Nouvelles:

Nouvelle version 2024 du forum installée  !

Menu principal

Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

« précédent - suivant »

bunni


"Oyez, Oyez bonnes gens, venez tous écouter l'étrange et extraordinaire histoire du pêcheur de feuilles..."

Le métier de pêcheur n'est pas toujours facile et, sans un peu de chance, il arrive que ces travailleurs de la mer ne soient guère payés de leur peine. Ainsi, un brave père de famille de la côte Adriatique, proche de la pointe de Samana, avait-il bien du mal à nourrir ses cinq enfants. Jamais la pêche n'était vraiment abondante, et il arriva même un moment où il resta dix jours sans prendre le moindre poisson.
"Tout cela est très injuste, disaient les gens de son village, car il est le plus travailleur et il connaît son métier mieux que personne."
On le plaignait beaucoup, mais, comme tout le monde était pauvre, personne ne se trouvait en mesure de lui venir en aide. Ses enfants avaient faim, et sa femme qui n'était pas très solide ne pouvait que laver un peu de linge pour gagner de quoi acheter du pain.
Le brave homme eût bien fait un autre métier, mais il ne trouvait pas d'embauche. Et puis, parce qu'il aimait la mer, il espérait toujours qu'elle finirait par se montrer généreuse avec lui.
Un jour que le Roi passait par là, il entendit les enfants qui criaient famine. Il se renseigna, on lui dit combien ce pêcheur fort méritant jouait de malchance, et ce roi riche et bon décida de l'aider.
"Je veux faire quelque chose pour toi, lui dit-il, mais je tiens absolument à ce que tu restes pêcheur. Tu vas continuer ton métier et, chaque fois que tu apporteras quelque chose dans ton filet, tu viendras l'apporter sur le plateau de ma balance. Dans l'autre plateau, je mettrai le même poids en sequins d'or, et cet or sera pour toi."
De nouveau plein de courage et d'espérance, le pêcheur reprit la mer. Trois jours passèrent, trois jours et trois nuits sans une minute de repos. Trois jours et trois nuits à ramer, à lancer son filet, à le ramener sans qu'il vît l'ombre d'un poisson.
"Je suis maudit ! se lamentait-il. Nous mourrons tous de faim."
Le pêcheur épuisé rentra au port, mais avant d'amarrer sa barque, il lança son filet une dernière fois. Lorsqu'il le retira, il n'y trouva qu'une feuille de chêne déjà bien abîmée par l'eau salée. Il allait la jeter lorsqu'un camarade lui dit :
"Que risques-tu à la porter au Roi ? il n'a pas parlé de poisson, il t'a dit de lui porter tout ce que te ramènera ton filet.
- Il va croire que je me moque de lui, et peut-être même me fera-t-il jeter en prison ?
- Non, il ne le fera pas. C'est un bon roi. Et je suis tout disposé à témoigner que tu as bien pêché cette feuille."
Le pêcheur était tellement désespéré qu'il mit la feuille dans sa poche et prit le chemin du palais royal.
Lorsque le roi le vit arriver avec sa prise, il se mit à rire.
"Mon pauvre ami, fit-il, cette feuille est si légère qu'elle ne fera même pas bouger d'un cheveu le fléau de ma balance. Mais enfin, puisque tu es venu jusque-là, tentons tout de même l'expérience."
Le pêcheur posa sa feuille sur le plateau qui tomba comme si on l'eût chargé de plomb. Et le trésorier du roi commença de poser des sequins sur l'autre plateau. A haute voix, un secrétaire comptait.
"Un sequin, deux sequins, trois sequins..."
La balance ne bougeait toujours pas. Et il fallut soixante sequins pour faire monter enfin le plateau où se trouvait la feuille.
Le pêcheur s'en alla avec les pièces et le roi, qui n'en revenait pas, garda la feuille. Tous les savants du royaume furent invités au palais où ils demeurèrent longtemps à examiner cette feuille de chêne si étrange. Ils se livrèrent à toutes les analyses que la science pouvait permettre et, en fin de compte, ils furent bien obligés de reconnaître que cette feuille n'avait d'autre particularité que son poids.
Bien entendu, le pêcheur que l'on soupçonnait de magie fut interrogé, mais les enquêteurs, qui étaient des juges honnêtes, déclarèrent qu'il était beaucoup trop naïf pour être magicien.
Lui-même ne savait rien. Il ne pouvait rien savoir, car il n'avait pas assez de mémoire pour se souvenir des moindres détails de sa vie d'enfant.
C'était pourtant dans sa plus tendre enfance que dormait le secret de cette feuille. Car le pêcheur n'avait guère que trois ou quatre ans lorsqu'un laboureur, voisin de son père, avait déraciné et jeté sur le chemin un jeune chêne né en bordure de son champ. L'enfant l'avait ramassé ce tout petit arbre et l'avait planté en un endroit où personne ne cultivait le sol. Reconnaissant, le chêne, qui avait grandi en toute liberté, avait saisi cette occasion de remercier celui à qui il devait la vie.
Et sans doute parce qu'il détenait le pouvoir de conjurer le mauvais sort, il s'arrangea pour que le pêcheur ne retire plus jamais de l'eau un filet vide.





bunni


Le miroir des fées célestes
conte de Chine


Avez-vous déjà entendu parler du palais de Brocart ? Mais si, bien sûr, c'est le palais des deux fées célestes qui tissent tout le long du jour, les nuages, pour l'empereur du Ciel. Vous vous tromperiez bien si vous les croyiez heureuses de leur sort car les deux fées s'ennuient à mourir dans leur palais. Un jour d'ailleurs, elles se sont sauvées. Écoutez plutôt...

Ce jour-là, c'était l'anniversaire de l'empereur du Ciel et tous ses serviteurs étaient occupés aux préparatifs d'un grand festin. Les employés célestes s'amusaient dans les salles impériales et la garde de la porte du Sud, celle par laquelle on descend sur la terre, buvait joyeusement à la santé de l'empereur et sombrait peu à peu dans une somnolence béate. Les deux fées célestes étaient restées seules.

Dans leur merveilleux palais, elles s'ennuyaient de vivre constamment dans la béatitude, de boire tous les jours du nectar et de tisser tous les jours un nuage en forme d'enclume et sept nuages blancs moutonneux. Leurs jours se ressemblaient comme un neuf ressemble à un autre neuf et nos deux fées s'ennuyaient, s'ennuyaient à mourir.

« Tu sais, petite sœur, » soupirait la plus jeune, « je préférerais m'en aller et descendre sur la terre plutôt que de continuer à m'ennuyer ici. Les hommes ne connaissent pas leur bonheur ! Tant de travail, et toujours du nouveau, ça me plairait tellement ! »

« A moi aussi, » continua l'aînée, « et si tu voyais leurs montagnes et leurs rivières qui serpentent ! Que c'est beau ! Rien de pareil dans ce palais ennuyeux. Et si nous nous sauvions ? »

Le chemin n'est pas long de la pensée à l'acte. Les deux fées célestes se mirent en route et, sur la pointe des pieds, tout doux, tout doux, elles se faufilèrent jusqu'à la porte du Sud qui conduisait à la terre. Les gardes dormaient profondément. Les deux jeunes filles se glissèrent dehors furtivement.

« Maintenant, petite sœur, » proposa la cadette, « nous allons nous séparer. Tu iras vers le Sud, et moi vers le Nord. Et lorsque nous aurons trouvé un être en détresse, nous resterons pour l'aider. »

Ainsi se séparèrent les deux fées. Et tout se passa comme l'avait dit la plus jeune. Toutes deux rencontrèrent deux vieilles femmes solitaires et usées et restèrent à les aider. Bientôt, elles perdirent leur teint transparent et devinrent toutes roses. Elles se plaisaient beaucoup sur la terre. Jamais plus elles ne pensaient au ciel.

Mais rien n'est éternel, hélas. Cent ans avaient passé sur la terre, cent ans, ce qui fait exactement sept jours au ciel. Les festivités avaient pris fin et l'empereur Céleste commença à chercher les deux jeunes filles. Mais en vain, elles étaient introuvables. « Où sont-elles donc passées, » gronda l'empereur. «Voilà un moment qu'il n'a pas plu et j'aurais besoin qu'on me tisse au plus vite un nuage d'orage. » Et l'empereur fit chercher les deux fées. Les serviteurs revinrent bientôt pour lui apprendre que la porte du Sud était ouverte et que les deux jeunes filles s'étaient probablement sauvées.
C'est un comble ! » s'écria l'empereur. «Qu'on me les ramène au plus vite ! Sinon, j'enverrai sur la terre une sécheresse abominable ! »

Alors les messagers célestes descendirent sur la terre à la recherche des deux fées. Ils les trouvèrent enfin. Mais les jeunes filles ne voulaient pas rentrer. Pourtant, il fallut bien se rendre ! Pouvait-on désobéir à un ordre de l'empereur du Ciel ? Tête baissée, les yeux pleins de larmes, les deux fées reprirent le chemin du ciel.

En arrivant devant la porte du Sud, la plus jeune dit :
«Petite sœur, je crois que je mourrai de regret si je ne peux plus regarder le monde en bas ! »


L'aînée hocha la tête en soupirant, puis elle dit :
«J'ai une idée. Jetons nos miroirs. Ainsi, quand nous regarderons en bas, nous y verrons se refléter le monde entier. »

Alors les deux jeunes filles sortirent leurs miroirs de leurs larges manches et les jetèrent en bas. Les miroirs descendirent en scintillant, ils tournoyèrent un instant avec de petits sifflements et tombèrent sur la terre où ils se transformèrent en deux lacs enchantés dont les eaux limpides reflétaient les montagnes, les forêts, les collines et les hommes. Et savez-vous où sont ces deux lacs ? L'un est en Chine, c'est le Grand Lac Occidental, et l'autre au Vietnam, à Hanoi.


bunni


Le dragon et le phénix .Conte chinois

Il y a des siècles et des siècles, dans la grotte sur la rive est du fleuve céleste habitait un dragon blanc comme la neige ; et dans la forêt de la rive opposée habitait un phénix coloré.

Dragon et phénix étaient voisins. Le matin, l'un sortait de la grotte et l'autre s'envolait de la forêt en se saluant, puis ils se séparaient pour aller à leurs occupations. Un jour, ils s'amusèrent ensemble : l'un nageait dans le fleuve céleste, l'autre s'envolait dans le ciel. Tout en nageant et volant, ils arrivèrent sans s'en apercevoir à l'île féerique ; là ils aperçurent une pierre étincelante. Phénix, très content, dit à Dragon :

- Dragon, Dragon, tu vois cette belle pierre !

Dragon, plein de joie lui aussi, dit à Phénix :

- Phénix, Phénix, nous allons la tailler et la polir en une perle, d'accord ?

Phénix fit un signe d'assentiment et ils se mirent immédiatement au travail. Dragon ameublissait la pierre avec ses pattes et Phénix la picotait avec son bec ; des jours s'écoulèrent, des années passèrent ; finalement il faut dire qu'ils avaient réussi à façonner une perle ronde. Phénix s'envolait dans la Montagne féerique, il recueillait dans son bec de la rosée pour la verser goutte à goutte sur la perle ; Dragon nageait dans le Fleuve céleste, il y aspirait de l'eau pure qu'il pulvérisait sur la perle ; sous les gouttes et la pulvérisation incessantes, la perle petit à petit commença à émettre des rayons.

Dès lors, Dragon se prit d'affection pour Phénix et celui-ci adorait Dragon ; leur perle faisait leur bonheur. Dragon ne voulait plus rentrer dans sa grotte, ni Phénix revenir dans sa forêt ; ils vivaient donc ensemble dans l'île féerique située au milieu du Fleuve céleste pour veiller jour et nuit sur la perle.

C'était vraiment un perle sans prix. Là où parvenaient ses rayons, s'élevaient des bois verdoyants, s'épanouissaient des myriades de fleurs de toute beauté ; on voyait des pays aux montagnes ensoleillées et aux eaux limpides qui se couvraient de riches récoltes.

Un jour la Reine Mère de l'Ouest sortit du Palais céleste, et aperçut tout à coup la parle dardant ses rayons ; aussitôt son coeur avide brûla du désir de la posséder. À minuit, elle envoya un soldat céleste pour la voler alors que Dragon et Phénix s'étaient endormis. Elle était si contente de sa prise qu'elle ne voulut pas que d'autres puissent y jeter un coup d'oeil. Elle se hâta de rentrer dans son Palais et fit verrouller neuf portes derrière elle.

Dès qu'ils se réveillèrent, Dragon et Phénix s'aperçurent que leur perle avait disparu. Fous d'inquiétude, ils la cherchaient partout. Dragon fouilla toutes les grottes du lit du Fleuve céleste, il ne trouva rien ; Phénix explora chaque coin de l'île Féerique sans plus de résultat. Très tristes, ils continuèrent quand même leurs recherches jour et nuit. Ils n'avaient qu'un espoir ; retrouver cette perle à laquelle ils s'étaient tant attachés.

À l'occasion de l'anniversaire de la Reine Mère de l'Ouest, les Immortels s'empressèrent d'arriver de toutes parts au Palais impérial pour assister au Banquet de Pêches qui avaient lieu en l'honneur de la douarière. Celle-ci avait fait apporter des pêches en abondance pour les Immortels qui buvaient du bon vin et prenaient les fruits tout en adressant leurs souhaits d'anniversaire : "Vous le bonheur de la Mer de l'Est, la longévité de la Montagne du Sud !" Très satisfaite de ces félicitations des assistants, la douairière se prit à dire :

- Mes vénérables, je vais vous montrer une perle sans prix comme on n'en trouve ni au Ciel, ni sur terre !

À ces mots, elle détacha de sa ceinture neuf clés qui ouvrirent neuf verrous, passa neuf portes, puis sortit sa perle qu'elle présenta dans une assiette d'or et plaça au milieu de la salle. Naturellement, les Immortels s'extasièrent sur la perle qui diffusait une brillante lumière.

À ce moment même, Dragon et Phénix continuaient partout leurs recherches. Phénix remarqua tout à coup le rayonnement de leur perle et dit aussitôt à Dragon :

- Dragon, Dragon, dépêche-toi, dépêche-toi, vois, ce sont bien les rayons de notre perle !

Dragon sortit sa tête du Fleuve céleste, regarda un moment et dit :

- Oui, c'est certaienement notre perle, allons vite la reprendre !

Et Dragon et Phénix de s'élancer aussitôt, guidés par les rayons. Arrivés au Palais impériel, ils trouvèrent les Immortels tendant le cou vers la perle, en train de clamer leur enthousiasme. Dragon s'écria en approchant :

Cette perle est à nous !

Phénix, à son tour, affirma :

Oui, elle est à nous, cette perle !

La douairière fut très fâchée de leur intervention ; elle s'approcha d'eux en vociférant :

Qu'osez-vous dire ? Moi, je suis la Reine Mère de l'Ouest, tous les trésors du Ciel m'appartiennent !

En entendant ces paroles, Dragon et Phénix, très fâchés eux aussi, dirent d'une même voix :

- Cette perle n'est née ni du Ciel ni de la Terre, mais c'est bien de nous qui l'avons taillée et polie jour après jour, d'année en année, au prix d'un dur travail.

à ces paroles, la douairière se sentit envahie à la fois par la haine et la honte ; elle prit l'assiette d'or et ordonna à ses soldats et généraux célestes de chasser tout de suite les intrus. Phénix, voyant que la Reine Mère n'entendait pas raison, s'élança pour se saissir de la perle ; Dragon en fit autant. Trois paires de mains s'agrippaient à l'assiette, personne ne voulant lâcher. Secouée par ces trois forces, l'assiette oscilla et la perle roula en bas des marches, vers la terre.

Dragon et Phénix, voyant que la perle risquait de s'écraser sur le sol, la suivaient en descendant, se précipitant d'avant en arrière, de gauche à droite, pour la protéger alors qu'elle tombait lentement. Quand elle toucha le sol, la perle se métamorphosa soudain en lac, le lac de l'Ouest. Comme Dragon ne voulait pas la quitter, il devint la magnifique colline du Dragon qui monte la garde sur ses rives. Phénix ne voulait pas quitter non plus sa perle, il devint la Colline du Phénix qui la garde, elle aussi.

Dorénavant, la Colline du Phénix et celle du Dragon sont couchées silencieusement aux côtés du Lac de l'Ouest.

bunni


Le rêve vendu (conte japonais)

Youkitchi et Mosouké étaient d'excellents amis. Youkitchi était un garçon joyeux, presque frivole, Mosouké par contre était sérieux et fort prudent. Tout différents qu'ils étaient, ils s'aimaient tant que si l'un devait entreprendre un voyage d'affaires -en effet, ils étaient marchands- il attendait toujours que l'autre puisse se joindre à lui.

Ainsi, une fois de plus, ils faisaient route ensemble. La journée avait été chaude et ils furent heureux d'arriver au bord d'une forêt et de pouvoir s'étendre à l'ombre d'un pin. Au bout d'un moment, Youkitchi était profondément endormi.
Mosouké regardait le dormeur et, en soupirant, se disait :
"Il dort tranquillement ici, dans la nature, comme s'il était dans la maison. Je ne le pourrais pas, moi, j'aurais peur de me faire voler. Et pourtant, un petit somme serait le bienvenu. Mais malheureusement, je ne peux pas m'endormir dehors."
Pendant que Mosouké faisait ces réflexions, il vit tout à coup une guêpe sortir de la narine gauche de son ami. Il la regarda avec étonnement. Elle s'envola vers un haut pin solitaire campé sur un rocher, tourna trois fois autour de l'arbre, puis revint vers Youkitchi et disparut dans sa narine droite. Mosouké n'avait jamais vu chose aussi étrange.

A cet instant, Youkitchi s'éveilla, s'assit en riant et dit : "Mosouké, je viens de faire un rêve merveilleux. Il faut que je te le raconte. Figure-toi qu'il y avait un haut pin campé sur un rocher élevé, oui, exactement comme celui que tu vois là-bas ; un guêpe tournait autour du tronc en bourdonnant : -tu dois creuser à cet endroit, tu dois creuser à cet endroit ! Et effectivement je me suis mis à creuser et j'ai trouvé un grand pot plein de pièces d'or. De ma vie je n'ai vu tant d'argent, sauf dans mes rêves !"
"Vraiment c'est un rêve étrange" répondit Mosouké, "A ta place j'irais creuser autour de ce pin là-haut."
"Mais qu'est-ce qui te prends, je ne vais pas aller me fatiguer par une telle chaleur simplement à cause d'un rêve stupide. Continuons plutôt notre route pour arriver à temps en ville."
Mais Mosouké ne voulait rien entendre : "un tel rêve a sûrement un sens. Si tu ne veux pas creuser, moi je veux bien essayer. Sais-tu ce que je te propose : vends-moi ton rêve."
Youkitchi éclata de rire : "Voilà une bonne affaire pour moi qui n'ai jamais vendu de rêve. Que m'offres-tu ?"
"Tu as dit qu'il y avait là un grand tas de pièces d'or. Je ne sais pas vraiment ; je suis ton ami et je ne veux pas te léser. Dis-moi toi-même à combien tu estimes ton rêve."
Après une courte discussion, ils se mirent d'accord sur la somme. Et Mosouké acheta le rêve pour trois cent pièces d'argent.
"Jamais je n'ai fait une telle affaire. Tant d'argent pour un simple rêve," dit Youkitchi en riant. "Mais maintenant, dépêchons-nous, sans quoi nous serons en retard pour le marché".

Les amis avaient parlé à haute voix car ils se croyaient seuls. Ils ne pouvaient pas deviner que l'avare Katchiémon avait surpris leur conversation. Lui aussi faisait route vers la ville et s'était reposé à la lisière de la forêt. Il s'était endormi mais les voix des deux marchands l'avaient réveillé. Maintenant il eut un rire mauvais : "Que voilà d'honnêtes gens, acheter un rêve. Heureusement qu'ils ont parlé fort. Grâce à eux, je sais où est enterré le trésor et je l'aurai pour rien."
Katchiémon renonça à aller au marché et grimpa rapidement sur le rocher. Il creusa entre les racines du pin jusqu'à ce qu'il trouvât quelque chose de dur. Il continua à creuser avec précaution et finit par sortir de terre un grand pot ventru rempli de pièces d'or. Katchiémon brisa le pot et mit les pièces d'or dans le grand sac qui ne le quittait jamais. Arrivé à la ville, il acheta pour tout cet argent une auberge et il devint un homme riche. Mais cet or ne lui porta pas bonheur. Au bout de quelque temps, il perdit non seulement l'or qu'il avait trouvé mais également tout ce qu'il avait possédé auparavant. Bientôt il fut mendiant.

Lorsque, à la ville, Mosouké eut terminé ses affaires, il quitta Youkitchi et s'en retourna à l'endroit où il avait acheté le rêve. Quelle ne fut pas sa déception lorsqu'il vit que les racines du pin étaient dénudées et que les tessons du pot gisaient tout autour.
"Quelqu'un a pris les devants et a déterré le trésor," se dit-il avec tristesse. Et il regarda les tessons. Tout à coup il tomba en arrêt car sur l'un d'eux il avait découvert une inscription. Il la déchiffra à haute voix : "Le premier des septs."
"Le premier des septs, cela veut dire qu'il doit y avoir encore six autres pots sous terre," se dit-il et il commença à creuser avec énergie. Et en effet il trouva, l'un après l'autre, six pots de terre, chacun rempli de pièces d'or jusqu'à ras bord.

Mosouké se fit construire en ville une grande auberge qu'il appela "Au pot ventru". Il y vécut riche et satisfait jusqu'au jour de sa mort.
Youkitchi venait souvent lui rendre visite et il saluait son ami par ces mots : "Alors Mosouké, comment vas-tu ? Je suis venu voir ce que devient mon rêve."
Et les deux compères se tapaient dans le dos en riant et à chaque fois Mosouké servait à son ami le meilleur des sakés dans le plus ventru de ses pots.


bunni


Les Oiseaux-de-Feu et le Monstre-des-Eaux

En un lieu agréable, entre le Fleuve-Hurleur et l'endroit où la grue se tient entre les roseaux, vivait autrefois un Brave doté de dons surnaturels. Un bon génie lui avait donné quatre flèches magiques : une noire, une rouge, une jaune et une blanche.

Quelle que soit la distance, ces flèches-médecines atteignaient toujours leur cible.

Ce bon chasseur, qui était aussi un vaillant guerrier, n'utilisait dans la vie courante que la flèche blanche et la jaune. Un jour, il tua un cerf. Il alluma un feu et fit cuire une cuisse de l'animal. Après avoir mangé, il s'allongea pour dormir un peu.

Durant son sommeil, deux Oiseaux-de-Feu sortirent des nuages et l'emportèrent loin vers l'ouest. Ils le déposèrent au sommet d'une haute montagne.

Quand le Brave se réveilla, il se dit qu'il n'était jamais venu dans ce pays. Il voulut descendre dans la vallée, mais il ne rencontra que précipices et parois abruptes.

Soudain, il y eut un bruit d'ouragan, la montagne trembla... C'était le chef des Oiseaux-de-Feu qui volait vers lui. Il vint se poser à son côté et lui dit :

- N'aie crainte. Je ne te veux aucun mal. Accepte de rester avec nous et je serai ton grand-père. Tu es un courageux chasseur et, à ce qu'il paraît, tu possèdes de très bonnes flèches. Je dois prochainement livrer un dur combat et tu m'aideras !

Le Brave, enchanté et honoré, demanda ce qu'il aurait à faire. L'oiseau expliqua :

- Tu sais qu'il incombe aux Oiseaux-de-Feu de lutter contre les Esprits-des-Ténèbres, eh bien tu combattras avec nous. Ma famille et moi, nous vivons depuis toujours au sommet de cette montagne, mais il nous est impossible d'élever nos petits. Chaque année, un monstre sort des profondeurs du lac et vient les dévorer. Le Monstre-des-Eaux a deux têtes et d'épaisses écailles de silex recouvrent tout son corps, de sorte que nos dards-éclairs n'ont aucun effet sur lui. Aide-nous à tuer ce monstre, alors tu seras le frère de tous les oiseaux de la Terre et ils te protégeront !

L'Oiseau-de-Feu mena le Brave vers son nid et lui montra ses six oisillons qui criaient leur faim.

- Vois, ils sont encore petits, mais aussitôt qu'ils auront des plumes, 1e monstre viendra les manger.

Le Brave prit dans sa ceinture une poignée de grains de mais et l'offrit aux affamés.

Dès lors, il apporta aux petits Oiseaux-de-Feu tout le gibier qu'il tuait.

Un jour, le père et la mère des oisillons lui dirent :

- Tu es bien aimable pour tes jeunes parents. Le temps approche où le Monstre-des-Eaux va venir. Allons nous poster sur cette montagne ; de là-bas, nous pourrons mieux le surveiller.

Au lever du soleil du deuxième jour, une terrible tempête annonça l'arrivée du monstre. Les eaux du lac se mirent à bouillir, de gros nuages de vapeur les recouvrirent.

Puis, deux énormes gueules, écailleuses et horribles, apparurent. C'étaient les deux têtes du monstre !

Lorsque les têtes commencèrent à escalader le flanc de la montagne, les Oiseaux-de-Feu piquèrent vers elles dans un bruit étourdissant. Des éclairs jaillirent des yeux des Oiseaux-de-Feu. Ils frappèrent le monstre en faisant crépiter des milliers d'étincelles.

Hélas, aucun n'arriva seulement à entamer la cuirasse du Monstre-des-Eaux qui continua à ramper et arriva au bord du nid.

Alarmés, les Oiseaux-de-Feu crièrent au Brave :

- Tire maintenant, si tu veux nous aider !

Le Peau-Rouge prit sa flèche noire dans son carquois et la posa sur son arc. Il attendit qu'une gueule rouge s'ouvrit et au moment où elle allait croquer un oisillon, il tira dans la gorge.

- Tiens, hurla-t-il. Avale donc cette médecine !

On entendit un terrible craquement. La tête hideuse vola en éclats, car la flèche noire était en réalité un érable de la forêt.

Mais déjà, la deuxième tête approchait du nid. Le Brave décocha sa flèche rouge en rugissant :

- Voici une autre médecine que tu apprécieras !

La seconde tête explosa comme la première, car la flèche rouge était un grand pin de la montagne.

Le corps du Monstre-des-Eaux dégringola le long de la paroi rocheuse dans un bruit de tonnerre et disparut dans le lac.

Alors, des milliers d'oiseaux arrivèrent des quatre coins du monde. Ils voltigèrent en manifestant leur joie. Le chef des Oiseaux-de-Feu dit :

- Tu as sauvé nos petits. Tu es maintenant le frère des oiseaux. Dorénavant, tous ceux qui sont ici te protégeront du danger. Veux-tu que nous te ramenions dans ton pays ?

Le Peau-Rouge réfléchit un instant et déclara :

- Non ! je préfère continuer à tuer des monstres.

Depuis ce jour, le Brave passe son temps à parcourir la Terre. Avec ses quatre flèches magiques, il combat les Esprits-des-Ténèbres et les Indiens de toute la Terre peuvent dormir en paix.





bunni


Le grand pin et le bouleau

Il y a bien longtemps, avant que les hommes n'arrivent dans le pays, les arbres étaient capables de parler. Le bruissement de leurs feuilles était leur langage calme et reposant. Lorsqu'ils agitaient leurs branches en tous sens dans le vent violent, leurs paroles étaient des discours pleins de courage ou remplis de peur.
La forêt était peuplée d'une multitudes d'arbres de toutes sortes. L'érable laissait couler sa sève sucrée pour les oiseaux assoiffés. Un grand nombre d'oiseaux nichaient dans ses branches. Les merles venaient déposer leurs petits œufs bleus dans des nids bien installés. L'érable les protégeait du vent et de la pluie, toujours prêt à rendre service. Il était respecté aux alentours.

Pas bien loin de lui, un orme élevait ses longues branches vers le ciel. L'orme aimait le soleil et chacune de ses branches s'élançaient vers ses rayons. Les orioles, des oiseaux ressemblant aux rouges-gorge mais en plus petit construisaient leurs nids-balançoires dans sa ramure sachant qu'ils se trouvaient à l'abri dans les hauteurs.

Il y a bien longtemps, avant que les hommes n'arrivent dans le pays, les arbres étaient capables de parler. Le bruissement de leurs feuilles était leur langage calme et reposant. Lorsqu'ils agitaient leurs branches en tous sens dans le vent violent, leurs paroles étaient des discours pleins de courage ou remplis de peur.
La forêt était peuplée d'une multitudes d'arbres de toutes sortes. L'érable laissait couler sa sève sucrée pour les oiseaux assoiffés. Un grand nombre d'oiseaux nichaient dans ses branches. Les merles venaient déposer leurs petits œufs bleus dans des nids bien installés. L'érable les protégeait du vent et de la pluie, toujours prêt à rendre service. Il était respecté aux alentours.

Pas bien loin de lui, un orme élevait ses longues branches vers le ciel. L'orme aimait le soleil et chacune de ses branches s'élançaient vers ses rayons. Les orioles, des oiseaux ressemblant aux rouges-gorge mais en plus petit construisaient leurs nids-balançoires dans sa ramure sachant qu'ils se trouvaient à l'abri dans les hauteurs.

Plus loin encore, le thuya offrait durant l'hiver l'hébergement à des familles entières d'oiseaux. Lorsque le froid faisait rage, le thuya refermait ses épaisses branches sur eux et les gardait bien au chaud. Les oiseaux étaient si confortablement installés qu'ils mettaient du temps, le printemps venu, à quitter leurs logis dans le thuya.

Le bouleau se tenait à peu de distance. Il était mince et élégant et son écorce douce et blanche le distinguait des autres. Ses bras souples et gracieux s'agitaient à la moindre brise. Au printemps, ses feuilles vert tendre étaient si fines qu'elles laissaient passer la lumière du soleil au travers.

Quand les hommes arrivèrent dans ces lieux, ils se servirent de l'écorce du bouleau pour fabriquer des canots, des maisons et même les récipients dans lesquels ils cuisaient leurs aliments.

Mais il arriva un jour que le bouleau, à cause de sa beauté, se mit à mépriser tout le monde.

Le grand pin était le roi de la forêt. C'est à lui que chaque arbre devait faire un salut en courbant la tête un peu comme on mani­feste son obéissance au roi. Et ce roi était le plus grand, le plus majestueux, le plus droit de tous les arbres de la forêt. En plus de sa taille, sa magnifique vêture vert foncé assurait son autorité.

Un jour d'été, la forêt resplendissait des parfums et des cou­leurs de milliers de fleurs et un éclatant tapis de mousse recouvrait les coins ombragés du sol. Une quantité d'oiseaux, des gros, des petits, des bleus, des gris, des jaunes et des rouges, n'arrêtaient pas de chanter. Les arbres bougeaient dou­cement et agitaient leurs feuilles qui étaient des rires et des gais murmures de contentement. L'érable remarqua que le bouleau ne participait pas à cette réjouissance collective.

- Es-tu malade, bouleau ? demanda le gentil érable.

- Pas du tout, répondit le bouleau en agitant ses branches de façon brusque. Je ne me suis jamais si bien senti. Mais pour­quoi donc devrais-je me joindre à vous qui êtes si ordinaires ?

L'érable, surpris de cette réponse, se dit que le roi grand pin ne serait pas content d'entendre de telles paroles. Car la pre­mière tâche de Grand Pin était de faire respecter l'harmonie parmi ses sujets.

- Tais-toi ! dirent les arbres au bouleau. Si le grand pin t'entend...

Tous les arbres étaient très solidaires les uns des autres comme le sont les frères et les sœurs qui s'entraident. Seul, le bouleau refusait l'amitié de ses compagnons. Il se mit à agiter ses branches avec mépris et déclara :

- Je me fiche bien du roi. Je suis le plus beau de tous les arbres de la forêt et dorénavant je refuserai de courber la tête pour le saluer !

Le grand pin, qui s'était assoupi, s'éveilla tout d'un coup en entendant son nom. Il secoua ses fines aiguilles pour les remettre en place et s'étira, s'étira en redressant son long corps.

- Bouleau, que viens-tu de dire ? lança-t-il.

Tous les arbres se mirent à trembler car ils se doutaient bien que la colère grondait dans le cœur du grand pin. Mais le bouleau ne semblait nullement craindre sa colère. Il étala ses branches avec dédain, les agita dans un sens et dans l'autre et dit d'un ton hautain :

- Je ne vais plus vous saluer, grand pin. Je suis le plus bel arbre de la forêt, plus beau que tous les autres, plus beau même que vous !

Le grand pin se fâcha. Ses bras se mirent à s'agiter bruyamment. Et tous les arbres attendirent dans le plus grand silence la suite des événements.

- Bouleau, lança le roi pin, tu es devenu vaniteux ! Je vais t'apprendre une leçon que tu n'oublieras jamais.

Le grand pin se pencha en direction du bouleau et frappa sa tendre écorce de toutes ses forces. Ses aiguilles lacérèrent la douce peau blanche du bouleau.

Enfin, il dit :

- Que tous apprennent par toi, bouleau, que l'orgueil et la vanité sont mauvais.

Depuis ce jour, l'écorce de Bouleau est marquée de fines cica­trices noires. C'est le prix qu'il dut payer pour sa vanité. Tous les membres de sa famille, sans exception, ont gardé, marquée dans leur peau, la trace de la colère du roi grand pin.

bunni


Le petit paon


Il était une fois un vieux et une vieille. Ils vivaient loin du village, dans une ferme.
Comme ils n'avaient pas d'enfant, et que cela les attristait beaucoup, ils adoptèrent un petit paon et l'élevèrent tout au long de l'hiver, bien au chaud dans la cuisine, comme un véritable enfant.


Le printemps venu, le petit paon sortit gratter le fumier pour y trouver des vers de terre.
Gratte, gratte, gratte tant que soudain sous sa patte : un ducat d'or ! « J'ai trouvé un ducat d'or, j'ai trouvé un ducat d'or ! »


De l'autre côté du village, le roi, dans son palais, entend. C'est un roi très cupide ! Tout trésor doit lui revenir !
Il envoie ses soldats arracher le ducat du bec du petit paon.

Le petit paon est bleu-vert de colère :
« Rendez-moi mon ducat d'or ! Rendez-moi mon ducat d'or ! »
Les soldats s'en moquent. Ils filent à grandes enjambées.


Mais le petit paon n'a pas l'intention de se laisser faire !
Il se met en route vers le palais royal :
« Roi, roi, rends-moi mon ducat, rends-moi mon ducat ! »


Mais voilà que sur le chemin, surgit un renard. Il se pourlèche :
« Petit paon je vais te manger ! »
« Tu me mangeras ou je te mangerai, mais sur mes pas, ne reviendrai ! »
Le petit paon ouvre le bec et avale le renard tout entier.

« Roi, roi, rends-moi mon ducat, rends-moi mon ducat ! »


Mais voilà le chemin barré par une rivière.
« Petit paon je vais t'avaler ! »
« Tu me mangeras ou je te mangerai, mais sur mes pas, ne reviendrai ! »
Le petit paon ouvre le bec et avale la rivière tout entière.

« Roi, roi, rends-moi mon ducat, rends-moi mon ducat ! »


Mais voilà autour de lui un essaim d'abeilles en furie !
« Petit paon nous allons te piquer ! »
Le petit paon ouvre le bec et avale l'essaim tout entier.


Le petit paon est arrivé devant le palais. Sous les fenêtres du roi, il fait les cent pas :
« Roi, roi, rends-moi mon ducat ! Roi, roi, rends-moi mon ducat ! »
« Qu'est-ce que c'est que ce vacarme ? crie le roi. Soldats ! Attrapez cet effronté et jetez-le dans le poulailler. Les coqs lui feront la peau ! »


Dans le poulailler, les coqs s'élancent, ergots tendus. Mais le petit paon se suspend au grillage tête en bas, ouvre le bec et... Et du bec du petit paon sort... Le renard.
Le renard étripe les coqs, étrangle les poules, assassine les canards et s'en va, bien repus et la queue en panache, en laissant la porte ouverte.


Le petit paon sort derrière lui et retourne sous les fenêtres du roi :
« Roi, roi, rends-moi mon ducat ! Roi, roi, rends-moi mon ducat ! »
« Soldats, jetez ce petit paon dans le four de la cuisine ! »


Dans le four de la cuisine, le petit paon se couche sur le flan, ouvre le bec et... Et du bec du petit paon sort... La rivière ! La rivière éteint le feu, brise la porte du four, se répand dans la cuisine, renverse vaisselle et meubles sur son passage et va rejoindre son lit en massacrant le jardin fleuri du roi.


Et le petit paon, lui, retourne sous les fenêtres du roi :
« Roi, roi, rends-moi mon ducat ! Roi, roi, rends-moi mon ducat ! »

Le roi hurle :
« Cette fois, je m'en occupe moi-même ! »
Il attrape le petit paon, le dépose sur son trône et s'assoit sur lui ! Na !


Sous le gros derrière du roi, le petit paon ouvre le bec et... Et du bec du petit paon sort.... L'essaim d'abeilles.
Et pique, pique, pique le derrière du roi !
« J'abdique, dit le roi, qu'est-ce que tu veux, volaille de l'enfer ? »
« Roi, roi, rends-moi mon ducat ! Roi, roi, rends-moi mon ducat ! »
Le roi sort une pièce de sa poche et la jette au petit paon.
« Ce n'est pas mon ducat d'or ! Roi, roi, rends-moi mon ducat ! »


Au bord de la crise de nerf, le roi conduit le petit paon dans la salle au trésor : « Cherche-le toi-même, ton ducat d'or ! »


Des ducats, il y en a des monceaux. Et aussi des tas de perles, de rubis, de diamants...
Picore par ci, picore par là, le petit paon remplit son ventre... Et vous savez combien il y de place dans ce petit ventre... Et puis, tranquillement, il rentre à la ferme chez ses parents.


Le vieux et la vieille sont heureux de revoir leur enfant mais lui, le petit paon, il crie :
« Pendez-moi au plafond, battez-moi avec un balai ! »
Il crie tant et si fort que les vieux s'exécutent et battent - bien doucement - les flancs du petit paon.

Alors du bec du petit paon coulent des diamants, des rubis, des perles, et des ducats d'or, beaucoup de ducats d'or. Un vrai trésor. De quoi vivre heureux.

C'est ce qu'ils firent et s'ils ne sont pas morts, ils vivent encore.

bunni

#127

La princesse Libellule

Il était une fois une princesse si petite, si petite, qu'on l'appelait la princesse Libellule.
Quand elle vint au monde, une coquille de noix lui servit de berceau, et on lui fabriqua, avec des pétales de roses blanches, la plus merveilleuse robe de baptême qu'on ait jamais vue. Dans une citrouille, couleur d'acajou, on tailla pour elle un ravissant petit carrosse, où elle se pavanait, traînée par deux grillons. Quand elle voulait aller se promener sur l'eau, elle s'embarquait sur une belle feuille de nénuphar, et un papillon, avec un brin d'herbe attaché à la proue, dirigeait le royal esquif, ses ailes ouvertes au vent comme des voiles.
Elle habitait un merveilleux palais. Des clochettes de toutes couleurs en formaient la toiture. Les murs étaient en cristal ; les tapis, de mousse, et les rideaux brodés avec des fils de la Vierge.
Et elle était si jolie, la petite princesse, qu'elle faisait la conquête de tous ceux qui la voyaient.
La petite princesse aimait les fleurs et les oiseaux, autant qu'elle en était aimée. Grâce à ses soins, chaque tige avait sa goutte d'eau, et les nids étaient toujours remplis de mousse fraîche. Quand l'hiver était venu, elle s'en allait, par les pics blancs de neige qu'éclairait un pâle soleil rouge, chercher les fleurs oubliées ou les pauvres petits oiseaux tombés sur le chemin, les ailes glacées, incapables de reprendre leur vol. Vite elle creusait dans la neige un lit pour la fleur, qui dormirait ainsi, sans danger, jusqu'au prochain Avril. Quant à l'oiseau, elle l'emportait, le réchauffait, et, quand elle l'avait rappelé à la vie, elle lui rendait la liberté, lui envoyant du bout des doigts un baiser, et en lui disant : "Au revoir !"
Or, un matin qu'elle s'était mise à sa fenêtre pour voir si, enfin, ce grand tapis blanc, qui semblait s'étendre indéfiniment autour d'elle, avait disparu, elle entendit tout à coup, au-dessus de sa tête, comme un assourdissant bruit d'ailes, et vit, avec effroi, surgir devant elle un être étrange, bizarrement vêtu, et si grand, si grand, qu'il dépassait de toute la tête le plus haut clocheton de son palais. Il roulait de grands yeux méchants et, quand il essayait de sourire, il découvrait une rangée de dents pointues et crochues comme celle d'un loup.
"Je suis, dit-il, le géant Kiokodyne, et je règne sur l'éblouissant pays des diamants. Je cherche une épouse pour mon fils. Je t'ai choisie. Tu vas me suivre."
La pauvre petit princesse, terrifiée, se jeta à genoux, tendant vers lui ses mignonnes mains, le suppliant d'avoir pitié d'elle et de la laisser là, au milieu des fleurs et de ses oiseaux qu'elle aimait tant et dont elle attendait impatiemment le retour. Sans eux elle ne pouvait vivre, et toutes les richesses du monde ne la consoleraient pas. Mais le géant haussa les épaules et éclata de rire. Il passa sa large main par la fenêtre, et, saisissant la princesse Libellule, sans souci de ses prières et de ses larmes, il l'enferma dans le grand sac qu'il portait sur son épaule. Puis, ouvrant toutes grandes ses deux ailes couleur de nuage, il s'envola. Il franchit des montagnes si hautes qu'elles semblaient percer le ciel ; il traversa d'immenses plaines, où ne croissait aucun arbre, et qu'illuminaient soudain d'éblouissants éclairs. La pluie et la grêle faisaient rage autour de lui. Mais il ne s'en inquiétait guère.
Enfin, il s'arrêta. Il ouvrit le sac et en tira la princesse.
"Nous sommes arrivés, dit-il, et te voici chez moi !"
Elle jeta les yeux autour d'elle, mais recula aussitôt, épouvantée. Elle se trouvait au milieu d'une immense caverne, si profonde, si profonde, qu'on n'en pouvait apercevoir la fin. D'énormes brasiers brûlaient, d'où s'élevaient, en sifflant, pareilles à de monstrueuses salamandres, des flammes qui mettaient le long des murs des lueurs rouges d'incendie. Des nains affreux, noirs de fumée, soulevaient à deux mains des marteaux aussi gros qu'eux, et frappaient en cadence sur d'énormes enclumes, faisant pleuvoir autour d'eux des myriades d'étincelles. En tombant, ces étincelles devenaient des diamants et des pierres précieuses illuminant la grotte de leurs merveilleux éclats !
"Eh bien ! que dis-tu de mes richesses ? demanda fièrement le géant. Crois-tu que ton pauvre royaume de fleurs et d'oiseaux puisse rivaliser avec le mien ? Que sont tes pâles violettes à côté de ces brillantes améthystes ? Qu'est ton soleil à côté de ce monceau de diamants ? Tes fleurs, à toi, ne vivent qu'un jour ; les miennes ne flétrissent jamais !
- Tes fleurs, nées sans soleil, sont sans parfum, répondit-elle. Elles peuvent éblouir les yeux, mais non charmer les coeurs. Les miennes passent, il est vrai, mais leur courte existence me les fait chérir davantage. Quel que soit leur éclat, tes rubis et tes améthystes ne vaudront jamais mes roses et mes violettes. Et je préfère la plus modeste fleur des champs à ton plus merveilleux diamant !"
Mais, de nouveau, l'autre haussa dédaigneusement les épaules.
"Voici mon fils et ton futur époux, fit-il, en lui montrant un des nains qui semblait commander aux autres et s'était approché d'eux en gambadant. Tu l'épouseras dès demain, sinon je t'enfermerai dans une noire prison, d'où tu ne sortiras que lorsque tu seras devenue raisonnable, et que tu auras accepté le mari que j'ai choisi pour toi."
Et comme de nouveau la petite princesse refusait bravement, on l'enferma dans un grand cachot. Trois portes à triple serrure en défendaient l'entrée, et une étroite meurtrière l'éclairait, mais placée si haut, si haut, qu'elle n'aurait jamais pu y atteindre. Dans un coin, espérant la séduire on avait entassé des monceaux de diamants et de pierres précieuses, qui brillaient dans l'ombre comme de gigantesques lucioles.
"Ce sera ton lit," lui avait di le géant Kiokodyne en la quittant.
Et la petite princesse, à genoux, oubliant ses propres souffrances, priait maintenant pour ses fleurs et ses oiseaux, qu'elle ne reverrait plus. Que diraient-ils quand ils ne la retrouveraient plus ! Et qui prendrait soin d'eux ? Tout à coup, un joyeux "Quivit !" lui fait lever la tête. Elle croit rêver. Mais non, elle a bien entendu. "Quivit ! quivit !" répètent des voix bien connues. Ce sont ses amies les hirondelles qui passent. Ah ! si elles pouvaient arriver jusqu'à elle. Si elle pouvait leur crier qu'elle est là, prisonnière. Elles la sauveraient, certainement ! Oui, mais la meurtrière est si haute, si haute, qu'elles ne
peuvent l'apercevoir ni l'entendre. Alors elle se met à pleurer...
Or voilà que soudain son cachot s'illumine d'une mystérieuse lueur, et qu'un exquis et pénétrant parfum semble monter du sol tout autour d'elle. Dans un nuage d'or apparaît une femme couronnée de roses, de bleuets et de marguerites, et si belle, que la petite princesse, les mains jointes, comme en extase, la regarde croyant rêver. Mais elle, souriant dit :
"Je suis la fée des oiseaux et des fleurs. Tu leur as été fidèle. Tu les as préférés à ces inutiles et vaines richesses. Je viens te sauver. Regarde."
Et l'apparition s'évanouit.
Sous les larmes qui roulent des yeux de la petite princesse et tombent, goutte à goutte, sur les diamants et les gemmes entassés à ses pieds, voilà que les améthystes se changent en violettes ; les grenats et les rubis, en roses et en coquelicots ; les topazes et les turquoises, en pervenches de toutes les couleurs, tandis que les émeraudes se transforment en larges feuilles vertes, sur lesquelles les diamants brillent comme des gouttes de rosée. Les fleurs forment ainsi un merveilleux bouquet au milieu duquel, comme en un nid parfumé, repose la princesse Libellule. Puis, les fleurs grandissent, les tiges montent, et le bouquet s'élève jusqu'à l'étroite meurtrière, autour de laquelle voltigent les hirondelles. Elles reconnaissent leur mignonne amie. Du bec et des griffes, elles travaillent et l'amènent jusqu'à elles. Puis l'une la prend sur son dos, les autres se groupent tout autour pour mieux l'abriter et poussant un dernier et victorieux "Quivit !" elles s'envolent, tandis que les pierres précieuses, revenant à leur première forme, retombent en pluie cristalline sur le sol.
Les hirondelles volèrent longtemps, charmant la longueur du voyage en racontant à la princesse les belles histoirs qu'elles avaient apprises en chemin. Elle les écoutait, émerveillée du spectacle qui se déroulait devant elle. Bientôt elles arrivèrent dans un pays si beau qu'elle crut voir le paradis. On eut dit un immense tapis de fleurs. Au-dessus d'un grand lac couleur d'azur voltigeaient des oiseaux au plumage éblouissant.
"Où suis-je donc ? demanda la petite princesse.
- Au bleu pays des éternels printemps, répondirent les hirondelles. Ici, les fleurs ne meurent plus, et les oiseaux chantent toujours. Tu seras leur reine, toi qui les a tant aimés."
Et, doucement, elles la déposèrent à terre, tandis que les oiseaux accouraient autour d'elle joyeusement, et que toutes les fleurs s'inclinaient gentiment sur leurs tiges en lui disant : "Bonjour :".





























































bunni


Perséphone ou la naissance des saisons

La déesse Déméter, protectrice de la Nature, avait une fille unique qu'elle chérissait. C'était une très belle enfant, fraîche comme un bouton de fleur et rosée comme les fruits qui mûrissent lentement au soleil. Cette jeune fille s'appelait Perséphone. Notre déesse attentionnée passait beaucoup de temps avec l'adolescente ; elle lui enseignait les secrets de la terre, lui parlait des céréales, des légumes et des fruits qu'elle faisait croître. Et la vie suivait son cours...

Pendant ce temps, au royaume des morts, le dieu Hadès observait Déméter et sa fille. Il avait remarqué la beauté de Perséphone et il espérait secrètement l'épouser. Il conçut pour cela un astucieux stratagème. Comme cela lui arrivait fréquemment, Déméter partit en voyage. Hadès fit alors fleurir une multitude de narcisses. C'était une belle journée, Perséphone sortit avec une amie. Elle flânait, insouciante, dans la campagne fleurie de narcisses, s'attardait pour en faire un bouquet, s'éloignant ainsi de sa compagne. Cet instant fut propice au dieu des morts... Alors qu'elle se penchait pour ramasser une fleur, le sol s'ouvrit et Hadès surgit dans toute sa splendeur. Perséphone, surprise, ne put alerter son amie et elle fut emportée dans les profondeurs de la Terre. Nul ne pouvait sortir du monde souterrain sans le consentement d'Hadès.
C'était un lieu terrible, peuplé de monstres et d'ombres. L'air y était irrespirable, plein de gémissements, de souffrance et de cris, auxquels succédait parfois un sinistre silence.
En découvrant cet univers, si différent de celui qu'elle connaissait, Perséphone ne put retenir ses larmes. C'est ainsi qu'elle devint reine des Enfers.

En revenant de son voyage, Déméter s'alarma de ne pas trouver sa fille chez elle, comme elle en avait l'habitude.
Alors, la déesse de la Nature quitta l'Olympe et partit à la recherche de Perséphone...

Déméter était si triste d'avoir perdu son enfant qu'elle refusait de faire germer les graines. Plus rien ne poussait et les hommes et les animaux mouraient de faim. Puis un jour, enfin, la déesse apprit le nom du ravisseur. Indignée, elle alla trouver Zeus et demanda qu'on lui rende Perséphone. Depuis longtemps déjà, Zeus était inquiet... La Terre avait trop souffert de cette situation ! Il prit donc parti pour la déesse : « Mais, rappelle-toi, si ta fille goûte aux fruits de l'empire des ombres, elle ne pourra en ressortir. » Et aussitôt, Zeus ordonna au dieu des Enfers de relâcher la captive. Malheureusement, Perséphone avait déjà mangé quelques grains de grenade. Hadès refusa alors de la libérer complètement. Pour revoir sa mère, la jeune fille dut promettre de revenir régulièrement près du puissant dieu.

Lorsque Déméter retrouva enfin son enfant, elle laissa éclater sa joie de la plus belle manière qui soit : elle fit reverdir les champs et recouvrit les arbres de fleurs et de bourgeons. Quel soulagement alors pour les hommes, les femmes et tous les animaux ! Mais Perséphone ne pouvait rester plus de quatre mois auprès de cette mère aimante et généreuse, et la séparation qui s'ensuivit fut un nouveau déchirement pour la déesse de la Nature...

Elle ne supportait pas de voir la Mort s'emparer de la beauté de son enfant pour la garder si longtemps enfermée dans le triste royaume des Enfers. Perséphone siégeait alors auprès d'Hadès. Elle gardait sa fraîcheur et sa beauté mais, si loin des plaisirs du monde vivant, elle prenait un air sombre et tragique... jusqu'à ce qu'elle retrouve sa mère. Petit à petit, la Nature, les mortels et les animaux se sont habitués aux allées et venues de Perséphone...
À chaque printemps, Déméter retrouve sa fille pour une ou deux saisons seulement, et la Nature, si triste en hiver, reprend alors vie.

bunni


Les mouettes du Lac Salé

Cette histoire est réellement arrivée; il y a bien des années...
En ce temps là, les caravane de pionniers quittaient les côtes de l'Atlantique pour traverser le Mississippi et les grandes plaines de l'Amérique du Nord. Ils circulaient dans des chariots couverts, traînés par des chevaux, et, après bien des peines, parvenaient en haut des Montagnes Rocheuses et descendaient dans les vallées. Ils faisaient encore beaucoup de chemin et finissaient par arriver dans une grande vallée entourée de hautes montagnes. C'était une plaine de sable blanc, dans un pays où la pluie ne tombait presque jamais; mais les neiges éternelles, sur le haut des hautes montagnes, envoyaient de jolis et nombreux petits ruisseaux qui descendaient le long des pentes et venaient se jeter dans un beau lac bleu, au milieu de la plaine de sable, une petite mer intérieure, salée comme la grande mer.

C'est là que certains pionniers s'arrêtèrent ; au Lac Salé. Ils bâtirent des cabanes pour passer l'hiver. Ils avaient mis tant de mois pour faire ce terrible voyage que beaucoup d'entre eux étaient morts en cours de route, à cause du froid, de la fatigue, de la maladie; et une fois sur place, beaucoup d'autres moururent encore pendant l'hiver. Leurs provisions étaient presque épuisées, et leur vie dépendait de la récolte qui allait mûrir.

A force de courage et de travail, ils avaient rendu le pays fertile en faisant des canaux pour l'eau des ruisseaux - ce qu'on appelle irrigation et ils avaient semé du maïs, du blé et des légumes verts pour se nourrir, ainsi que leur bétail. A présent, ils attendaient...

Le printemps vint, et le blé poussa, le maïs poussa aussi, et tous les légumes. La terre brune de la plaine était couverte de petites tiges vertes et tendres, qui grossissaient à vue d'œil. La joie était dans tous le cœurs ; les pionniers étaient récompensés de tous leurs sacrifices. Une vie nouvelle et prospère s'ouvrait à eux quand soudain, une chose terrible arriva...

Un matin, les hommes qui veillaient à l'irrigation virent un grand nuage noir passer sur la colline et s'avancer vers la plaine. D'abord ils eurent peur que la grêle ne fasse périr leurs récoltes, mais ils entendirent bien vite un bruit dans l'air, comme un roulement, et quand le nuage fut plus près, ils virent que c'était des sauterelles! Elles s'abattirent sur les champs, et commencèrent à dévorer les plantes. Les hommes tentèrent de les tuer, mais, plus ils en tuaient, plus il en venait! Ils allumèrent des feux, creusèrent des fossés. Rien n'y faisait. De nouvelles armées de sauterelles arrivaient pour remplacer celles qui étaient détruites! Epuisés, malheureux, les gens tombèrent à genoux en pleurant et en criant, quelques-uns priant pour la délivrance.

Tout à coup, là-bas, dans le ciel, au-dessus du lac bleu, on entendit un bruit d'ailes et de petits cris sauvages. Le bruit devint plus fort, et les gens levèrent la tête. Etait-ce encore des sauterelles ? Non. C'était un bataillon de mouettes qui arrivait. Rapides, battant l'air de leurs ailes blanches, les mouettes arrivaient par centaines, par milliers.
- Les mouettes! les mouettes! crièrent les gens. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Les mouettes planaient au-dessus de leurs têtes, avec de petits cris aigus, puis, tout d'un coup, comme un merveilleux nuage blanc, elles s'abattirent sur le sol.
- Malheur! malheur! crièrent les pauvres gens. Nous sommes perdus! Tout ce que les sauterelles ont laissé, les mouettes vont le manger!
Mais soudain, quelqu'un s'écria :
- Regardez ! Les mouettes mangent les sauterelles!
Et c'était bien vrai. Les mouettes dévoraient les sauterelles par milliers. Elles s'en gorgeaient jusqu'à n'en pouvoir plus, puis s'envolaient alourdies vers le lac d'où d'autres revenaient avec une nouvelle ardeur.
Et quand, à la fin, elles reprirent le chemin de leurs nids, il ne restait plus une sauterelle dans les champs, et le peuple fut sauvé.

Depuis ce jour, dans la colonie du Lac Salé, on apprend aux enfants à respecter les mouettes. Et lorsque les écoliers commencent à dessiner et à écrire, bien souvent, leur tout premier dessin est l'image d'une mouette.


bunni


Les visages sur le mur

Deux sœurs vivaient ensemble ; l'aînée était très belle et la cadette très laide. La belle était courtisée par tous les jeunes hommes des environs, et celle qui était laide n'attirait même pas le regard des vieillards. Et pourtant, la vilaine avait un cœur en or, et la belle était méchante et prétentieuse. Ainsi va le monde !

Un soir, la jeune fille laide se dit : « Ici, rien de bon ne m'attend. Je construirai une maison à la montagne et j'y vivrai seule. Plus personne ne verra mon visage ni ne se moquera de moi. »
Au petit matin, elle quitta le village et se dirigea vers la montagne. La jeune fille marcha toute la journée, et ses jambes étaient fatiguées lorsqu'elle aperçut enfin un filet de fumée s'élever au-dessus de la vallée. Elle s'approcha et vit, assise devant une jolie petite maison, une vieille femme aveugle. Elle avait des nattes grises, mais ses lèvres étaient d'un rouge éclatant et ses dents brillaient comme des diamants. Plus étonnant encore, elle avait deux visages, l'un devant et l'autre derrière. « C'est sûrement une sorcière », pensa la jeune fille.

Néanmoins, elle la salua très poliment et s'enquit de sa santé. « Je me porte bien, merci, répondit la sorcière. Seuls mes yeux ne voient plus comme avant. C'est pourquoi je cherche une servante. Ne voudrais-tu pas travailler pour moi ? Tu auras un bon salaire et à manger autant que tu voudras.
— Pourquoi pas, répondit la jeune fille en se disant : "Je serai bien ici et les yeux aveugles ne verront pas ma laideur." »

La jeune fille laide travailla donc chez la sorcière et s'en trouva bien. Tous les jours, elle ajoutait une pièce d'or dans un petit coffret et elle mangeait à satiété. La sorcière lui avait même donné une jolie robe. La jeune fille la méritait bien, car elle servait sa maîtresse loyalement, ne profitant pas du fait que la vieille femme était aveugle. Elle balayait la poussière et raccommodait le linge avec de tout petits points. Le temps passa et une année s'écoula.

« Ton service chez moi se termine, dit un jour la sorcière à la jeune fille. Tu peux à présent rentrer chez toi.
— Oh non ! s'écria-t-elle. Je veux rester ici. Toi, tu ne vois pas la laideur de mon visage, tu ne connais que le son de ma voix et le travail de mes mains. Mais les autres se moquent de moi. Je ne veux plus jamais les revoir !
— Tu as un visage ingrat, mais un cœur en or, répondit la sorcière. Mes yeux paraissent aveugles, mais ils voient beaucoup mieux que ceux des autres. N'as-tu pas remarqué que j'en ai quatre ? Quand deux dorment, les deux autres restent éveillés. Je connais ton visage depuis le jour où tu es arrivée et, en vérité, il m'importe peu qu'il soit beau ou laid. Mais cela semble vital pour toi et c'est pourquoi j'ai décidé de t'aider. À présent, entre dans la maison et touche le miroir qui est contre le mur. »

La jeune fille fit comme la vieille femme lui avait dit. La tête baissée – pour éviter de voir son visage – elle tendit la main vers le miroir. Soudain, celui-ci s'ouvrit comme une porte, et derrière lui une autre pièce apparut. Sur les murs, il y avait des centaines de visages ! « Vas-y, choisis celui qui te plaît ! » commanda la sorcière. La jeune fille, émerveillée, regarda attentivement tous ces innombrables visages, et finit par en choisir un, gentil et souriant, avec de grands yeux. Dès qu'elle l'eut désigné, la sorcière prit le visage de la jeune fille dans ses mains et le suspendit au mur. Puis elle posa sur sa tête le nouveau visage. Comme elle était belle à présent ! « Rentre chez toi et vis en paix ! » lui dit la sorcière. Puis elle tendit à la jeune fille son coffret en clamant : « Double est ma face, que double soit ton contenu ! » Aussitôt dit, aussitôt fait, le coffret fut immédiatement rempli de pièces d'or. La jeune fille remercia la sorcière et lui fit ses adieux. Puis elle rentra chez elle en courant. Elle était heureuse, belle et riche, que demander de plus !

Sa sœur aînée n'arriva pas à en croire ses yeux ; elle ne reconnut sa cadette qu'au son de sa voix. Mais ce changement ne lui plut guère, car la laide était maintenant plus belle qu'elle. « Moi aussi, j'irai dans la montagne », se dit-elle quand elle eut appris comment sa sœur avait réussi. Si la sorcière avait su rendre si beau le visage si laid de sa sœur, le sien, déjà si gracieux, deviendrait le plus beau du monde. Puis, sans tarder, la sœur aînée prit la route. Elle marcha toute la journée et commençait à être fatiguée lorsqu'elle vit un filet de fumée s'élever au-dessus de la vallée. Elle s'y dirigea et arriva près d'une jolie maisonnette devant laquelle était assise une vieille femme aveugle. Elle avait des nattes grises, mais ses lèvres étaient d'un rouge éclatant et ses dents brillaient comme des diamants. Plus étonnant encore, elle avait deux visages, l'un devant et l'autre derrière.
« C'est la sorcière ! » pensa la jeune fille. Elle fit une grimace désobligeante – puisque la vieille femme ne voyait rien – puis, d'une voix mielleuse, elle s'enquit de sa santé. Et la sorcière la prit à son service, tout comme sa sœur.

La belle jeune fille fit semblant de travailler. Tantôt elle faisait un peu de bruit en remuant quelques objets, tantôt elle donnait de petits coups de balai, mais elle passait le plus clair de son temps devant la glace à s'admirer. La poussière s'accumula bientôt dans tous les coins de la maisonnette et le linge fut raccommodé très grossièrement. Néanmoins, tous les jours, la jeune fille mangeait à volonté et elle recevait également une pièce d'or, qu'elle rangeait dans son coffret. Ainsi, une année passa.
« Ton service chez moi touche à sa fin, dit un jour la sorcière. À présent, tu peux rentrer chez toi.
— Oh non ! objecta la jeune fille. Je ne veux rentrer qu'avec un nouveau visage !
— C'est ce que tu veux ? Entre donc dans la maison et touche le miroir », répondit la sorcière.
La jeune fille se dépêcha de rentrer, tendit la main, et le miroir s'ouvrit comme une porte. Derrière lui, il y avait une autre pièce où d'innombrables visages étaient accrochés aux murs. « Ferme les yeux et ne les ouvre pas avant que je ne te le dise », ordonna la sorcière. Puis elle prit la tête de la jeune fille dans ses mains, ôta son joli visage et le suspendit au mur. Elle posa ensuite sur la tête de la jeune fille le visage de sa sœur cadette.
Puis elle lui tendit son petit coffret, après y avoir jeté de la poussière ramassée dans un coin de la pièce et avoir dit : « Double est ma face, que double soit ton contenu ! » Elle conduisit ensuite la jeune fille devant la maison et lui dit : « Tu peux ouvrir les yeux à présent et rentrer chez toi. »

La jeune fille ne dit ni au revoir ni merci et descendit la colline en courant, pressée qu'elle était de rentrer au village. Vous pouvez aisément imaginer ce qu'elle ressentit quand elle se vit dans un miroir et qu'elle entendit les quolibets des voisins. Lorsqu'elle ouvrit le coffret, un nuage de poussière s'en échappa et se déposa sur ses cheveux. Elle ne réussit plus jamais à les démêler... Elle fut si honteuse que, très vite, elle quitta le village. Personne ne sut où ses jambes l'avaient guidée, et plus jamais dans la région on n'entendit parler d'elle. Sa sœur cadette épousa un homme beau et aimable, et ils vécurent heureux et en paix. Certes, le beau visage de la jeune femme allait vieillir un jour, mais « un cœur bon le reste toute une vie ».














bunni


Le cercle des fées

Un jour, un garçon d'une douzaine d'années avait mené le troupeau de moutons de son père sur les pentes du Petit-Freni, non loin du village de Crymych. Quand il fut arrivé à la pâture, il y avait encore un peu de brouillard autour du sommet de la montagne, et le garçon essayait de voir d'où était venu ce brouillard. Les gens du pays disait en effet que, lorsque le brouillard venait du côté de Pembroke, il ferait beau, mais s'il venait de Cardigan, il ferait mauvais.

Comme il regardait autour de lui ce paysage tranquille et silencieux, la surprise le fit tout à coup sursauter : il apercevait en effet, sur les pentes du Grand-Freni, un groupe de gens qu'il croyait bien être des soldats, en train de s'affairer en cercle, comme pour un exercice. Mais le garçon commençait à connaître les habitudes des soldats, et il se dit lui-même qu'il était trop tôt dans la journée pour que ceux-ci fussent déjà là. Laissant le troupeau pâturer tranquillement sous la garde des chiens, il marcha dans cette direction et, quand il fut plus près, il constata que ce n'étaient pas des soldats qu'il voyait ainsi, mais des gens appartenant au peuple féerique. Et ils étaient occupés à danser en rond, sans se soucier de ce qui se passait autour d'eux.

Le garçon avait entendu bien des fois les vieux du village parler des fés et, lui-même, il avait vu souvent les cercles qu'avaient laissées les "petites gens" sur l'herbe, le matin, après avoir dansé toute la nuit. Mais il n'en avait jamais encore rencontré. Sa première idée fut de retourner en hâte à la maison pour raconter à ses parents ce qu'il avait vu, mais il renonça à ce projet, se disant que les fées risquaient de ne plus être là lorsqu'il reviendrait.

Il se décida à approcher prudemment pour mieux les observer. De toute façon, il savait bien que les "petites gens" ne l'attaqueraient pas : tout ce qu'il craignait, c'est qu'elles disparaissent lorsqu'elles se seraient aperçues de la présence d'un être humain. Il s'avança donc le long des haies pour mieux se dissimuler et parvint ainsi sans encombre le plus près possible du cercle. Là, il se tint immobile et ouvrit les yeux tout grands pour ne rien perdre de la scène.

Il put ainsi constater que, parmi les "petites gens", il y avait un nombre égal d'hommes et de femmes, mais tous étaient extrêmement élégants et enjoués. Tous n'étaient pas en train de danser et quelques-uns se tenaient tranquillement à proximité immédiate du cercle, attendant d'entrer dans la ronde. Certaines femmes montaient de petits chevaux blancs fringants. Mais ils portaient tous de beaux vêtements de différentes couleurs, et c'est parce que certains d'entre eux avaient des habits rouges que le garçon avait pensé à des soldats.

Il était là, en pleine contemplation de ce spectacle inhabituel, quand les "petites gens" l'aperçurent. Au lieu de paraître hostiles ou de s'enfuir, elles lui firent signe d'entrer dans le cercle et de se joindre à leurs danses. Il n'hésita pas, mais, dès qu'il fut entré dans le cercle, il entendit la plus douce et la plus irrésistible musique qu'il connût. Immédiatement, sans comprendre ce qui se passait, il se retrouva au milieu d'une élégant demeure, aux murs recouverts de tapisseries de toutes couleurs. Des jeunes filles ravissantes l'accueillirent et le conduisirent dans une grande salle où des nourritures appétissantes étaient disposées sur une table. Elles l'invitèrent à manger, et le garçon, qui ne connaissait guère que les habituelles pommes de terre au lait de beurre qui constituaient le repas de la ferme, se régala avec des plats d'une exquise finesse, tous à base de poissons. Et on lui donna à boire le meilleur vin qui fût, dans des coupes d'or serties de pierres précieuses.

Le garçon se croyait au paradis. La musique et le vin l'engourdissaient, et la vue de ces jeunes filles empressées autour de lui le ravissait. L'une d'elles lui dit alors d'un ton aimable :

- Tu peux rester ici autant que tu veux. Tu te réjouiras avec nous jour et nuit et tu auras à manger et à boire autant que tu le désires. Mais il ya une chose que tu ne devras jamais faire : c'est de boire l'eau du puits qui se trouve au milieu du jardin, même si tu as très soif, car alors, tu ne pourrais plus demeurer ici.

Le garçon se hâta d'assurer qu'il prendrait grand soin à ne pas enfreindre cette interdiction. Et quand il fut bien rassasié, les jeunes filles l'emmenèrent danser. Il ne se sentait pas fatigué le moins du monde et se sentait capable de s'amuser ainsi durant sa vie entière. Jamais il n'avait été à une telle fête, jamais il n'avait éprouvé une telle joie, un tel bonheur de se trouver au milieu d'un luxe inconnu, avec des gens élégants et ditingués qui le traitaient ainsi avec douceur et courtoisie. Il lui arrivait de penser à la ferme, à son troupeau, à ses parents, mais il chassait vite ces images de son esprit pour mieux s'absorber dans la danse et la musique.

Un jour, cependant, comme il prenait l'air dans le jardin, au milieu des fleurs les plus belles et les plus parfumées, il s'approcha du puits et se pencha pour voir ce qu'il y avait à l'intérieur : il aperçut une multitude de poissons brillants qui frétillaient et qui renvoyaient vers lui la lumière du soleil. Alors, il ne put résister : il tendit son bras et sa main toucha la surface de l'eau.

Aussitôt, les poissons disparurent et un cri confus se répendit à travers le jardin et la demeure. La terre se mit à trembler brusquement et le garçon se retrouva au milieu de son troupeau, sur la pente du Petit-Freni. Il y avait toujours la brume au sommet de la montagne, mais le garçon eut beau chercher partout, il ne put découvrir aucune trace du cercle, aucune trace du puits ni de la demeure des fées. Il était seul sur la montagne, et ses moutons paissaient paisiblement comme si rien ne s'était passé.








bunni


La tortue avisée

Tout le monde sait que les tortues sont extrêmement avisées. Un jour, l'une d'entre elles rassembla tous les animaux pour les avertir :
"Une dangereuse plante pousse dans notre forêt. Nous devons la supprimer, sinon c'est elle qui nous supprimera ! "
La tortue conduisit les animaux à la lisière de la forêt où s'étendaient les champs de chanvre et dit :
"Voici la plante en question ! "
Les animaux l'examinèrent et goûtèrent à ses petites feuilles. L'antilope fit la grimace :
"C'est amer. Je ne vois pas pourquoi je devrais la brouter. "
Le flamant hochait la tête :
"Moi non plus. Je ne peux rien faire du chanvre, puisque je vis la plupart du temps dans l'eau."
La carpe ne dit rien, mais s'en alla d'un coup de nageoire.
Ainsi, le chanvre poussa en toute tranquillité. Un jour, les hommes vinrent, l'arrachèrent et en tressèrent des cordes. Ils les prirent pour bander leurs arcs. Ensuite, ils taillèrent des fléches dans l'écorce de palmier et allèrent chasser les oiseaux. Arrivés au bord de l'eau, ils lancèrent leurs fléches contre une bande de flamants. Les oiseaux s'envolèrent, mais l'un d'entre eux resta sur la rive, mortellement blessé. La tortue s'approcha de lui :
"Si tu m'avais obéi lorsque je t'avais demandé de supprimer la plante de la forêt, tu volerais aujourd'hui tranquillement dans les cieux ! "
Le flamant supplia :
"Aie, tortue ! aide-moi "
"Il est trop tard. "
Un homme vint, prit le flamant et l'emporta chez lui.
Ensuite, les hommes prirent une canne et y attachèrent une corde avec un crochet au bout. Ils plongèrent l'hameçon dans l'eau et en trés peu de temps, une carpe s'agita au bout de la corde.
La tortue s'approcha d'elle à la nage :
"Si tu m'avais écoutée, tu nagerais aujourd'hui en toute tranquillité ! "
"Aïe, tortue ! aide-moi ! " supplia la carpe.
"Il est trop tard ", répondit la tortue.
Un homme tira sur la canne et sortit la carpe de l'eau.
Ensuite, les hommes prirent les cordes et en firent des noeuds coulants qu'ils disposèrent sur un sentier. L'antilope s'y laissa prendre.
La tortue s'approcha d'elle :
"Si tu m'avais écoutée, tu courrais aujourd'hui tranquillement dans la clairière ! "
"Aie, tortue ! aide-moi ! " supplia l'antilope.
La tortue rongea la corde et libéra l'antilope. Depuis ce jour, elles furent amies. Et pourtant, l'antilope était aussi idiote que la tortue était rusée. Certes, elle admirait son amie pour son intelligence mais se disait dans son for intérieur :
"Son intelligence ne lui sert à rien, puis qu'elle est lente. Elle ne peut attraper personne, pas plus qu'elle ne peut fuir ses ennemis. "
Un jour, la tortue défia l'antilope :
"Tu me crois lente, mais je peux te battre à la course quand cela me plaît. "
"je voudrais voir cela ! " riait l'antilope.
"Alors regarde bien. Nous allons courir jusqu'au sommet de cette colline et on verra bien laquelle d'entre nous y arrivera la première. "
Juste avant la course, la tortue mordit la queue de l'antilope et s'y suspendit. L'antilope courut jusquêau sommet de la colline et se retourna pour voir peiner la tortue. Celle-ci lâcha la queue de l'antilope et dit :
"Je suis là. je t'attendais. "
L'antilope avait beau se creuser la tête, elle ne comprit pas comment la tortue s'y était prise pour arriver avant elle.
En ce temps-là, le roi des animaux, le lion, convia tous ses sujets à un somptueux festin. Le léopard, le singe, l'éléphant vinrent ainsi que l'antilope et la tortue. Le repas fut magnifique, il y avait de la nourriture en abondance pour tout le monde. L'éléphant mangea des bananes, le crocodile du poisson. Par malchance, la tortue et l'antilope, qui avaient déjà l'eau à la bouche, avaient oublié leurs assiettes à la maison. Le lion avait bien demandé aux animaux d'apporter leurs assiettes, mais la stupide antilope n'y avait pas pensé. La tortue, occupée à inventer ses mauvais tours, avait bel et bien oublié, elle aussi, son couvert. Elle se tourna donc vers l'antilope :
"Cours vite à la maison chercher deux assiettes pour que nous puissions manger ! "
Mais l'antilope n'avait pas envie :
"Pourquoi moi ? Ne cours-tu pas plus vite que moi ? "
"Certes, mais tu habites plus prés. "
L'antilope s'en alla chercher deux assiettes, mais auparavant, elle cria à la tortue :
"Ne mangez pas tout ! "
La tortue se mit aussitôt en quête d'une assiette. Elle aperçut un minuscule roitelet qui portait une énorme assiette.
"A quoi te sert une aussi grande assiette ? " lui demanda la tortue. "Deux graines suffisent pour te remplir l'estomac. "
"Tu as bien raison ", acquiesça le roitelet. "D'ailleurs, j'ai fini de manger. "
"Dans ce cas, pourrais-tu me prêter ton assiette ? J'ai oublié la mienne à la maison ", demanda la tortue.
Le roitelet ne se fit pas prier :
"Fais seulement attention à ne pas la casser. "
La tortue remplit son assiette et mangea à se faire éclater le ventre. Aprés qu'elle eut rendu l'assiette au roitelet, l'antilope revint. Elle se mit aussitôt à se lamenter :
"Vous ne m'avez rien laissé ! "
Et, en effet, seuls des os et des peaux de bananes témoignaient du magnifique festin.
"Tu n'es pas la seule ! " riposta la tortue. "je n'ai pas mangé une seule bouchée en attendant mon assiette. Tu en as mis du temps ! "
Le lion interrompit les lamentations de la tortue et de l'antilope qui se tenaient là, toutes penaudes, l'assiette vide à la main :
"Vous avez tous bien mangé et vous avez pris des forces. Je vous donnerai l'occasion d'en faire une brillante démonstration. Nous allons tous lutter les uns avec les autres. Les vaincus deviendront les serviteurs des vainqueurs et le plus fort d'entre nous sera le roi. L'éléphant arbitrera les combats. "
L'idée du lion était bonne. Il avait beau être trés courageux et puissant, l'éléphant était tout de même plus fort que lui. En tant qu'arbitre, cependant, il ne pouvait pas prendre part à la compétition.
Le lion ouvrit les hostilités en rugissant et bondit sur l'antilope. Celle-ci s'écarta et s'enfuit à toutes jambes. Voyant qu'il n'arriverait pas à l'attraper, le lion se tourna contre la tortue qui se tenait juste à côté. Malheureusement, il ne pouvait rien contre sa dure carapace. Il essaya donc de la retourner sur le dos avec sa patte, mais la tortue le mordit et rentra la tête dans sa carapace, tenant la patte du lion bien serrée dans ses mâchoires. Le lion rugit de douleur, mais la tortue tint bon. L'éléphant dut la déclarer vainqueur de la compétition.
Le lion s'en alla, vexé et humilié. La tortue devint la reine des animaux. Lorsque l'antilope revint sur ses pas, la tortue lui dit :
"Je t'ai sauvé la vie une seconde fois. Si je n'avais pas tenu la patte du lion, il aurait bien fini par t'attraper. "
L'antilope la remercia avec effusion. La tortue ne resta pas longtemps au pouvoir. Les animaux oubliérent rapidement qu'elle avait vaincu le lion et celui-ci récupéra petit à petit tout son prestige. Au demeurant, la tortue se moquait éperdument de sa nouvelle fonction : elle était trop intelligente pour une reine !

bunni


Le Génie de la Pluie et la Grenouille

Parmi des écueils désolés, au bord de la mer, vivait dans une profonde caverne le Génie de la Pluie, le dragon Mua. L'Empereur du Ciel lui avait donné pour tâche d'arroser la terre. Dès que le niveau des rivières et des fleuves baissait, que l'eau disparaissait des rizières et que le sol durcissait, Mua sortait de sa grotte, se penchait sur le miroir de la mer et buvait à n'en plus finir. Puis il prenait son envol, et recrachait cette eau sous forme d'une pluie bienfaisante partout où le besoin s'en faisait sentir. Malheureusement, Mua était fort capricieux et paresseux de surcroît. S'il décidait soudain qu'il n'avait pas envie d'aller plus loin, il pouvait déverser d'un seul coup toute l'eau qui lui restait sur une région qui n'en manquait pas, et provoquer ainsi des inondations. Plus grave encore, il lui arriva une fois de ne pas mettre le nez dehors durant des semaines. La terre fut bientôt aussi dure que de la pierre, plantes et animaux souffrirent terriblement. Mais alors que toutes les bêtes se résignaient déjà à mourir de soif, la grenouille refusa de subir ce triste sort ; elle décida d'aller trouver l'Empereur du Ciel et de se plaindre à lui des négligences du Génie de la Pluie.
En chemin elle rencontra d'abord le crabe, puis le renard, l'ours, le tigre et pour finir l'abeille. Ils essayèrent tous de la faire renoncer à son projet : le voyage était périlleux, et qui pouvait assurer qu'il servirait à quelque chose ? Mais la grenouille était tenace : ce fut elle qui réussit à les convaincre.
" Pourquoi attendre sans rien faire que la mort nous emporte ? " leur dit-elle. " Si vous m'accompagnez, nous serons plus nombreux et nos réclamations auront plus de poids auprès de l'Empereur du Ciel. "
Les animaux en convinrent et se joignirent à elle. Ensemble, donc, ils arrivèrent au palais céleste. Devant le portail se trouvait un grand tambour. Quiconque estimait que l'injustice régnait dans le ciel ou sur la terre avait le droit de s'en servir. Mais avant que les plaignants ne commencent à taper dessus, la grenouille les arrêta.
" Qui sait quel accueil nous allons recevoir ? " dit-elle à ses amis. " Il serait plus prudent que vous vous cachiez à proximité et que vous sortiez quand je vous ferai signe. "
Le crabe se traîna jusqu'à une petite mare près de la porte, l'abeille se faufila sous le seuil, le renard, l'ours et le tigre se cachèrent derrière les épaisses colonnes de l'entrée. La grenouille hocha la tête, satisfaite, et frappa le tambour de toutes ses forces. Il s'avéra aussitôt qu'elle avait eu raison de se montrer prudente : l'Empereur du Ciel et les autres divinités étaient en voyage et ce fut le Génie de la Pluie, Mua en personne, qui apparut à la fenêtre. Las de s'ennuyer dans sa caverne, il était venu faire un petit séjour à la Cour céleste et attendait là le retour de ses divins confrères.
" Qui ose troubler ainsi mon repos ? " gronda-t-il, avant d'ordonner au garde d'aller voir ce qui se passait.
Le garde courut à la porte et revint sur le champ. " C'est la grenouille, Votre Grâce. Elle veut se plaindre à l'Empereur du Ciel que vous ne faites pas votre travail. " " Quelle insolence ! " s'écria le Génie de la Pluie. " Non contente de tambouriner à m'en crever les tympans, elle a encore l'audace de venir plaider contre moi ? " Et la grenouille tambourinait vraiment comme une endiablée, car elle espérait que l'Empereur du Ciel l'entendrait et reviendrait au palais. Or c'était précisément ce que Mua voulait empêcher à tout prix... Il commanda donc au coq céleste de voler jusqu'à la porte et de becqueter cette effrontée jusqu'à ce que mort s'ensuive. Le coq aiguisa ses ergots et s'en alla exécuter sa mission. Alors la grenouille fit vite un petit signe au renard, et en un tournemain le malheureux coq se retrouva tout piteux devant le dragon : de sa belle queue multicolore, il ne lui restait plus que quelques plumes éparses.
" Hum, il s'agit là d'une drôle de grenouille, apparemment ! " bougonna Mua d'un ton furieux. " Elle est assise devant la porte, et il lui suffit de s'enfler pour que le coq céleste perde ses plumes ? Non, mais ! Je vais lui montrer qui commande ici, et lancer le chien céleste à ses trousses ! "
Cette fois-ci, la grenouille fit signe à l'ours.
Dès que le chien s'approcha, le gros animal surgit de derrière son pilier et lui donna de ses pattes griffues une accolade que l'animal céleste n'oublierait pas de sitôt... Son travail accompli, et le chien parti en trombe, l'ours réintégra sa cachette comme le renard l'avait fait avant lui. " Je vais enfin pouvoir me reposer en paix ! " se disait au même moment Mua, satisfait. Mais un coup d'oeil par la fenêtre lui prouva à quel point il se trompait : le chien céleste revenait, l'échine hérissée et la queue entre les pattes, tandis que la grenouille se gonflait au maximum pour reprendre son concert.
" Garde ! " vociféra le dragon. " Vas-y toi-même et règle son compte à cette impudente ! "
Le garde s'inclina, empoigna une lourde lance et prit la forme d'un serpent de feu pour aller jusqu'à la porte. Sur un signe de la grenouille, l'abeille vola hors de sa cachette et le piqua à l'oeil. Le serpent hurla de douleur, si fort que les piliers de pierre qui soutenaient le palais céleste en tremblèrent.
" Ah ! Le garde pousse son cri de victoire ", se dit le dragon. Mais le malheureux avait bien autre chose à faire : il voulut rafraîchir son oeil enflé dans la mare. Le crabe sauta sur l'occasion et se mit à pincer tout ce qui était à sa portée ! Alors le pauvre garde se remit à hurler au point d'en ébranler les murs.
" Ce n'est qu'une victoire sur une grenouille ordinaire ! Il la fête un peu bruyamment à mon goût ", songea le dragon.
Devant la porte, le garde essayait de retrouver la terre ferme pour se sauver. Mais avant qu'il ait pu essuyer l'eau qui l'aveuglait, l'ours et le tigre se jetèrent sur lui. Le malheureux ne savait plus ce qui lui arrivait : où qu'il allât, où qu'il se tournât, ce n'étaient que morsures et piqûres, pincements et coups de griffes. Car le renard et l'abeille, bien entendu, n'entendaient pas demeurer en reste ! Et quand, par-dessus le marché, il entendit la grenouille crier : " Bon, à présent donnez-moi mon bâton, que je lui apprenne à vivre ! " il détala comme une flèche vers le palais. Le Génie de la Pluie était justement à la fenêtre. Ce qu'il vit figea son sang de dragon dans ses veines : le garde revenait en courant comme un fou, à demi-aveuglé, les traits déformés par la terreur. Et derrière lui, sur le seuil du palais, la grenouille s'enflait et coassait : " Si le Génie de la Pluie ne se remet pas sur le champ au travail, il va voir ce qu'il va voir ! "
Et boum, boum, boum ! le tambour retentit à nouveau dans un vacarme assourdissant.
" Que se passe-t-il donc ici ? " lança soudain la voix tonitruante de l'Empereur du CieL " Qui endure une injustice à ce point insupportable que la voix du tambour m'ait fait revenir de l'autre bout du monde ? " " C'est moi qui ai tambouriné ", avoua courageusement la grenouille. Et elle expliqua sans détours au Maître du Ciel les raisons de sa plainte. L'Empereur fronça les sourcils, mécontent, et jeta un regard sévère au Génie de la Pluie. Celui-ci s'était fait tout petit ; s'il l'avait pu, il se serait volontiers changé en un minuscule lézard afin de disparaître dans la première fente venue.
" Redescends tout de suite et exécute ta mission ! " lui ordonna son Maître. " Et quand tu auras terminé, reviens me trouver pour subir ton châtiment ! "
Le dragon Mua s'envola donc, et la Divinité suprême put alors mesurer les dégâts causés par la grenouille et ses amis. Le garde, le chien et le coq célestes n'étaient vraiment pas beaux à voir... "
Je dois reconnaître qu'une grande injustice s'est produite dans le ciel et sur la terre ", déclara l'Empereur, se tournant vers la grenouille. " Si Mua, à l'avenir, se montrait coupable d'autres négligences, ne te donne pas la peine de revenir ici. Contente-toi de coasser très fort, cela suffira. Le Génie de la Pluie se souviendra aussitôt de ce qu'il a à faire. "
La grenouille le remercia et s'en retourna chez elle avec ses amis. Quant à Mua, il fut sévèrement puni : dès qu'il eut fini d'arroser la terre, il rentra dans sa caverne où quatre démons s'emparèrent de lui. Alors le coq céleste se mit à le picorer de son bec pointu jusqu'à ce qu'il ne lui restât plus le moindre bout de peau en bon état. Depuis lors, quand il fait trop sec, les grenouilles n'ont qu'à coasser : le Génie de la Pluie en a aussitôt la chair de poule et s'empresse de se remettre au travail. Et si un jour, malgré tout, sa paresse reprenait le dessus, ce serait l'Empereur du Ciel en personne qui le rappellerait à l'ordre... car il n'a pas la moindre envie de recevoir une nouvelle visite de la grenouille. Depuis ce temps-là aussi, les hommes vénèrent les grenouilles. Et certains prétendent même qu'elles sont apparentées à l'Empereur du Ciel.

bunni


Abo, le lutin du chaudron

Bien loin, dans les pays du Nord, un seigneur vivait dans son château. Revenant de la chasse avec ses gens, il ordonna à son cuisinier : « Prépare une soupe à l'agneau, au lièvre et au cerf, car nous mourons de faim!» Le cuisinier avait un bon feu dans l'âtre et de l'eau bouillante dans le chaudron. Il y jeta des quartiers d'agneau, de lièvre et de cerf et un fumet délicieux se répandit bientôt dans toute la maison. Alors que le cuisinier s'apprêtait à remplir les plats, un petit bonhomme bondit hors du foyer et supplia: « Donne-moi une pointe de couteau de ce qui mijote dans ton chaudron! » Bienveillant, le cuisinier pensa: « J'ai suffisamment de viande et, du reste, un petit homme comme lui n'en mangera pas beaucoup. » Mais à peine lui eut-il donné ce qu'il désirait, que le lutin disparut et que tout ce qui était dans la marmite le suivit, comme porté par des jambes invisibles.
« Saprelote ! » jura le maître queux qui, tout marri, alla conter sa mésaventure à son seigneur. « Remplis de nouveau la marmite, dit celui-ci, et si le petit troll revient, jette-lui la cuiller à la tête ! »
Cette fois, le cuisinier apprêta, avec la viande, une quantité de légumes verts. Tout était à peu près cuit quand le lutin réapparut. « Donne-moi, je te prie, une fourchetée de légumes pour ma femme qui est malade! » Mais le cuisinier le menaça de le saisir par les oreilles. « Ne me bats pas, supplia le petit homme, mais donne-moi la moindre des choses, je te serai reconnaissant. » Le cuisinier se
laissa toucher et lui tendit une pleine fourchetée. Mais, rapide comme l'éclair, le lutin disparut et tout ce qui mijotait, bouillonnait, flottait dans la marmite disparut aussi comme porté sur des ailes enchantées. Le maître le prit fort mal. « N'hésite pas à tuer le lutin si tu le vois, dit-il au cuisinier. Et sache que je te chasserai à coups de bâton si tu ne parviens pas à me préparer un repas. »
Notre homme se jura qu'on ne l'y prendrait plus. Cependant, lorsque le farfadet, les larmes aux yeux, jaillit de la flamme, il ne songea pas à le tuer. Et notre petit bonhomme supplia le cuisinier de lui donner une cuillerée de soupe, car sa femme était morte, dit-il, et son petit enfant souffrait de la faim.

« A vrai dire, je devrais plutôt t'occire! » grogna le maître queux. « N'en fais rien, implora le lutin, toi aussi, tu seras bientôt dans la misère, et alors je t'aiderai... » Le cuisinier se laissa fléchir et lui tendit une cuillerée de soupe. Mais, au même instant, le troll disparut derrière l'âtre et le contenu du chaudron, lièvre, agneau et cerf, redevenus vivants, le suivit. Le cuisinier n'eut pas besoin d'aller conter sa nouvelle déconvenue à son maître, car celui-ci, furieux, faisait irruption dans la cuisine : « Misérable, ramasse tes hardes sinon je mettrai mon fouet en route... ! » Dans sa chambrette, le cuisinier se mit à gémir: « O malheur ! trois fois malheur! » II était effondré et en proie au désespoir quand le lutin accourut à petits pas et sauta sur ses genoux. « Tu vas être récompensé de ce que tu as fait pour moi, lui dit-il. Voici un coffret.
Demande-lui tout ce que tu désires. Tu n'auras qu'à y frapper trois coups et tu seras comblé. » Le cuisinier demanda aussitôt un carrosse, deux chevaux sellés, un page bien vêtu, des provisions et beaucoup d'argent. A peine eut-il frappé les trois coups que cet équipage entrait par la fenêtre. L'homme fut si surpris qu'il en oublia de remercier le bon lutin. Celui-ci, sortant du coin sombre où il se tenait, et revêtant le capuchon qui le rendait invisible, lui dit de sa petite voix claire : « Je suis Abo, le lutin du chaudron. Si tu ne m'avais pas donné de la nourriture, il te serait arrivé malheur. »
Cependant, en bas dans la cuisine, on parlait de préparer un nouveau repas et on discutait des moyens de s'emparer du troll. Mais quelle ne fut pas la surprise du seigneur de voir le cuisinier sortir de sa chambre, suivi des chevaux, du carrosse et du page. Brièvement, l'heureux homme raconta comment les choses s'étaient passées et, au lieu de le chasser à coups de fouet, tous s'inclinèrent très bas et le considérèrent avec le plus grand respect. L'envie les prit de posséder, eux aussi, un coffret enchanté. Ils se donnèrent beaucoup de mal pour préparer des mets savoureux, car le seigneur avait l'espoir que le fumet attirerait le lutin. Celui-ci se fit attendre longtemps et, quand il
vint, il ne voulut pas toucher au contenu des plats. « Le cuisinier m'a pourvu de nourriture, dit-il, mais puisque vous montrez tant de zèle, vous obtiendrez tout de même le coffret. » Des cris de joie l'interrompirent : « Apporte-le ! Apporte-le ! »

Le coffret fut placé au milieu de la table pour que le seigneur et les chasseurs puissent à tour de rôle frapper et en tirer des trésors. Le maître se leva, frappa trois coups et, dans un silence impressionnant, formula ce souhait : « Que nous soit accordé ce qui nous réjouira et nous sera utile ! »
Un violent coup de tonnerre répondit, qui brisa la vaisselle et renversa les meubles. Au même moment, jaillirent du coffret autant de fouets tournoyants et sifflants qu'il y avait d'hommes dans la salle. Ils frappèrent tant et si bien le seigneur et les chasseurs par devant, par derrière, en haut et en bas qu'ils s'écroulèrent à demi-morts sous la table. Des hurlements de douleur retentirent de toutes parts. Finalement, la maison s'abattit sur les assistants et une étincelle, partie du foyer, y mit le feu. Puis une tempête de neige ensevelit les ruines sous un linceul glacé.
Pendant ce temps, le cuisinier compatissant roulait en carrosse sur la grand-route, en direction du sud. Il atteignit la mer. Il s'y plut tellement qu'il demanda, au coffret, un château sur le rivage. Son vœu fut exaucé et, au cours des années, une ville s'édifia autour du château. Le cuisinier lui donna le nom lutin Abo et cette ville existe encore aujourd'hui.