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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


La légende de la reine épine

Il était une fois, il y a bien longtemps, un minuscule pays qui était si petit qu'il n'y avait trace de lui dans aucune carte. Ce pays, le monde fantastique, était gouverné par la reine des fées. C'était une dame magnifique, elle avait de longs cheveux blonds, de grands yeux gris et un sourire radieux. Ce pays était très prospère, on ne connaissait ni la peur, ni la faim, ni la soif, ni la misère, ni les guerres.


Ses habitants vivaient en harmonie avec les animaux et leur seule nourriture était faite de pétales de fruits ou de roses dont chaque espèce ou couleur apportait un pouvoir ou une essence naturelle indispensable à leur survie.

Les lacs d'eau, intarissables, étaient si clairs et si transparents que l'on pouvait voir les milliers de poissons couleur de feu qui y vivaient. Dans les forêts, le soleil se reflétait sur les branches en or ou en argent. Les gens ne connaissaient pas la misère car chaque fruit était enrobé d'une matière précieuse: toutes les cerises étaient recouvertes d'une enveloppe de diamant, les framboises de saphir, les poires de rubis, les pommes d'émeraudes, les pêches d'aigue-marine... une fois la précieuse enveloppe retirée, on pouvait manger le fruit juteux.


Les plumes des oiseaux étaient de soie, et la fourrure des animaux était de satin. Les robes des demoiselles étaient le plus souvent de tulles et plus rarement de soie ou de satin car il fallait attendre qu'un animal meurt de mort naturelle pour lui ôter sa fourrure ou son plumage. Les coutures ou broderies étaient de fils d'or blanc, et ornées de milliers d'éclats de cristal. les chapeaux étaient cousus fil par fil à la main, et les écharpes ou les gants n'existaient pas, car l'hiver n'existait pas.

Dans ce pays toutes les femmes étaient différentes mais toutes plus belles les unes que les autres et les hommes, tous des seigneurs, ne connaissaient pas la jalousie.


Mais ce pays était si petit que personne, sauf ses habitants, ne pouvait le trouver, les terriens en firent donc une légende. Idéalisé, le pays devint une véritable quête et une obsession pour le reste de la planète qui connaissait le froid, la peur et la misère.

Le monde, à cette époque, ne s'organisait alors qu'autour de la perspective de trouver ce beau pays. Les habitants du monde fantastique se faisaient de plus en plus de soucis à cause de cette frénésie qui touchait la planète.

La reine des fées, qui était la dernière de son espèce se tourmentait à ne savoir que faire. Si les terriens venaient à trouver le pays ils le pilleraient, tueraient toutes les bêtes, voleraient toutes les richesses, emporteraient toutes les femmes, videraient l'eau des lacs, et couperaient tous les arbres.

Leur terre ne serait plus et leur prospérité ne serait plus qu'une légende. La seule solution pour que le pays ne fusse pas envahie, était pour la reine de vivre comme le commun des mortels et de se marier avec un terrien qui serait aussi bon que les gentils hommes de son royaume. Mais la reine ne pourrait jamais tomber amoureuse, car les reines ne pouvaient pas.


Elle décida alors de quitter ses beaux atours et de s'habiller en terrienne, mais une fois le moment venu de partir elle dut laisser son cheval à l'écurie car sa robe couleur de neige et ses crins couleur de lune les trahiraient tous deux.

Elle fit donc ses adieux à son peuple, qui pour la première fois connut la douleur et la tristesse. elle prit son sac dans lequel elle avait emporté quelques sortilèges et quelques trésors et partit à pied sur le long chemin qui la mènerait hors de son royaume. Elle marcha pendant 100 jours et 100 nuits dans les forêts sombres et la neige froide que connaissait le monde extérieur. Puis elle arriva enfin à une auberge, où elle demanda une chambre pour la nuit.

Le lendemain elle partit très tôt pour la ville. Dans celle-ci où tout lui semblait plus dure, elle demanda, loua une chambre pour une année, dans un modeste logis.


Cinq mois étaient déjà passés, et déjà dans tout le pays tout le monde ne parlait que de cette merveilleuse femme qui tous les jours achetait une centaine de roses. Personne ne savait d'où elle venait, et personne n'avait vu si grande beauté. On dirait même que ses cheveux étaient d'or et que ses yeux étaient de diamants. Bientôt tous les hommes du royaume voulurent l'épouser, si bien que la reine des fées dut s'enfermer dans sa chambrette pour n'en sortir que la nuit ou dissimulée sous une cape. Elle allait chercher de l'eau fraîche et des roses pour se nourrir.


Un jour le fils du roi qui ne pouvait se marier tant il trouvait laide et sotte les demoiselles de son pays, entendit parler de la désormais légendaire beauté de la reine qu'on surnommait Epine, du fait de ses achats de roses.

Il décida de faire le plus grand et le plus beau bal que le monde n'ai jamais vu. Il envoya une carte à Epine qui lassée de cette banale vie de mortel décida d'aller au bal. pour l'occasion elle cassa l'écorce d'une cerise, et échangea l'écorce de diamant contre la plus belle robe de tous le royaume. C'était
une robe bleu couleur de ciel sur laquelle elle fit accrocher des éclats de diamants.


Elle brossa ses longs cheveux et loua un carrosse ou elle partit pour le bal. Quand elle arriva, tout le monde comprit qu'elle était la belle Epine. le roi l'aperçut et après avoir faillit s'étouffer il la désigna à son fils. Epine comprit que la fête avait été réservée en son honneur car le sol, les tables et les murs étaient recouverts de roses de toutes les couleurs, et bien qu'elle en eu l'eau à la bouche elle ne laissa rien paraître.

Quand le prince s'approcha de la fée, il eut les yeux brûlés par sa beauté. Il sut alors qu'il avait enfin trouvé la femme de sa vie. En effet, il avait entendu dire que la dame était d'une intelligence et d'une culture rare. Quant à elle, la reine qui n'avait que 20 ans, n'était pas dupe et sut qu'elle ne pouvait tomber amoureuse.


Deux mois passèrent, et le mariage d'Epine et du prince Constant fût célébré. La reine avait accomplie sa mission, et son royaume ne serait pas envahie, car désormais, le monde ne tournait qu'autour de la merveilleuse beauté de la fée. Même si son mari était très beau, gentil et très attentif à ses moindre désir, Epine souffrait de l'absence de son peuple, de ses amis, et de son magnifique cheval.

Elle savait qu'elle ne pourrait revenir chez elle qu'après avoir donné une fille aussi belle qu'elle, et qui aurait hérité de ses vertus magique. D'année en année, Epine s'attacha à son mari, ils s'entendaient merveilleusement bien et elle savait que si elle pouvait elle serait amoureuse de lui. Dix ans plus tard, la futur princesse soufflait ses cinq bougies. Mais les deux autres enfants n'étaient jamais venu au monde.


La reine, de plus en plus triste, demanda à son mari de la laisser retourner d'où elle venait pour une année avec leur fille, et elle jura qu'après elle reviendrait. Le prince accepta et la reine revint dans son pays ou elle éleva sa fille pour qu'elle puisse s'accoutumer à ses futurs taches de reine. L'année suivante elle revint avec sa fille et décida de repartir chez elle avec son mari.

Elle se dit qu'elle lui dirait toute la vérité, mais que si il ne voulait pas garder le secret elle devrait le tuer.


Epine, de son surnom, expliqua alors dans une conversation qui dura 10 jours et 10 nuits à son époux son histoire, et enfin lui demanda de venir avec elle. Il lui dit qu'il devait réfléchir, elle lui accorda une année entière pour qu'il puisse se décider. L'année suivante, la petite princesse qui se nommait Sarrinna avait 7 ans, et le temps était venu pour son père de donner sa réponse à sa femme.

Il accepta de partir avec elle. quand ils arrivèrent dans le monde fantastique, le prince pleura devant tant de beauté. 3 années plus tard la princesse prit le pouvoir et la reine des fées eu alors le droit d'aimer, car le royaume n'était plus à sa charge. Elle eut enfin droit au pur bonheur, elle aimait sa fille, son mari et tous deux l'aimaient aussi.


Quant au reste de la planète, les gens ne consacrèrent leur attention que sur la belle histoire, qui devint légende du prince et de la belle Epine qui disparurent un beau matin de printemps.


bellparole





COMPERE LAPIN ET LE GRAND DIABLE

(Extrait de "Contes créoles" de Marie-Thérèse Lung-Fou)
David Kurt
       
Les enfants et la femme de Lapin mouraient de faim, car celui-ci n'avait rien à leur donner pour se mettre sous la dent Il se décida à aller leur chercher un peu de liane douce, mais par manque d'attention il pénétra sur les terres du Grand Diable. Dès qu'il s'en rendit compte, ce dernier se précipita et brutalement lui demanda:

- Que faites-vous ici ?
- Je prends quelques branches pour nourrir ma famille !
-Vous ne savez donc pas que vous êtes sur mes terres ? et que je vais vous manger ?

Lapin répliqua:

- Mais Patron, un petit animal comme moi ne remplirait qu'un tout petit coin de votre estomac! Vous gagneriez davantage à me faire travailler pour votre compte.
- Ce que vous dites est fort juste, reprit le Diable... Faite-moi donc trois planches d'eau... Si à mon retour ce n'est pas fait, alors je vous mangerai et ce sera sans appel...
Et il s'en alla... Lapin réfléchissait et pensait que c'était impossible à réaliser. Il ne voyait pas comment échapper à la mort et pensait à sa femme et à ses enfants.

Il était donc là, bien abattu, quand Commère la Criquette vint à passer:

- Alors, Compère Lapin, comme vous voilà triste... Avez-vous perdu quelqu'un des vôtres?
- Oh que non, dit Lapin, j'ai que le Grand Diable exige de moi, sous peine de mort, que je lui fasse trois planches d'eau.
- Trois planches d'eau, dites-vous ?... Et vous voilà anéanti à cette pensée! Mais, mon cher, vous êtes un sot..!
- Moi, un sot ?... répliqua Lapin, comment l'entendez-vous ma commère ?...Ce n'est pas vous qui risquez d'être mangée.
- Eh compère, quand le Grand Diable viendra réclamer les planches d'eau, vous n'aurez qu'à lui dire qu'elles sont prêtes, mais qu'il vous faut pour les lui porter une torche de fumée.

Commère Criquette s'en alla, laissant Lapin bouche bée.
Quand le Grand Diable arriva pour réclamer les planches d'eau, Lapin lui fit la réponse suggérée par son amie.
Le Grand Diable fit appel à tous ses amis diables et diablotins pour lui faire de la fumée, mais personne ne put réaliser la torche de fumée. Alors, il demanda à Lapin:
- Comment peut-on faire une torche de fumée?

Lapin lui répondit:
- De la même manière qu'on peut réaliser les planches d'eau.
Le Diable resta planté à la même place, perplexe, et Lapin put s'en aller retrouver sa femme et ses enfants.
Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme est un sentiment qui manque à l'amour : la certitude.

(Honoré de Balzac)

bunni


La spirituelle fille du pauvre homme

Il était une fois un homme pauvre qui pour survenir vendait du bois et de la paille. Il parvenait ainsi à obtenir un peu de pain et de fromage pour lui et sa fille unique. Un jour, alors qu'il passait sur le port, il vit le roi qui, debout sur son bateau, tenait à la main une manne remplie de pièces d'or. Il proposait des énigmes à son peuple et promettait à celui qui pourrait les résoudre l'ensemble de ce trésor. Hélas ! les questions étaient telles que personne n'y parvint. Le pauvre homme essaya, réfléchit, tourna mille fois les questions dans sa tête mais ne trouva rien. Il rentra chez lui, tout en rêvant à la manne pleine d'or. A peine entré, sa fille remarqua qu'il se passait quelque chose. Elle lui demanda :
"Père, mon bon père, mais qu'as-tu donc? Ton regard est perdu dans des songes et tu rentres plus tard qu'à l'ordinaire. Que t'est-il arrivé?"
"Ah! ma fille, répondit l'homme, je reviens du port où le roi propose des énigmes au peuple et promet à qui pourra les résoudre une manne pleine d'or. Si je pouvais résoudre ces trois énigmes, nous serions riches."
"Dis-moi ces énigmes, mon bon père. Peut-être pourrai-je les résoudre et ramener un peu de lumière dans cette maison."
"Volontiers. Voici la première : Qui embrasse le monde entier et ne rencontre personne qui lui ressemble?"
"Mais c'est le soleil, dit la jeune fille. Il embrasse le monde entier et ne rencontre personne qui lui ressemble. Quelle est la deuxième?"
"Qui est celle qui nourrit ses petits enfants et dévore les grands?"
"Mais c'est la mer. Elle dévore les grands fleuves. Et quelle est la dernière?"
"Quel est l'arbre à demi noir et à demi blanc?"
"Mais c'est l'année, mon bon père, avec ses nuits et ses jours. Va, retourne sur le port et donne ces trois réponses au roi."
L'homme courut au port, il s'agitait, levait les bras et, une fois arrivé, cria:
"Je connais les réponses, noble sire!"
Le roi incrédule écouta le pauvre homme. Lorsqu'il entendit les réponses, il regarda l'homme et dit:
"Cela ne se peut. Ton cerveau vieux et fatigué ne pouvait trouver les solutions. Qui t'a donné les réponses?"
Le vieillard se laissa tomber à genoux sur le sol et dit:
"C'est ma fille, noble sire. Elle a résolu les énigmes."
"C'est bien, dit le roi. J'aimerais voir, à présent, si ta fille est vraiment aussi spirituelle. Amène-la moi afin qu'elle tue cette pierre devant tout le peuple. Je veux qu'elle la tue de manière à ce que le sang en coule."
Sur le port, les gens s'esclaffaient. Ils attendaient la fille du pauvre homme. Leur attente ne fut pas très longue. Déjà la fille s'avançait vers le roi, son couteau à la main.
"Voici mon couteau, noble sire, je vais tuer ta pierre mais avant cela, il faut que tu lui donnes une âme, car seul ce qui est vivant saigne. Si après cela, je ne la tue pas, fais-moi couper la tête."
Le roi rit à cette réponse et dit:
"Je crois que tu es la plus intelligente de mon royaume."
Et comme en plus d'être intelligente, la fille du pauvre homme était aussi très belle, le roi ajoute :
"J'aimerais faire de toi ma reine. D'ici trois jours, tu devra être dans mon château. J'y mets cependant trois conditions : Tu dois chevaucher et ne pas chevaucher, m'apporter un cadeau et ne pas l'apporter. Nous tous, petits et grands, nous sortirons pour t'accueillir, et il te faudra amener les gens à te recevoir et pourtant à ne pas te recevoir."
La jeune fille revint chez elle et demanda à son père de l'aider à attraper quatre lièvres et deux pigeons vivants. Au troisième jour, elle mit les lièvres dans un sac, les donna à porter à son père et dit:
"Quand je te dirai de les laisser partir, fais-le!" De son côté, elle les deux pigeons, s'assit à califourchon sur une chèvre et s'en alla vers le château du roi.
Entendant qu'elle approchait, le roi et toute sa maison sortirent de la ville à sa rencontre.
Lorsque la jeune fille ne fut plus très loin et qu'elle aperçut les ministres, les hauts dignitaires et les courtisans, le peuple rassemblé, elle dit à son père de laisser s'en aller les lièvres. Aussitôt, tous se mirent à les poursuivre, afin de les rapporter. La jeune fille, assise à califourchon sur la chèvre, tantôt marchait sur ses pieds, la chèvre entre les jambes, tantôt, levait les pieds et chevauchait sur le dos de la chèvre. Elle s'avança vers le roi en tirant les deux pigeons de sa poche et les lui tendit. Au moment où il voulut s'en saisir, la fille ouvrit la main et les pigeons s'envolèrent.
"Me voici, noble sire. Les gens m'ont reçu et pas reçu. Je t'ai apporté un cadeau et pas apporté. J'ai chevauché et pas chevauché."
Le roi la souleva de la selle et dit:
"Tu seras ma reine, car une femme intelligente m'est plus précieuse qu'une femme riche et de haute naissance. Je dois encore te faire promettre une chose: je voudrais qu'à aucun moment tu ne te mêles pas des affaires d'Etat, car je tiens à gouverner seul."
La jeune fille lui promit et il vécurent un grand bonheur.
Il arriva qu'un jour, alors que de pauvres paysans gardaient des chevaux dans la prairie, le roi vint à passer. Les paysans s'étaient endormis et un cheval s'élança sur le roi en tuant son cheval, une belle jument grise. Il entra dans une immense colère et ordonna qu'on jette les paysans en prison, en attendant de leur faire couper la tête.
Un grand désespoir saisit les femmes des paysans qui ne voyaient d'autre solution que de s'adresser à la femme du roi qu'on disait bonne et sage. Elles arrivèrent près de la reine, tombèrent à genoux et la prièrent, au nom de Dieu et de leurs enfants, de les aider.
"Que puis-je faire pour vous être utile ? Le roi m'a défendu de me mêler des affaires de l'Etat. Je ne peux que vous donner un conseil. Ce soir, placez-vous avec vos enfants sur la plage. Tenez-vous sous la fenêtre tournée du côté de la mer et pleurez, gémissez toute la nuit. Il ne recevra pas son soporifique et vous pourrez lui dire :
"Le monstre marin est venu pour nous dévorer. Sauve-nous, ô noble sire. Nous prierons pour qu'une longue vie te soit accordée!"
Il vous répondra:
"Malheureuses, bien que je sois le roi, il n'est pas en mon pouvoir d'empêcher le monstre marin de tuer."
Vous lui direz alors:
"Ô noble sire, tu ne peux nous sauver du monstre marin, bien que tu sois le roi. Et tu veux faire tuer nos maris qui n'ont pas pu empêcher un cheval d'en tuer un autre."
Et le roi vous dira:
"Prenez cette clef, allez à la prison et délivrez les."
Les femmes firent comme la reine le leur avait dit, et tout se passa exactement comme elle l'avait prédit. Le lendemain matin, en se réveillant, le roi dit à sa femme:
"Tu peux me donner mon soporifique, afin que je rattrape le sommeil perdu. Lorsque je me réveillerai, je ne veux plus te voir au château. Tu a le droit d'emporter en partant ce qui t'est le plus cher et le plus précieux dans cette maison."
"Bien volontiers, mon roi!"
Elle lui présenta son verre d'eau. Il le but et s'endormit. La reine enveloppa soigneusement le roi dans une couverture, en fit un paquet et dit à son serviteur:
"Emporte ce paquet dans la maison de mon père. Prends garde, il est rempli de porcelaine. Il faut le déposer doucement afin de ne rien casser."
Elle s'en alla vers la maison de son père, et y arriva peu avant le réveil du roi. Lorsque celui-ci se réveilla dans un lit inconnu, dans une maison étrangère, il dit:
"Où suis-je? Qui m'a apporté ici?"
La reine lui répondit:
"C'est moi, noble sire. Tu m'as permis d'emporter du château ce qui m'y était le plus cher et le plus précieux. Il n'y a pour moi rien de plus précieux que toi, mon roi."
"Rentrons au château, ma mie, s'écria le roi en se levant. Il n'existe nulle part sur terre une femme plus spirituelle que toi, et je t'appartiens comme tu m'appartiens."
Il l'emmena et rejoignit le château en sa compagnie. Ils y vécurent très heureux et qui sait s'ils ne vivent encore ?

bunni


L'homme gris

On raconte que dans le royaume d'Islande, il y a bien longtemps, si longtemps que personne ne sait plus quand cela était, vivaient un roi, son épouse, la reine et leur fille unique. Le roi était très riche en argent et en biens, et aussi en bétail. A cette époque, juste derrière le château royal, vivaient dans leur petite cabane, un très vieil homme et sa très vieille femme. Le vieil homme ne possédait qu'une seule vache et c'est d'elle qu'il tirait toute sa subsistance.

Un dimanche, le pauvre vieil homme se rendit à l'église avec sa femme, comme ils le faisaient chaque semaine. Ce jour là, le pasteur parla de la charité : "Celui qui donne, disait-il, recevra au centuple." Cela fit beaucoup d'effet sur le vieil homme qui se mit à réfléchir. En chemin, il ne put s'empêcher d'en parler à sa femme :
-"Tu as entendu ce qu'a dit le pasteur ?"
-"Evidemment, j'étais à côté de toi mais je t'en prie ne prend pas ses paroles au pied de la lettre. Ce n'était qu'une image", dit sa femme qui avait la tête sur les épaules. Mais l'homme n'était pas satisfait. Il ne pouvait oublier ces paroles, et, tout le jour, il les retourna dans tous les sens dans sa tête.

Le lendemain, après avoir passé une très mauvaise nuit, il résolut de donner sa seule et unique vache. Il appela des ouvriers et leur demanda de construire une étable qui pourrait contenir cent vaches. Sa femme se fâcha et le traita de sot. C'était leur première dispute après tant d'années de mariage.
Mais malgré la querelle, le vieillard ne changea pas d'avis et se posa la question de savoir à qui il allait donner sa vache. Il pensa d'abord au roi. Il lui serait facile d'en rendre cent sur le champs. Mais finalement, il se dit que le mieux serait encore de la donner au pasteur qui voudrait faire honneur à sa parole et se montrerait par conséquent le plus charitable.

Il prit sa vache et s'en alla chez le pasteur.

Ce dernier fut très surpris de le voir arriver en compagnie de sa vache. Lorsque le vieillard lui eut raconté l'objet de sa visite, il se fâcha et se moqua même de lui en lui disant:
- "Que tu es sot. Tu n'as vraiment rien compris à mon sermon !"

Le pauvre vieux, tout penaud, s'en retourna chez lui...

Chemin faisant, une violente tempête se leva. La neige se mit à tomber en rafales. Le vent soufflait si fort que l'homme ne pouvait avancer qu'avec peine. Tout en luttant contre les éléments, il pensait au pasteur et à ses paroles. Il avait le cœur lourd et des larmes lui piquaient les yeux. Tout à coup, un homme surgit devant lui. Il portait un grand sac sur son épaule, et lui demanda:
-"Où te rends-tu ainsi, avec ta vache?"
Le vieillard s'arrêta et lui raconta toute son histoire.
-"Oh ! dit l'étranger. Il vaut mieux que tu prennes mon sac en échange de ta vache, car qui sait ce qui peut lui advenir par une pareille tempête! Et certainement, je suis certain que tu ne le regretteras pas."
Le vieux aurait bien voulu savoir d'abord ce qu'il y avait dans le sac mais l'étranger ne voulait rien dire. Le vieux était tiraillé entre l'envie de garder sa vache et celle de voir le contenu du sac. N'en pouvant plus, il prit le sac, donna sa vache, et chacun s'en alla de son côté. Le sac était vraiment très lourd. Le vieux imaginait ce qu'il pouvait contenir : de la nourriture, des vêtements, des objets en argent, des pièces d'or, des bijoux... Finalement, il opta pour la nourriture.

Arrivé chez lui, couvert de neige, il cria à sa femme :
-"Mets vite mettre une marmite d'eau sur le feu, car au lieu de la vache, je rapporte quelque chose à faire cuire..." Lorsque l'eau se mit à bouillir, le vieux ouvrit le sac et y trouva quelque chose qui remuait, quelque chose de vivant. Un homme, tout gris de la tête aux pieds, en sortit.
-"Eh! l'ami s'écria celui-ci, si tu songes à faire cuire quelque chose, je te conseille de prendre autre chose que moi!"
Le vieil homme était tellement surpris et effrayé qu'il ne savait que dire. Sa femme se mit en colère pour la seconde fois :
-"D'abord, tu donnes notre unique vache, qui nous donnait du lait, du beurre et du fromage, et voilà que tu introduis à présent un étranger dans la maison, pour que nous le nourrissions."
Sans dire un mot, l'homme gris sortit et revint peu de temps après, avec un gras agneau dans ses bras. Il le tua et le mit à rôtir. Les deux vieux prirent peur. L'agneau n'avait-il pas été volé ? Comme il ne leur restait plus rien, ils le mangèrent. Le manège dura un certain temps ainsi. Dès qu'un agneau était mangé, l'homme gris en apportait un autre, le préparait et les deux vieux vivaient l'estomac plein. Chaque matin, ils remerciaient Dieu de leur avoir envoyé l'homme gris qui était devenu leur fournisseur de nourriture.

Vous vous demandez, j'en suis certaine, d'où venaient les agneaux ? La réponse est simple : l'homme gris les volaient dans les troupeaux du roi. Il pensait que celui-ci était bien assez riche et qu'il pouvait faire un geste en faveur de ses sujets les plus pauvres.

Agneau après agneau, le troupeau diminuait et le berger préposé à leur garde lorsqu'il s'en aperçut, se rendit chez le roi et lui raconta que des agneaux disparaissaient de son troupeau. Le roi fut très étonné et très irrité.
-"Ce ne peut être qu'un étranger, dit-il. Depuis que je règne, jamais personne encore n'a volé dans mon royaume." Il fit aussitôt rechercher dans toutes les maisons si un étranger était venu. C'est de cette façon, qu'il fut informé que depuis un soir d'hiver, un homme gris avait emménagé chez les deux vieux qui habitaient juste derrière le château royal. Le roi le convoqua. Et l'homme gris vint.
Dans leur cabane, les deux vieux gémissaient et pleuraient: "Maintenant, il va certainement être tué. C'est notre faute. Nous aurions dû être attentifs et savoir d'où venaient les agneaux..."

-"M'as-tu volé des agneaux?" demanda le roi.
-"Certes, dit l'homme gris, c'est moi qui l'ai fait."
-"Pourquoi? demanda le roi. Ne sais-tu pas que c'est un délit?"
-"Je l'ai fait pour les deux vieux qui habitent juste derrière le château royal. Sire roi, tu possèdes plus de bêtes que tu ne peux manger. N'est-ce pas justice que de prendre aux riches pour donner aux pauvres ? Sans cela, les deux vieux seraient morts de faim autrement."
Le roi se mit à réfléchir :
- "N'as-tu rien appris d'autre que voler ? N'es-tu pas capable de travailler ?"
L'homme gris expliqua au roi qu'il ne volait pas comme un voleur. Il ne faisait qu'enlever un peu à celui qui en avait trop. Il aimait ce qu'il faisait et il voulait devenir un maître-voleur dans le genre.
-"Maître-voleur ce n'est pas un métier et tu seras mis à mort pour l'exemple. Où en arriverons-nous si l'un enlève ce qui appartient à l'autre au motif que l'un est plus pauvre que l'autre ?" Soudain le roi s'arrêta. Une idée lumineuse venait de lui traverser l'esprit. "Je pourrais te faire grâce si tu sais réellement voler avec art, et que tu le fasses, naturellement, avec mon autorisation."
L'homme gris dit qu'il voulait bien essayer et demanda ce qu'il lui faudrait voler.
-"Demain, dit le roi, je ferai garder mon plus beau bœuf par tous mes serviteurs. Tente de le voler pendant qu'il sera dans la forêt."
L'homme gris accepta la proposition et rentra chez les deux vieux qui étaient bien heureux de le voir de retour. Sans une explication, il demanda une corde et s'endormit jusqu'au lendemain matin.

Dès potron-minet, il se rendit dans la forêt et se suspendit par la corde à un arbre, juste à l'endroit où il savait que devaient passer les serviteurs du roi avec le bœuf. Lorsque ceux-ci virent l'homme gris suspendu tout en haut de l'arbre, ils se dirent qu'il avait dû voler d'autres gens encore, que ceux-ci l'avaient tué. Ils étaient très heureux car ils pensèrent qu'ils n'avaient plus besoin de veiller avec tant d'attention sur le bœuf...
Mais, à peine les serviteurs se furent-ils éloignés, que l'homme gris courut à un autre endroit où il savait que devaient passer les serviteurs du roi avec le bœuf. Il alla se suspendre aux branches d'un autre arbre. Cette fois, les serviteurs furent stupéfaits. "Y avait-t-il donc deux hommes gris dans le royaume, où bien était-ce de la magie? Ils décidèrent d'éclaircir le mystère. Ils attachèrent le bœuf à un arbre et s'en retournèrent vers le premier arbre voir le premier homme gris.
Pendant ce temps, l'homme gris délia le bœuf et le mena dans la cabane des deux pauvres vieux. Il tua le bœuf, lui enleva la peau, et, de son suif, fit des bougies.
Quant aux serviteurs, lorsqu'ils ne retrouvèrent plus le premier homme gris, ils retournèrent vite vers le bœuf et s'aperçurent alors que celui-ci avait disparu tout comme le second homme gris. Ils rentrèrent au château et annoncèrent au roi la perte du bœuf.
Le roi fit aussitôt appeler l'homme gris. Dans leur cabane, les deux vieux pleuraient en disant:
-"Cette fois, on le tuera sûrement, gémirent les deux pauvres gens. Nous n'aurions pas dû manger le bœuf !"

Au palais, le roi était assis sur son trône et il s'adressa en ces termes à l'homme gris:
-"Ainsi donc, tu as volé mon bœuf."
-"Oui, Sire, pour sauver ma vie."
-"Bien, bien, je te fais grâce. Mais, je vois que la tâche était beaucoup trop facile. Je voudrais que tu me donnes un second échantillon de ton art. Cette nuit, j'aimerais que tu enlèves nos draps de lit, à la reine et à moi! "
-"Oh, s'écria l'homme gris, c'est bien difficile ce que vous me demandez!"
Le roi leva les yeux au ciel et dit : "Cela te regarde! "
L'homme gris rentra chez les deux vieux qui étaient bien heureux de le voir de retour. Sans une explication, il demanda de la farine et fit cuire un pot d'épaisse bouillie. Puis, il ferma solidement le pot et s'en alla vers le château. Sans se faire voir, il s'y glissa et y resta caché.

Le soir, les portes du château furent verrouillées avec soin. La garde fut renforcée mais il y avait bien longtemps que le rusé homme gris se trouvait à l'intérieur.
Vers dix heures, le roi et la reine allèrent se coucher. Lorsqu'ils furent endormis, l'homme gris s'approcha de leur lit et versa l'épaisse bouillie sur le drap, juste entre le roi et la reine. Puis, il se cacha de nouveau. Quand la reine sentit l'humidité du drap, elle s'éveilla et s'écria:
-"Mais, mon cher ami, tu as mouillé le lit! Qu'est-ce donc?"
-"Je n'y songe guère, s'indigna le roi, c'est toi qui l'a mouillé! "
Une violente querelle s'éleva entre les souverain. Longtemps, ils se rejetèrent la faute. Mais, comme ils étaient fatigués, ils prirent les draps et les jetèrent dans un coin. A aucun moment, ils ne songèrent à l'homme gris. A peine furent-ils endormis de nouveau, que l'homme gris s'approcha et emporta les draps. Rusé comme il était, il réussit à sortir du château et rentra chez les deux vieux qui furent bien étonnés de voir les draps royaux chez eux.
Le matin lorsque le roi s'éveilla et il vit que ses draps de lit avaient disparu. Il fit aussitôt appeler l'homme gris. Dans leur cabane, les deux vieux pleuraient en disant: "C'est notre faute. Maintenant, il va certainement être tué. Un roi ne peut pardonner cela!"

Mais au château, le roi accueillit l'homme gris en souriant.
-"Tu es réellement presque un maître-voleur, dit-il. Mais je n'ai toujours pas encore éprouvé suffisamment ton art. Si tu veux vraiment devenir un maître voleur, il te faut, cette nuit, nous enlever nous-mêmes, la reine et moi, de notre lit." Evidemment, le roi savait cette tâche impossible et il ricanait en pensant que cette fois, l'homme gris serait défait.
L'homme gris rentra chez les deux vieux qui étaient bien heureux de le voir de retour. Sans une explication, il mit sur sa tête le grand chapeau usé du vieux et en remplit les trous avec les bougies tirées du suif du bœuf abattu. Ensuite, il prit un sac plein d'écrevisses et beaucoup de petites bougies.

Lorsque minuit sonna, il fixa une petite bougie sur le dos de chacune des écrevisses et les laissa courir dans le cimetière attenant à l'église. de son côté, il se mit à sonner les cloches et alluma tous les cierges de l'église. Le roi et la reine furent réveillés par le son des cloches et s'approchèrent de la fenêtre. Ils virent que de dizaines de petites lumières dansaient sur les tombes et que l'église était toute illuminée, cependant que les cloches n'arrêtaient pas de sonner. Sous le portail de l'église, ils virent une étrange silhouette et ils pensèrent qu'un ange était descendu du ciel leur apporter quelque message. Ils se précipitèrent tels qu'ils étaient, en chemise de nuit.
Arrivés devant l'église, ils tombèrent à genoux et demandèrent ce que tout cela signifiait.
-"Le dernier jour est venu, dit la figure immobile. Voyez les âmes des morts, qui se rendent au ciel pour implorer le pardon de leurs péchés."
-"Que nous faut-il faire pour l'obtenir nous aussi?" demanda le roi.
-"Il vous faut entrer dans ce sac, dit l'homme gris, afin que je vous conduise jusqu'aux portes du ciel car je suis un ange." Et il ouvrit tout grand le sac dans lequel il avait apporté les écrevisses et les bougies.
Le roi entra donc dans le sac et la reine le suivi. Aussitôt, l'homme gris referma le sac et s'écria:
-"Je ne suis nullement un ange, mais l'homme gris, et j'ai accompli ce que vous m'avez ordonné. Maintenant, que vous êtes en mon pouvoir, je pourrais vous rendre ridicules devant tout votre peuple, mais j'ai un marché à vous proposer : je voudrais que vous preniez les deux pauvres vieux auprès de vous et que vous partagiez avec eux tout ce dont vous avez de trop et eux pas assez. Pour moi, je vous demande votre fille unique pour femme, ainsi que la moitié de votre royaume et je vous promets de ne plus jamais voler."
Le roi était tellement effrayé qu'il accepta le marché ainsi l'homme gris les reconduisit dans leur lit. Lorsque le roi se retrouva sous sa chaude couverture et qu'il fut un peu remis de ses émotions de la nuit, il dit:
-"Qui es-tu donc, en réalité? Et d'où viens-tu?"
L'homme gris lui révéla qu'il était le fils du roi voisin. Son père l'avait envoyé dans le monde pour y apprendre quelque chose de bien. En chemin, il avait entendu parler des deux pauvres gens et il avait vu le vieux qui conduisait sa vache. Il avait simplement voulu accomplir le désir du vieux, et justifier ainsi les paroles du pasteur.

Dès le lendemain, le roi prit les deux vieux auprès de lui, et veilla à ce que personne dans son royaume n'eût jamais plus faim. Il célébra les noces de l'homme gris avec sa fille. Et aucun homme, dès lors, ne vola plus, car tous avaient suffisamment.


bellparole






La Clef d'Or

C'était l'hiver. Une épaisse couche de neige recouvrait la terre. Le gel avait
figé dans un sommeil sans fin la nature. Un pauvre homme sortit de sa maison
avec un traîneau pour aller chercher du bois mort dans la forêt.
Or, le froid était si intense dans la forêt, que quand il eût chargé son traîneau
avec tout le bois qu'il avait pu ramasser, il se trouva incapable de rentrer chez
lui tant il était transi. Il décida de faire un petit feu pour se réchauffer avant de
poursuivre sa route.
Il balaya la neige pour installer quelques branchettes, et, tout en raclant le sol,
il trouva une petite clef d'or.

Croyant que là où était la clef, il devait y avoir aussi la serrure, il creusa la terre.
Il creusa encore et encore au point que la sueur tombait de son front jusque dans
ses yeux. Il creusa longtemps, des heures et des heures.

Enfin, il trouva une cassette de fer.
- Pourvu que la clef aille ! pensa-t-il. La cassette contient sûrement un trésor.
Il chercha et chercha encore pendant des jours et des jours. Mais il ne vit pas le
moindre trou de serrure. Il en découvrit un, mais si petit que c'est tout juste si on
le voyait. Maintenant, il fallait essayer la clef.
Il essaya pendant des semaines, des semaines et des mois. Et la clef alla dans
la serrure ! Il était tellement réjoui qu'il n'avait toujours pas froid.
Mais il fallait encore soulever le couvercle. Il s'y employa pendant des années.
Et il y est encore.
Donc, il nous faut attendre qu'il ait fini de soulever le couvercle. Alors, nous saurons nous aussi quelles choses merveilleuses sont contenues dans la cassette !


Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme est un sentiment qui manque à l'amour : la certitude.

(Honoré de Balzac)

bunni


L'histoire de Dragon Vert

Il était une fois, dans un pays lointain, un peuple de petits hommes heureux de vivre dans leur vallée verdoyante. D'un côté de cette vallée, une haute montagne abrupte et aride qui les protége du vent du nord, de l'autre, une colline ensoleillée toute la journée, on peut voir les chèvres et les vaches paître paisiblement à l'ombre des cerisiers en fleurs. L'herbe est grasse et tout pousse facilement dans cette terre riche. Un joli ruisseau s'écoule en son milieu, tantôt chantant, tantôt roucoulant. Il vient de là-bas le joli ruisseau, tout là-haut au bout de la vallée. Un éboulement de gros rochers empêche nos amis de passer par là, mais lui, le joli ruisseau, passe où il veut entre les cailloux. Il dévale la pente douce, arrose les petits jardins devant des maisonnettes en bois et poursuit son chemin au bout de la vallée.

Ah, ce bout de vallée ! cet espace vers l'inconnu ! personne ne l'a jamais vu. On dit qu'il existe un grand ruisseau, très large et très bleu qu'on appelle la mer, on dit que la montagne se jette dans la mer, on dit beaucoup d'histoires le soir à la veillée mais personne n'a pu s'aventurer de l'autre côté de la vallée à cause de DRAGON VERT.

Dragon vert vit dans une grotte cachée dans le flan de la montagne, juste au bout de la vallée. Il garde le passage et chaque fois qu'un habitant essaye de passer devant la grotte, il sort en claudiquant d'une patte sur l'autre, lourdement mais vivement. Il ouvre sa grosse gueule et lance d'immenses flammes rouges, bleues, jaunes dans un bruit infernal d'ouragan en dévastant tout autour de lui.
Malheur à celui qui se trouve sur son passage, car dragon vert brûle tout se qui passe à sa portée.

Dans ce village si tranquille habite Pékù, c'est un garçon intelligent et très curieux. C'est pour cela qu'il voudrait bien voir ce qui se passe au bout de la vallée. Les histoires de grandes personnes ne l'intéresse pas, ce qu'il veut lui, c'est découvrir le monde et les habitants. Il paraît qu'il y a des hommes très grands, des hommes noirs et même des blancs, lui il est plutôt jaune avec des yeux bridés. Tout cela l'intrigue, et sa colère monte contre Dragon vert qui les empêche de passer.

Comme tous les enfants, Pékù se rend tous les matins au ruisseau y puiser l'eau dans un grand seau. Il en profite pour observer le monstre. Celui-ci ne quitte son refuge que pour griller quelques herbes ou quelques animaux et s'en régaler avant de retourner à sa tanière. Il ne va jamais bien loin, en tout cas jamais assez pour espérer passer sans être vu près de lui.

Un matin, Pékù s'approche un peu plus que d'habitude et voit son ennemi pointer le bout de sa gueule derrière le rocher, les naseaux s'écarquillent, les mâchoires s'entrouvrent, un bout de langue se montre puis la pointe d'une flamme. Pékù retient son souffle. Un œil apparaît puis les deux yeux se tournent vers lui. La peur lui sert le ventre et sentant la chaleur des flammes qui commencent à fuser, il prend de l'élan et lance le contenu du seau qu'il vient de remplir dans la gueule du monstre.


Un crépitement sinistre se fait entendre, Péku ne bouge pas. Il ne peut pas, la peur l'en empêche. Un raclement de gorge le réveille soudain de sa torpeur et il n'en croit pas ses yeux : l'énorme dragon vert tousse et crache des nuages de fumée noire et supplie :
- « de l'eau, de l'eau »
Pékù récupère son seau, le remplit vivement et jette à nouveau toute l'eau dans la gueule du monstre.
- « Merci, merci Pékù, tu viens de me rendre un fier service.
- Mais tu parles dragon ?
- Eh oui, et c'est même pour cela que j'ouvre la gueule chaque fois qu'un homme passe. Malheureusement, chaque fois ce sont des flammes qui sortent et je ne parviens pas à me faire comprendre.
- Pauvre dragon, comme tu as dû souffrir tout seul dans ta grotte !
- Oh oui Pékù. Veux tu devenir mon ami ?
- Mais bien sûr et si tu veux je t'emmène avec moi parcourir le monde.

Et c'est ainsi que Pékù et dragon vert s'en allèrent à la découverte de l'univers.

Mais les petits hommes de la vallée restèrent sagement dans leur village merveilleux ; ils racontent encore le soir à la veillée l'histoire de Péku et du dragon vert.



bunni


Belle comme la lune

L'on raconte qu'aux temps anciens, il était une jeune femme très belle, aussi belle que la lune. Et cette femme, les nuits de pleine lune, se fardait, peignait et parfumait ses longs cheveux, revêtait ses habits les plus riches, se parait de tous ses bijoux et sortait.

Pour mieux découvrir le ciel, elle gagnait une hauteur. Et là, elle levait son visage resplendissant vers la lune et lui demandait :

Qui de nous est la belle, Ô lune, qui de nous est la belle ? Et la lune lui répondait :

Toi et moi sommes également belles, mais la fille que tu portes en toi nous passera en beauté. Et la jeune femme se lamentait et maudissait l'enfant qui était dans son sein.

Pendant des mois, elle se tourna ainsi vers la lune pour lui demander :

Qui de nous est la belle, Ô lune, qui de nous est la belle ? Et chaque fois la lune répondait :

Toi et moi sommes également belles, mais la fille que tu portes en toi nous passera en beauté.

Au terme de sa grossesse, elle mit au monde une fille à la chevelure d'or, une fille aussi belle que lune en plein ciel. On l'appela Jedjiga : Fleur. Chaque jour augmentait sa beauté. Les voisines disaient à sa mère :

Certes, belle tu l'es. Mais la beauté de ta fille éclipsera la tienne.

Et la jeune femme, en entendant ses mots, sentait le poignard de la jalousie la transpercer. Elle se dit dans son cœur :

Lorsque cette enfant sera devenue adolescente, nul ne me regardera plus.

L'enfant avait huit ans. Elle était pleine de vie et de grâce. Sa mère lui dit un soir :

Demain, nous mettrons sur le métier une grande couverture. Nous irons planter les montants dans la campagne. La voisine nous accompagnera.

Au matin, elle prit deux montants bien solides et une grosse pelote de laine. Elle appela la

voisine et toutes deux partirent emmenant la fillette. Elles laissèrent le village loin derrière elles et atteignirent une colline. Elles s'arrêtèrent. La mère dit alors à l'enfant :

Nous allons enfoncer les montants dans la terre. Toi, tu feras courir la laine entre nous. Te voici grande, tu pourras bien tenir la pelote ?

La mère savait bien ce qu'elle faisait. La fillette se mit à faire courir la laine.

Plus vite ! Plus vite ! lui dit sa mère.

La pelote était lourde. Elle s'échappa des mains de l'enfant et se mit à rouler.

Cours et rattrape-la ! Cria la mère.

L'enfant s'élança. La mère coupa le fil et la pelote roula plus vite, encore plus vite, entraînant Jedjigha vers le ravin. Puis brusquement, la pelote disparût.

La fillette la chercha vainement dans les ronces et les buissons. Revenir en arrière ?... Elle avait perdu son chemin. Alors elle marcha au hasard sur ses petites jambes. Elle marcha longtemps, elle marcha jusqu'à l'orée de la forêt. C'est alors qu'elle découvrit, à demi-masquée par une épaisse végétation, l'entrée d'une caverne. Elle se fraya un passage et entra. La caverne était profonde. Lorsqu'elle eut fait quelques pas et qu'elle se fût habituée à la pénombre, l'enfant vit, enroulé sur lui-même comme un énorme bracelet, un serpent. Elle poussa un cri. Il dressa la tête, ouvrit les yeux comme des étoiles et la regarda. Il regarda la petite fille que Dieu seul avait pu créer. La course avait rendu son visage semblable à une rose ; les épines avaient égratigné ses pieds et ses mains. Ses vêtements étaient déchirés. Tant de beauté éblouit le serpent ; tant de grâce et de faiblesse l'émut. Il remercia Dieu dans son cœur. L'enfant tremblait. Il lui dit :

Ne crains rien, je ne te ferai aucun mal. Mais dis-moi, petite fille, ce qui t'a conduite jusqu'à moi.

Elle était sur le point de pleurer mais entendant le serpent lui parler dans un langage humain, elle se sentit rassurée. Elle lui dit :

Je tenais une pelote de laine : elle était lourde. Elle est tombée de mes mains et elle a roulé , roulé. Je l'ai suivie...Je l'ai perdue de

vue et j'ai continué à marcher jusqu'ici.

Il prit de l'eau pour lui laver le visage, les mains et les pieds. Il la fit asseoir et lui servit à manger. Elle mangea de la galette de blé et but du lait. Dans un endroit bien abrité, il lui étendit une couche et l'y conduisit pour qu'elle se reposât.

Il faut dire que ce serpent n'était pas un véritable serpent. D'abord, il avait commencé par être un homme heureux : il possédait une maison, une femme, de nombreux champs et toutes sortes de biens et de richesses. Mais une nuit, par mégarde, il marcha sur un serpent. Ce serpent le regarda, se dressa et lui soufflant son haleine au visage, lui dit :

Tu m'as écrasé. Tu deviendras serpent comme moi et tu le resteras tant que je vivrai, afin que les hommes te foulent aux pieds !

C'est ainsi qu'il fut changé en serpent. Il abandonna sa famille, sa maison et tous ses biens. Il déserta le monde et se réfugia dans la forêt. Il se rapprocha des bêtes, se mit à vivre à leur façon, à se nourrir de chair et de sang. Mais si son corps était celui d'un serpent, son cœur et son esprit étaient restés ceux d'un homme. Il n'avait fui ses semblables que dans la crainte d'être écrasé par eux. Mais la solitude lui était amère. Elle le minait. Depuis longtemps il n'avait vu l'ombre d'un être humain lorsque lui apparût la fillette. C'est pourquoi, à la vue de son visage de rose et de ses petits membres fatigués, le cœur du serpent se fondit de tendresse.

L'enfant s'était endormie. Il sortit, tua deux perdrix, cueillit des légumes et des fruits , et rentra. Il alluma le feu, mit en train le repas et alla réveiller la fillette. Il lui demanda avec douceur :

Quel est ton nom ? Quel est le nom de ton village et celui de tes parents pour que je te conduise vers eux ?

Elle répondit :

Je m'appelle Jedjiga, mais je ne sais ni le nom de mes parents ni celui de mon village.

Le serpent qui ne pouvait reparaître aux yeux des humains se tut. Il réfléchit longuement, promena ses regards autour de lui et finit par dire :

Tu resteras ici jusqu'à ce que Dieu t'ouvre un chemin. J'épouse ta faim et ta soif : tu seras mon enfant . Mais tu devras m'obéir et ne jamais dépasser le seuil de la caverne. Nous sommes ici dans le royaume des bêtes ; il pourrait t'arriver malheur si tu t'aventurais.

Le serpent l'éleva. Il fut pour elle à la fois un père et une mère. Il lui apprit à préparer les repas et à aimer l'ordre. Il la combla, l'entoura de tendresse. Elle lui obéit tant qu'elle était petite ; devenue adolescente, elle connut l'ennui. Elle eut la nostalgie du ciel, du soleil. Elle voulut découvrir le monde.

Le serpent la laissait souvent seule pour aller chasser et couper du bois : elle mit à profit ces absences. Tout d'abord elle se contenta de regarder timidement au travers des hautes herbes et des branches qui cachaient l'entrée de la caverne. Et puis elle s'aventura au dehors. Mais elle rentrait toujours avant que le serpent ne revint.

Un jour, un bûcheron l'aperçut et fut émerveillé. Comme il approchait pour la mieux considérer, elle disparut. De retour au village, il raconta son aventure à qui voulait l'entenre :

J'allais couper du bois dans la forêt lorsque je vis sortir de terre une créature, une créature... une nappe d'or la couvrait jusqu'aux pieds. La lumière qui en émanait m'éblouit. Sans doute était-ce la fée gardienne de la forêt ? Je voulus m'approcher pour voir son visage, mais elle avait déjà disparu !

Cette histoire, de l'un à l'autre colportée, arriva aux oreilles du prince qui n'hésita pas à interroger le bûcheron.

Prince, répondit le bûcheron, une créature m'est bien apparue à l'orée de la forêt. Elle était debout, contre un arbre. Etait-ce un ange, une fée ?... Son visage défiait la lumière. Une

nappe d'or l'habillait. Quand je voulus regarder de plus près, je m'aperçus qu'elle n'était plus là !

Demain, au point du jour, tu me conduiras où elle t'est apparue, dit le prince.

L e lendemain, la jeune fille finit par se montrer à l'entrée de la caverne. La nappe d'or qui l'habillait, c'étaient ses cheveux. Et c'est tout ce que virent d'elle le prince et le bûcheron qui la guettaient à travers le feuillage. Le prince décida de rester seul pour savoir si l'étrange créature était mortelle ou fée.

La jeune fille demeura longtemps sur le seuil et puis elle rentra. Peu après, le prince vit cette chose qui le stupéfia : le serpent qui avançait debout, portant des légumes, des fruits et du gibier car, lorsqu'il était chargé, il ne rampait pas ! Le serpent déjeuna, fit la sieste(c'était l'été) et sortit à la fraîcheur pour faire sa promenade. Alors, le prince put approcher de la caverne et contempler la jeune fille. Elle se tenait appuyée à un arbre, et elle portait à sa bouche des grains de raisin. Il pensa : "puisqu'elle mange, je puis l'aborder !" Il écarta les branches et lui dit en s'avançant :

Au nom de Dieu, je t'en prie, dis-moi qui tu es, créature !

Elle répondit :

Je suis un être comme toi. Je suis la fille du serpent.

Il la regarda tandis qu'elle parlait, s'émerveillant de son visage épanoui comme une rose. Il l'interrogea sur son village, sur ses parents. Elle répondit :

C'est ici, dans cette caverne, que j'ai vécu et grandi. Le serpent m'a élevée : je suis sa fille. Mais c'est à son insu que je sors. Ne va pas le lui dire, ni lui raconter que tu m'as vue surtout ! Et elle rentra.

Le prince s'en alla trouver son père ; il lui déclara :

Je veux épouser la fille du serpent.

Le roi s'indigna. Le prince tomba malade d'un grand mal. La fièvre ne le quitta ni jour ni nuit. Le roi finit par demander :

Mon fils, qu'est-ce qui te guérirait ?

Laisse-moi épouser la fille du serpent, dit le prince, et tu verras que je guérirai.

Comme le prince dépérissait de jour en jour, le roi céda. Il se rendit chez le serpent et lui dit :

Donne-moi ta fille pour mon fils.

Le serpent répondit :

Roi, il y a sept ans qu'elle est venue à moi. Je l'ai élevée comme ma fille. Elle m'est plus chère que le haut-ciel. Mais puisque, ô roi, tu la veux, la voici : je te la confie. Comble-la de présents et veille sur elle comme je l'ai fait moi-même jusqu'ici. Quant à moi, je ne te demanderai qu'une chose : une outre de sang.

Le jour où elle devait se séparer de lui pour suivre le roi à la cour, le serpent dit à la jeune fille :

Va ma fille, sois vaillante, va et ne regarde surtout pas en arrière mais toujours en avant !

Elle monta une jument toute caparaçonnée de soie et le roi l'escorta. Mais au bout d'un moment elle s'écria :

J'ai oublié mon peigne !

Elle descendit de sa monture et courut vers la caverne où elle surprit le serpent en train de se repaître de sang. Elle le vit changer d'expression. Il lui dit, tout honteux :

Ne t'avais-je pas recommandé de ne pas revenir en arrière ?...Tu t'en repentiras !

Elle s'en retourna tout effrayée vers le roi.

Elle vécut heureuse à la cour durant quelques mois. Le prince, son mari l'aimait tendrement. A la grande joie de toute la famille royale, elle mit au monde un enfant aux cheveux d'or, un enfant à sa ressemblance. Elle garda le lit quarante jours et puis, un matin, elle se leva pour se mêler à la vie de la cour. Lorsqu'elle revint vers l'enfant, il avait disparu. On le chercha partout, on remua ciel et terre pour le retrouver mais en vain.

L'année suivante, elle eut un nouvel enfant, un enfant comme le premier, à la belle chevelure d'or. Au bout de quarante jours, il disparut aussi. Le roi et la reine dirent alors à leur fils :

Remarie-toi ! Quel bien peut-il nous venir de la fille du serpent ?

Mais le prince qui mettait son espoir en Dieu répondit à la reine et au roi :

J'ai choisi Jedjiga pour elle-même et non pour les enfants qu'elle me donnerait.

La jeune princesse eut successivement sept garçons, sept garçons à la chevelure d'or qui tous, lui furent ravis quarante jours après leur naissance. Elle fut surnommée : "celle qui croque ses enfants". Mais le prince l'aimait toujours.

Huit ans s'étaient écoulés depuis que Jedjiga avait quitté la caverne du serpent pour la cour du roi quand un soir, elle dit au prince :

Demain, conduis-moi vers mon père, afin qu'il me pardonne... Il fit selon son désir.

Comme ils arrivaient près de la caverne, le prince et la princesse virent six petits garçons aux cheveux d'or qui jouaient et se poursuivaient de façon charmante. Un vieillard élevait dans ses bras le septième enfant aux cheveux d'or.

La princesse cherchait des yeux le serpent. Alors le vieillard s'avança et lui dit :

Ne le cherche pas, c'est moi. Il y a longtemps, une nuit, j'ai marché sur un serpent par mégarde. Il s'est vengé en me rendant serpent comme lui. Mais il est mort et son pouvoir sur moi est mort. Il dit encore :

Le jour où tu m'as quitté pour aller vers ton époux, je t'avais recommandé de ne pas revenir en arrière. Tu es revenue et tu m'as surpris en train de boire du sang. Tu m'as humilié et je t'ai dit : "Tu t'en repentiras".

Il tendit à la princesse le bébé qu'il avait dans les bras et se tourna vers le prince :

C'est moi, prince, qui suis venu chercher tes enfants les uns après les autres pour punir ma fille. Je les ai élevés avec tendresse, comme j'ai élevé leur mère. Sept fois, prince, tu t'es trouvé devant un berceau vide et tu n'as pas humilié ma fille. Tu l'as aimée au contraire et tu l'as protégée. Voici tes enfants... je te les rends. Et il poussa vers lui les six enfants aux cheveux d'or.

Mon conte est comme un ruisseau, je l'ai conté à des seigneurs...


bunni


Balajoudh et l'Ogresse Tseriel

Mieux vaut dormir la nuit en ayant des soucis qu'en ayant des remords
Balajoudh vivait dans les montagnes de Kabylie. Il n'était pas bien riche. Il avait en tout et pour tout 3 sous en poche. Un jour, il va au marché, et après avoir bien regardé, il s'achète une figue Elle n'était pas bien grosse, alors il l'a dégustée jsuqu'à la dernière bouchée. A la fin il ne lui restait dans les mains qu'une petite queue.

Il est allé dans son jardin et il l'a semée en lui disant :
Toi demain, il faut que tu aies germé, sinon prends garde à toi.

Et le lendemain, la petite queue avait pris racine Alors il lui a dit :
Toi demain, il faut que tu aies poussé, sinon prends garde à toi !

Le lendemain, dans son jardin, une belle pousse sortait de terre avec des petites feuilles vertes. Balajoudh lui a dit.
Toi demain, il faut que tu sois devenue un figuier sinon prends garde à toi.

Et le lendemain, au beau milieu de son jardin se trouvait un magnifique figuier. Balajoudh lui a alors dit :
Toi demain, il faut que tu me donnes de belles figues bien mûres, sinon prends garde à toi.

Et le lendemain matin, les branches de son figuier croulaient sous le poids des figues elles étaient tellement grosses et appétissantes que d'en parler j'en ai l'eau à la bouche !

Alors Balajoudh est monté sur son figuier pour goûter à ses belles figues. Il en a mangé une, puis deux et quand il a été rassasié, il s'est mis à crier :
Qui veut des figues, de belles figues bien mûres !

Seulement, il était midi, l'heure la plus chaude de la journée. Il faisait une chaleur à tuer un âne et les gens étaient chez eux.

Les gens oui, mais pas l'ogresse TSERIEL qui rôdait dans les parages. Lorsqu'elle a entendu Balajoudh, elle s'est approchée et lui a dit :
Moi, mon fils, donne-moi de tes bonnes figues

Balajoudh a bien reconnu Tsériel (qui ne la connaît pas dans le pays ! Et il sait qu'il faut s'en méfier. Seulement, on lui a enseigné le respect qu'il doit aux anciens. Alors il lui dit :
Ces figues sont à toi, vieille mère, tu n'as qu'à te servir. Mais Tsériel lui répond.
Mon fils, tu sais bien que je suis vieille et à moitié aveugle. Allez, cueille-moi quelques figues.

Balajoudh a cueilli quelques figues qu'il a tendues à Tsériel. Aussitôt, elle l'a attrapé par le bras, l'a fourré dans un grand sac avec les figues, a mis le sac sur ses épaules et la voilà partie. Dans le sac, Balajoudh se disait.
Pauvre de moi qui vais mourir si jeune, moi qui aime tellement la vie.

Et voilà qu'il entend un clapotis.... Mais oui, c'est la rivière qui se trouve au pied de la colline. Alors, il demande à Tsériel.
Vieille mère, as-tu fait ta prière ? Tsériel s'arrête.
Non pour sûr je n'ai pas fait ma prière aujourd'hui ! Et la voila qui pose le sac, et qui se met à faire ses ablutions comme on doit faire avant la prière.

Pendant ce temps, Balajoudh s'empresse de sortir du sac et de le remplir de pierres. Puis, il prend ses jambes à son cou. Lorsque Tsériel a fini sa prière, elle remet le sac sur ses épaules et continue sa route. En chemin elle dit :
Eh mon fils, tu es bien plus lourd que tout à l'heure, tu as dû manger les figues. Mais, retire donc tes genoux et tes épaules, ils me font mal..

Une fois rendue chez elle, elle appelle sa fille Vetelis. Il faut que je vous dise que Vetelis est une beauté... Eh oui, elle n'a qu'un oeil et pas n'importe quel oeil : un oeil blanc signe suprême de beauté chez les ogres. Tsériel dit à sa fille :

Fais chauffer la marmite, le repas est dans le sac. Lorsque l'eau fût bouillante, Tsériel a versé le contenu du sac qui l'a éclaboussée et a cassé la marmite :
Ah maudit Balajoudh, il m'ajoué un méchant tour mais je me vengerais.

Le lendemain elle est retournée dans le jardin de Balajoudh. Il était perché sur son figuier et il criait à qui voulait l'entendre.
Qui veut des figues des belles figues bien mûres ?
Moi, mon fils s'écrie Tsériel. Baljoudh sait qu'il doit se méfier et il sait aussi le respect qu'il doit aux anciens.

Alors il lui dit :
Tu n'as qu'à te servir, vieille mère !
Mais mon fils, tu sais bien que je suis vieille et à moitié aveugle alors s'il te plaît... Balaloudh cueille quelques figues et quand il les tend à Tsériel, elle l'attrape par le bras, le fourre dans son sac et pose le sac sur ses épaules et la voilà partie.

"Pauvre de moi qui aime tant la vie et vais mourir si jeune" se lamentait Balajoudh. Et voilà qu'il entend le clapotis de la rivière. Il dit à Tsériel :
Vieille mère as-tu fait ta prière aujourd'hui ? Tsériel s'arrête et répond.
Demain mon fils, je la ferai demain. Et elle reprend sa route. Arrivée chez elle, elle appelle Vetelis.
Prépare la marmite, le repas est dans le sac...

Balajoudh tente le tout pour le tout et dit à Tsériel :
Regarde vieille mère comme je suis maigre Fais moi grossir etje serais bien meilleur à manger.
Tu as raison, mon fils, tu n'es pas bien gros.

Et à ces mots elle le plonge dans une grande jarre en terre remplie de dattes et elle lui dit :
Mange mon fils, autant que tu voudras. Dans une semaine je viendrais voir si tu as grossi.

La semaine passe, bien trop vite pour Balajoudh, et quand Tsériel lui demande de passer un doigt hors de la jarre. (© publié par Tamurth.net)Balajoudh ne passe pas son doigt, non non il tend une épine qu'il avait dans sa poche et lorsque Tsériel la touche, elle lui dit :
Tu es encore trop maigre mon fils, reste encore une semaine et surtout n'oublie pas de bien manger !

Balajoudh mange et la semaine passe encore trop vite pour lui. La semaine passe, Tsériel s'approche de la jarre et lui demande de montrer un doigt. Balajoudh lui tend une brindille cette fois. Tsériel s'écrie :
Mais cela ne va pas du tout, mon fils, tu es encore trop maigre. Ecoute je te laisse encore une semaine dans la jarre et dans une semaine, que tu sois gros ou maigre je te mangerais.
Pauvre de moi, pensait Balaj oudh, pour qui le temps passait trop vite.

A la fin de la semaine, Tsériel dit à sa fille :
Prépare le couscous, tue balajoudh, coupe-le en petits morceaux et mets-le à mijoter dans une bonne sauce avec des épices. Moi je vais chercher le reste de la famille pour les inviter au festin.

Aussitôt Tsériel partie, Vetelis a sorti Balajoudh de lajarre. Elle tenait un couteau à la main. Balajoudh qui n'avait rien à perdre lui dit :
On parle de ta beauté jusque dans notre village et je sais comment te rendre encore plus belle.

L'oeil blanc de Vetelis est devenu rouge de plaisir et elle lui a dit :
Dis-moi comment tu fais ?
Eh bien, je peux te faire des tatouages avec du henné. Mais il me faut un couteau.

Vetelis n'a pas réfléchi, elle a tendu son couteau à Balajoudh qui s'en est emparé et... l'a tuée. Puis il a enfilé sa robe et mis son foulard sur la tête. Et il s'est mis au travail. Il a coupé Vetelis en petits morceaux, Il l'a mise a cuire avec des épices, de temps en temps, il tournait bien pour que ça n'attache pas. La table était mise et le repas servi quand Tsériel est arrivée avec la famille. Ils étaient aussi nombreux que vous aujourd'hui.

Tout le monde s'est installé pour manger. A un moment, un petit cousin s'est écrié :
Oh, on dirait bien la main de la cousine Vetelis. Tout le monde a levé la tête et s'est arrêté de manger

Alors Tsériel a dit :
Mange donc et arrête de faire ton intéressant.

Plus tard, une petite cousine s'est écriée :- Oh mais c'est l'oeil blanc de la cousine Vetelis et là, silence et l'on a fait passer l'oeil blanc. Et oui, c'était bien l'oeil de Vetelis. Mais alors, où était donc la cousine Vetelis ?

Eh bien, elle n'était plus là, parce que Balajoudh avait pris les jambes à son cou.

Et le conte dit que depuis ce jour Tsériel lui court après mais qu'elle ne l'a toujours pas rattrapé.


bunni


Le sultan

... Le sultan et sa femme, qui avaient peur de mourir sans laisser d'enfant mâle, priaient jours et nuits, faisaient des aumônes, consultaient les plus illlustres médecins, visitaient tous les marabouts du pays, mais en vain. Après bien des années, la sultane mit au monde un garçon. La veille de sa naissance, alors que la sultane faisait sa sieste, un vieillard à barbe blanche lui apparut en rêve et lui dit :
« Tu auras un fils, il aura toutes les qualités attendues chez un prince. Il sera beau, intelligent, courageux, téméraire, mais lorsqu'il atteindra l'âge adulte il tombera si gravement malade que sa vie sera en danger et qu'il ne il sera guéri que si vous consentiriez un gros sacrifice. » Et il disparut laissant la pauvre femme ébranlée.

« Comment faire ? » se lamentait-elle, elle dont la joie provoquée par la naissance du prince commençait à s'émousser. « Comment faire pour aider mon fils ? » Les années passèrent. Le garçon grandissait en beauté, courage et témérité, comme l'avait prédit le vieillard.

Lorsqu'il fut en âge de prendre femme, son père demanda et obtint pour lui la main de la fille du sultan voisin. Le mariage devant être célébré à la fin de l'été après les moissons, tout le pays s'activait en vue des noces qui devaient être inoubliables, car le jeune prince était aimé et estimé de tous autant pour sa bonté et sa générosité que pour sa bravoure et son intelligence. La sultane voyant son fils en bonne santé oublia le rêve et avec lui ses craintes jusqu'au jour ou le prince qui revenait à travers champs vit une jeune fille qui avançait en titubant une cruche sur la tête.
Elle fit encore quelques pas puis s'écroula. La cruche en tombant se cassa en plusieurs morceaux et l'eau se répandit sur le sol. Le prince se précipita et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il découvrit une éblouissante jeune fille aux longs cheveux d'un noir d'ébène éparpillés autour d'elle. Toute la beauté et toute la grâce étaient gravées sur ses traits et sa silhouette mais ses vêtements quoique propres étaient ceux d'une miséreuse. Le prince, émerveillé, la contempla longtemps puis se secoua comme s'il sortait d'un rêve. Il l'aida à se relever. En voyant sa cruche cassée elle éclata en sanglots.

«
Oh, ma cruche, ma belle cruche que mon père m'a ramenée du souk. Que vais-je lui dire pour me justifier ? »
N'ayez crainte, lui dit le prince, des cruches semblables, il y en a plein le souk.
Hélas, mon bon seigneur, hélas nous sommes pauvres et mon père, pour m'acheter cette cruche, s'est privé durant une semaine d'un remède qu'il prend lorsqu'il fabrique le charbon. Mon père, seigneur, est charbonnier, et c'est lui qui alimente tout le palais en charbon.
N'ayez crainte vous dis-je, demain à l'aube une cruche aussi belle vous attendra devant chez vous.

Rassurée, elle partit. Le prince resta longtemps debout à l'endroit ou elle était tombée puis il partit à son tour. Il envoya sur le champ un domestique au souk, avec ordre d'acheter une cruche et de la déposer devant la maison du charbonnier.

Toute la journée, le prince fut obsédé par la vision de la jeune fille, et le soir il ne put fermer l'oeil tant cette vision était vivace dans son esprit. Cet état de chose dura plusieurs jours, au point que le jeune homme en perdit le goût du sommeil et ne se restaurait que rarement. Sa situation était sans issue, car il ne voulait pas se marier avec la fille du sultan mais avec la fille du charbonnier. Au bout de quelques temps, le prince tomba gravement malade, ne trouvant aucune solution à son problème. Ses parents affolés firent venir tous les médecins du pays, mais aucun ne put déceler la nature de cette mystérieuse maladie. Il dépérissait à vue d'oeil sous le regard impuissant de ceux-ci.

«
De quoi souffres-tu mon cher petit ? » lui demandaient-ils. «
Le mal dont je atteint, nul ne peut le guérir à moins d'un sacrifice que je suis incapable de vous demander » répondit-il.

Ils eurent beau le questionner, il ne leur révéla absolument rien. La fille du charbonnier eut vent de cette maladie, car les serviteurs, étant très bavards, racontaient à qui voulait les entendre que le prince était possédé. Moyennant une pièce d'argent, elle pria une servante chargée de l'entretien de la chambre où il reposait de lui permettre de lui rendre visite au moment où il serait seul. Aussitôt qu'il la vit, il se sentit mieux et lui fit part de ses sentiments.

«
Oubliez-moi sire, oubliez-moi, je ne suis pas digne d'être votre femme car je suis de condition très modeste. Je suis moi-même très perturbée depuis que je vous ai vu mais hélas je me fais une raison.

Rendez-moi au moins visite, la pria le prince, en l'absence de mes parents ; j'en donnerai moi-même l'ordre à la servante. » Elle le lui promit et partit. Un jour, alors que la sultane somnolait près de la couche de son fils, le vieillard réapparut et lui dit : « Votre fils peut guérir à condition que vous acceptiez de lui donner la fille du charbonnier pour épouse. En bon fils, il ne veut pas vous faire de la peine mais votre peine sera beaucoup plus grande si vous refusez et qu'il mourra ». La sultane se réveilla en sursaut en psalmodiant le nom de Dieu et maudissant Satan. « La fille du charbonnier ? Mais qui est donc cette fille qui a rendu mon fils si malade ? Mérite-elle au moins un pareil sacrifice ? Dès demain j'irai la voir ».

Le lendemain, très tôt et sans rien dire à personne, elle se déguisa et partit vers la maison du charbonnier qui se trouvait à l'entrée de la forêt. En voyant la maison si vétuste, ellle frissonna, se cacha derrière un arbre et attendit. Un moment après, une jeune fille belle comme le jour apparut sur le seuil. « Ah ! Je comprend pourquoi mon fils est si malade, dit-elle. Mais une telle alliance est impossible. Il faut qu'elle et ses parents quittent le pays ; alors l'envoûtement quittera le corps de mon fils. ». Toujours déguisée, ellle se présenta à eux et leur dit :« La sultane, ma maîtresse m'envoie vous dire que son fils est tombé en léthargie depuis qu'il a vu votre fille. Vous comprenez aisément qu'il lui est impossible de vous demander sa main, alors elle vous demande de quitter le pays à moins que... à moins que votre fille ne tisse une étoffe de soie si légère et si belle qu'elle n'aura pas son pareil dans tout le royaume. Mais si l'étoffe n'est pas prête dans deux jours alors vous vous en irez ».Elle partit laissant la jeune fille et ses parents désemparés. Peu après, la jeune fille reçut la visite de la servante qui lui dit que son maître désirait la voir. Elle la suivit et raconta au prince tout ce qui venait d'arriver.

«
Va, lui dit le prince, va dans la forêt et raconte tout au grand mûrier.
Mais comment un arbre pourra-t-il m'aider ? lui dit-elle.
Va, répond le prince et fais-moi confiance. »

Arrivée devant le mûrier, elle se mit à pleurer à chaudes larmes. « Mon Dieu, mon Dieu comment vais-je m'en sortir ? Comment vais-je faire pour éviter l'exil à mes parents ? ». Alors le mûrier eût pitié d'elle ; il secoua très fort ses branches afin de réveiller tous les vers à soie qui s'y trouvaient et leur tint ces propos : « Je veux que vous vous mettiez tous à l'ouvrage et que vous tissiez très vite la plus belle étoffe qu'il m'ait été donné de voir, sinon je dessécherai toutes mes feuilles et vous n'aurez plus rien à manger ». Les vers à soie, apeurés, commencèrent à tisser, à tisser la plus belle et la plus arachnéenne étoffe qui pût exister. Ils travaillèrent tant et si bien qu'au bout de deux jours, la toile fût finie. Lorsque la sultane, toujours déguisée, la vit, elle blêmit et dit : « Tout ceci est fort bien mais ma maîtresse désire cette fois que vous récupériez le collier de perles qu'elle portait et qui s'est cassé l'an dernier près du bassin derrière le palais ».

Cette fois-ci, la jeune fille dit au prince qu'il lui était impossible de surmonter cette nouvelle épreuve.

«
La solution se trouve au seuil de ta maison, répondit-il ; va, que Dieu t'assiste et te vienne en aide. »

L'esprit ailleurs, elle marcha, marcha jusqu'à la maison de ses parents. Alors, du pied et sans le vouloir, elle foula une fourmilière. Sentant alors quelques fourmis sur sa jambe, ellle s'agenouilla pour réparer les dégâts. Tout en s'excusant, elle leur fit part des raisons de son chagrin. La reine des fourmis ordonna alors à ses ouvrières de restituer les perles qui se trouvaient au fond de la fourmilière. Les perles retrouvées, la sultane n'ayant plus aucune excuse accepta que son fils épouse l'humble fille. Les noces prévues pour la fille du sultan furent célébrées en grandes pompes en l'honneur de la fille du charbonnier.

Et le prince, guéri et heureux, vécut très longtemps avec celle qui lui était destinée depuis sa naissance.


bellparole





L'amitié des deux chacals

Conte d'Egypte



Il y a fort longtemps, vivaient dans l'immensité du désert deux chacals qui s'aimaient d'une amitié sincère, un peu comme s'aiment deux frères. Ils s'entraidaient et chacun pouvait compter sur l'autre en cas de coup dur. Ils partageaient les mêmes peines mais aussi les mêmes joies. Ils ne frayaient avec aucun autre animal préférant passer tout leur temps ensemble. Ensemble, ils recherchaient leur nourriture. Ensemble ils buvaient et mangeaient. Ensemble ils se rafraîchissaient à l'ombre des mêmes rares arbres du désert lorsque le soleil les tourmentaient de ses ardents trop ardents.


Or un jour, alors qu'ils étaient à la recherche de nourriture, l'un à côté de l'autre, sur un terrain aride et brûlé de soleil, ils virent surgissant devant eux un lion affamé qui était lui aussi à la recherche d'une proie. Plutôt que de fuir, les deux amis s'immobilisèrent et firent face à l'ennemi avec opiniâtreté. Le lion fort surpris ne put s'empêcher de leur demander :
- Eh bien, pourriez-vous m'expliquer par quel prodige vous ne vous êtes pas enfui à mon approche ? Etes-vous inconscients ? Ne voyez-vous pas que je suis affamé et à la recherche de nourriture ?
L'un des deux chacals prit la parole et dit :
- Pour sûr, ô seigneur ! Nous sommes fort conscients de cet état de fait. Nous avons vu que tu étais en chasse et que tu allais te jeter sur nous et nous dévorer. Nous avons cependant décidé de ne pas fuir. Quoi que nous fassions, aussi vite que nous puissions courir, tu nous rattraperais. Nous avons donc décidé de ne pas fuir. Nous préférons que tu ne sois pas épuisé au moment où tu décideras de nous dévorer. Nous préférons mourir rapidement et non souffrir par une mort lente.



Le lion qui avait écouté avec attention les paroles du chacal lui dit :
- Le roi des animaux n'est pas en colère d'entendre des paroles sincères. Il sait reconnaître le courage et l'audace de ses sujets. Il se doit d'être grand et généreux envers ses sujets sans défense.



Sur ce, le roi du désert disparut et depuis ce jour, il accorda la paix aux deux chacals.
Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme est un sentiment qui manque à l'amour : la certitude.

(Honoré de Balzac)

bunni


Le masque géant

- Tschäggäta ! Tschäggata !

Ils surgissent avec leur masque de bois. Et leur peau de bouc ou de chèvre, ou de mouton, qu'ils ceinturent d'un collier de vache avec la cloche.
Ils courent, ils sautent, ils dansent et la cloche sonne.
Ils ont des yeux qui louchent, des nez tordus, pointus, crochus, des bouches qui grimacent, qui rient, avec des dents de taureaux.
On dirait des bêtes-hommes, des hommes-démons. Ils se promènent dans les ruelles, tout seuls, ou bien à deux ou trois, ou bien en troupes.

- Tschäggätä ! crient les enfants.

Les enfants les regardent, les suivent, les aiment. Les enfants ont peur des masques. Les enfants aiment avoir peur.
Un jour, un masque est sorti de la forêt. Les enfants ont levé la tête. Ils ont dû beaucoup lever la tête : le masque était encore plus grand que les plus grands sapins.

- Ho ! ...

Le Masque descendait vers eux. Sur son énorme face de bois violet, une chevelure de queues de renard flottait. Pour recouvrir son corps, il avait fallu coudre ensemble au moins quatre peaux de moutons bruns et quatre peaux de chèvres noires, et sa cloche était aussi grosse que celle du clocher.
Comme elle sonnait ! Sonnait !
Tout le monde se rassembla sur la place.

- Ho ! Ho ! ... répétèrent les parents.

Et ils ne dirent plus rien parce qu'ils tremblaient.
A longues enjambées, le Masque s'approcha. Il entra dans le village. Les hommes, les femmes, les enfants, vite, se cachèrent dans la maison . Ils fermèrent à clé les portes. Ils guignèrent à travers les carreaux.
On entendit un horrible craquement. Le géant s'était assis sur le toit d'un chalet. La vieille Apolline et sa fille sortirent comme deux souris.
Le géant eut un gros rire. Il tendit la main vers la fontaine, il l'arracha remplie d'eau, il souleva un peu son menton de bois violet et se mit à boire.
Glouc, glouc, glouc.
Il enfonça le bras dans la cave d'Apolline, en retira un fromage rond comme la lune et le mangea. Il enfonça le bras dans la cheminée, en décrocha trois cuissots de boeuf séché qu'il suspendit à sa ceinture. Puis il remonta vers la forêt. Longtemps sa chevelure rousse flamboya au-dessus des arbres. Enfin il disparut dans la haute montagne.

- C'est un géant ! C'est un revenant ! C'est le diable !

Tout le monde était très excité.

- Aujourd'hui, les revenants ne reviennent plus, heureusement ! dit le président.

- Aujourd'hui, le diable n'apparaît plus ... hélas ! soupira le curé.

- Et mon fromage ? Et mes jambons ? protesta la vieille Apolline d'une voix aiguë.
Ils existaient ou pas ?

- Alors ? firent les femmes. On a rêvé.

Et les hommes rallumèrent leurs pipes .
Mais les enfants ne furent pas d'accord. Ils étaient sûrs, eux, de la réalité du Masque géant.
Et même ils commençaient à l'aimer.

Jaloux, les masques du village se consultèrent. Ils repeignirent les visages de bois. Ils renouvelèrent les fourrures mitées et paradèrent en cortège.
Mais aucun enfant n'accourut à leur rencontre, pas un seul ne cria : "Tschäggätä!"
Ils furent très dépités.
Le Masque géant revint.
Les parents terrifiés rentrèrent dans leurs demeures. Et de nouveau, ils guignèrent à travers les carreaux.
Il se tenait debout au milieu de la place.
Les enfants restèrent autour de lui. A le regardes. A l'admirer.

- Comme tu es grand !
- Comme tu es fort !
- Comme tu es beau !

Ils avaient pourtant un peu peur, mais ce n'était pas désagréable.
Le Masque géant s'assit dans la neige et répondit en hochant la tête.
Mais quand il vit Maria, la fille de la vieille Apolline, il lui passa son gant plein de suie sur la figure.

Il était reparti. Il avait fait un grand trou dans la neige, là où il s'était assis, et l'on aperçut la terre.

- Il n'est pas très méchant, reconnurent les gens.
- Il est rigolo ! dirent les enfants.
- Il est même gentil ... chuchota la petite Suzanne.
- Nous allons le suivre ! ordonna son frère Croquin.

Et ils se mirent tous en marche.
Les parents les appelèrent mais ils n'obéirent pas. Les enfants montaient toujours mettant les pieds dans les traces du géant. Il dépassa la forêt. Sur les alpages recouverts de neige, ses pas déclenchèrent une avalanche.
L'avalanche ensevelit les enfants.
D'en bas, les parents avaient tout vu.
Les sauveteurs vinrent en hélicoptères, avec des sondes et de gros chiens saint-bernard qui portaient un tonnelet à leur collier.
Les chiens, d'une bonne langue chaude, léchaient la figure froide des enfants et tous ressuscitaient. Ils riaient, buvaient les grogs des tonnelets. Puis les chiens les emportaient sur leur dos.
Le Masque géant choisit une nuit bien noire pour redescendre au village. Il avait mis de la paille autour du battant de sa cloche et une hotte à son épaule. Il ouvrit en silence les caves et remplit le fond de sa hotte de fromages, de jambons, de petits pots de miel des sapins. En passant devant l'écurie du président, il enleva la plus belle des vaches; dans l'étable d'Apolline, il prit un veau tout rouge et frisé; dans le parc aux moutons, encore une brebis. Le coq du curé faisait le malin sur une barrière, il le saisit par les pattes.
La vache, le veau, la brebis et le coq s'arrangèrent tant bien que mal ensemble dans la hotte.
Les villageois avaient entendu ! Furieux, ils sortirent avec leurs fusils et tirèrent sur le géant. Mais les balles ne lui faisaient rien du tout.
Une nappe épaisse de brouillard recouvrit la montagne. Et les hommes se perdirent et tournèrent en rond jusqu'au matin.
Il revint une quatrième fois. Les enfants dansèrent une ronde autour de lui.

- Bon géant des monts,
Beau masque-démon !
Fais sonner ta cloche ...
Claquer tes galoches.

En riant, ils grimpèrent le long de ses jambes, se pendirent à sa ceinture, s'assirent à califourchon sur ses épaules. Le géant les laissaient faire. Mais quand ils demandèrent de les emmener au sommet de la montagne, il dit non ! de la tête.
Mais Croquin réussit à se cacher dans la grosse cloche de sa ceinture, et comme elle était bellement renflée il s'y sentit bien. Il s'accrochait très fort au battant et le faisait sonner de temps à autre pour que le géant ne s'aperçut de rien. Du haut de la montagne, Croquin vit son village, pas plus grand qu'une fourmi noire dans une saucière de faïence blanche.
Il eut un regret en songeant à Suzanne, à son père, à sa mère et à son petit lit, mais son coeur était plein de curiosité.
Le géant pénétra dans une caverne, Croquin fut ébloui. Elle était tapissée de cristaux. Et là se trouvait une grande paillasse. Le Masque géant s'y laissa tomber et tout de suite ronfla très fort. Croquin ne tarda pas à s'endormir.
Il s'éveilla le lendemain à l'aube. Le petit garçon était resté cramponné au battant de la cloche, couché dans le renflement de bronze comme dans un berceau. Et maintenant, il était balancé par les pas du Masque géant qui redescendait dans la vallée.
Croquin reconnut son village. Il eut juste le temps de dégringoler le long d'une jambe et de courir vers son chalet.
Sauf la petite Suzanne, personne ne s'était aperçu de son absence. Il lui raconta son voyage clandestin à l'intérieur de la cloche et tout ce qu'il avait vu dans la montagne.

- Je voudrais y aller aussi, dit-elle.

- C'est trop dangereux pour les filles ! répondait Croquin.

Mais les villageois étaient très fâchés contre le Masque géant qui se moquait d'eux, les volait à tour de bras, et ne souffrait nullement de leurs coups de fusils.
Quand il revint pour la cinquième fois, les hommes roulèrent des tonneaux de vin à ses pieds. Et ce vin, fait avec un raisin mûri sous les roches ensoleillées, était tellement bon que le géant ne put s'arrêter d'en boire. Il vida les tonneaux.
Et il ne put plus se relever. Il restait étendu de tout son long dans la rue du village. Alors les paysans attachèrent les bras et les jambes de géant avec de solides cordes.

- Il ne pourra plus repartir et nous lui ferons son procès ! dirent-ils.

Et ils lui passèrent encore une corde autour du ventre et la fixèrent au clocher.
La neige tomba. Les flocons épais comme des pelotes de laine recouvrirent le corps de Masque géant.
Mais Croquin et Suzanne allèrent pendant la nuit, avec leurs canifs, couper les cordes du prisonnier. Puis ils se cachèrent dans sa cloche, où ils purent se loger tous les deux en se serrant.
Ils avaient oublié de trancher la corde qui reliait le géant au clocher. Quand il se releva , le clocher s'écroula et ses cloches roulèrent dans le torrent avec un carillon épouvantable.
Croquin et sa soeur pénétrèrent ainsi dans le domaine du Masque géant et purent tout à loisir en admirer les merveilles.
Le géant fut bien heureux de faire leur connaissance. Il les remercia de l'avoir délivré. Il leur donna une très jolie chambre tapissée de cristaux roses, verts et bleus, et leur ouvrit une armoire taillée dans le roc, ornée de stalactites aux formes de fleurs. Elle était pleine de jouets.
Mais Croquin fut très étonné d'y voir le ballon qu'il avait perdu un jour, et Suzanne d'y reconnaître sa poupée qu'elle avait tant pleurée ! Ils retrouvèrent encore le petit tracteur de leur ami Damien, la boîte à ouvrage de leur cousine et le fichu brodé de la fille d'Apolline. Et quand le géant se mit à faire cuire la soupe sur un feu de bois, ils constatèrent que le chaudron de cuivre était celui de leur grand-mère.

- Il est un peu voleur tout de même ... chuchota Suzanne à l'oreille de Croquin.


Au village, on devina ce qui s'était passé. Et quand le Masque géant revint pour la sixième fois, les parents le supplièrent à genoux de leur rendre leurs chers petits enfants.
- Les chers petits enfants me tiennent compagnie, répondit-il. J'aime leur babil.
Ils sont polis, serviables. J'aime beaucoup ces chers petits enfants.

- Rendez-les nous ! Et nous vous donnerons tout ce que vous voudrez !

- Je n'ai besoin de rien. J'ai tout ce qu'il me faut. Et pendant l'été, les
chers petits enfants iront garder dans ma prairie, ma vache, mon veau, mon coq
et ma brebis.

Alors les parents lui apportèrent des tonnelets d'une liqueur faite avec l'armoise des rochers. Et cette liqueur était si délicieuse que le géant ne sut y résister.
Il finit par tomber raide au milieu de la rue, et il l'obstrua si complètement que les villageois durent faire un détour pour rentrer chez eux. Cette fois, ils l'attachèrent avec des chaînes et cette fois ils mirent quatre hommes pour le garder. Mais ces quatre hommes avaient aussi bu quelques gouttes de la liqueur et ils s'endormirent.
Quand ils se réveillèrent, le géant était toujours étendu et il continuait à barrer la rue. L'un des gardiens dit :

- Il dort encore !

- Enlevons - lui le masque, je voudrais voir sa vraie figure ... dit le second.

- Nous aussi,firent les deux autres, on voudrait bien la voir.

Le masque de bois était si lourd qu'ils avaient beaucoup de peine à le soulever.

- Hi-hu! Hi-hu ! soufflaient -ils.

- Tu as sûrement abattu le roi des sapins pour te tailler un masque pareil !

- Hi-hu ! Enfin ...

Mais derrière le masque, il n'y avait rien.
Rien. Personne.
Rien non plus dans la tunique en peaux de boucs et de chèvres.
Il n'y avait qu'une petite place vide au milieu de toutes ces fourrures, ces rembourrages, ces rouages , ces poulies et ces ficelles, rien qu'un vide où pouvait tout juste se glisser un corps d'homme.
Les quatre gardiens s'y glissèrent à tour de rôle.

- Alors, s'étonnèrent-ils, c'était un homme pas plus grand que nous ?
Un homme comme nous !

A cette nouvelle, la stupeur emplit le village.
Qui était cet homme ?

- C'est peut-être Zéphyrin ... dit un vieux.

- C'est Zéphyrin !

- On le croyait parti aux Amériques. Un pauvre orphelin !
Et les villageois n'avaient pas toujours été bons pour lui. Ils avaient même été méchants.
On se souvint aussi qu'il avait demandé la fille d'Apolline en mariage et qu'elle lui avait ri au nez.
Et chacun commençait à regretter ses torts .... lorsqu'on entendit un joyeux bruit de cloches.
De la montagne descendait Zéphyrin, redevenu un homme comme tout le monde, pas plus grand que tout le monde. Mais avec un petit sourire pas comme tout le monde. D'une main,il tenait la jolie Suzanne et, de l'autre, le courageux Croquin.
Et venait derrière eu x: la vache du président, le veau d'Apolline, la brebis du conseiller, le coq du curé.

- Bonjour, bonjour! dit Zéphyrin. Je vous ramène les chers petits enfants.

Et le coq poussa un sonore cocorico, car le soleil se levait.



bunni


A livre ouvert

Approche, approche, n'ai pas peur. Oui c'est bien à toi que je parle, toi qui tiens ce livre entre tes mains. Non, surtout ne le ferme pas, je ne te veux aucun mal. Tu ne peux pas savoir comment cela me fait plaisir de te rencontrer, de pouvoir enfin parler à quelqu'un. Il fait si sombre ici.
Oh non ne tremble pas, je ne suis qu'un petit elfe inoffensif. La vilaine sorcière Sirata m'a jeté un sort alors que j'errais dans la forêt à la recherche de champignons pour le dîner. Depuis je suis enfermé dans ce livre dans l'attente que quelqu'un l'ouvre pour enfin me délivrer. Et te voilà. Je suis si heureux.
Comment? Tu veux savoir comment je m'appelle? Citronie. Je te vois sourire. Tu le trouves marrant comme nom. Il m'a été donné en rapport avec le citron que je porte toujours sur le dos et qui me sert de nid douillet. Tournes la page et regardes, il s'ouvre par le milieu et je m'y glisse comme ça. On y est très confortable. Tu dis? Tu veux aller dedans. Promis, des que je sors d'ici, je te laisse pénétrer dans mon petit nid en forme de citron. Pour l'heure il va falloir que tu m'aides. Mais surtout n'en parles jamais à personnes, ça doit rester secret, et si tu tiens promesse, on pourra se revoir autant de fois que tu le souhaiteras et je te ferais visiter mon monde. Je vois ces étincelles dans tes yeux. Non ne dis rien, je sais. Alors écoute moi bien.
Pendant que j'étais enfermé dans ce livre, j'ai traversé et pénétré chacune de ces pages et j'y ai rencontré du monde, plus ou moins sympatiques, des monstres même que j'ai du affronter pour passer à la page suivante, et arrivé à la page 112, ah oui la page 112, je ne l'oublierai jamais cette page là, se tenait devant moi un druide. Je m'approcha de lui et m'apprêtais à lui raconter mon histoire quand celui-ci m'interrompit pour me dire qu'il savait tout. Depuis que j'avais été enfermé dans ce livre, il avait senti ma présence et lu dans mes pensées et il m'attendait. Et c'est là qu'il me délivra le secret pour sortir d'ici. Alors voilà, ouvre bien grand tes oreilles. Il faudrait que tu trouves de l'eau, mais pas n'importe laquelle, pas de l'eau du robinet ni celle que l'on trouve dans les rivières, lacs ou mers mais de l'eau de pluie. Pourquoi tes yeux s'attristent ? Il fait un grand soleil dehors. Oh non, c'est vraiment pas de chance. Pourquoi le sort s'acharne encore contre moi. Je suis désemparé, je... Ah qu'est ce qui se passe ? Arrête de crier, que t'arrives t'il ? Tu dis ? Le temps est en train de se couvrir. Il se met à pleuvoir. Oh ! Miracle. Serait ce un tour du druide ? Oui j'en suis sûr, merci Mr le druide, je sais que vous m'entendez, merci, merci, merci. Allez mon petit sauveur, va vite cherche de l'eau de pluie que tu déposeras sur ton doigt. Tu as fait vite dit donc. Maintenant fait la tomber sur moi et je serais enfin hors de ce livre.
Wouah ! Je peux enfin bouger, courir, sauter. Merci, vraiment merci, je vais vite rejoindre les miens qui doivent s'inquiéter et promis, je reviens te voir demain et te ferais découvrir mon monde. A demain mon petit sauveur.


bunni


Le voyage de la souris bleue

Au temps où les grandes prairies vibraient sous les sabots de milliers de bisons, un petit peuple de souris vivait dans une clairière odorante. L'été à l'abri des grandes ombelles de carottes sauvages et l'hiver dans de chaudes galeries protégées du froid par une épaisse couche de neige.

Les souris se réunissaient le soir pour couiner doucement en choeur. La journée elles travaillaient efficacement à ramener graines, pignes et cosses boursouflées. Elles s'aimaient aussi, quand la saison le voulait et élevaient leurs petits avec des gestes ancestraux ponctués de quelques tendresses.

L'un d'entre eux, la souris bleue, était né un jour de printemps dans l'herbe tendre. Eduquée patiemment par ses aînées, elle savait, aujourd'hui, danser avec ses compagnes et mesurer son pas dans les sentiers.

Un matin, alors qu'elle fouinait dans la corolle d'un pissenlit, ses oreilles se dressèrent. Mêlée au sifflement de la brise une rumeur se logea au fond de sa poitrine et ne la quitta plus. Elle l'entendait imperceptiblement, comme parfois le battement de son cœur, le soir, avant de s'endormir.

" Entends-tu ce bruit bizarre ? "
demanda-t-elle à l'une de ses sœurs.
Mais cette dernière, trop occupée, ne lui répondit pas.

" Dis-moi, entends-tu comme moi ce bruit, tout là-bas vers la lisière ? "

" C'est le bruit de cette racine qui croque sous ma dent !" objecta, moqueuse, une seconde souris.

La troisième lui dit qu'elle était folle, qu'il n'y avait aucun bruit dans la clairière et qu'elle ferait mieux de s'occuper de ses affaires de souris.

Elle décida alors d'oublier cette mélodie. Son museau fouilla la terre chaude et elle remplit trois paniers tressés de graines dodues. Dans une hutte d'herbe elle retrouva quelques-unes de ses sœurs pour préparer le repas. Sous les pattes agiles les enveloppes des graines craquaient et les langues allaient bon train.

C'est en profitant d'un rayon de soleil échappé à la chaleur de midi que, discrètement, la musique rattrapa la souris bleue. A l'heure de la sieste, alors que toutes ses sœurs étaient calfeutrées dans leur sommeil, elle s'aventura, seule, jusqu'à la lisière de la forêt.

S'enroulant autour des vieux arbres, se faufilant entre les troncs un cortège de notes émergeait des profondeurs du bois.

" D'où venez-vous ? " - " Qui vous chante ainsi ? " s'exclama-t-elle en bondissant de l'une à l'autre. Puis elle s'arrêta.
Devant elle se tenait un lièvre aux yeux vifs et brillants comme deux étoiles:
" Pourquoi veux-tu le savoir, petite ? "

" Pour prouver à mes sœurs que je ne suis pas folle et comprendre ce qui me remplit le cœur ! "
balbutia-t-elle.

" Alors viens et suis-moi ! "

En faisant volte-face le lièvre s'élança vers l'obscurité de la forêt. La souris bleue hésita. Une note caressa son oreille et elle se retrouva trottant derrière son guide. Une humidité froide raidissait ses poils. Du sol spongieux montait la senteur de l'humus et des champignons.

Quand l'herbe remplaça la mousse sous les pattes roses de la souris, le lièvre, d'un bond, disparut. Les arbres s'espacèrent et Souris Bleue continua son chemin. En débouchant à l'orée de la forêt, elle reçut la réponse à sa question. Au fond d'un petit vallon verdoyant se déroulait un long ruban bleu duquel naissait ce chant qui l'avait mise en marche. Des notes cascadaient hautes et claires, d'autres, sourdes et profondes, roulaient jusqu'à elle.

Médusée, elle descendit sur la rive et s'installa sous un iris jaune.

" Bienvenue à toi petite sœur ! "
croassât une grenouille.

" Oh ! Qui es-tu ? "

" Je suis la gardienne de la rivière."

"Tu habites le plus bel endroit du monde ! "

C'est vrai !
Ma rivière est belle mais les montagnes sacrées, là où jaillit sa source, sont infiniment plus belles.

"Montre-les-moi ! "

La grenouille éclata de rire.
" Pour les apercevoir, tu devras sauter plus haut que le plus haut de tous ces arbres. "

"J'y parviendrai. Apprends-moi ! "

Le soleil se coucha, la lune se leva et traversa les quartiers du ciel. A l'aube, sous l'éclat de la dernière étoile, après toute une nuit d'intense préparation, la souris bleue comprit qu'elle était prête.

Un rayon d'or frappa les montagnes sacrées. Elle sauta encouragée par la grenouille. Une force sans nom la projeta dans l'air. Elle monta, monta, au-delà des brumes, au-delà des cimes bruissantes de la forêt. Les montagnes étaient là, majestueuses et immobiles.

Fugace vision. Un instant plus tard, Souris Bleue retombait dans le courant de la rivière. Elle suffoquait. Le poids de sa fourrure mouillée l'entraînait vers les profondeurs. Affolée, elle se débattait pour maintenir sa tête hors de l'eau. Elle eut la vie sauve grâce à un roseau auquel elle s'agrippa et qu'elle utilisa pour rejoindre la terre ferme.

" Pourquoi tu m'as fait ça ! ? J'ai failli mourir ! Tu savais que je retomberais dans la rivière, Grenouille ! "

" Regarde ! Tu es saine et sauve. Ne laisse pas la peur t'emporter et la colère te noyer ! Qu'as-tu vu là-haut ? "

La souris s'apaisa.
" J'ai vu les montagnes sacrées. Bleues ! Elles sont bleues, comme moi ! "

"Oui "
dit la grenouille
" Aujourd'hui je te nomme " Celle qui saute ".
Va et n'oublie pas ta vision.

" Je n'oublierai pas et je pars.
Je suis très impatiente de partager avec mes sœurs cette découverte que je te dois. "


Dans la clairière aux souris les petits animaux prenaient le repos vespéral. La souris bleue arriva, bondissante, une flamme claire dans le regard.

" Sœurs, mes sœurs écoutez-moi ! L'aventure que je viens de vivre est si étrange. La musique ! La musique... je sais : l'eau est sa mère et la grenouille sa gardienne. Ecoutez-moi, écoutez-moi ! "

Tout doucement les souris se rapprochèrent l'une de l'autre en se lançant des regards étonnés. Cette créature qui cabriolait par-dessus les herbes sèches en tenant des propos incohérents était-ce bien Souris Bleue ? Ses yeux brillaient d'une drôle de lueur et elle avait un comportement si bizarre... elle était sûrement dangereuse... oui, c'était cela... elle était folle... et si c'était contagieux ?

La pauvre petite souris eut beau parler, s'expliquer, seul le vent l'écoutait. Elle était maintenue à l'écart. Chacun la fuyait.

Peu à peu elle dût s'y résoudre, ses sœurs ne l'accueilleraient plus.

Une nuit, silencieusement elle quitta le monde des souris.


Si plate, si large, si sèche : La plaine

A présent, une étendue jaune séparait la souris bleue des montagnes qui fermaient l'horizon. Comment ferait-elle pour traverser, pour rejoindre, comme elle se l'était promis, cette fabuleuse chaîne.

Gorgée de courage, elle plongea dans l'immensité de la plaine. Elle courait droit devant elle, sans réfléchir, déterminée, les oreilles aplaties sur sa nuque, lorsqu'elle buta dans une masse brune et laineuse que les hautes herbes avaient dissimulée à sa vue ; un bison. Une bête au poil terne et mité, couchée sur le flanc, haletante et sans force. Son front était surmonté de robustes cornes noires et un voile nacré, sur ses yeux, cachait son regard. Le cœur de la souris s'émut de pitié :

" Pauvre bison, comme te voilà fait ! Tu as l'air si malade. De quoi aurais-tu besoin pour te remettre ? "

" Je suis aveugle, je ne peux m'orienter. Un long jeûne m'a affaibli et mon voyage s'arrête ici. Je vais bientôt mourir. A toi donc je dirai le remède. Seul l'œil d'une souris pourrait me rendre la Vie."

L'émotion la noua.

" Oh non ! Pas ça ! Donner un de mes yeux ? Devenir borgne ! "

Ventre à terre, la souris s'enfuit. Puis s'arrêta.

" Et pourquoi pas ? J'aurai toujours mon deuxième oeil ! "

Elle revint sur ses pas. Elle n'était qu'à quelques mètres de l'animal gémissant, quand son oeil droit, quittant son orbite, alla se ficher instantanément dans celle du bison. Le maître de la plaine se leva ayant retrouvé toute sa force et sa beauté.

" Souris, tu m'as sauvé la vie ! Où tes pas vont-ils se diriger maintenant ? "

" Vers les montagnes de l'horizon. "

" C'est bien loin ! Grimpe sur mon dos ! Je galoperai pour toi jusqu'à leur pied."

La petite souris se nicha dans le cou du bison, là où les poils sont si doux et la grosse bête s'élança.

A travers la plaine une nuée s'éleva sous le galop fracassant du bison. Grisée par la vitesse et le vent, Souris Bleue, folle de joie, s' agrippait de toutes ses forces à la toison de son vigoureux guide.

" Plus vite, plus vite ! ..."

Et le bison filait. Même les étoiles, marraines du sommeil ne l'arrêtèrent pas. La souris perdit la notion du temps.

Une aube se levait lorsque le silence l'éveilla. Le bison, fourbu, était agenouillé.

" Nous y voici, mon amie."

Etourdie, la souris contempla le pan vertigineux de la plus haute des montagnes bleues qui se dressait devant eux.

" Ici s'arrête mon domaine. Je dois te quitter petite souris."

" Bison mon ami, je n'ai plus qu'un seul oeil et ces montagnes sont si hautes. Comment faire pour arriver jusqu'aux sommets qui cachent la source de la rivière ? "

" Cultive en toi le profond désir de cette réponse. Adieu ! "

Et bientôt le bison n'était plus que roulement de sabots et point brun à l'horizon.

" Celle qui saute " se remit courageusement en route. La roche était coupante et dure à ses pattes fragiles, la pente raide la laissait essoufflée. La beauté d'une fleur d'argent, le ciselé délicat d'une feuille, captés par son oeil unique, la remplissait d'espoir.

Elle ne s'arrêta qu'au crépuscule lorsqu'elle entra dans l'ombre d'une grande silhouette grise. Un loup était devant elle, immobile. Elle resta pétrifiée.

" J'ai peur ! "
finit-elle par dire dans un souffle.

La silhouette du loup s'assombrit mais il ne broncha pas.

Elle reprit :

" Je suis " Celle qui saute " et j'aimerais ardemment rejoindre la source de la rivière. Me laisseras-tu poursuivre ma quête ? "

" Ne craint rien de moi. Je suis ici pour mourir et je ne t'attendais plus. "

La souris fut interloquée.
" Le loup l'avait-il donc attendue ? "

" Oui bien sûr puisque seul l'œil d'une souris pourrait me redonner vigueur et santé."

Une sorte de grande douceur triste envahit le corps et le coeur de " Celle qui saute ". Assise sur ses pattes arrières, elle ne bougeait pas. Son oeil coula sans bruit dans sa main et la nuit devint son univers.

Elle était aveugle.

Elle trembla. Puis, comme au ralenti, elle lança son oeil en direction de ce loup qu'elle ne voyait plus.

" Mon territoire va jusqu'au Grand Lac tout en haut des montagnes "

La voix du loup, claire et chaleureuse, vibrait d'une énergie retrouvée.

" Viens Souris Bleue, je te conduirai jusque là, je serai tes yeux et ton pas "

Tout en parlant le loup s'était approché de sa bienfaitrice. Avec délicatesse il la saisit entre ses crocs et s'éloigna. D'escarpements en ravins, d'éboulis crissants en sentiers à peine marqués, il avançait. Le cri aigu d'un oiseau, un caillou qui roule, le grondement d'un orage lointain ricochaient de paroi en paroi. L'écho d'une mystérieuse vie nocturne accompagnait leur voyage.

Dans la chaleur moite de la gueule du loup, la souris aveugle s'était détendue. Elle sentait le balancement de la course. La froideur de l'air fripait son museau si elle le dardait hors de son abri. Ses yeux étaient grand ouverts mais la lune avait beau se refléter en mille éclats sur le cristal des rochers, aucune lueur ne perçait plus la nuit de " Celle qui saute ".

De sa foulée tranquille le loup les avait amenés au bord du Grand Lac. Il déposa la souris sur une pierre plate, réchauffée par toute une matinée de soleil.

Elle reconnut immédiatement le chant qu'elle avait entendu, un après-midi, aujourd'hui si lointain, dans sa clairière natale. Les notes joyeuses et rafraîchissantes jaillissaient de la source sacrée dévalant les abîmes de la montagne.

" Cette nuit j'étais ton pas Souris Bleue. Maintenant, écoute mes yeux "

Pour elle le loup raconta le lac et la magie de ses verts profonds, la fougue et la transparence de la source. Les galets tout de douceur arrondie qui se laissent façonner par les vagues au cours des millénaires. Il dit les pics griffant le ciel, qui formaient une sentinelle sur la rive Nord du lac. En bas, la plaine jaune s'étendant vers le Sud, traversée d'un lacet miroitant. " Celle qui saute " réalisa alors tout le chemin qu'elle avait parcouru. Puis le loup se tut.

Bien avant qu'il se remette à parler la souris avait deviné son message.

" Ici s'arrête mon chemin, ma sœur. Je dois te quitter" .

" Loup mon ami, je n'y vois plus et l'aigle plane, à la recherche de nourriture. Comment pourrais-je lui échapper ? "

" Consens et tu connaîtras la liberté de ta conscience. Adieu "

Plaquée sur la pierre chaude, la souris sans yeux entendit le battement des grandes ailes qui s'appuyaient sur l'air. L'aigle royal. Sa peur enfla, monta de son ventre, envahit sa gorge et explosa dans sa nuque. Puis, plus rien. Tout peut arriver et tout est bien.

Quand l'aigle la saisit entre ses serres, elle s'évanouit.

Un éclair fendit les ténèbres. La lumière mangea l'obscurité tout entière. Le bleu, le jaune et le rouge, projetés de l'infini, se percutèrent pour exploser en une pluie scintillante de couleurs. L'air tourbillonnait dans un courant qui passa d'un froid mortel à la chaleur réconfortante de la Vie.

" Je vois. Je vois de nouveau "

Oui " Celle qui saute ", tu vois ! Et maintenant saute ! Saute comme je te l'ai appris.

C'était la voix de la Grenouille.
La souris n'y comprenait plus rien mais avec une force venue du plus profond d'elle-même elle s'élança. Elle se retrouva planant dans les nuages au-dessus des montagnes bleues. De sa vue perçante la souris aperçut un bison qui galopait dans hautes herbes et un loup qui zigzaguait entre les roches de la montagne. Et plus elle montait, plus le monde au-dessous d'elle mariait le lac à la montagne, la montagne à la plaine, la plaine aux forêts lointaines. La rivière, comme un fils chantant, les unissait les uns aux autres.

De chauds courants ascendants la berçaient. Elle était devenue Aigle.


bunni


La reine des abeilles

Il y avait une fois deux fils de roi qui s'en allèrent chercher les aventures et se jetèrent dans les dérèglements et la dissipation, si bien qu'ils ne revinrent pas à la maison paternelle. Leur frère cadet, qu'on appelait le petit nigaud, se mit à leur recherche; mais, quand il les eut retrouvés, ils se moquèrent de lui, qui, dans sa simplicité, prétendait se diriger dans un monde où ils s'étaient perdus tous deux, eux qui avaient bien plus d'esprit que lui.
S'étant mis ensemble en chemin, ils rencontrèrent une fourmilière. Les deux aînés voulaient la bouleverser pour s'amuser de l'anxiété des petites fourmis, et les voir courir de tous côtés en emportant leurs œufs; mais le petit nigaud leur dit : « Laissez en paix ces animaux, je ne souffrirai pas qu'on les trouble. »
Plus loin ils trouvèrent un lac sur lequel nageaient je ne sais combien de canards. Les deux aînés en voulaient prendre un couple pour les faire rôtir; mais le jeune s'y opposa en disant ; « Laissez en paix ces animaux ; je ne souffrirai pas qu'on les tue. »
Plus loin encore ils aperçurent dans un arbre un nid d'abeilles, si plein de miel qu'il en coulait tout le long du tronc. Les deux aînés voulaient faire du feu sous l'arbre pour enfumer les abeilles et s'emparer du miel. Mais le petit nigaud les retint et leur dit : « laissez ces animaux en paix; je ne souffrirai pas que vous les brûliez. »
Enfin les trois frères arrivèrent dans un château dont les écuries étaient pleines de chevaux changés en pierre; on n'y voyait personne. Ils traversèrent toutes les salles et parvinrent à la fin devant une porte fermée par trois serrures. Au milieu de la porte il y avait un petit guichet par lequel on apercevait un appartement. Ils y virent un petit homme à cheveux gris, assis devant une table. Ils l'appelèrent une fois, deux fois, sans qu'il parût entendre; à la troisième, il se leva, ouvrit la porte et sortit au-devant d'eux ; puis sans prononcer une parole, il les conduisit à une table richement servie, et, quand ils eurent bu et mangé, il les mena chacun dans une chambre à coucher séparée.
Le lendemain matin, le petit vieillard vint à l'aîné des frères, et lui faisant signe de le suivre, il le conduisit devant une table de pierre, sur laquelle étaient écrites trois épreuves dont il fallait venir à bout pour désenchanter le château. La première était de chercher dans la mousse, au milieu des bois, les mille perles de la princesse, qu'on y avait semées ; et, si le chercheur ne les avait pas trouvées toutes avant le coucher du soleil, sans qu'il en manquât une seule, il serait changé en pierre. L'aîné passa tout le jour à chercher les perles ; mais, quand arriva le soir, il n'en avait pas trouvé plus de cent, et il fut changé en pierre, comme il était écrit sur la table. Le lendemain, le second frère entreprit l'aventure; mais il ne réussit pas mieux que son aîné : il ne trouva que deux cents perles, et il fut changé en pierre.
Enfin vint le tour du petit nigaud. Il chercha les perles dans la mousse. Mais comme c'était bien difficile et bien long, il s'assit sur une pierre et se mit à pleurer. Il en était là, quand le roi des fourmis auquel il avait sauvé la vie, arriva avec cinq mille de ses sujets, et il ne fallut qu'un instant à ces petits animaux pour trouver toutes les perles et les réunir en un seul tas.
La seconde épreuve consistait à repêcher la clef de la chambre à coucher de la princesse, qui était au fond du lac. Quand le jeune homme approcha, les canards qu'il avait sauvés vinrent à sa rencontre, plongèrent au fond de l'eau et en rapportèrent la clef.
Mais la troisième épreuve était la plus difficile : il fallait reconnaître la plus jeune et la plus aimable d'entre les trois princesses endormies. Elles se ressemblaient parfaitement, et la seule chose qui les distinguât était qu'avant de s'endormir, l'aînée avait mangé un morceau de sucre, tandis que la seconde avait bu une gorgée de sirop, et que la troisième avait pris une cuillerée de miel. Mais la reine des abeilles que le jeune homme avait sauvées du feu vint à son secours: elle alla flairer la bouche des trois princesses, et resta posée sur les lèvres de celle qui avait mangé du miel : le prince la reconnut ainsi. Alors, l'enchantement étant détruit, le château fut tiré de son sommeil magique, et tous ceux qui étaient changés en pierres reprirent la forme humaine. Le prétendu nigaud épousa la plus jeune et la plus aimable des princesses, et il fut roi après la mort de son père. Quant à ses deux frères, ils épousèrent les deux autres sœurs.


bunni


Le collier de perles noires

Il était une fois une jeune fille très belle qui s'appelait Hina. Toutes les fées du ciel s'étaient penchées sur son berceau et l'avaient dotée de toutes les qualités : la grâce, la beauté, l'intelligence, la gentillesse. Jamais l'île de Raiatea n'avait connu de reine qui rassemblât autant de qualités.
À vingt ans, son cœur n'était pas encore pris, malgré la cour assidue que lui faisaient de nombreux prétendants. Un jour vint pourtant où Hina rencontra le jeune homme qui fit battre son cœur. Elle se fiança sans attendre et annonça la date prochaine de son mariage. En gage d'amour, le fiancé, très épris, lui offrit le cadeau le plus extraordinaire qui n'avait d'égal que les sentiments très purs qu'il lui portait. En découvrant son présent, Hina fut émerveillée. Ni tout l'or de son palais, ni les diamants de sa couronne, ni la splendeur de ses maisons, n'égalaient une telle merveille. De toute la Polynésie, nul pêcheur n'avait jamais imaginé que des perles d'une telle taille, d'une telle perfection pussent exister. Noires, elles étincelaient de mille éclats au cou de la reine, qui jura ne jamais plus se séparer de ce collier que tout l'or du monde n'aurait pu lui arracher.

Bien qu'elle en mourût d'envie, Hina, en accord avec son fiancé, décida cependant de ne porter ce collier qu'à partir du jour où leur mariage serait célébré. En attendant, ce collier inestimable serait gardé par des hommes en armes, qui le veilleraient jour et nuit.

Un jour, alors que Hina donnait audience à ses sujets, elle refusa la requête d'un homme, comme cela arrivait lorsque la demande ne lui paraissait pas justifiée. Or, cet homme n'était autre que Hiro, le roi des voleurs.

Après avoir été un prétendant éconduit de la jeune reine, Hiro subissait ici un second affront, qu'il ne pût supporter. Se sentant humilié, sa jalousie se transforma rapidement en haine, et Hiro résolut de se venger en s'attaquant à ce que la reine avait de plus cher : son collier de perles. Maître en matière de vols, après avoir déjoué tous les pièges et trompé la surveillance des gardes armés, il parvint par mille ruses à s'emparer du précieux bijou.

Tenant sa vengeance en main, et avant même que l'alerte ne fût donnée, Hiro gagnait déjà l'île voisine de Huahine, en pirogue.

Sur Raiatea, dès que le vol fut découvert et annoncé à la reine, Hina s'effondra, terrassée par une tristesse infinie. Avec le vol de son collier, c'est une partie de son cœur qu'on venait de lui prendre... et le voleur le savait !

Aussitôt, elle devina qui se cachait derrière ce méfait. Il n'y avait sur terre qu'une seule personne aussi audacieuse et capable de braver la surveillance de la garde royale. C'était bien sûr le terrible Hiro, le roi des voleurs. Sans plus tarder, Hina prit les recherches en mains et décida de lancer aux trousses du malfaiteur le plus impressionnant de ses molosses, une bête dont la force et le flair extraordinaires n'avaient d'égal que son imposante stature.

Immédiatement, le superbe animal se dirigea vers le bord de l'eau, pointant déjà le museau en direction de Huahine.
Sur cette île, Hiro se croyait à l'abri. Dès son arrivée, il avait dissimulé son prestigieux butin sous une pierre d'un poids impressionnant. « À cet endroit, pensa-t-il, nul ne saura jamais débusquer mon butin. Il n'existe personne sur terre qui soit aussi malin que Hiro, le roi des voleurs ! » Mais déjà s'approchait des rives de Huahine le molosse de la reine... La truffe grosse comme une noix de coco au vent, son travail apporta très rapidement ses fruits. Fuyant dans la montagne où se tenait son repère, Hiro était loin de se douter d'une conclusion aussi rapide... Le molosse s'arrêta à l'endroit même où Hiro avait dissimulé le précieux collier et, comme pour marquer le lieu précis où se cachait le trésor, il posa sa lourde patte sur la pierre. Une fois la pierre soulevée, Hina reprit son collier et épousa, comme il se doit, son fiancé bien aimé...

Depuis ce jour, on peut voir, sur l'île de Huahine, l'empreinte d'une patte d'un animal de taille impressionnante gravée dans cette roche bien connue.