ordres. Il ne put s'empêcher de frémir en pensant qu'une des jeunes filles allait être laissée, seule, avec le reptile, devenu énorme, et de plus en plus affamé. Mais il avait confiance, lui aussi, dans les paroles de la splendide apparition. Il ordonna de garder les jeunes filles dans une jolie maison voisine du palais, de les bien nourrir, et d'en emmener une au dragon.
Les gardiens chargés d'exécuter les ordres du roi auraient pu tirer au sort la première victime ; mais, peu soucieux d'être justes, ils choisirent Arévahate parce qu'ils la voyaient laide et parce que, seule, elle ne montrait aucune peur.
– Emmenons d'abord celle-là, se dirent-ils : elle viendra sans résistance, cela encouragera les autres.
Ils prirent donc Arévahate par le bras et la conduisirent vers le dragon. En chemin ils lui dirent :
– Nous allons te marier. Ton fiancé est le fils du roi ; tu vas être princesse.
Tout en parlant, ils étaient arrivés dans un beau jardin, attenant à l'appartement du dragon. Au milieu de ce jardin, il y avait un bassin d'eau limpide. Les gardiens voulaient ouvrir la porte de l'appartement pour y jeter la jeune fille ; mais elle leur dit :
– Puisque vous me conduisez chez le fils du roi, laissez-moi seule un instant, afin que je puisse me laver le visage et mettre en ordre mes vêtements. Je serais trop honteuse de me présenter ainsi.
Ils y consentirent et se retirèrent hors du jardin, dont ils gardèrent la porte, afin qu'elle ne pût s'échapper.

Restée seule, Arévahate se lava le visage et les mains, se coiffa avec goût et mis le vêtement donné par la bonne vieille femme.
Au bout d'un instant, ses gardiens revinrent. Quelle ne fut pas leur stupeur, en la voyant ainsi parée ! Il leur sembla voir l'aurore se lever au milieu du jour. Pas un ne voulait croire que cette radieuse enfant fût une créature terrestre. Ils pensèrent qu'elle était venue du ciel sous la forme d'une pauvre fille, laide et souffreteuse, et que maintenant elle leur apparaissait dans sa réalité.
Arévahate leur dit :
– Pourquoi restez-vous à me regarder fixement, la bouche ouverte, avec des figures si ébahies ? Conduisez-moi où je dois aller.
Alors, frémissant d'horreur à la pensée de ce qu'ils avaient voulu faire, ils tombèrent à genoux devant elle.
– Pardon ! pardon ! lui dirent-ils. Nous ne t'avons pas amenée ici pour te marier, mais pour te livrer au dragon qui habite cette chambre. C'est lui qui est le fils du roi. Pardonne-nous notre faute, et, si tu veux, nous te sauverons, dussions-nous être pendus pour cela !
Arévahate ne fut point troublée par la peur. Elle pensa qu'Arévamaïr, sa protectrice, avait quelque secret dessein sur elle, et qu'elle ne devait point s'enfuir. Elle reprit d'un ton ferme :
– Je ne veux pas vous exposer à la mort. Donnez-moi les clés de la porte et allez-vous-en : je ne crains pas le dragon.

Elle prend les clés, ouvre la porte, traverse un vestibule, qui était vide, pénètre dans un grand salon et aperçoit, étendu sur le divan, un dragon colossal. D'abord saisie et incapable de parler, elle reprend bientôt son courage, et, se tenant à quelle distance du reptile, elle lui dit :
– Je te salue, fils du roi ! Je viens à toi de la part d'Arévamaïr, mère du Soleil. Elle te souhaite le bonheur et une longue vie.
Le dragon lève la tête et regarde la jeune fille de ses yeux flamboyants. Elle frémit ; tout son corps tremble ; ses cheveux se dressent sur sa tête ; mais elle ne recule pas et reste les yeux fixés sur lui. Voyant que son regard la terrifie, il détourne sa tête et la rapproche des anneaux monstrueux de son corps. Pourtant, il se retourne encore vers elle et de nouveau la regarde ; plusieurs fois de suite, il répète ce mouvement, et, à chaque fois, elle frissonne. Cependant, elle se rappelle qu'Arévamaïr l'a bénie, afin que ses souhaits soient exaucés.
– Fils du roi, dit-elle, pourquoi me tourmenter ainsi ? Dévore-moi sans tarder, si tu veux faire de moi ta pâture. Mais, si tu as une âme humaine sous l'apparence d'un monstre, au nom d'Arévamaïr, je te l'ordonne, sors de ta chenille !

À peine ces paroles ont-elles été prononcées que le dragon se replie sur lui-même, s'arrondit, se tasse ; puis le voilà qui tremble, qui se tord, et tout d'un coup il éclate avec un tel fracas que tout le palais est ébranlé : le roi tressaille et saute à bas de son trône.
Des serviteurs accourent de toute part pour voir ce qui se passe, et que découvrent-ils ? La dépouille du dragon a été jetée sur le sol, comme l'enveloppe informe d'où vient de se dégager un libre papillon ; et un jeune homme au noble et beau visage apparaît, habillé de lin blanc, ayant auprès de lui une jeune fille rayonnante comme le soleil et vêtue de soie, d'or et de lumière. Tous deux se regardent en souriant.
Aussitôt informés de cet événement merveilleux, le roi et la reine, ivre de bonheur, accourent pour embrasser leur fils et Arévahate ; puis ils les marièrent joyeusement. Les noces furent célébrées pendant sept jours et sept nuits. Toutes les jeunes Arméniennes y assistèrent ; après quoi, chargées de présents, elles furent ramenées dans leur pays.


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Le crocus des prairies.  (Légendes manitobaines)

Wappee était le fils du chef de la tribu des Pieds Noirs. Estimé de tous, il vivait paisiblement entouré des siens. N'ayant peur de rien, à l'abri des intempéries et des bêtes féroces dans le grand tipi, il grandissait en sagesse tout en suivant attentivement les enseignements de son père.

Quand Wappee eut douze ans, son père le fit venir.

« Mon fils, le temps est venu pour toi de devenir un homme. Un jour, si les Esprits le veulent, tu seras le chef. Pour cela, tu dois te montrer à la hauteur de ton peuple. Tu dois partir dans les collines. Tu reviendras dans cinq nuits. Alors, peut-être seras-tu devenu un homme libre, capable de conduire les tiens.»

Wappee quitta la tribu le soir même et se dirigea vers les montagnes. Il s'installa sur le sommet de la plus haute colline. Seul avec les étoiles, il se sentit libre, prêt à affronter tous les obstacles.

Au matin, Wappee se leva, le cœur léger. C'était une belle journée de printemps. La neige fondait lentement sous le chaud soleil.

Wappee s'assit et médita sur son avenir. Il devait attendre qu'un Esprit bienveillant lui montre, par le biais du rêve, le chemin qui le mènerait de l'enfance vers l'âge adulte. Mais le jour progressait et Wappee ne voyait toujours rien.

Aucune vision, ni âme qui vive, ne venait troubler le silence qui l'entourait. Très vite, la solitude et la peur s'emparèrent de lui.

Le soir venu, il s'allongea à nouveau dans l'espoir d'avoir une vision. Mais rien ne vint.

Le lendemain se passa en tous points comme la veille. La journée chaude étala les couleurs de l'aube jusqu'au crépuscule pour se fondre ensuite dans la pénombre de la nuit. Wappee ne bougea pas.

Il ne lui restait maintenant que trois nuits avant de retourner chez son père pour lui annoncer qu'il n'était pas devenu un homme, mais qu'il était un lâche.

Le Grand Esprit ne lui avait pas permis de faire le rêve. Plus le temps passait, plus Wappee ressentait la douleur de l'échec.

Le matin suivant, alors qu'il observait les couleurs du soleil levant, il aperçut une petite fleur aussi blanche que la neige, qui reposait à ses côtés.

La fleur ouvrait grand ses pétales pour y laisser entrer le soleil. Elle se balança lentement dans sa direction jusqu'à ce que son esprit troublé fut calmé par la vue des montagnes bleues et de l'herbe verte des prés.

Assis non loin de la fleur, Wappee observa les corbeaux et écouta le bruit du vent. Le jour baissait. La montagne devint rose, puis magenta. Bientôt le soleil disparut, laissant place à l'obscurité.

Mais cette fois, Wappee ne se sentait plus seul. Il avait maintenant une amie : 

«  Petite sœur, dit-il, toi si fragile, que fais-tu dans cet endroit froid et venteux? Je vais me coucher près de toi pour te réchauffer. Mais je ne veux pas t'écraser. »

Et pendant qu'une partie de son esprit se reposait l'autre partie veillait sur la petite fleur blanche.

Lorsque la nuit se prépara à rencontrer le jour, la fleur parla : 

«  Écoute, Wappee. Hier, tu étais triste car tu ne connaissais pas la peur. Celui qui ne connaît pas la peur est fragile. L'homme sage apprend à vivre avec elle. »

Le jeune indien, surpris, s'approcha de la fleur pour mieux l'entendre. Mais la fleur se tût, en se balançant au gré du vent.

Toute la journée, Wappee ne cessait de penser à ce que la fleur lui avait dit.

La nuit suivante, il protégea encore la petite fleur avec son manteau de fourrure. Puis, à l'aube, la fleur parla : 

«Tu as bon cœur, Wappee. Tu iras loin.»

Puis, elle se tût jusqu'à la nuit suivante. Au lever du jour, elle dit encore : 

«La sagesse et un coeur bon sont les qualités d'un grand chef. Si tu as des difficultés, reviens vers les collines, elles t'apporteront la paix et la chaleur.»

Puis Wappee s'endormit paisiblement. Son sommeil fut peuplé de visions : devenu chef de sa tribu, il la vit heureuse et prospère.

Il était maintenant temps pour Wappee de retourner vers les siens. Cependant, avant de partir, il dit à la fleur :

« Petite sœur, pendant trois nuits, tu m'as consolé de ma solitude, tu m'as aidé à avoir des visions. Demande-moi ce que tu veux et j'irai voir le Grand Esprit pour qu'il exauce tes vœux.»

La petite fleur répondit :

«Wappee, demande au Grand Esprit de m'habiller de bleu et de violet, comme les montagnes, afin que les hommes puissent me voir et me tenir en compagnie, un petit soleil doré que je garderai tout au fond de mon cœur pour me consoler les jours de pluie, un manteau chaud pour que je puisse faire face au vent froid qui souffle et à la neige qui fond. Ainsi, j'apporterai confort et espérance à tous les hommes.»

Le Grand Esprit, qui avait entendu cette conversation fut sincèrement touché par la bonté de Wappee envers la fleur aussi, répondit-il aux souhaits de ce dernier.

La petite fleur blanche devint alors bleue et violette avec au centre un cœur chaud et doré, enveloppé d'un manteau de verdure. Cette petite fleur s'appelle le crocus des prairies.

Les hommes admirent sa force et sa fragilité, ses couleurs et sa chaleur. Elle est aujourd'hui l'emblème floral du Manitoba.




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La naissance des Sioux

A l'aube des temps, dans les grandes plaines, les esprits avaient crée la terre, l'herbe, le bison le loup, l'aigle et bien d’autres choses, mais ils n'avaient pas crée les Sioux.

Les grandes plaines étaient calmes, les animaux heureux, les esprits tranquilles. Mais Kawasma, l'Esprit Rêveur, trouvait ce monde ennuyeux.

Il se mit alors à rêver et il rêva de créatures qui marchaient sur deux pattes, qui avaient de longs cheveux noirs et qui n'étaient pas comme tous les autres animaux.

Ils portaient, comme les esprits, des vêtements de peau, ils habitaient dans de grands nids qu'ils construisaient et qu'ils appelaient des tipis.

Certains d'entrent eux parlaient la langue des esprits et les autres parlaient un le langue compliquée, très différente de celle des animaux.

Mais surtout, ces créatures aimaient rêver et faire de grandes fêtes.

Kawasma cessa de rêver et se dit qu'il fallait qu'il crée ces êtres.

Il prit une poignée de terre, de la peinture noire, des peaux et de longues herbes. Il façonna la terre et fit un corps.

Il mit sur la tête de cette créature l'herbe qu'il peignit ensuite en noir. Il peignit aussi les yeux.

Il fabriqua des habits avec les peaux et vêtit la créature.

Il la posa devant lui, et satisfait, la contempla quelques secondes avant de dire : «dans mon rêve, il y avait une créature qui ressemblait à celle-ci, mais pas tout à fait».

Il prit alors le reste de terre et créa un corps plus beau, aux traits plus fins.

Il lui mit de longs cheveux qu'il tressa et l'habilla dune longue et somptueuse tunique.

Enfin, il lui peignit les yeux. Il la posa à coté de l'autre créature et dit : « Voilà, c'est exactement comme dans mon rêve ».

Puis, il décida que l'homme et la femme naîtraient au crépuscule.

Ce fut ainsi que l'homme et la femme furent crées.

Dans les grandes plaines, l'aigle planait dans le soleil couchant et l'eau de la rivière s’agitait. Les animaux s’affolaient et se dispersaient.

Lorsque le soleil toucha l'horizon, il se fendit et l'homme en sortit.

Il s'approcha de la rivière. De l'eau qui ondulait sortit la femme comme un rayon de lumière et de beauté et elle rejoignit l'homme.

Ne venant de nulle part, une voix dit alors :

« Je suis Kawasma, l'Esprit Rêveur. C’est moi qui vous ai crées. Vous êtes les premiers Sioux. Toi, l'homme, à présent tu t’appelles Sobandko-Thai-Hi, « Fils du Soleil » et toi, femme, tu t'appelles  Shaina  Rayon de soleil ».

Merci de nous avoir donné la vie, Esprit, dit Sobandko-Tha-Hi.

Que veux-tu en échange ?

Je voudrai que vous fassiez à chaque neige, une grande fête pour rappeler ce jour solennel, qui est celui de votre naissance. Je voudrais aussi que vous n'oubliez pas de rêver et que vous respectiez la nature, que vous viviez en harmonie avec elle.

Moi, Shaina , je veillerai à ce que cela soit respecté.

Le lendemain, Sobandko-Tha-Hi et Shaina construisirent un tipi, allèrent à la chasse, firent à manger et rêvèrent.

Dans les grandes plaines, l'aigle planait dans le soleil couchant.

Sobandko-Tha-Hi et Shaina regardèrent le ciel et dirent :

« La vie est merveilleuse, Kawasma. Merci. »

Depuis ce jour, dans les grandes plaines l'aigle a plané souvent dans le soleil couchant. A chaque neige, les Sioux font une grande fête en l'honneur de Kawasma.

Du haut des cieux, l'Esprit rêveur les contemple en souriant.

bunni

#277

Le champ de pierres de Pierre

Notre ami Pierre possédait deux grands champs. Mais, faute de temps et de bras, il ne cultivait qu'un seul de ses champs. De plus, le second champ était recouvert de pierres. Chaque jour, il regardait ses champs et chaque jour, les forces lui manquaient pour commencer à retirer ces pierres.

Un matin, cependant, le courage le prit, il regarda sa femme et lui dit: « Et bien aujourd'hui, la Marie, c'est le bon jour! J'ai décidé qu'on allait s'occuper de notre champ de pierres! »

La Marie, toute étonnée: « D'accord... Oui...pourquoi pas?! »

Voilà donc nos deux amis partis retirer toutes les pierres de leur champ. Mais, au bout de quelques heures, les bras se firent lourds et leurs forces commençaient à disparaître. Surtout quand ils prirent la peine de lever la tête et de voir que le nombre de pierres qu'ils avaient posé sur le bord du champ était ridicule!

« Eh bien, la Marie, je crois que ce n'est pas encore aujourd'hui que nous allons pouvoir nettoyer tout ce champ. »

Mais, ce que Pierre et Marie n'avaient pas vu, c'était qu'une colonie de Korrigans passait dans le fond du champ.

Remarquez, ce n'est pas étonnant car si vous aviez déjà vu un korrigan, vous sauriez qu'un korrigan est haut comme trois pommes. Et du haut du champ, il est difficile de les voir!

Donc, une colonie de korrigans passait par là.

Ah oui, il faut aussi que je vous explique ce que c'est une colonie de korrigans .
Imaginez cinq cent korrigans hauts comme trois pommes (car c'est leur taille! ) avancer les uns derrière les autres en file indienne!

Voilà ce qu'est une colonie de korrigans ! Et encore, j'en ai vu des plus grandes encore. Mais là, n'est pas le sujet.

Une colonie de korrigans passait donc par là. Et le chef des korrigans qui était en tête, surprit la conversation de Pierre et de sa Marie, et eut envie de les aider. Mais comment arrêter une colonie de cinq cents korrigans d'un seul coup ! Sans que l'on assiste à un cascade de dominos... euh non, de korrigans!

Et bien voilà, il y a le Code ! Quel code me direz-vous ? Eh bien, le Code de conduite de colonie de korrigans, que chaque korrigan doit connaître sur le bout des doigts !

Alors voilà, on se parle par signes.

Le chef des korrigans lève la main droite, ce qui signifie : STOP. Le deuxième fait le même signe, suivi du troisième, du quatrième et ainsi de suite jusqu'au dernier.

Le chef des korrigans saute en faisant un demi-tour sur lui-même et commence à enchainer tout un tas de petits gestes pour expliquer son idée d'aider Pierre. Le deuxième Korrigan se retourne lui aussi et passe le message au troisième qui le passe au quatrième, et ainsi de suite jusqu'au dernier.

Si tous les korrigans sont d'accord, il leurs suffit de lever la main gauche. Ce que firent bien sûr, tous nos amis korrigans.
Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, nos cinq cent korrigans formèrent d'immenses chaines et commencèrent à se passer les pierres de mains en mains.

Quelle ne fut pas la surprise de Pierre et de Marie de voir se vider en un clin d'oeil leur champ de ses pierres!!! Surtout quand on on voit pas ceux qui vident le champ!
Quand tout fut fini, le chef des korrigans vint se poster devant Pierre et Marie, et les salua bien bas, geste aussitôt repris par tous les korrigans.

Pierre leur rendit leur salut, se redressa et se gratta la tête: « On ne peut pas vous laisser partir comme ça! Vous avez trop bien travailler et vous devez être affamés. Marie, il va falloir restaurer tous ces petits! Allez, suivez-nous! »
Ainsi, toute une colonie de cinq cents korrigans se mit à suivre notre Pierre et notre Marie, jusqu'à leur modeste demeure.

» Mais, dit la Marie, comment vais-je pouvoir faire pour nourrir tout ce petit monde? Je ne vais jamais avoir le temps de couper tous mes légumes avant l'heure du souper! »
Le chef des korrigans se tourna vers ses compagnons et après une série de gestes incompréhensibles pour Pierre et Marie, les cinq cents korrigans firent plusieurs colonnes.

Marie comprit de suite. Et à chaque colonne fut fourni couteaux et tas de légumes à épelucher. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, tous les légumes qui composent la soupe de Marie, furent prêts.
Marie mit chauffer de l'eau dans sa plus grosse marmitte. Elle y mis ses pommes de terre, ses carottes, ses navets, ses pois de... Ah c'est vrai la soupe de Marie, c'est un secret! Si vous saviez comme elle est bonne, la soupe de la Marie!
Une fois que la soupe fut prête, les korrigans s'alignèrent tous et sortirent de leur poche une écuelle et une cuillère en bois. Car tout bon korrigan qui se respecte, ne sort jamais sans son écuelle et sa cuillère de bois!

Marie se mit à servir tous nos amis qui ne laissèrent pas une goutte dans leur écuelle. Une fois tout ce petit monde repu, les korrigans reprirent le chemin de leur demeure.
Pierre et Marie étaient très heureux et décidèrent que dés demain, ils se mettraient au travail dans leur nouveau champ.

A leur retour chez eux, les korrigans étaient épuisés de cette longue journée de travail. Et quand leurs épouses korrigans les appellèrent pour se mettre à table avec toute la petite famille, quelle ne fut pas leur surprise quand leurs gourmands de maris leur répondirent qu'ils avaient déjà manger et qu'ils étaient fatigués !!!
Ces mesdames korrigans ne dirent rien mais furent très véxées!

Le lendemain, Pierre et Marie arrivèrent dans leur nouveau champ, les bras remplis de bèche pour retourner la terre et de graines à planter.
Mais voilà, ils ne s'étaient jamais rendu compte à quel point leur champ était grand!

« Oh là là, la Marie, comment allons nous pouvoir, en une journée, retourner la terre, semer et aller s'occuper de l'autre champ! »
Avant même d'avoir commencer, nos amis manquaient de courage!

Mais qui passait par là? Notre colonie de korrigans! Et comme la veille, notre chef korrigan leva la main droite, ce que fit également le deuxième korrigan, puis le troisième et ainsi de suite jusqu'au dernier!
Tous levèrent la main gauche en signe d'accord et tous partirent se mettre au travail. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le champ de Pierre fut retourner et les graines semer.

De nouveau, Pierre et Marie assistèrent ébahis au spectacle.Tout comme la veille, Pierre décida de récompenser ses nouveaux. Et tout comme la veille, les korrignas se divisèrent en plusieurs colonnes pour aider Marie à préparer sa délicieuse soupe.

Marie mit de nouveau dans sa grosse marmitte, ses pommes de terre, ses carottes, ses navets, ses pois chiches, ses haricots verts... Ah mais pour le reste, c'est un secret!
De nouveau, elle servit nos amis dans leur écuelle en bois, puis rentrèrent chez eux une fois repu. Et une fois de plus, refusèrent de venir manger quand leurs épouses les conviaient à table.

Le lendemain, ça parlait beaucoup entre femmes de Korrigans : »Toi, non plus, il n'a pas souper!!! », « Je ne vois pas ce que ma soupe avait, elle était comme d'habitude!!! », « Il doit être malade!!! », ... et encore bien d'autres choses.
Les saisons passèrent et vint le temps de la récolte. Comme les fois précedentes, les korrigans étaient là pour aider notre ami Pierre. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, tous les légumes furent ramassés.

Comme de coutume, maintenant, Marie prépara sa bonne soupe secrète. (Ah, je ne me ferait pas avoir cette fois, je ne vous donnerais pas un ingrédients de plus!)Et tous les korrigans purent manger la bonne soupe.
De retour chez eux, aucun ne mangea et là, c'en était trop pour mesdames Korrigans! Et un grand cri de colère sortit presque à l'unisson du village Korrigan : »Qu'est-ce qu'elle a ma soupe ?? ? »
Tous les korrigans du village durent avouer à leurs femmes la raison de leur manque d'apétit.L'hiver arriva. Tout était calme dans le village des Korrigans. Plus de travail dans les champs, donc plus de bonne soupe secrète de Marie.

Quand revint le printemps, notre colonie de korrigans reprit le chemin du champ de Pierre. Et là, quel ne fut pas leur surprise de voir le champ abandonné. Les jours passaient et toujours pas de Pierre et Marie dans leur champ!!!
La nouvelle commençait à se répendre dans le village Korrigan. Mais que se passe-t-il?
Il fallait savoir. La colonie de Korrigans prit le chemin de la maison de Pierre et Marie. Rien ne bougeait. Les korrigans devaient savoir ce qui se passaient. Il formèrent alors une immense colonne pour essayer de voir par la fen^tre de la maison et là, quel ne fût pas leur surprise de voir Pierre allonger dans son lit et Marie qui pleurait à côté.

Ainsi Pierre était malade! Il fallait faire quelque chose. Tous les korrigans de Bretagne se passèrent le mot. Il fallait trouver un remède puisque les médecins humains ne trouvent pas!!! Les sorciers korrigans firent la queue devant la maison de Pierre pour tenter de le soigner. Les uns après les autres, ils lui administrèrent leur breuvage.
Mais, rien. Rien ne pouvait guérir Pierre. Et un jour, il arriva ce qu'il devait arriver. Pierre mourut. Et les korrigans furent inconsollables. Tous se mirent à pleurer. Ils pleurèrent toute la nuit. Des millions et des millions de korrigans de toute la Bretagne versèrent des larmes qui se transformèrent en rivière, puis en fleuve, puis en lacs. Voilà, comment en une nuit, les rivières, fleuves et lacs de Bretagne apparurent.

Certains vous diront que ces rivières, fleuves et lacs sont là depuis des milliers d'années. Mais, je vous le dis de source korrigane, regardez cette eau et sachez que ce sont des larmes de korrigans pour leur grand ami Pierre.


bunni


Patoche

Notre ami Patoche, c'est un diminutif de Patrick car en Bretagne, quand on les aime beaucoup les Patricks, on les appelle Patoche...
Enfin, notre ami Patoche passait par la Lande désertique pour rentrer chez lui après une longue et épuisante journée de travail dans les carrières en cet hiver.

Au détour d'un chemin, il fit la rencontre d'une vieille femme vêtue de haillons et recroquevillée sur elle-même.
N'écoutant que son bon coeur, il lui dit: « Bonjour madame, que faites-vous seule par ici? »

Pas de réponse...

Patoche continua: »Il va faire très froid cette nuit, il faudrait penser à rentrer! »

Toujours pas de réponse... Notre ami Patoche, c'est pas qu'il était peureux mais il en avait entendu des histoires sur les sorcières du coin et il ne savait pas qui était cette personne! Tout de même, il n'allait pas la laisser là toute seule...

« Bon, eh ben, je peux faire un bout de chemin avec vous si vous voulez? », dit Patoche

Silence...

« Je m'en vais retourner chez moi », finit-il par dire.

Mais alors qu'il commença à prendre le chemin du retour, la vieille femme se mit à le suivre. Patoche, toujours pas rassuré, accéléra le pas, et elle l'accéléra aussi. Tant et si bien que Patoche n'était jamais rentré aussi rapidement chez lui.

Arrivé sur le pas de la porte, il ne pouvait pas faire autrement que de l'inviter à entrer.

« C'est ma maison! » dit-il comme pour se donner de la force et montrer qu'il n'avait pas peur!
A peine était-il rentrer, qu'elle aussi!

« Elle n'est pas bien grande mais elle est assez confortable... »
Elle ne prononça pas un mot mais alla s'assoir sur une chaise qui se trouvait au bout de la table.

Patoche en déduisit qu'il allait devoir partager son maigre souper mais bon, il vallait mieux éviter de prendre des risques si c'était une sorcière!!!
Il sortit donc deux écuelles, ce qui ne lui arrivait que très rarement, deux verres et mit à chauffer sa modeste soupe sur le feu. Il en versa une moitié dans chaque écuelle, partagea le reste de son vin et coupa en deux le maigre morceau de pain dur de trois jours.

Faut dire qu'il n'était pas très fortuné notre Patoche!
La nuit tomba très vite et Patoche était exténué après sa journée et il se levait tôt. »Je ne voudrais pas vous presser mais demain je me lève tôt car je travaille à la carrière et... »
Mais la vieille ne semblait pas vouloir prendre congé.

Patoche finit par sortir une couvertue de sa malle et proposa à la vieille femme de dormir sur son banc en bois.
Elle ne parut pas refuser. Sans un mot, sans un regard, elle prit la couverture et alla se coucher sur le banc.
Patoche, toujours pas rassurer, alla tout de même se coucher mais ne dormit pas à poings fermés de peur qu'elle n'utilise quelques sortillèges.

La nuit passa. Patoche se leva en espérant que tout cela n'était qu'un rêve, mais non, à son levé, elle était là, assise à table en train d'attendre le petit déjeuner.

« Bonjour » dit Patoche mais comme il s'en doutait , il n'y eut pas de réponse.

Il sortit deux bols, mit chauffer le petit déjeuner, partagea l'ensemble et se prépara pour aller travailler.

L'heure du départ approchait et Patoche se demandait comment il allait pouvoir la faire sortir sans qu'elle ne le prenne mal!

« Il va falloir que j'y aille, le travail m'attend! »
Elle se leva , Patoche ouvrit la porte avec un grand soulagement quand il vit qu'elle prenait la direction de la sortie.
Arrivée sur le pas de la porte, elle se retourna: « Tu as été bien bon avec moi hier soir! »
Patoche n'en croyait pas ses yeux et surtout ses oreilles!

« Eh bien, ne sois pas si surpris! Je disais que tu avais été bon avec moi et par conséquent, je veux te récompenser! Acceptes-tu?

- Ouououououi, dit Patoche avec hésitation.

- Bien, alors rendez-vous ce soir à 19h00 à la Roche Percée! Et sois à l'heure, je ne supporte pas les personnes en retard!!!

Et sur ces mots, elle partit. Patoche, encore sous le coup des paroles, se secoua et prit le chemin de son labeur.

Toute la journée, il pensa à ce rendez-vous mais il se dit que c'était une farce et qu'une femme pauvre comme elle, n'a rien à donner en récompense.

La journée passa très vite. Quand vint l'heure de son rendez-vous, Patoche prit la direction de la Roche Percée sans être sûr de voir cette vieille dame au lieu dit.
Quand vint le 1er coup de cloche, Patoche était à l'endroit précis. Personne... Au 7ième coup, une magnifique jeune femme vêtue d'une somptueuse robe rouge apparue. Elle s'approcha de Patoche et s'adressa à lui: « Alors, Patoche, la journée n'a pas été trop dure? »

- Excusez-moi mais, on se connaît?

- Et bien, tu as la mémoire courte! Je suis la personne que tu as gentiment accueilli chez toi hier soir!

- Mais...
- Oui, je sais, mon apparence est quelque peu différente. Je suis la Reine des Korrigans. J'aime à me promener dans la lande sous cette apparence pour voir la réaction des gens à mon égard et j'ai été agréablement surprise de ton comportement. J'ai donc pris la décision de te récompenser.

Elle se tourna vers la Roche Percée et dans une langue que Patoche ne connaissait pas, elle prononça une incantation.

Si tôt qu'elle eut fini, la Roche pivota sur elle-même et découvrit un trou.

« Voilà, dans cette grotte, tu trouveras mille et unes merveilles. Prends ce que tu veux! Mais, le temps t'est compté, tu n'as que jusqu'à minuit pour prendre ce que tu veux. Tu m'as bien compris?

- Oui!

- Pas une minute de plus!!! Sinon, tu resteras prisonnier de la roche qui se refermera sur toi! Et sur ces mots, elle disparut. Patoche entra avec prudence dans la grotte. Le chemin était étroit. Il faut imaginer que c'est un passage pour Korrigan et Patoche n'était pas une demi-portion.

Il se faufilla tant bien que mal et après bien des efforts, il arriva dans une immense salle avec des montagnes de pierreries, de pièces d'or, de diamants, et de tant de merveilles que Patoche ne savait plus où donner de la tête!

Après avoir repris ses esprits, ce qui lui prit un bon quart d'heure, Patoche saisit des sacs de toile qui se trouva là et fourra tout ce qui lui passait à portée demain.
Tant de richesses!
Il en remplit un, puis un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième,... c'est arrivé au Quinzième que Patoche marqua une pause, jugea d'un coup d'oeil tous les sacs et se dit qu'il n'allait pas pouvoir tout prendre, à moins de faire plusieurs aller-retour.

Il commença donc les aller-retour. Sur le chemin de la sortie, il vit d'autres passages auxquels il n'avait pas prêté attention lors de son entrée dns la grotte. Mais, ce qui attira le plus son attention, fut la lumière qui s'échappait de certains trous. Pris par sa curiosité, Patoche laissa là, deux sacs et décida de passer par un des tunnels très très étroits. Il tomba dans une nouvelle salle où cette fois-ci, ce n'était pas des trésors mais d'étranges petites créatures qui dansaient, mangeaient et chantaient. A la vue de Patoche, aucun ne prit la fuite mais ils le prirent par la main et l'emmena dans une danse effrenée.

Les heures passait mais Patoche ne s'en souciait pas. Il continuait à danser, à chanter, à boire et manger.

Quand soudain, le premier coup de minuit sonna. Dong!... Ce qui fit sortir Patoche de sa trance!

Dong!... Il prit la direction du tunnel en s'excusant rapidement auprès de ses hôtes.

Dong!... Le passage était très difficile à franchir...

Dong!... Il est vraiment trop étroit, surtout après un bon repas!
Dong!... La sortie du tunnel est proche!
Dong!... Ca y est , il voit la grande salle!
Dong!...Mais, ses fesses restent coincées!

Dong!... Il se contorsionne et arrive enfin à se dégager!
Dong!... Il saisit les deux sacs qu'il avait laisser là!
Dong!... Pris la direction de la sortie de la Roche...
Dong!...Et quand retentit le douzième coup de minuit...

Dong!...

Patoche réussit à sortir de la grotte avant que la Roche ne se referme sous ses yeux. C'était moins une!! Ouf, il pouvait souffler maintenant.

Mais, quand Patoche voulut reprendre ses sacs pour les amener chez lui, il se rendit compte que leur poids avait diminué. Et quel fut sa surprise quand il les ouvrit!
A la place des magnifiques trésors qu'il y avait entassé, il n'y avait plus que de la poussière!!!
Patoche était fou de rage! Comment avait-il pu faire confiance à un Korrigan!
On lui avait pourtant maintes fois dit que ces petits êtres là n'étaient que des farceurs! Il se décida le coeur gros à rentrer chez lui pour dormir un peu!

Au petit matin, quelqu'un frappa à sa porte!
Quand il ouvrit, il eut la surprise de voir la Reine des Korrigans, les poings sur les hanches et le visage empourpré de colère !
Patoche la fit entrer et retourna bouder près de sa tasse à café !!

Tu es comme tous les autres! Il a fallu que tu ailles voir ce qui se passait chez mon peuple!!! »
Patoche essaya de protester mais n'émis qu'un grognement : « gneugneugneu... »

- Je t'avais dit de prendre ce que tu voulais et de ressortir ! Mais je ne t'avais pas dit de visiter mon royaume! Mais non, ça fait son malin et ça n'écoute pas !!!

Devant la moue boudeuse de Patoche, la Reine céda.

«Bon, dit-elle, je tiens tout de même à te réconpenser! Voilà, c'est pour toi!! »

Elle tendit à Patoche un plat en bois. Patoche le prit, avec un timide merci, le posa sur la table et retourna bouder.

La Reine reprit: « Eh bien, tu ne t'en sert pas? Pose-le sur le feu! »

Du bois sur le feu, se dit Patoche, elle a perdu la tête!

« Eh bien, j'attend! » dit-elle.
Patoche se décida enfin à poser le plat sur le feu et là, à sa grande surprise, le plat se remplit d'un magnifique et énorme poulet accompagné de pommes de terre. Il n'en croyait pas ses yeux et avait beau les frotter, le poulet était vraiment là! Il retira le plat du feu, le vida et le remis sur le feu!
Et de nouveau le plat se remplit et cette fois, ce fut un splendide dessert qui apparut comme par magie!

Patoche ne savait que dire !

La Reine dit: « J'espère que mon cadeau te plait!
-Oui, c'est, c'est... La chose la plus magnifique que l'on m'est offerte !!!

- Alors adieu mon ami!!!

Et dans un nuage de poussière rouge, la Reine disparut.

Bien des années passèrent.. Et malgré les périodes de famines et de disette, notre ami Patoche n'eut jamais faim. Il rencontra une femme, se maria, eut des enfants. Et quand l'heure de sa mort sonna, Patoche réunit ses enfants, leur raconta cette histoire et leur dit: « Rien n'est plus précieux que ce plat et même si j'avais pu ramener tous les trésors de la grotte, ils n'auraient pas été aussi précieux que ce plat. »

Les descendants de Patoche ne manquèrent jamais de rien dans leurs assiettes.
Ils mangèrent toujours à leur faim. et si un jour, vous allez manger chez eux, comme je le fais souvent, vous verrez que les repas qu'ils vous servent, ont toujours un goût de magie.





bunni


QUENTIN et la MOUCHE

Il y a bien longtemps, dans la ville de Leuven, vivait un forgeron. Le brave homme avait un fils prénommé Quentin. Enfant, Quentin connaissait déjà les rudiments du métier de forgeron, et, devenu un jeune homme, il devint expert dans la confection de fers à cheval, d'épées, mais aussi d'objets qui relevaient du domaine de l'art. Son père se réjouissait de voir que Quentin prendrait facilement la relève. Quentin n'envisageait d'ailleurs pas d'autre avenir: il avait acquis une habileté manuelle peu commune, et, surtout, un grand amour pour la lumière hésitante des flammes. Quand sa journée de travail était terminée, il s'asseyait sur un banc, devant la forge de son père, et regardait passer les gens. Quentin aimait beaucoup les observer. Un jour, ses yeux se posèrent sur une jeune fille et ne purent plus s'en détacher tant elle était merveilleuse. Bien vite, son coeur ne battait plus que pour elle, à tel point qu'il se postait chaque jour sur le banc pour avoir le bonheur de la voir passer. Les jours où elle ne passait pas, Quentin était d'humeur triste et morose, il battait le fer avec rage. Mais quand il l'apercevait, son coeur était empli de joie et de bonne humeur. N'osant pas l'aborder, il décida de la suivre pour savoir où elle habitait. Son désespoir fut immense quand il apprit qu'elle était la fille d'un peintre célèbre de la ville: jamais il n'aurait les moyens d'épouser une riche héritière... Quentin se mit alors à dépérir...
Un jour pourtant, son tourment, sa rage aussi, étaient si grands qu'il décida de se faire engager chez le peintre célèbre en tant qu'ouvrier pour mélanger les couleurs: c'était le seul moyen de côtoyer Magdeleine, sa bien-aimée. Le père de Quentin trouva cette idée absurde:
- Cette Magdeleine n'est pas une fille pour toi, elle est d'ailleurs fiancée à un jeune peintre de talent qui travaille dans l'atelier de son père. Et puis tu as un bon métier, il y a des tas d'autres filles qui seraient prêtes à faire ton bonheur! Mais Quentin suivit son projet. Les conditions de travail étaient bien difficiles, mais ce n'était rien en échange de la voir, elle, chaque jour. De plus, il apprenait beaucoup: il observait son maître et ses apprentis travailler, et, bientôt, les lois de la perspective et la recherche de la lumière n'eurent plus de secrets pour lui. Pour s'exercer, Quentin dessinait sur les murs de sa chambre, le visage de Magdeleine...
Un jour, elle entra en pleurs dans l'atelier: elle avait surpris son fiancé en train d'en courtiser une autre. Ne parvenant pas à la consoler, son père décida finalement de renvoyer cet apprenti qui, pourtant, travaillait si bien. Dans ses sanglots, Magdeleine avait laissé tomber son mouchoir. Quentin s'empressa de le ramasser et fut récompensé par un sourire de la jeune fille qui lui réchauffa le coeur.
Une place d'apprenti était donc disponible. Quentin se proposa, argumentant qu'il avait eu déjà bien le temps d'observer l'art de peindre, et qu'il avait profité des conseils donnés aux apprentis par le maître. Il ajouta:
- J'aimerais beaucoup reproduire les ombres et les lumières que j'ai regardées tant de fois quand je travaillais dans la forge.
Mais le grand peintre refusa de " laisser gâcher ses belles toiles par un broyeur de couleurs ". Ne s'avouant pas vaincu malgré les nombreux refus qu'il essuyait chaque fois auprès de son maître, Quentin continua à s'exercer en cachette sur les murs de sa chambre.
Un jour, s'estimant prêt à montrer de quoi il était capable, Quentin se mit au travail dès l'aube. Il avait choisi de travailler sur le tableau préféré de son maître, celui qui représentait " l'Annonciation ". La Vierge peinte sur cette toile ressemblait d'ailleurs étrangement à Magdeleine. Alors que toute la maisonnée dormait encore, Quentin s'affaira pendant plusieurs heures devant ce tableau.
A peine entré dans l'atelier, son maître poussa de grands cris: une mouche s'était posée sur le nez de la Vierge Marie! Il essaya par tous les moyens de la faire s'envoler, mais rien n'y faisait: la mouche restait inébranlable. Alors, le grand peintre s'approcha de plus près... Quel ne fut pas son étonnement quand il se rendit compte que cette fameuse mouche n'était pas vivante, mais peinte avec une telle précision qu'on pensait pouvoir la prendre entre ses doigts! Sa colère n'en fut que plus grande:
- Qui a osé porter la main sur le tableau dont je suis le plus fier? J'exige que celui-là se dénonce immédiatement sous peine d'être chassé de la maison sur le champ!
Inutile de vous dire que Quentin n'en menait pas large... Il se dénonça pourtant:
- C'est moi maître, je l'avoue humblement. Il me fallait absolument prouver que j'étais moi aussi capable de reproduire le monde sur une toile. Maintenant, faites de moi ce que vous voudrez...
Le maître s'adoucit et, reconsidérant l'oeuvre, reconnut que Quentin avait largement prouvé son talent. Il prit donc le jeune homme comme apprenti tout en lui prédisant une brillante carrière de peintre.
Quentin était aux anges! Son bonheur fut parfait quand il s'aperçut qu'il avait déjà conquis le coeur de Magdeleine: la jeune fille avait été touchée par la ferveur et la douceur qu'elle avait lues dans le regard du serviteur, elle était déjà amoureuse de lui. Le maître peintre ne fit d'ailleurs aucunes difficultés à leur mariage: Quentin était en effet devenu son élève préféré.
Leurs noces furent donc célébrées avec faste. Quentin devint un peintre renommé et Magdeleine fut l'une des plus grandes admiratrices de ses oeuvres. Dans la bonne ville de Leuven, les gens disent qu'ils vécurent très heureux ensemble, et que s'ils ne sont pas morts, leur bonheur est encore parfait aujourd'hui...


bunni


La jeune fille sans mains

Il était une fois, il y a quelques jours, à l'époque où la farine des villageois était écrasée à la meule de pierre, un meunier qui avait connu des temps difficiles. Il ne lui restait plus que cette grosse meule de pierre dans une remise et, derrière, un superbe pommier en fleur. Un jour, tandis qu'il allait dans la forêt couper du bois mort avec sa hache au tranchant d'argent, un curieux vieillard surgit de derrière un arbre. "A quoi bon te fatiguer à fendre du bois ? dit-il. Ecoute, si tu me donnes ce qu'il y a derrière ton moulin, je te ferai riche.
- Qu'y a-t-il, derrière mon moulin, sinon mon pommier en fleurs ? pensa le meunier. Il accepta donc le marché du vieil homme.
- Dans trois ans, je viendrai chercher mon bien, gloussa l'étranger, avant de disparaître en boitant derrière les arbres. "
Sur le sentier, en revenant, le meunier vit son épouse qui volait à sa rencontre, les cheveux défaits, le tablier en bataille. " Mon époux, mon époux, quand l'heure a sonné, une pendule magnifique a pris place sur le mur de notre maison, des chaises recouvertes de velours ont remplacé nos sièges rustiques, le garde-manger s'est mis à regorger de gibier et tous nos coffres, tous nos coffrets débordent. Je t'en prie, dis-moi ce qui est arrivé ? " Et, à ce moment encore, des bagues en or vinrent orner ses doigts tandis que sa chevelure était prise dans un cercle d'or. "Ah", dit le meunier, qui, avec une crainte mêlée de respect, vit alors son justaucorps devenir de satin et ses vieilles chaussures, aux talons si éculés qu'il marchait incliné en arrière, laisser la place à de fins souliers. "Eh bien, tout cela nous vient d'un étranger, parvint-il à balbutier. J'ai rencontré dans la forêt un homme étrange, vêtu d'un manteau sombre, qui m'a promis abondance de biens si je lui donnais ce qui est derrière le moulin. Que veux-tu, ma femme, nous pourrons bien planter un autre pommier...
- Oh, mon mari ! gémit l'épouse comme foudroyée. Cet homme au manteau sombre, c'était le Diable et derrière le moulin il y a bien le pommier, mais aussi notre fille, qui balaie la cour avec un balai de saule." Et les parents de rentrer chez eux d'un pas chancelant, répandant des larmes amères sur leurs beaux habits.

Pendant trois ans, leur fille resta sans prendre époux. Elle avait un caractère aussi doux que les premières pommes de printemps. Le jour où le diable vint la chercher, elle prit un bain, enfila une robe blanche et se plaça au milieu d'un cercle qu'elle avait tracé à la craie autour d'elle. Et quand le diable tendit la main pour s'emparer d'elle, une force invisible la repoussa à l'autre bout de la cour. "Elle ne doit plus se laver, hurla-t-il, sinon je ne peux l'approcher." les parents et la jeune fille furent terrifiés. Quelques semaines passèrent. La jeune fille ne se lavait plus et bientôt ses cheveux furent poisseux, ses ongles noirs, sa peau grise, ses vêtements raides de crasse. Chaque jour, elle ressemblait de plus en plus à une bête sauvage.

Alors le diable revint. La jeune fille se mit à pleurer. Ses larmes coulèrent tant et tant sur ses paumes et le long de ses bras que bientôt ses mains et ses bras furent parfaitement propres, immaculés. Fou de rage, le diable hurla : "Coupe-lui les mains, sinon je ne peux m'approcher d'elle !" Le père fut horrifié : "Tu veux que je tranche les mains de mon enfant ? - Tout ici mourra, rugit le Diable, tout, ta femme, toi, les champs aussi loin que porte son regard :" Le père fut si terrifié qu'il obéit. Implorant le pardon de sa fille, il se mit à aiguiser sa hache. Sa fille accepta son sort. "Je suis ton enfant, dit-elle, fais comme tu dois." Ainsi fit-il, et nul ne sait qui cria le plus fort, du père ou de son enfant. Et c'en fut fini de la vie qu'avait connue la jeune fille.

Quand le diable revint, la jeune fille avait tant pleuré que les moignons de ses bras étaient de nouveau propres et de nouveau, il se retrouva à l'autre bout de la cour quand il voulut se saisir d'elle. Il lança des jurons qui allumèrent de petits feux dans la forêt, puis disparut à jamais, car il n'avait plus de droits sur elle. Le père avait vieilli de cent ans, tout comme son épouse. Ils s'efforcèrent de faire aller, comme de vrais habitants de la forêt qu'ils étaient. Le vieux père proposa à sa fille de vivre dans un beau château, entourée pour la vie de richesses et de magnificence, mais elle répondit qu'elle serait mieux à sa place en mendiant désormais sa subsistance et en dépendant des autres pour vivre. Elle entoura donc ses bras d'une gaze propre et, à l'aube quitta la vie qu'elle avait connue. Elle marcha longtemps. Quand le soleil fut au zénith, la sueur traça des rigoles sur son visage maculé. Le vent la décoiffa jusqu'à ce que ses cheveux ressemblent à un amas de brindilles. Et au milieu de la nuit elle arriva devant un jardin royal où la lune faisait briller les fruits qui pendaient aux arbres. Une douve entourait le verger et elle ne put y pénétrer. Mais elle tomba à genoux car elle mourait de faim. Alors, un esprit vêtu de blanc apparut et toucha une des écluses de la douve, qui se vida. La jeune fille s'avança parmi les poiriers. Elle n'ignorait pas que chaque fruit, d'une forme parfaite, avait été compté et numéroté , et que le verger était gardé ; néanmoins, dans un craquement léger, une branche s'abaissa vers elle de façon à mettre à sa portée le joli fruit qui pendait à son extrémité. Elle posa les lèvres sur la peau dorée d'une poire et la mangea, debout dans la clarté lunaire, ses bras enveloppés de gaze, ses cheveux en désordre, la jeune fille sans mains pareille à une créature de boue. La scène n'avait pas échappé au jardinier, mais il n'intervint pas, car il savait qu'un esprit magique gardait la jeune fille. Quand celle-ci eut fini de manger cette seule poire, elle retraversa la douve et alla dormir dans le bois, à l'abri des arbres.

Le lendemain matin, le roi vint compter ses poires. Il s'aperçut qu'il en manquait une, mais il eut beau regarder partout, il ne put trouver le fruit. La jardinier expliqua : "La nuit dernière, deux esprits ont vidé la douve, sont entrés dans le jardin quand la lune a été haute et celui qui n'avait pas de mains, un esprit féminin, a mangé la poire qui s'était offerte à lui." Le roi dit qu'il monterait la garde la nuit suivante. Quand il fit sombre, il arriva avec son jardinier et son magicien, qui savait comment parler avec les esprits. Tous trois s'assirent sous un arbre et attendirent. A minuit, la jeune fille sortit de la forêt, flottant avec ses bras sans mains, ses vêtements sales en lambeaux, ses cheveux en désordre et son visage sur lequel la sueur avait tracé des rigoles, l'esprit vêtu de blanc à ses côtés. Ils pénétrèrent dans le verger de la même manière que la veille et de nouveau, un arbre mit une branche à la portée de la jeune fille en se penchant gracieusement vers elle et elle consomma à petits coups de dents le fruit qui penchait à son extrémité. Le magicien s'approcha d'eux, un peu mais pas trop. "Es-tu ou n'es-tu pas de ce monde ?" demanda-t-il. Et la jeune fille répondit : "J'ai été du monde et pourtant je ne suis pas de ce monde." Le roi interrogea le magicien : "Est-elle humaine ? Est-ce un esprit ?" le magicien répondit qu'elle était les deux à la fois.

Alors le cœur du roi bondit dans sa poitrine et il s'écria : "Je ne t'abandonnerai pas. A dater de ce jour, je veillerai sur toi." Dans son château, il fit faire, pour elle une paire de mains en argent, que l'on attacha à ses bras. Ainsi le roi épousa-t-il la jeune fille sans mains. Au bout de quelque temps, le roi dut partir guerroyer dans un lointain royaume et il demanda à sa mère de veiller sur sa jeune reine, car il l'aimait de tout cœur. "Si elle donne naissance à un enfant, envoyez-moi, tout de suite un message." La jeune reine donna naissance à un bel enfant.

La mère du roi envoya à son fils un messager pour lui apprendre la bonne nouvelle. Mais, en chemin, le messager se sentit fatigué, et, quand il approcha d'une rivière, le sommeil le gagna, si bien qu'il s'endormit au bord de l'eau. Le diable sortit de derrière un arbre et substitua au message un autre disant que la reine avait donné naissance à un enfant qui était mi-homme mi-chien. Horrifié, le roi envoya néanmoins un billet dans lequel il exprimait son amour pour la reine et toute son affection dans cette terrible épreuve. Le jeune messager parvint à nouveau au bord de la rivière et là, il se sentit lourd, comme s'il sortait d'un festin et il s'endormit bientôt. Là-dessus le diable fit son apparition et changea le message contre un autre qui disait : "Tuez la reine et son enfant." La vieille mère, bouleversée par l'ordre émis par son fils, envoya un messager pour avoir la confirmation. Et les messagers firent l'aller-retour. En arrivant au bord de la rivière, chacun d'eux était pris de sommeil et le Diable changeait les messages qui devenaient de plus en plus terribles, le dernier disant : "Gardez la langue et les yeux de la reine pour me prouver qu'elle a bien été tuée."

La vieille mère ne pouvait supporter de tuer la douce et jeune reine. Elle sacrifia donc une biche, prit sa langue et ses yeux et les tint en lieu sûr. Puis elle aida la jeune reine à attacher son enfant sur son sein, lui mit un voile et lui dit qu'elle devait fuir pour avoir la vie sauve. Les femmes pleurèrent ensemble et s'embrassèrent, puis se séparèrent. La jeune reine partit à l'aventure et bientôt elle arriva à une forêt qui était la plus grande, la plus vaste qu'elle avait jamais vue. Elle tenta désespérément d'y trouver un chemin. Vers le soir, l'esprit vêtu de blanc réapparut et la guida à une pauvre auberge tenue par de gentils habitants de la forêt. Une autre jeune fille vêtue d'une robe blanche, la fit entrer en l'appelant Majesté et déposa le petit enfant auprès d'elle. "Comme sais-tu que je suis reine ? demanda-t-elle.
- Nous les gens de la forêt sommes au courant de ces choses-là, ma reine. Maintenant, reposez-vous." La reine passa donc sept années à l'auberge, où elle mena une vie heureuse auprès de son enfant. Petit à petit, ses mains repoussèrent. Ce furent d'abord des mains d'un nourrisson, d'un rose nacré, puis des mains de petite fille et enfin des mains de femme.

Pendant ce temps, le roi revint de la guerre. Sa vieille mère l'accueillit en pleurant. "Pourquoi as-tu voulu que je tue deux innocents ?" demanda-t-elle en lui montrant les yeux et la langue ? En entendant la terrible histoire, le roi vacilla et pleura sans fin. Devant son chagrin, sa mère lui dit que c'étaient les yeux et la langue d'une biche, car elle avait fait partir la reine et son enfant dans la forêt. Le roi fit le vœu de rester sans boire et sans manger et de voyager jusqu'aux extrémités du ciel pour les retrouver. Il chercha pendant sept ans. Ses mains devinrent noires, sa barbe se fit brune comme de la mousse, ses yeux rougirent et se desséchèrent. Il ne mangeait ni ne buvait, mais une force plus puissante que lui l'aidait à vivre. A la fin, il parvint à l'auberge tenue par les gens de la forêt. La femme en blanc le fit entrer et il s'allongea, complètement épuisé. Elle lui posa un voile sur le visage. Il s'endormit et, tandis qu'il respirait profondément, le voile glissa petit à petit de son visage. Quand il s'éveilla une jolie femme et un bel enfant le contemplaient. "Je suis ton épouse et voici ton enfant." Le roi ne demandait qu'à la croire, mais il s'aperçut qu'elle avait des mains. "Mes labeurs et mes soins les ont fait repousser", dit la jeune femme. Alors la femme en blanc tira les mains en argent du coffre dans le quel elles étaient conservées. Le roi se leva étreignit son épouse et son enfant et, ce jour-là, la joie fut grande au cœur de la forêt. Tous les esprits et les habitants de l'auberge prirent part à un splendide festin. Par la suite, le roi, la reine et leur fils revinrent auprès de la vieille mère, se marièrent une seconde fois.

( des frères GRIMM)

bunni


Chaudoudoux ,petit conte sur l'alchimie des sentiments,

Le conteur dit : Un jeune enfant arrive un jour sur une place de village. Il se pose sur la margelle d'une fontaine et harangue la foule en ces termes :       « Je vends des histoires ! Achetez-moi une histoire ! Un sou la triste, deux sous la joyeuse ! » Mais, soudain tous le monde se prosterne à l'arrivés d'un carrosse. C'est Le-roi-de-son-pays qui s'arrête au bourg.
           
            Ce roi est tyrannique et, entre autres lois stupides oblige ses sujets à se prosterner devant lui.  Donc tous, sauf l'enfant conteur, s'exécutent. Le tyran, voyant cela entre en courroux. Fendant la foule, il invective le garnement et n'obtient pour toute réponse que : « Je vends des histoires ! Achetez-moi une histoire ! Un sou la triste, deux sous la joyeuse ! ».
            Le tyran stupéfait, argue de sa personne, de son rang l'obligeant à des activités sérieuses, etc... Mais l'enfant une fois encore rétorque : « Je vous croyais  le maitre en tout par ici. Ne l'êtes vous pas de votre temps.  Je vends des histoires ! Achetez-moi une histoire ! Un sou la triste, deux sous la joyeuse ! ». Le tyran relève le défit et répond qu'il achète une histoire, une courte, à un sou.
            Alors, l'enfant entame une histoire en tout point semblable à ce qui vient de se passer depuis que lui et Le-roi-de-son-pays arrivèrent sur la place de ce village. Concluant par : « ... le roi était un tyran, ça tout le monde le savait. Mais, ce que l'on apprit, c'est qu'en plus il était pingre, car il n'acheta qu'une courte histoire à un sou ! ».
            Devant l'effronterie, le monarque sourit. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait plus goûté le courage chez quelqu'un qu'il en fut séduit. L'on vit alors le tyran et l'enfant s'en aller main dans la main après que Le-roi-de-son-pays eut demandé à entendre une autre histoire, mais une longue et joyeuse ce coup.
           
             Rendu au pied d'un pommier l'enfant raconta l'a même histoire, en détail, expliquant la transformation d'un tyran en être sensible par le truchement d'un conte.
            Le roi avisant des pommes proposa à l'enfant d'en manger. Chacun en prit une et le roi en voyant une dernière sur l'arbre invita l'enfant à la partager. D'accord, répondit-il, mais pas comme tu le penses.
            Il prit la pomme dans ses mains. La fendit en deux parties égales et se concentrant dessus fit de telle  sorte que les deux parties s'envolèrent dans les airs. Une derrière eux, l'autre devant.
            L'enfant dit alors : Une moitié pour tous ceux qui, se succédant, ont raconté depuis le début des temps, une moitié pour ceux qui, se succédant,  raconterons jusqu'à la fin des temps.

  Voici pour les raconteurs d'histoires, de contes, de romans, de compositions littéraires, musicales et de toutes les formes de créations quelles qu'elles soient pour peu que leurs créateurs aient eu, aient et sachent garder à cœur cette petite idée : L'art est un souffle divin gonflant les âmes comme des voiles de navires pour nous porter vers les rivages de l'harmonie. Que la source bienveillante d'harmonieuse énergie d'amour qui préside à l'équilibre de ce monde vous fournisse éternellement en chaudoudoux * afin que vous sachiez toujours offrir à chaque occasion le meilleur de vous-même !

Claude Stiener



bunni


Le voyage de la Lune

La Lune ouvrit un œil, et bailla longuement. Le tintement des clochettes des étoiles l'avait tirée de son doux sommeil. Elle s'étira avec délectation dans ses draps de Soie Lactée, profitant de ces instants de repos. Puis elle se leva tranquillement, ouvrit son armoire et contempla sa garde robe. Il y avait 3 vêtements : un blanc, réservé aux jours de pleine Lune, et deux noirs, l'un pour sa phase montante, l'autre pour sa phase descendante. Chaque jour, elle agrémentait sa robe d'une pincée de poussière d'espace, et elle devenait plus lumineuse, ou plus sombre, suivant la saison... Mais elle n'avait jamais disparu du ciel... Elle enfila sa robe de croissance, prit son bâton de bergère, et sortit. Les étoiles se dispersaient déjà dans le ciel, et commençaient à brouter les bras de Galaxies, dont elles étaient friandes. Mais déjà une s'aventurait un peu trop loin. La Lune siffla doucement, et l'étoile revint aussitôt, obéissante...Elle tourna son regard vers la Terre. Boule de lumière, qu'elle éclairait d'une lueur blafarde... Elle aurait tant aimé la visiter... Mais son troupeau d'étoiles l'accaparait entièrement. Si l'une d'elle s'approchait trop près de la Terre, le sifflement doux et les bras blanc de la Lune la ramenaient bien vite... Mais la Lune avait trop envie de venir sur la Terre... Mais on remarquerait vite son absence... La nuit passa très vite, et l'aurore rouge poussa les étoiles à se cacher, et la Lune à rentrer chez elle. Comme elle en avait envie, de visiter cet endroit !! Tous les soirs, elle le regardait. Tous les soirs, il lui révélait un nouveau visage... Enfin, elle se décida. Elle allait visiter ce monde qui lui faisait tant envie... Elle passa toute la journée, enfermée chez elle, devant sa machine à coudre, décorant une pièce de tissu gigantesque. Elle voulait être la plus jolie pour aller là bas.... Le soir venu, la Lune ouvrit sa porte, et apparut dans toute la splendeur d'une robe d'un noir de jais. Elle jeta sur le troupeau d'étoiles ce qui lui restait de poussières d'espace, pour mieux les voir, et se rendit sur Terre.

C'était plus beau que tout ce qu'elle avait pu imaginer. Les rues illuminées, les villes animées...les campagnes vides, mais si agréables... Elle contemplait le monde. Mais personne ne faisait attention à elle. Tout le monde regardait le ciel, se demandant où elle était passée. Elle sourit, et dit : « La Lune contemple le monde, et le Monde est dans la lune. »
Depuis ce jour, la nuit revêt une fois par mois sa robe noire, et descend sur terre. Si vous croisez une femme au teint pâle, habillée d'une longe robe couleur de la nuit, ne l'abordez pas... Laissez la contempler les tableaux du monde...


bunni


Conte du lutin troubadour

Il était une fois, un lutin prénommé Trémalin qui vivait dans une forêt enchantée où régnait fraîcheur, magie et imprévu. Il y exerçait le drôle de métier de troubadour.

Ainsi, Trémalin le lutin, parcourrait la forêt enchantée en dansant, chantant et racontant à tous ses habitants des histoires merveilleuses. Nombreux étaient les habitants de la forêt que notre petit lutin voulait faire rêver, mais son art n'était pas toujours bien accueilli. Parfois les autres lutins de la forêt étaient tellement pris par leurs occupations qu'ils oubliaient de rêver et de s'ouvrir à la magie d'une histoire.

Dans la forêt, les lutins sont chargés de l'entretien: faire jaunir les feuilles des arbres à l'automne, faire pousser les fleurs au printemps, parsemer les sous bois de rosée pour abreuver les plantes... C'est un travail minutieux et important dont les lutins s'occupent fort bien. Trémalin le troubadour, avait choisi, en plus de son travail auprès des plantes, de chanter, danser et faire passer des messages à travers son art.

Cette tâche n'était pas facile, beaucoup de petits lutins en avaient assez de l'entendre.
-Quel vacarme infernal, se disaient ils. Tu dois déranger les plantes et les animaux avec tout ce cirque, lui reprochaient-ils.
Beaucoup étaient désagréables avec lui et ne supportaient plus de le voir arriver.
-Oh! Encore une histoire à dormir debout, entendait-il.
Ou alors:
-Quelle musique agaçante, lui lançait-on.

Pourtant, c'était le meilleur conteur et le meilleur musicien de la forêt enchantée. Lorsqu'il passait, les plantes resplendissaient plus encore, les animaux s'émerveillaient, les arbres se redressaient. Sans le savoir, notre petit troubadour contribuait à un équilibre essentiel dans cette forêt: celui du merveilleux et du rêve.

Beaucoup des lutins qui le critiquaient avaient oublié l'existence même du rêve, de l'imprévisible et du fantastique. Ces derniers se contentaient de faire des tâches matérielles, de réaliser leur labeur sans ne s'émerveiller de rien. Il y avait d'ailleurs derrière le grand chêne, un club de lutins ronchons très actif. Ils aimaient se retrouver pour se plaindre à n'en plus finir. Sans s'en rendre compte, les lutins ronchons dépossédaient la forêt de ses propriétés magiques, à chaque complainte, une fleur fanait, ou un animal déprimait. Mais, la joie et la tendresse que mettait Trémalin dans son art, rétablissait vite l'équilibre et la forêt enchantée gardait tout son essor.

Après bien des discutions de la part des lutins ronchons à propos de la musique de Trémalin, l'un d'entre eux, Grobéta le costaud, décida qu'il était temps de passer à l'action. Il attrapa un grand sac et se mit à la recherche de Trémalin pour le capturer et l'expédier hors de la forêt.

Ce ne fut pas difficile pour Grobéta de trouver Trémalin, il suffisait juste de suivre la musique. Lorsque  Grobéta s'approcha, Trémalin était en train de donner la sérénade à une compagnie d'oiseaux. Les oiseaux virevoltaient autour de notre ami, c'était la fête et la joie dans la clairière. Grobéta s'approcha doucement de Trémalin pour le capturer. Les oiseaux tentèrent de l'avertir, mais en moins de temps qu'il faut pour le dire, Trémalin se retrouva enfermé dans le sac du lutin costaud.

Non loin de la forêt, se trouvait une caverne. Grobéta y déposa Trémalin et poussa une grosse pierre près de l'entrée, de telle sorte que Trémalin ne puisse plus en sortir. Satisfait de lui, il retourna œuvrer dans la forêt.
Trémalin, désormais coincé dans cette caverne, décida d'y pousser la chansonnette, d'y écrire des poèmes peut être l'entendrait-on et viendrait-on le délivrer?

Mais personne ne put entendre Trémalin. Beaucoup d'habitants se demandaient où il avait bien pu passer et se mirent à sa recherche. Grobéta le costaud se garda bien de révéler la cachette où il l'avait emmené.

Plusieurs jours passèrent et personne ne pu le trouver. La forêt enchantée, sans sa présence, devenait de plus en plus triste: les couleurs s'atténuaient, les fleurs fanaient, les animaux étaient tristes et même les lutins ronchons se sentaient encore plus déprimés.

Un comité d'urgence se réunit dans la forêt pour parler de la disparition de Trémalin:
- Regardez comme la forêt est triste sans lui, disait un lutin en parlant de Trémalin. Il faut faire quelque chose pour le retrouver car sans lui la forêt enchantée deviendra la forêt déprimée.

En attendant de retrouver Trémalin, une chorale de lutins s'improvisa pour pallier au manque de musique dans la forêt. De nombreux couacs et fausses notes s'élevèrent à travers bois et clairières, mais la musique eut pour effet d'attiser le moral des troupes et de redonner un peu de vigueur aux végétaux moribonds.

Un autre comité se réunit bientôt en secret, celui des lutins ronchons qui se plaignirent plus que jamais:
-Mes fleurs ne veulent plus pousser, dit l'un d'entre eux.
-Et moi, les feuilles des arbres se mettent à tomber alors que l'on est au printemps, répondit un autre.
-Ce n'est plus possible! Il faut le délivrer, finirent par dire les lutins ronchons tous en cœur.

C'est ainsi que Grobéta retourna à la caverne pour délivrer Trémalin. Il lui présenta milles excuses et lui expliqua que la forêt avait vraiment besoin de lui pour rester merveilleuse. A leur retour, les habitants de la forêt firent une ovation à Trémalin. Ils organisèrent un grand concert et un grand bal où Trémalin se fit une joie d'interpréter ses plus belles chansons.

Grâce à cet incident, les habitants avaient compris que le rêve et la magie étaient essentiels pour préserver l'équilibre de la forêt enchantée. Ils se mirent donc, en suivant l'exemple de Trémalin, à cultiver une nouvelle philosophie. Désormais, ils ouvriraient leur cœur et accepteraient de rêver, de dispenser un peu de bonheur autour d'eux et de voir tout ce qu'il y avait de merveilleux.

Ainsi la forêt fut chaque jour plus belle, et aujourd'hui encore est la plus resplendissante de toutes les forêts enchantées.

bunni


Hermeline

Voyez vous cette fumée étrange qui s'échappe du sous sol de la petite maisonnette voisine?

C'est une petite brume mauve violacée qui s'évapore doucement.

- Qu'est ce donc? Me direz vous.

- C'est le laboratoire secret de la sorcière , vous dirais-je alors.

La sorcière Hermeline évolue en secret parmi les habitants du village. En apparence, elle ressemble à une jeune femme normale, entre vingt et trente ans, une mine radieuse et un regard d'ange. En réalité elle a 120 ans et a trouvé depuis longtemps comment garder sa jeunesse grâce à la pureté de ses pensées. Sous son air angélique, se cache la sagesse d'une femme centenaire qui a vécu bien des choses et fait de nombreuses expériences.

Elle a décidé de garder l'anonymat et vivre une vie semblable à nous tous ici bas. Il faut dire, que de nos jours, les sorcières ne sont plus tellement à la mode. On les imagine le nez crochu, se déplaçant avec un balai et jetant des sorts malfaisants les soirs d' Halloween.

-Mais pas du tout! Dirait la sorcière Hermeline lorsqu'on lui décrirait ainsi les sorcières. Une sorcière est une personne qui ressemble à tout le monde et que personne ne soupçonne. Elle œuvre parmi les gens pour réparer des erreurs du passé, rééquilibrer le monde, semer de bonnes pensées... et puis les balais c'est dépassé! Maintenant qu'il y a les mobylettes, c'est bien plus rapide et les aspirateurs bien plus efficaces que les balais. Il faut vivre avec son temps!

C'est ainsi que notre sorcière a choisi de vivre. Ah! Elle n'a pas toujours été sage et honnête, elle a jadis jeté de mauvais sorts et fabriqué de dangereuses potions magiques. Mais avec l'âge vous savez, on se lasse de faire des bêtises. Surtout que les potions malfaisantes n'intéressent plus vraiment les gens aujourd'hui. Il a fallu se reconvertir en autre chose de plus tendance, comme le bonheur.

Et oui, le bonheur est à la mode. Lorsqu'on se promène sur le marché du village d'Hermeline on entend les vendeurs crier:

-Bonheur tout frais! Qui veut du bonheur tout frais? demandez du bonheur tout frais.... .

Ne les entendez vous pas?

Hermeline distribue du bonheur tout frais gratuit, elle n'a pas besoin de le vendre. Elle est à la retraite depuis bien longtemps et a des revenus suffisants. Une retraite de sorcière c'est tout à fait correct.

Voici notre sorcière qui passe près de nous, observez la discrètement. De longs cheveux bruns soyeux, qui paraissent doux comme de la soie, une petite taille fluette, un regard doux et bienveillant qui inspire la confiance. Elle porte une jolie petite robe bleue très à la mode, avec de petits papillons verts brodés sur le côté.

Vous la voyez traverser la rue? Elle se rend à son cours de poésie. Elle s'en sert pour inventer de nouvelles formules magiques qu'elle consigne dans son grimoire. Vous savez, il faut adapter les formules à notre époque pour qu'elles soient vraiment efficaces. L'année dernière, elle a pris des cours de rap et a consigné des formules très puissantes.

Cette année, Hermeline la sorcière a décidé d'apporter un peu de raffinement à ses nouvelles potions. Elle compose ainsi des recettes magiques en alexandrins, rimes, tercets... et va chaque semaine prendre des cours de poésie pour améliorer son art.

De retour dans son atelier, elle se met au travail rapidement. Imaginez une cave, remplie d'alambics, de fioles et de couleurs. Il y a aussi l'éternel chaudron, indispensable, ainsi que ses fidèles assistants: Roméo le crapaud et Gribouille la grenouille. Tous les trois forment une équipe magique de haut vol.

Ceux qui connaissent le secret d'Hermeline n'arrêtent pas de parler d'elle ces derniers temps. Laissez moi vous raconter.

Tout a commencé lorsqu'elle a croisé le regard du facteur. Le jeune homme a bien senti qu'elle n'était pas une fille comme les autres et il a eu envie de mieux la connaître, alors il a pris le temps de bavarder.

Il était agréable, doux et lui a parlé d'un air charmant. Hermeline en a été toute retournée. Il faut dire que, jadis, notre sorcière était une grande adepte des potions de cœur d'artichaut et en a gardé des effets de manière permanente. Cette potion, très appréciée des sorcières lors des festivités produit instantanément un effet relaxant et adoucit la vie. Mais en contrepartie, elle permet à quiconque la boira de tomber très facilement amoureux, ce qui n'est pas toujours un avantage.

Hermeline ne savait pas quoi faire, cela faisait au moins 60 ans qu'elle n'avait pas vécu d'histoire d'amour et encore plus longtemps qu'elle n'avait pas côtoyé un simple garçon ordinaire. Son dernier amoureux, le sorcier noir Mordoc lui en avait tellement fait voir qu'elle avait renoncé a l'amour et décidé de vivre en solitaire auprès de Roméo et Gribouille.

La voici touchée par ce beau jeune homme. Mais elle ne savait pas quoi faire. Ni une ni deux, elle s'est enfermée dans son laboratoire pour étudier de font en comble le contenu de son grimoire. A la recherche d'une sagesse oubliée, elle cherchait à se protéger du merveilleux sourire du facteur, elle voulait l'oublier et vivre seule comme avant. Elle avait beaucoup trop peur d'être malheureuse encore une fois. Mais Hermeline n'a rien trouvé, pas la moindre formule, ni le plus petit ingrédient magique qui pourrait répondre à ses recherches.

Roméo et Gribouille l'ont rassurée, lui disant qu'une sorcière ressent des sentiments humains elle aussi.

-Tu es amoureuse, mais tu as peur, lui dit Roméo en désignant le grimoire, il y a un chapitre là dessus.

Hermeline s'est replongée dans son grimoire. On dit qu'à ce moment là, il a dégagé une montagne de poussière lorsqu'elle a tourné les pages et Roméo et Gribouillent ont éternué encore et encore.

Un chapitre entier de son grimoire était consacré à la peur. La conclusion de sa lecture était très simple: contre la peur, un seul remède: le courage.

Elle a réuni tous les ingrédients et mis son chaudron à mijoter pour faire une potion de courage. Elle y a ensuite déposé (notez bien la recette, car vous pourrez la refaire chez vous):

Une écaille de dragon peureux, un cheveu de troll froussard, trois poils de bec d'autruche, une étincelle de luciole, deux empreintes de yéti, un grand verre de peur bleue, une pincée de chair de poule, une chaussette du chevalier sans peur et sans reproche, une poignée de cheveux qui se hérissent, une feuille qui tremble, une pincée de frémissement d'horreur, un soupçon de dents qui claquent. Elle a terminé sa potion en rajoutant une fiole entière de peur du noir et a remué le tout.

Une fumée verdâtre s'est échappée du chaudron.

-Il manque un peu de goût, s'est dit Hermeline, en humant la préparation.

Elle a alors rajouté du gingembre et du citron.

-C'est parfait, s'est-elle dit en se versant une bonne lampée de potion dans sa tasse préférée.

Dès qu'elle a bu la potion, Hermeline a grelotté, sangloté, frissonné. Elle ne s'est pas sentie bien du tout.

-Au secours! A-t- elle appelé en regardant Gribouille et Roméo.

Mais sa vision s'est troublée, sa tête a tourné et Hermeline s'est effondrée par terre et est tombée, inconsciente. Ceux qui m'ont raconté cette histoire ne savent pas pourquoi elle a fait ce malaise. Certains disent qu'elle a utilisé de la peur bleue pas fraîche, d'autres pensent que le citron et l'étincelle de luciole ne vont pas ensemble...

Toujours est-il, que lorsqu'Hermeline s'est réveillée, elle se trouvait allongée sur son canapé. Elle ne savait pas ce qui s'était passé, elle avait mal à la tête, mal au ventre, mal partout. Elle s'est demandé comment elle avait bien pu arriver là alors qu'elle était dans son laboratoire,peu de temps avant.

- Ça va mieux? lui dit une voix près d'elle.

Se tournant vers son interlocuteur, Hermeline n'en croyait pas ses yeux: c'était son beau facteur qui était là, assis près d'elle.

-J'avais oublié de vous distribuer un paquet, lui a-t-il expliqué. C'est votre grenouille qui m'a prévenu que vous étiez souffrante. Je vous ai donc amenée ici et j'ai veillé sur vous.

Hermeline se sentait trop mal pour lui répondre, elle a alors exploré la situation dans sa tête:

-Il m'a trouvée dans mon laboratoire où il y a plein de potions....il n'a pas été surpris d'être accueilli par une grenouille qui parle...

-Mon grand père était un sorcier lui aussi, lui a répondu le facteur comme s'il devinait ses pensées. Mon grand père, habitait en Afrique avec un caméléon et une girafe qui parlent. Il était très connu. De nos jours, peu de gens croient encore aux bienfaits des sorciers et vous devez vous cacher. C'est dommage...

Hermeline a mis plusieurs jours à se remettre. La potion de courage n'a pas marché comme elle l'avait imaginé, mais elle s'est sentie plus légère et n'a plus eu peur de parler au facteur. Elle a compris que l'important était de se laisser porter par le destin, et que parfois il était plein de surprises. Le petit facteur a passé beaucoup de temps au chevet d'Hermeline. On m'a dit qu'il s'appelle Norbert.

Norbert et Hermeline se sont revus encore et encore. Je suis venu ici pour espionner. J'aimerais bien connaître la suite. Est ce que vous savez quelque chose? Tous ceux qui connaissent Hermeline n'ont pas voulu m'en dire plus. Est ce qu'elle est tombée sous son charme? Moi j'aimerais bien. On m'a dit qu'une sorcière amoureuse, ça distribue encore plus de bonheur gratuit.

Mais, regardez là bas : ne serais-ce pas Norbert?

Il remonte l'allée de chez Hermeline, un bouquet de fleurs à la main, on dirait qu'il vient lui rendre visite. Je vois la porte qui s'ouvre. Gribouille la grenouille l'accueille.

Tiens, j'entends une voix, c'est celle d'Hermeline:

-Bienvenu mon aimé.

La porte se referme sur eux.

Nous ne pouvons pas entrer dans la maison pour savoir ce qui s'y passe. Il ne reste pus qu'à imaginer la suite. Ils s'aiment, maintenant je le sais. Sûrement vivront-il heureux et auront plein de grenouilles qui parlent et de potions magiques?

Et si on revenait faire un tour ici de temps en temps pour voir?